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Les « Mambis » au pouvoir ?

Les Guerres de l'Indépendance cubaine

D. La guerre hispano-cubano-américaine

III. Indépendance nationale et frustration

1) Les « Mambis » au pouvoir ?

Nous avions pensé dans un premier temps formuler positivement cet intitulé et dresser un bilan rapide de la gestion de cette génération politique issue de la hiérarchie militaire « mambise ». Mais les hommes politiques des trente premières années, s’ils avaient été dans leur grande majorité des officiers de l’Armée de Libération, n’étaient pas des « Mambis »208,

selon la connotation populaire ou radicale que l’appellation véhiculait. Pourtant, la plupart des hommes politiques, de tous bords, utilisèrent cette image et ce prestige de manière démagogique afin de servir leur carrière, et, y compris, afin d’accéder à la Présidence. Il nous semble en conséquence justifié de garder le terme, une fois faite la réserve. Il nous semble tout aussi logique de formuler ce titre de manière interrogative : ceux qui se prétendaient les représentants du « mambisado », défendirent-ils le projet de société de la Révolution de 1895 ?

a) Le paysage politique de la Première République

L’organisation des partis politiques fournit déjà un élément de réponse. Entre 1901 et la deuxième intervention, en 1906, le mouvement révolutionnaire se scinda en plusieurs partis. Déjà, cette configuration tendait à un bipartisme opposant Libéraux et Conservateurs, cadre de la vie publique jusqu’en 1933. Néanmoins, cette évolution est loin d’avoir été linéaire. Ce qu’à première vue209

on remarque de la période est sa confusion, accentuée par des alliances changeantes et quelquefois surprenantes. Joel James Figarola, pour les expliquer, a eu recours à la notion de « instancias agrupadoras », alliances occasionnelles autour de certains axes politiques.

Au lendemain de la dissolution de l’Assemblée du Cerro et de la rupture avec Gómez, les premiers partis apparurent. Leur nombre peut être interprété comme une conséquence d’un régionalisme explicite dans bien des intitulés. Rapidement, ces partis se regroupèrent sur la base d’un clivage entre partisans d’un état centralisé et partisans d’un état fédéral,

d’inspiration jacobine ou libérale. Les premiers – venus de formations initiales telles que le Parti National Cubain de La Havane ou le Parti National de Santa Clara, soutenu par Gómez – se retrouveraient peu après sous l’appellation Parti National. Les seconds, à l’origine rassemblés dans le Parti Républicain Fédéral de Las Villas, fort influent à l’Assemblée Constitutionnelle de 1901, dans le Parti Fédéral Démocratique de Santiago de Cuba et dans le Parti Républicain de La Havane, donneraient naissance au Parti Républicain. Ce dernier se scinderait peu après à l’initiative de Bartolomé Masó et de Juan Gualberto Gómez. Ils créeraient le Parti Républicain Indépendant sur la base du refus de l’Amendement Platt. Cette scission préfigurait l’abandon d’un clivage dont la raison d’être était la configuration d’un état national, et annonçait l’apparition d’une nouvelle division déterminée par la souveraineté partagée.

Hormis ce double regroupement, peu de formations jouirent alors de quelque audience, excepté peut-être le Parti d’Union Démocratique, à tendance centralisatrice et conservatrice. Il se distinguait des autres formations parce qu’il fondait de manière tactique son analyse sur la dépendance vis-à-vis des Etats-Unis non pas en fonction de la « Joint Resolution », mais du Traité de Paris, qui avait ignoré les instances représentatives de Cuba. Par ailleurs, autre particularité, ce parti regroupait des indépendantistes notoires étrangement alliés à nombre d’Autonomistes de la veille210. Signalons aussi la fondation du Parti

Socialiste Cubain, indépendantiste, populaire, et sans poids réel étant donné la désorganisation des mouvements ouvriers et syndicaux. Ces premiers partis s’affrontèrent lors des élections municipales de 1901211

. Après la promulgation de la Constitution, ce clivage disparut, laissant place à une problématique différente.

