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Chapitre 3 : Développement de nouveaux cadres d’interactions entre acteurs

3.3. Instances de concertation et nouvelles formes d’expertise

3.3.2. La place de l’expertise et les nouvelles formes d’expertise

Dans un article intitulé « On ne peut plus décider comme avant pour des stratégies explicites, élaborées avec les acteurs », Le Bars distingue trois périodes correspondant chacune à « une forme de relation entre l’expert et la décision publique » (Le Bars, 2005) :

- une première période de « l’expert « décideur » pour satisfaire les besoins de base » que l’auteur illustre notamment par la formule suivante : « pour réaliser une autoroute entre Lyon et Bordeaux, il y a un seul itinéraire, celui que l’expert retient ! »

- une deuxième période où « le décideur mobilise plusieurs experts en réponse à une

contestation ». Dans cette période « l’incertitude a commencé à s’inviter : l’existence de plusieurs chemins pour aboutir à un même but est admise… Il y a plusieurs tracés possibles pour relier Lyon à Bordeaux ! »

- une troisième période où « l’expert et le décideur doivent introduire « les autres » dans le système de décision ». Cette période est « marquée par la reconnaissance de plusieurs buts possibles, simultanés… Pour décider de la liaison Lyon-Bordeaux, on commencerait par répondre à la question : « Quel processus de décision mettre en place avec quels partenaires ? ».

La période actuelle se situe dans cette troisième phase.

Cela s’explique notamment par une remise en cause générale de l’expertise scientifique et technique (Rychen et Pivot, 2002). En se référant au Baromètre IRSN 2006, Le Bars spécifie, dans l’article précité, qu'« en 2006 l’opinion publique considère « qu’on ne dit pas la vérité » sur plusieurs risques » (Le Bars, 2005). L’édition 2009 du baromètre réitère cette observation selon laquelle pour la majorité d’entre nous « la vérité n’est pas dite » et fait état d’une baisse de la « crédibilité accordée par rapport à l’an passé ». Par ailleurs, comme énoncé par Vinet et Defossez « plus on lui demande d’argumenter, plus la science dévoile ses doutes, incertitudes et imprécisions » (Vinet et Defossez, 2006). La participation citoyenne peut alors apparaître comme un révélateur des limites de l’expertise conduisant à réduire sa crédibilité. Or comme le souligne Pigeon il s’agit justement « de reconnaître l’existence de la complexité et de l’incertitude qui lui est associée » et qu’il paraît illusoire d’éliminer (Pigeon, 2009). Pigeon souligne alors la difficulté croissante « de justifier les décisions politiques au moment même où elles n’ont jamais été aussi essentielles à l’Humanité » (Pigeon, 2007). Il peut en découler « une schématisation de l’enjeu » (Lascoumes et Le Galès, 2004).

En effet, comme le déclarent Lascoumes et Le Galès « les dimensions les plus controversées, les phénomènes minoritaires, trouvent difficilement leur place dans une information formatée pour le grand public » […] « Cette réduction des messages crée une forte tension entre le souci de rigueur scientifique qui exige une présentation complète des méthodes et des résultats épidémiologiques, et la volonté d’efficacité politique, c’est-à-dire la diffusion de messages intelligibles par les destinataires, qu’il s’agisse des décideurs politiques ou du public » (Lascoumes et Le Galès, 2004).

La remise en cause de l'expertise et « le passage d'une construction de la certitude à un approfondissement de l'incertitude » s'accompagne d'un développement de nouveaux modèles d'expertises plurielles (pluridisciplinaires et pluri-acteurs), intégrant des points de vue contrastés notamment ceux de représentants des acteurs économiques et sociaux (Lascoumes, 2002). Cette évolution incite alors les différentes parties prenantes à développer leur propre expertise. C'est le cas notamment des assureurs, avec la création de la MRN dont l’objet est de contribuer à une meilleure connaissance des risques naturels et d’apporter une contribution technique aux politiques de prévention, à travers :

− des activités institutionnelles ; − des études pour la profession ;

− des réponses qu’elle peut apporter aux attentes des sociétés.

La figure ci-dessous illustre l'infrastructure d'information géographique dont s'est doté la MRN pour réaliser ces missions (Chemitte, 2008).

