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La société cubaine au sortir de la Guerre de Dix Ans

Les Guerres de l'Indépendance cubaine

A. Origines historiques

2) La société cubaine au sortir de la Guerre de Dix Ans

Dix ans de guerre, bien que son impact ait été différent selon les régions, modifièrent dans certains aspects inexorablement l’évolution progressive de la société cubaine. Des modifications majeures en résultèrent directement. D’autres apparurent au fil du temps, et semblent entrer dans la logique amorcée dès avant le déclenchement du conflit. Mais dans les mœurs et dans les idées, dans la consolidation d’une culture patriotique, la Guerre de Dix Ans aura laissé son empreinte la plus indélébile. Nous voudrions donc consacrer quelques lignes à ce bilan.

a) Bouleversements économiques et sociaux

En terme d’économie globale, ces longues années ne modifièrent pas la donne. L’économie cubaine reposait essentiellement sur l’exploitation industrialisée du sucre. Or les « ingenios », concentrés en Occidente, n’avaient pas cessé leur activité. Les Cubains le savaient bien, qui tentèrent de pratiquer l’incendie systématique en période de récolte afin que la canne cubaine ne finançât plus l’armée coloniale, et qui tentèrent l’Invasion d’Occidente afin, entre autres raisons, de prendre possession des centrales sucrières les plus productives. En 1869, l’offensive de la « Tea » dans les zones de Cienfuegos, de Trinidad, de Sanctí Spíritus et de Villaclara, n’empêcha pas que la récolte fût l’une des plus importantes de l’histoire de l’île.

Plus encore, la tendance à la concentration, amorcée dans les années quarante, s’accéléra pendant et après la guerre. Les millionnaires cubains du sucre rachetaient au gouvernement espagnol les biens confisqués des « infidentes ». Ils absorbaient également les exploitations des petits et moyens propriétaires, pour beaucoup ruinés par ce contexte. L’offensive et la prise de contrôle de la production sucrière par les Etats-Unis débutèrent dans ces années de l’après-guerre entre 1880-1885, quand les entreprises nord-américaines reprirent à leur tour les plantations en difficulté ou en faillite. Ces facteurs s’additionnant, la bourgeoisie créole qui avait pris la tête de la tentative révolutionnaire délaissa l’option révolutionnaire pour se tourner essentiellement, mais non exclusivement, vers l’Autonomisme. Ce fut certainement le changement le plus visible et radical amené par la guerre.

L’autre changement qui bouleversa les structures sociales fut l’abolition. L’assemblée de Guáimaro institua en avril 1869 le principe constitutionnel de la liberté de tous les citoyens de la République. Avec la révocation en décembre 1870 du Règlement des Affranchis la liberté devint une réalité. A la fin de la guerre, le Pacte de Zanjón ne reconnaîtrait que la liberté des esclaves ayant combattu dans l’un ou l’autre camp. Cette remise en question de l’acquis allait d’ailleurs être une des causes essentielles de la reprise de la guerre en 1879 dans la province orientale.

Parallèlement, le Ministre espagnol Moret avait promulgué la « Ley de vientres libres », le 14 juillet 1870. La « Ley de patronato » du 13 février 1880, était le deuxième volet d’une abolition espagnole décidément très progressive. Elle contraignait les esclaves devant être libérés à rester une huitaine d’années (réduites ultérieurement à six) sous le « parrainage » de leur ancien maître. En contrepartie, le parrain était tenu de vêtir et d’alimenter ses travailleurs, de leur verser un salaire minimal, et de leur apporter une éducation élémentaire ou professionnelle. En théorie, il s’agissait de permettre une transition préservant les esclavagistes et susceptible de favoriser l’insertion de milliers de personnes totalement démunies. Dans la pratique, l’absence de contrôle par l’Etat rendit la transition positive pour les anciens esclavagistes : ils bénéficièrent d’une main d’œuvre en semi- servilité avant de passer au salariat et ne remplirent pas leurs engagements envers les affranchis. Leur libération progressive allait augmenter les secteurs les plus précaires et démunis d’une société d’exclusion sociale.

b) Emergence de groupements politiques

Mais, après l’expérience des années de guerre, la précarité ne menait plus exactement à l’isolement. D’autant plus que la libéralisation politique, à mettre au bénéfice des Guerres, permettait la création d’associations civiles. Leur apparition était justement aussi le résultat d’une évolution des rapports sociaux.