En effet, dans la période préparatoire aux élections présidentielles, un débat ressurgit. Il avait opposé les Représentants lors des travaux de l’Assemblée Constituante, nous l’avons évoqué plus haut. Il opposait une tendance militariste à une position civiliste. Autrement dit, la Nation pouvait-elle élire un candidat issu de la haute hiérarchie militaire ou devait-elle se préserver des dérives caudillesques en préférant un candidat civil ?

Ce débat tournait essentiellement autour de la personne charismatique de Máximo Gómez. Lui-même, comme son opposant civiliste, Cisneros Betancourt, déclara qu’il n’aspirait pas à la magistrature suprême. Mais, il soutint Estrada Palma qui devint en quelque sorte « son » candidat. A l’occasion des élections présidentielles, le jeu des alliances se modifiait. Le Parti Républicain et le Parti National supportaient Estrada Palma, alors que

l’Union Démocratique et le Parti Républicain Indépendant soutenaient Masó. En vertu de causes externes à cette problématique, Estrada Palma fut élu.

Il fut le moteur et la cause de la formation de la troisième instance. S’éloignant de Gómez, il chercha de nouveaux appuis pour sa réélection. Ses partisans se regroupèrent au sein d’un hétérogène Parti Modéré, dans lequel les anciens Autonomistes représentaient une composante forte. Quant au mouvement d’opposition à la réélection, il recrutait également chez ses anciens alliés. Máximo Gómez usa alors de toute son autorité morale pour tenter de promouvoir une candidature José Miguel Gómez – Emilio Núñez, destinée à réunir les tendances éparpillées du séparatisme autour d’un front unitaire cautionné par la figure du Général en Chef212

. Sa disparition vouait cette tentative à l’échec. Certains conservateurs, dont Emilio Núñez, rejoignirent alors le Parti Modéré, y créant une tendance « anti-palmiste ». Les autres, opposants à Estrada Palma et à ses choix programmatiques, fonderaient le Parti Libéral pour présenter la candidature de José Miguel Gómez. Nous reviendrons sur la campagne et l’élection qui conduisirent les Libéraux à l’insurrection et le pays à une intervention militaire nord-américaine.

Ce fut justement pendant l’occupation qu’apparut le Parti Conservateur, en 1908, des cendres du Parti Modéré et du Parti National. A la veille de l’échéance électorale à laquelle les Libéraux se préparaient, il fallait regrouper les composantes du conservatisme, dont le contenu et les options étaient lisibles bien avant la constitution du Parti. Elles s’inscrivaient dans la droite ligne de la politique de subordination aux intérêts économiques des Etats-Unis, concrétisée par le Traité Permanent signé par Estrada Palma. Le parti comptait au nombre de ses dirigeants Menocal, lié au milieux d’affaires nord-américains, et Montoro, ancien fondateur du Parti Libéral Autonomiste colonial. Estrada Palma, à la suite de sa démission en 1908 et contraint de renoncer à sa carrière publique se rallia discrètement au Parti Conservateur.

A partir de là, le paysage politique serait polarisé par l’opposition entre Libéraux et Conservateurs, sans que les jeux des alliances changeantes ne disparût213

. Cela amena certains historiens à conclure qu’entre les deux pôles de ce « régime parlementaire bipartite »214, il n’y

avait pas de différence politique réelle. Or, au lendemain de la Deuxième Occupation militaire, cette division politique bipolaire s’inscrivait dans l’acceptation du caractère inexorable de la dépendance économique et politique. En fait, Francisco López Segrera215

montré que l’opposition entre Conservateurs et Libéraux216

se fondait sur la question de la souveraineté nationale : les Conservateurs gouvernaient dans le sens de l’intégration au système néocolonial ; les Libéraux tentaient, dans ce cadre, de protéger l’intérêt de la Nation.

Ce serait Machado qui mettrait un terme à cette définition du paysage politique. Il promut dès le début 1926, assez autoritairement, une solution coopérativiste, consistant à fusionner les trois formations consacrées – Parti Conservateur, Parti Libéral et Parti Populaire – et à interdire les autres. Cette stratégie visait à s’aliéner les partis traditionnels afin de museler une possible opposition à la mise en place de son projet autoritaire ; elle se fondait également sur le calcul d’opposer un front politique cubain aussi unifié que possible face aux Etats-Unis217

. Le fait est que la collaboration des partis avec la dictature Machado accéléra leur démantèlement. Il amena aussi leur complet et définitif discrédit auprès des nouvelles générations, qui allaient s’organiser selon de toutes autres bases idéologiques.