Figure 14 : Infrastructure géographique de la MRN (Chemitte, 2008)

La diversité d’acteurs concernés par la gestion des risques naturels invite à considérer le développement d’instances de concertation au niveau départemental et national. Ces dernières leur offrent la possibilité d’échanger sur des sujets fondamentaux de l’action publique de prévention, voir, dans une certaine mesure, de participer au processus de décision. Pour autant, donner à chacun la possibilité de faire connaître ses besoins et ses attentes vis-à-vis de l’action publique de prévention, suppose également d’intégrer les transformations en cours concernant l’expertise. Conscient de cet enjeu, les assureurs mobilisent, depuis 10 ans, des ressources pour alimenter et renforcer leurs interactions avec les différentes parties prenantes de la prévention.

Conclusion chapitre 3

La France s’est dotée ces dernières années, à différentes échelles territoriales, de nombreux dispositifs favorisant l’accès à l’information (Gaspar, Cartorisque, DDRM, DICRIM, IAL, etc.) mais également de nouveaux moyens permettant aux citoyens de gravir un peu plus l’échelle de la participation (circulaire concertation, CDRNM, COPRNM,…), comme l’illustre la figure ci-dessous.

Figure 15 : Cadres d'interactions mis en place aux différents niveaux de participation citoyenne (adapté de Mettan, 1992)

Cette évolution rappelle que « la politique de prévention des risques naturels est une compétence partagée » et traduit « l’engagement de l’Etat dans la recherche d’une meilleure maîtrise collective du risque ». Cela s’inscrit dans une recherche de transparence et d’explications cohérentes sur les certitudes, les incertitudes, les points pouvant être soumis au débat et ceux qui sont pas négociables. Cela suppose alors de :

- renforcer la première étape de l’information ;

- dépasser ce premier niveau de participation en se dotant de moyens permettant de

communiquer et de clarifier les discours autour de la négociation, notamment dans le cadre de l’élaboration des PPRN ;

- composer avec de nouvelles formes d’expertises, en particulier celles dont se dotent les assureurs.

De tels processus vont de pair avec une reconnaissance de la part de subjectivité inhérente à la gestion des risques naturels qui se traduit par l’existence de différents niveaux de risque accepté et la conjugaison de choix collectifs et individuels.

Conclusion partie 1

Quels sont les changements auxquels doit faire face l’action publique de prévention ? L’analyse des différentes dimensions du changement appliquée à l’action publique de prévention permet d’identifier les évolutions en cours et de souligner les ambiguïtés voir les contradictions auxquelles sont confrontées les différentes parties prenantes, mais également les opportunités qui peuvent en découler.

Le chapitre 1 a mis en évidence une tendance à la reconnaissance de la complémentarité des instruments et à la redéfinition de leurs usages par le passage d’une approche essentiellement curative vers une gestion davantage préventive et « intégrée ». Ce dernier suppose alors d’être en mesure d’assurer un équilibre entre « prévention » et de « protection », de parvenir à une meilleure visibilité de dispositifs spécifiques comme les Plans de Prévention des Risques Naturels (PPRN), et plus largement, d’articuler voir d’arbitrer entre divers instruments mobilisables dans l’action publique de prévention. Cela relève d’un processus complexe fortement articulé avec le changement qui s’opère au niveau des acteurs

Le chapitre 2 s’est attaché à souligner la multiplicité de parties prenantes et notamment l’émergence d’acteurs intervenant à différents niveaux, se référant à des domaines très divers, avec en particulier, l’implication d’acteurs privés comme les assureurs. Ces derniers interagissent avec leurs assurés d’une part et les pouvoirs publics d’autre part, et contribuent ainsi à soutenir l’action publique de prévention. Cette multiplicité d’acteurs susceptibles de prendre part au processus de décision nécessite alors une prise en compte d’une diversité de besoins et d’attentes vis-à-vis de l’action publique de prévention. Cette prise en compte et le positionnement relatif des différents acteurs qui en découle, ont un impact direct sur l’action publique de prévention.

Le chapitre 3 a permis d’illustrer le développement de nouveaux cadres d'interactions visant à faciliter les échanges entre acteurs et à répondre à une demande croissante de participation effective au processus de décision. Ce renforcement concerne différents niveaux de participation (information, consultation, concertation et association) et s’accompagne de nouvelles exigences, notamment celles d’assurer l’accès et la compréhension des informations, de renforcer les niveaux supérieurs de participation en définissant clairement la place réservée à la négociation et en prenant en compte les nouvelles formes d’expertises, notamment celles des assureurs.

