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Chapitre 2 : Emergence de nouveaux acteurs de l’action publique de prévention et en

2.2. La spécificité des systèmes d’assurance des catastrophes naturelles et les relations

Les interactions entre assureurs et autorités publiques ont déjà fait l’objet de nombreuses études. A titre d’exemple, Kunreuther et Roth, en se concentrant sur le cas américain, ont souligné la nécessité pour les assureurs de travailler en partenariat avec les autres parties prenantes pour une réduction effective des risques (Kunreuther et Roth, 1998), Green et Penning-Rowsell ont analysé la variété des relations qui peuvent exister entre un gouvernement et l’industrie de l’assurance dans différents pays, en se référant aux « “parasitic” and “symbiotic” relations » (Green et Penning-Rowsell, 2004), Nussbaum a étudié différentes formes de partenariat public/privé formel ou informel, mis en œuvre au sein des principaux systèmes assurantiels couvrant les catastrophes naturelles en Europe (Nussbaum, 2006) et Bouwer et al, ont considéré le rôle du gouvernement et du secteur privé au sein des différents systèmes assurantiels en lien avec leur contribution à l’adaptation de la gestion du risque d’inondations en particulier au regard du contexte de changement climatique (Bouwer et al, 2007).

Il ne s’agit pas ici de tenter de caractériser l’ensemble de ces relations, mais de présenter les grandes lignes de trois différents systèmes assurantiels et d’identifier les relations induites entre pouvoirs publics et assureurs. Pour le Royaume-Uni et les Etats-Unis, ces systèmes sont spécifiques à l’inondation, en France, le système s’étend à un ensemble de risques dits naturels.

Au Royaume-Uni, les risques naturels sont couverts par une assurance de marché. Les assureurs proposent une couverture optionnelle du bâtiment et/ou de son contenu ainsi que des pertes d'exploitation contre les inondations, pour les particuliers et les professionnels (soit près de 23.5 millions de propriétaires), aux mêmes conditions que celles pratiquées pour les autres risques. Plus le risque de dommages est grand, plus la prime est importante, certains biens pouvant être considérés comme inassurables (c’est le cas pour un nombre non négligeable de propriétés au Royaume-Uni).

Il existe cependant un accord de principe, le « Statement of principles38 » entre les

pouvoirs publics et les assureurs membres de l’ABI (Association of British Insurers) qui vise à rendre l’assurance inondation accessible au plus grand nombre. Il permet aux assureurs de proposer une couverture d’assurance contre le risque d’inondation à un prix raisonnable à un grand nombre d’assurés, à la condition que les pouvoirs publics garantissent un certain niveau de protection. En effet, l’ABI considère que la condition à un développement durable des services d’assurance inondation réside dans la mise en place d’une politique publique forte de prévention pour réduire le risque inondation sur l’ensemble du pays (ABI, 2004).

Aux Etats-Unis, la politique en matière de lutte contre les inondations est assez ancienne

avec une première loi en 1936 (Flood Control Act)visant à protéger les vies humaines et

les biens par la mise en place de mesures structurelles telles que l’édification de digues ou de barrages.

38

Ce n’est qu’en 1968 que l’assurance contre les risques d’inondation a été rendue accessible par le congrès américain (National Flood Insurance Act). Depuis cette loi, les services d'assurance inondation sont fournis dans le cadre d'un programme public à destination

des communautés39 appelé « National Flood Insurance Program » (NFIP)40.

Les assureurs privés participent à sa mise en œuvre.

Individuellement, au sein du Write-Your-Own, sans porter le risque financier, ils gèrent les indemnisations et jouent le rôle d’intermédiaire entre pouvoirs publics et assurés par :

- la prise en charge des candidatures des communautés ;

- la collecte et la vérification des documents demandés ;

- la couverture, avec le soutien du gouvernement fédéral, des communautés

membres pour l’ensemble des dommages aux biens causés par l’inondation. En échange les pouvoirs publics leur paient des frais de gestion et remboursent les écarts éventuels entre les indemnisations versées et les primes perçues.