Le mouvement ouvrier dont les activités s’étaient interrompues pendant les années de guerre, se réorganisa. Un mouvement similaire démarra chez les petits artisans. Ces associations d’entraide palliative se muèrent progressivement, particulièrement sous l’influence des militants anarchistes, en groupes plus politisés. L’objectif de créer une fédération de travailleurs apparut dès la fin des années quatre-vingt. Lors du Congrès Ouvrier de 1892, de véritables revendications syndicales furent débattues, comme la journée de huit heures. Ce Congrès marqua par ailleurs un virage quant à l’adhésion du mouvement ouvrier à l’indépendantisme, représenté par Martí. Jusque là l’influence des anarchistes avait conduit les associations à la neutralité ; un dirigeant comme Creci prôna la conciliation de l’aspiration indépendantiste et du socialisme. Les partisans de cette tendance s’organisèrent essentiellement dans l’émigration nord-américaine où ils s’affilièrent au Parti Révolutionnaire Cubain. L’autre courant, réformiste, se développa à Cuba.

La nouvelle – et bien que relative – liberté d’association donna aussi des droits et des ailes à la population de couleur. L’apparition et la structuration des sociétés de couleur est un élément fondamental de ces années. Les premières s’étaient constituées, dans une logique de soutien du maintien de la colonie, parallèlement aux « Casinos espagnols » qui n’acceptaient pas dans leurs rangs la population de couleur.

Puis des sociétés destinées à l’assistance apparurent démontrant la capacité de structuration et d’organisation d’une communauté en vue de l’amélioration de sa condition par l’entraide mutuelle, l’éducation, la religion : entre 1878 et 1899, 156 « sociétés de couleur » furent officiellement créées114

. Cette volonté d’intégration fut rapidement relayée par une réflexion sociale et politique sur les discriminations. Une personnalité, celle de Juan Gualberto Gómez, se détache de ce mouvement. Il fut en effet le principal acteur de l’unification de ces associations, étape nécessaire à la constitution d’un groupe de pression susceptible de faire évoluer les droits de la communauté : il organisa en 1892 le Premier

Congrès des Sociétés de couleur. Soulignons que le progressisme social de J.G.Gómez s’articulait sur le soutien au séparatisme martinien. Gómez fut le Délégué de Parti Révolutionnaire à Cuba, et à ce titre l’organisateur clandestin de l’insurrection sur l’île.

Enfin, après une période d’abattement et de dissensions consécutive aux échecs de la guerre de 1868 et de l’insurrection de 1879, les vétérans de l’une ou des deux guerres se retrouvèrent et se rapprochèrent dans l’exil. Les points traditionnels de l’émigration – New- York, Cayo Hueso, Jamaïque –, comme les plus nouvellement constitués – en Amérique centrale et particulièrement au Honduras – (re)devinrent des foyers séparatistes actifs à partir de 1882. La lecture de la carte économico-sociale de ces émigrations, dont le rôle futur serait déterminant, confirme la popularisation du mouvement indépendantiste.

En effet, en ce qui concerne le foyer de Floride, les petits et moyens propriétaires de manufactures de tabac, dont la représentativité dans les forces « mambises » et dans la mouvance indépendantiste avait été notable pendant la Guerre de Dix Ans, restèrent cohérents dans leur attitude politique. La donnée nouvelle consista dans le ralliement massif au militantisme séparatiste de leurs ouvriers, ce qui n’empêcha pas des rapports de force et des conflits syndicaux.

Dans le milieu émigré new-yorkais, professionnellement et socialement plus hétéroclite, les membres de l’ancienne direction révolutionnaire, issus de l’élite créole, se retirèrent définitivement du mouvement. Le rapport en faveur des couches moyennes et populaires, réparties dans les secteurs du tabac, du commerce du sucre ou du petit commerce essentiellement, se renforça donc. S’ajoutèrent à ces recrues les intellectuels, attirés préférentiellement par New-York – journalistes, avocats, etc. – tous en exil. Les noyaux moins importants de Philadelphie, de Baltimore et de la Nouvelle-Orléans, liés à l’exploitation et la commercialisation du tabac, firent montre de tendances similaires.