Comment les acteurs de l’action publique de prévention peuvent-ils contribuer au changement ? Comment peuvent-ils tenter de clarifier la dynamique de changement ? Comment peuvent-ils se positionner par rapport à cette dynamique ? Et comment peuvent-ils l’influencer ? Dans un contexte de multiplication des instruments et de leurs enchevêtrements, des acteurs et de leurs interactions, il est proposé de s'interroger sur l'apport de l’évaluation.

Partie 2 :

L’évaluation : une ressource stratégique

pour les acteurs qui souhaitent contribuer

au changement de l’action publique de

prévention

Qu’est-ce que l’évaluation des politiques publiques ? Cette question ne semble pas encore tout à fait tranchée. Les nombreux ouvrages portant sur ce sujet se réfèrent le plus fréquemment aux définitions officielles fournies par deux textes successifs :

- Le décret du 22 janvier 1990 : « Evaluer une politique, c’est rechercher si les moyens juridiques, administratifs ou financiers mis en œuvre permettent de produire les effets attendus de cette politique et d’atteindre les objectifs qui lui sont fixés ».

- Le décret du 18 novembre 1998 : « l’évaluation d’une politique publique a pour objet d’apprécier l’efficacité de cette politique en comparant ses résultats aux objectifs assignés et aux moyens mis en œuvre ».

A ces deux définitions officielles s’ajoutent de nombreuses autres dont celles qualifiées de « doctrinales » dans le petit guide de l'évaluation des politiques publiques (CSE, 1996). Elles traduisent les dimensions cognitive, normative et instrumentale de l’évaluation :

- Dans le rapport Deleau, rapport du Plan de 1986, « évaluer une politique, c’est reconnaître et mesurer ses effets propres » (Deleau et al, 1986).

- Dans le rapport Viveret de 1989, intitulé « L'évaluation des politiques et des actions publiques », « évaluer une politique, c’est former un jugement sur sa valeur » (Viveret, 1989).

- Pour Rossi et Freeman, « l’évaluation doit se préoccuper de l’utilité, de la mise en œuvre, de l’efficacité et de l’efficience des mesures qui ont pour but d’améliorer le sort des membres de la société » (Rossi et Freeman, 1993).

Il doit également être cité l’interprétation de Jacques Plante, selon laquelle « l’évaluation de programme peut se définir comme une opération systématique, plus ou moins complexe, de collecte d’informations, de constat et d’analyse, au terme de laquelle, dans un premier temps, des jugements de valeur sont posés quant à la qualité du programme évalué et, dans un deuxième temps, des décisions sont arrêtées en conformité avec ces jugements » (Plante, 1991).

Cette deuxième partie n’a pas pour ambition de débattre autour de la définition de l’évaluation, mais d’essayer de comprendre l’intérêt de cette démarche pour les acteurs qui souhaitent contribuer au changement de l’action publique de prévention.

A ce titre, le cadre théorique de l’évaluation sera exploré (chapitre 4) : Quel est le cheminement qui accompagne un démarche d’évaluation ? Dans quelle mesure celle-ci peut-elle être utile pour des acteurs qui souhaitent contribuer au changement de l’action publique ?

Puis, sans chercher à déterminer si ce sont de « véritables évaluations », ni essayer de les catégoriser en fonction du type de démarches, différentes initiatives correspondant plus ou moins au cadre théorique précédemment défini, seront identifiées et étudiées dans le domaine de la gestion des risques naturels (chapitre 5) : Quels sont les principaux acteurs qui mobilisent cette ressource ? Quelles sont les conditions de réalisation ? Quels sont les objets évalués, les principaux objectifs et les moyens mobilisés ?

Enfin, il est proposé de présenter et d’analyser la démarche engagée à l’initiative de la profession de l’assurance sur la contribution des plans de prévention des risques (PPRN) à la réduction des vulnérabilités collective et individuelle (chapitre 6) : Quelle est la particularité de cette démarche ? Dans quelle mesure son contexte assurantiel détermine son objet, ses objectifs et la méthode développée ?

Chapitre 4 : L’évaluation : un moyen d’action offert aux

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