Collectivement, un organisme technique de leur association professionnelle, appelé « Institute for Business and Home Safety » (IBHS), représente les assureurs privés pour la gestion et la supervision du programme au niveau national.

Mais c’est au niveau des institutions fédérales que s’effectue véritablement sa gestion. Il est administré par la Federal Insurance and Mitigation Administration (FIMA) de la Federal Emergency Management Agency (FEMA). Elles sont en charge d’établir son cadre général, notamment la règlementation des conditions et prix des polices d’assurance, la désignation des communautés admissibles au programme, l’exercice du contrôle financier ou encore l’évaluation de sa mise en œuvre au niveau local.

Ce programme est financé par les primes d’assurance et par le Trésor. L’intervention financière des pouvoirs publics a pu être significative. Bien qu'il s'agisse d'un programme volontaire, l'obtention de certaines subventions ou crédits est subordonnée à l’adhésion au NFIP. L’Etat contribue ainsi fortement au développement des services d’assurance inondation. En contre partie, les communautés qui décident d'adhérer au NFIP doivent mettre en œuvre de mesures de prévention imposées par celui-ci.

En France, les risques naturels peuvent être pris en charge par :

- un régime assurantiel « normal » contractuel avec une assurance de marché et une

réassurance privée, pour les dommages considérés comme assurables (dommages causés par la tempête, la grêle ou le poids de la neige) ;

- un Fonds National de Garantie des Calamités Agricoles, Fonds publics financés par des taxes parafiscales pour les dommages non assurables subis par les exploitations agricoles ;

- un système mixte faisant appel à la fois à l’État et à l’assurance avec l’Etat réassureur de dernier ressort, dans le cadre du système catnat instauré par la loi du 13 juillet 1982 (cf. annexe 1).

Peuvent également être mentionnés l’assurance incendie pour les feux de forêt et la foudre créant des incendies, l’assurance dommage électrique pour la foudre ne créant pas d’incendie et l’assurance dégât des eaux pour les infiltrations d’eau sous les éléments des toitures par l’effet du vent (FFSA).

Les interactions qui seront étudiées entrent dans le cadre du système catnat. En effet, la France a opté, en 1982, pour un système particulier d’assurance au sein duquel pouvoirs publics et assureurs sont étroitement liés. Les assureurs privés collectent et gèrent la surprime « catnat ».

39

Ville, commune, municipalité, une partie d’un comté ou d’une paroisse.

40

Ils procèdent également aux indemnisations, comme pour les autres types de risques. Au- dessus du risque financier porté par les assureurs privés, l’Etat fournit une réassurance publique illimitée, en tant que réassureur de dernier ressort, et fixe le cadre règlementaire du système assurantiel, permettant de ce fait à l’ensemble des assurés d’être couverts dans les mêmes conditions, quel que soit leur niveau d’exposition.

En effet, le législateur a considéré que, contrairement à la plupart des dommages aux biens tels que l’incendie, le vol, les tempêtes, une simple mutualisation n’était plus suffisante pour les risques naturels et qu’il fallait y adjoindre un système de solidarité. Le système catnat repose ainsi sur une extension de garantie obligatoire41 qui s’applique à

tous les dommages directement causés aux biens (et non aux personnes), y compris aux véhicules, couverts par les contrats d’assurance « garantissant les dommages d'incendie ou tous autres dommages » (contrat multirisques habitation et automobile). Cette extension comprend également la couverture contre les pertes d’exploitation. Toutefois les dommages aux personnes ne sont pas concernés. L’extension de garantie répond aux mêmes limites et exclusions que celles prévues par la garantie principale du contrat. Autrement dit si un bien n’est pas assuré ou bien si certains biens (clôtures, murs de soutènement, piscines,…) sont exclus de la garantie du contrat de base, alors ils ne rentrent pas dans le cadre du système catnat. Il parait important de souligner, qu’il s’agit d’une extension de garantie obligatoire, et non d’une assurance obligatoire. En effet, comme le précise De Boissieu, « l’assurance contre l’incendie, qui sert de support à la garantie catastrophes naturelles, n’est pas elle-même obligatoire » (De Boissieu, 2001). De même que, sous certaines conditions, chacun peut faire le choix de ne pas s’assurer, les sociétés d’assurance ont la possibilité de refuser un risque.