Le Parti Révolutionnaire Cubain dissous, Máximo Gómez tenta sans succès de promouvoir une union des indépendantistes, d’autant plus nécessaire que la République s’était constituée sous le couperet de l’Amendement Platt. Cet échec révélerait deux courants, l’un nationaliste, l’autre pas, qui auraient en commun de négliger une gestion sociale réformiste.

L’alternance politique (sous réserve) s’appliqua pendant cette période: à Estrada Palma, du courant conservateur, succéda J.M. Gómez du Parti Libéral ; Menocal, du Parti Conservateur, fut élu en 1912, puis réélu en 1917 ; Zayas, transfuge du libéralisme s’allia avec Menocal et battit le candidat du Parti Libéral ; enfin Machado, candidat libéral, soutenu par Zayas, fut élu face à Menocal et s’imposerait en 1928. Néanmoins, la période resta dominée par le conservatisme. En effet, seuls deux candidats libéraux gouvernèrent Cuba : J.M. Gómez de 1909 à 1912 et Machado de 1925 à 1933, ce dernier incarnant un caudillisme libéral et nationaliste. Les autres mandats furent exercés par les conservateurs Estrada Palma (1902-1906), Menocal (1912-1917) et (1917-1920) et par Zayas (1920-1924).

b) L’exercice malhonnête du pouvoir

Les ambitions personnelles et arrivistes de la majorité des membres de la classe politique allaient dénaturer l’exercice de la démocratie. Toutes les équipes politiques,

libérales ou conservatrices, qui se succédèrent trempèrent dans des affaires de concussion, à tel point que cela devint quasiment une caractéristique du système cubain, voire un système de gouvernement.

Nous n’allons pas entamer ici une réflexion sur le phénomène de la corruption des institutions politiques, sur sa genèse ni sa nature. Faut-il le considérer comme un épiphénomène de ce système de dépendance, qui faisait de la classe politique cubaine une sorte de gérante des opérations des affairistes et les industriels nord-américains, cubains et espagnols sur les ressources de la Nation ? Ou comme la conséquence logique du système relationnel de type clientéliste, plus précisément lorsqu’il s’agissait des réseaux liant les Officiers Supérieurs de l’Armée de Libération et leurs anciens subalternes. Ou doit-on en dire, très sarcastiquement, que la politique fut, au cours de ces années-là, « la seule industrie véritablement nationale »218 ?

Nous voudrions surtout montrer comment, aux yeux de la génération en cours de formation, la concussion devint une des caractéristiques principales de ces gouvernements successifs. Après le renoncement forcé à l’idéal d’une indépendance réelle, ceci serait le second stigmate qui discréditerait la génération politique issue de la Guerre.

Souvent, les politiques et les historiens ont avancé que Magoon, lors de la seconde intervention, organisa, et laissa en héritage, la concussion comme mode de gouvernement. Magoon fut unanimement critiqué pour sa gestion et ses méthodes par la classe politique cubaine, y compris par ceux qui se montraient a priori favorables à l’intervention.

Pourtant, dès 1902, l’existence de ces pratiques est avérée. Estrada Palma opéra sur le mode clientéliste, en attribuant postes et charges sur le critère de l’adhésion des candidats au Parti Modéré, et en les retirant à ses opposants219. José Miguel Gómez l’accusa d’ailleurs de

corruption auprès du Secrétariat d’Etat nord-américain : il était alors en train de manœuvrer pour obtenir l’appui des Etats-Unis220 contre Estrada Palma pour les élections de 1906.

José Miguel Gómez, passerait à son tour à la postérité pour sa prodigalité en distribution de « botellas » et de sinécures. L’expression devenue populaire : « Tiburón se baña pero salpica » est à ce titre suffisamment explicite. Quelques affaires dont la concession du dragage des ports, annonçaient les grands scandales sous Menocal221.