L’émigration cubaine d’Amérique centrale était majoritairement composée de chefs révolutionnaires de 68 et de leur entourage militaire et familial. Ils vivaient principalement de l’agriculture et de ses activités dérivées. Dans ce cadre, certaines expériences frôlant l’utopie furent menées, dont celle de la plantation de Maceo en terre d’accueil costaricaine. Son séjour au Honduras lui donna par ailleurs la possibilité de participer à un gouvernement civil libéral115

. En général, ces émigrés, quelles qu’aient été leurs origines sociales, vivaient dans une aisance modeste, qui permet de les désigner comme appartenant aux couches moyennes.

Cette émigration essentiellement politique se rallia tout naturellement au camp indépendantiste en 1895.

L’alliance des mouvements populaires émergents à Cuba – paysannerie pauvre non organisée, mouvement ouvrier et population dite de couleur – et de cette émigration patriotique – ouvrière et de classe moyenne – déterminait le caractère populaire de l’exigence indépendantiste cubaine et consolidait le contenu social du projet national.

c) Culture et identité

Nous voulons aborder le bilan de la Guerre non plus en termes de mutation économique et sociale, mais en fonction de la question très liée de l’évolution des idées. Le dix-neuvième siècle cubain avait été marqué par la recherche de l’identité nationale dans les milieux de la bourgeoisie créole blanche. L’évolution du sentiment d’appartenance à une communauté nationale de la population est en revanche plus difficilement décelable du fait des lacunes des sources. La littérature nous renseigne en partie pour ce qui concernait les groupes les plus cultivés ; le folklore pourrait remplir cette fonction pour ce qui concerne la culture populaire. L’étude sociologique de la modification des comportements nécessite une recherche qui n’a pas encore débuté de manière systématique. Néanmoins, certaines études scientifiques l’amorcent. Nous allons, pour notre part, évoquer certains des signes de cette évolution des mentalités vers un sentiment unificateur d’appartenance nationale par l’approche des thèmes de l’identité régionale, de l’identité sociale et de l’identité linguistique.

Le sentiment d’identité régionale se définit en fonction de contenus nouveaux. Le fait que certaines régions, l’Oriente et le Camagüey, aient constitué les bastions du mouvement révolutionnaire découlait de facteurs économiques et sociaux. Mais, à partir de cette réalité, allait se constituer un discours axé sur une forme inédite d’orgueil régional patriotique. Le fait que la ruine – que cela soit la ruine de familles de notables, de familles de paysans, ou de régions dévastées par les combats – devînt une marque distinctive, celle de la loyauté et de la conviction, du patriotisme, en était une caractéristique qui mérite d’être soulignée.

Par ailleurs le sentiment d’appartenance régionale primait encore sur un sentiment d’appartenance à une communauté nationale. Les exemples de cette attitude ne manquent pas et ceci particulièrement dans les questions militaires : insubordination de Las Villas, rejet

d’officiers originaires d’autres régions, refus de contingents de quitter leur région, loyauté à un chef local plutôt qu’à l’institution nationale... Mais ils ne furent pas majoritaires. La hiérarchie sut d’une part gérer ces frictions ou ces crises avec fermeté et réalisme. Par ailleurs, l’Armée de Libération Nationale fut, malgré quelques réticences, un outil d’intégration sociale (nous y reviendrons) et nationale. Telle était conçue sa gestion par les autorités civiles et militaires. Si les contingents jusqu’au déclenchement de la Campagne d’Invasion de 1874, restèrent pour la plus grande part affectés dans leurs régions d’origine, ils n’en furent pas moins commandés par des officiers et des états-majors provenant des quatre Corps régionaux de l’Armée de la Nation. Par ailleurs, si à la fin de la Guerre, certains officiers, comme Vicente García, gardèrent une stature régionale, d’autres, comme Máximo Gómez, furent reconnus comme des militaires d’envergure nationale grâce notamment à leurs successives affectations. Ceux-là, d’ailleurs, passèrent prioritairement à la postérité.