Cette extension de garantie obligatoire entraîne une prime additionnelle appelée « surprime catnat ». Cette « surprime catnat » est calculée à partir d’un pourcentage unique, fixé par l’état, appliqué sur le montant de la prime initiale du contrat de base indépendamment du degré d’exposition au risque. Ce taux s’élève aujourd’hui à :

- 12 % du montant de la cotisation d’assurance dommages aux biens (par exemple,

contrats multirisques habitation ou entreprise) ;

- 6 % de la cotisation correspondant aux garanties vol et incendie ou, à défaut, 0,5 %

de la cotisation afférente aux garanties dommages au véhicule. (Article A125-2 du code des assurances)

La loi du 13 juillet 1982 a également renforcé la solidarité de ce régime par une définition particulière du rôle du Bureau Central de Tarification (BCT) en matière de risques de catastrophes naturelles. En effet, afin de limiter les exclusions à la garantie catnat, dans le cas où un assuré serait confronté à un refus d’assurance par au moins une société d’assurance au motif que le risque de catastrophes naturelles serait trop important, ce dernier peut saisir le BCT. Après instruction du dossier, le BCT peut fixer de nouvelles conditions d’assurance qui s’imposent à l’assureur désigné par l’assuré sous peine de retrait d’agrément (L125-6 du code des assurances). Ainsi le BCT précise dans ses rapports de décision que « si le refus d’une assurance de choses parait motivé par le souci d’échapper ainsi à la garantie catnat, il convient […] de lui imposer exceptionnellement la souscription d’une garantie socle malgré le caractère non obligatoire de cette dernière ». Par ailleurs les textes prévoient que « lorsque le risque présente une importance ou des caractéristiques particulières, le bureau central de tarification peut demander à l'assuré de lui présenter, dans les mêmes conditions, un ou plusieurs autres assureurs afin de répartir le risque entre eux. »42.

41

Article L125-1 du code de l’assurance.

42

Le nombre annuel de décisions prises par le BCT figure dans le tableau ci-dessous. Année 1995 1996 1997 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2008 TOTAL Nombre de décisions prises par le BCT depuis le 1er janvier 1993 4 1 1 2 2 2 1 4 7 2 1 27

Tableau 3 : Nombre annuel de décisions prises par le BCT dans le cadre de la garantie catnat

Au regard de ces conditions particulières, le législateur a pris soin d’instituer un lien entre la prévention et l’indemnisation. Pour Lamère « le régime français vise à tirer le meilleur parti des différentes compétences des acteurs : l’assureur gère les garanties contractuelles et, en cas de sinistre, indemnise rapidement les victimes. L’Etat assume les conséquences financières des catastrophes de très grande ampleurs et joue son rôle de prévention, notamment dans le cadre de l’aménagement du territoire » (Lamère, 2000).

Au final, dans ces trois pays on observe des situations très diverses notamment au regard du niveau d’intervention du secteur public ou privé. Dans tous les cas, qu’il s’agisse d’un système privé, comme au Royaume-Uni, d’un système public, comme aux Etats-Unis, ou d’un système privé avec l’Etat comme réassureur de dernier ressort, comme en France, l’intervention de l’Etat apparaît essentielle pour faciliter le développement des services d'assurance inondation. Il peut contribuer à son financement et/ou à sa réglementation. Au minimum, il s’agit d’une implication dans une politique de prévention qui apparaît comme une condition nécessaire à la pérennité des services d’assurance.

Il en résulte le développement d’une relation particulière entre assureurs privés et pouvoirs publics en plus de la relation classique entre assureurs et assurés.

La nature de ces relations permet de mieux comprendre le rôle particulier que peuvent jouer les services d’assurance vis-à-vis de l’action publique de prévention.

2.3. La mise à contribution des interactions entre assureurs et pouvoirs publics

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