Enfin, les insurgés firent l’expérience, pendant dix années, de l’Utopie révolutionnaire. La « Terre du « Mambí »116 fut un Etat au cœur de la colonie. La production

législative l’atteste du point de vue constitutionnel. Les journaux et mémoires, hélas, étaient surtout axés sur les opération militaires, oubliant dans la plupart des cas la vie quotidienne. Car cette expérience fut autant vécue par les civils que par les troupes : la durée du conflit conduisit les « Mambis » à s’installer. Les exemples de la reconstitution de la famille de Carlos Manuel de Céspedes ou de Maceo dans la « manigua » illustrent ce phénomène. On en retrouve également la trace dans le mandat dont Maceo investit Lacret, après la fin du cessez- le feu consécutif au Zanjón, afin qu’il négociât l’évacuation des invalides, des malades, des blessés graves et... des familles117. Il serait très difficile de sérier et d’analyser les éléments de

cette « genèse ». Mais l’on peut supposer que ces dix ans de guerre eurent une faculté unificatrice de première importance. Elles furent le théâtre, pour la première fois, de l’établissement de relations entre les communautés sociales sur des bases citoyennes plus égalitaires. Emilio Bacardí ne signalait-il pas, dans Vía Crucis, ce signe de syncrétisme religieux très symbolique :

« La Virgen de la Caridad fue reconocida virgen mambisa. »118

Il ne s’agit pas de tomber dans le discours idéaliste et lénifiant de relations sociales idéales dans la « manigua ». Tout d’abord parce que la direction révolutionnaire adopta pendant trois années une attitude ambivalente119 vis-à-vis des affranchis. Rebecca Scott120

comme des combattants volontaires et libres : affectés aux manufactures, affectés aux plantations, assignés auprès de leur maître initial, rassemblés ou dispersés, ils restaient, en d’autres termes, relégués au rang d’esclave, bien que rémunérés et constitutionnellement libres... Nous évoquions il y a peu la reconstitution des familles dans la « manigua ». Il va sans dire que la même aspiration poussant des familles de couleur à se rassembler, fut l’objet de fortes réticences. En 1870 un Décret de la République affecta les affranchies aux champs afin de servir la révolution : il avait en effet été estimé que leur seule présence était facteur de désordre et de désobéissance... La population noire sembla donc initialement maintenue dans un statut ancillaire, dont l’intégration à la société était tolérée sur la base de relations de soumission, d’obéissance et d’infériorité. Certes, les contraintes de la réalité – les besoins économiques, les besoins en soldats, la stratégie de tentative de rapprochement vers les propriétaires occidentaux – expliquent ces lenteurs dans l’accès à l’exercice de la liberté pour tous les citoyens de la République. Mais elles illustrent également l’inertie et la difficulté à rompre avec les modèles culturels face aux exigences et aux revendications des affranchis.

Ce fut dès les premières sessions de l’Assemblée de Guáimaro en avril 1869 que, sur la pression de la direction révolutionnaire la plus progressiste (composée d’hommes issus des classes moyennes ou de l’oligarchie éclairée) soutenue par la pression populaire121

, la Constitution établit le principe de la liberté de tous les citoyens de la République sur les réticences pragmatiques des « hacendados ». Néanmoins, cette avancée allait être freinée en juillet par une concession de taille. Le Règlement des Affranchis restreignait leurs droits et leur imposait, entre autres, l’obligation de rester dans les plantations d’origine. L’Assemblée de la République imposa la révocation du Règlement des Affranchis en décembre 1870. Les Représentants établissaient une définition de la communauté cubaine sur des principes radicalement différents de ceux de la société coloniale. L’institution constitutionnelle de la liberté et de l’égalité de tous les Cubains fut la mesure qui conduisait à l’unification et la fortification de l’identité indépendantiste et nationale.

Certains firent par la suite preuve de ségrégation : les mentalités ne changent pas si subitement. Mais jamais ces attitudes ne furent autorisées ou promues par l’Etat ou ses représentants. Il est vrai que les citoyens noirs se retrouvaient généralement affectés à des fonctions subalternes dans l’armée, qu’ils furent maintenus objectivement, quelquefois au nom de leur ignorance, dans un statut d’infériorité. Plus préoccupante fut l’affaire d’insubordination de Las Villas en 1874, qui montre également la latence d’un racisme susceptible de réapparaître dès que le rapport traditionnel de domination se trouvait remis en

question. Les bataillons soutenus par des chefs militaires locaux refusèrent la nomination de Maceo par Máximo Gómez à leur tête, sous le prétexte qu’ils ne voulaient pas d’un chef oriental et de ses contingents. Indiscutablement, le sentiment exclusif d’appartenance régionale primait sur l’intégration nationale. Que Gómez et Maceo aient choisi un compromis indique quel degré d’intransigeance cette opposition atteignit.

Il appartint donc aux hommes et aux femmes de couleur d’imposer à tous leur droit au respect et leur reconnaissance comme citoyens égaux, quitte à être considérés comme des êtres insolents, frondeurs, indisciplinés, arrogants, voire violents122. Scott signale des plaintes

officielles d’affranchis avant 1871 principalement au sujet de la limitation de leur liberté de mouvement. Ces documents révèlent avec clarté que la liberté légale était pour les affranchis une liberté qu’il fallait conquérir : la Constitution établissait l’aspiration d’autrefois. C’était donc un droit, un droit à défendre, un droit sur lequel s’appuyer afin de se défendre. Ce changement-là, intangible, presque individuel, bien qu’à terme il puisse aboutir à une expression et à des aspirations collectives, fut la victoire de milliers d’individus qui imposèrent leur droit, et imposèrent par conséquent leur groupe comme groupe constitutif du peuple cubain, malgré la ségrégation, la réticence et l’inertie.

La « manigua » fut tout de même le premier lieu à Cuba où un homme de couleur eut la possibilité d’une ascension hiérarchique fulgurante, sur le critère de ses aptitudes militaires. Le premier pas franchi pendant la guerre de 1868 allait permettre qu’un des chefs historiquement majeurs et respectés de l’insurrection de 1895 fut un mulâtre. Mais beaucoup d’autres, en Oriente et au Camagüey, imposèrent leur valeur, leurs convictions et, bientôt, leur détermination : soyons conscients du caractère profondément révolutionnaire que cela put représenter pour la société – y compris pour la « société indépendantiste » – de l’époque. La généralisation de la désignation « mambí », sur laquelle nous allons revenir immédiatement est pour nous un des symptômes de cette intégration active de la part de la population de couleur dans la collectivité nationale.

Le dernier élément que nous voulons souligner est une forme de révolution du vocabulaire, que nous interpréterons comme un symptôme de cette consolidation du sentiment patriotique. Il est intéressant de la considérer d’un point de vue diachronique123. Rappelons

donc les principales étapes de l’enrichissement et la spécialisation de ces dénominations. Avant 1868, l’indépendantiste était qualifié le plus souvent de « conspirateur » ou de « flibustier ». Le 15 novembre 1868, un mois donc à peine après le « Grito de Yara », Rafael

María Merchán publiait dans le journal réformiste havanais El País un article intitulé « Laboremus ». Repris par la presse intégriste de manière dépréciative, ainsi que par la presse patriotique new-yorkaise, ce terme « laborante » – appliqué aux patriotes non combattants, mais militants actifs – se diffusa, et auto-désigna le conspirateur indépendantiste cubain, ou le Créole sympathisant de la Révolution124

. Pendant toute la durée de la guerre de Dix Ans, le petit jeu des dénominations se pratiqua, et s’accentua. Paul Estrade a étudié ces « noms d’oiseaux » échangés entre intégristes et indépendantistes125

. L’invective gardait toutefois une réserve de bonnes mœurs et une saveur très « précieuse », sans que cela lui ôtât son caractère péjoratif, voire injurieux. Emilio Bacardí l’attesta dans la deuxième partie de son roman Vía Crucis, composée après la guerre de 1895. Il évoquait dans ce passage les premières semaines