Ajoutons que le mandat de José Miguel Gómez fut un tournant pour la première génération littéraire, qui avait laissé aux aînés ou fui jusqu’alors le terrain politique. En vertu de leur conception du rôle de l’intellectuel, ils se voyaient comme des observateurs critiques

de la société, destinés à promouvoir et à consolider l’esprit national. Ils occupaient les colonnes de leurs revues plutôt libérales, d’où ils faisaient connaître leurs analyses économiques, culturelles et sociales, tout en se maintenant hors du jeu partisan. L’occupation, les attentes déçues par le gouvernement Gómez, furent leur coup de grâce. Castellanos, déjà enfermé dans une ironie désespérée222

, disparaîtrait. Rodríguez Embil partit pour l’Europe et ne garda plus avec son pays qu’un fil littéraire ténu. Miguel de Carrión, lui, se présenta – il fut le seul de sa génération à le faire – comme candidat libéral aux élections de 1911. Dans ses déclarations combatives, il affichait l’exigence de « vertu républicaine », se revendiquant d’un libéralisme intègre, exigeant une analyse rigoureuse, presque scientifique de la problématique cubaine, dont on savait déjà qu’elle était économiquement dépendante. Cette tentative liée à un sursaut préélectoral d’une fraction du Parti Libéral souhaitant se démarquer de J.M. Gómez, fut sans suite. Les événements de 1911 et de 1912 conduisirent Carrión à s’enfermer dans le silence et le renoncement.

Un personnage comme Menocal, justement, qui exerça deux mandats consécutifs, devint l’incarnation de la servilité vis-à-vis des trusts. Eduqué aux Etats-Unis, Chef de la Police de La Havane sous Wood, cadre supérieur de la « Cuban American Sugar Co » créée sur son conseil, il était le Président « américanisé » par excellence. Ses activités d’homme d’affaire le désignaient concrètement comme l’agent politique des grandes compagnies implantées à Cuba. Sa politique de développement du sucre au détriment des autres cultures – même vivrières puisque Cuba importait les produits de consommation de base – au bénéfice de l’exportation nord-américaine, est aussi assimilable à une forme de concussion. Le gonflement de sa fortune personnelle entre 1913 et 1921 est à ce titre évocateur223.

Après Menocal vint Zayas, marqué depuis longtemps par une si forte ambition qu’il s’allia avec le camp politique adverse pour vaincre José Miguel Gómez. Zayas avait renoncé au libéralisme cubain, et gouverné en faveur des intérêts les plus offrants. La promulgation de Loi Tarifa causa un scandale énorme, parallèlement au dernier mouvement insurrectionnel de la période, initialement destiné à destituer Zayas. Celui-ci résolut d’ailleurs le conflit avec le Mouvement des Vétérans par l’achat de la reddition de certains chefs insurgés. Plus qu’auparavant, le contenu politique et la concrétisation d’un projet de société devenaient des concepts vidés de sens, destinés à servir une ambition personnelle puis aussitôt oubliés. Le seul « Doctor » parmi ces « Generales » présidents, était certes fin tacticien, mais il avait du gouvernement une vision utilitaire, destinée à servir les intérêts privés du monde des affaires, et les exigences des Etats-Unis, maîtres d’œuvre du système économique.

Ce fut sous son mandat qu’un mouvement contre la corruption commença à s’organiser, après quelques scandales trop énormes. La nouvelle génération intellectuelle et le Mouvement des Vétérans furent les hérauts de cette contestation. Nous reviendrons sur le mouvement insurrectionnel des Vétérans224 qui commença le 12 août 1923. Quant à la

« Protestation des Treize »225

le 18 mars 1923, et l’« Appel aux Cubains » de la Junte de Rénovation Nationale Civique226 de Fernando Ortiz le 2 avril 1923, ils furent deux tentatives

parallèles de réaction civique et marquèrent une nouvelle apparition de l’exigence de probité dans la classe politique. La « Protestation des Treize » signala l’arrivée active sur la scène politique de la deuxième génération littéraire républicaine. Regroupés ensuite dans le Groupe Minoriste, puis dans la Phalange d’Action cubaine, ils rompaient avec la position de leurs aînés pour s’engager activement dans la lutte politique contre Zayas, puis Machado. Réformistes d’abord, les membres de ce groupe uni sur le rejet de la concussion et un sentiment de frustration, se dispersèrent dans les mouvements réformistes, révolutionnaires, anti-impérialistes ou terroristes des années suivantes.

Machado, pour finir, fut élu sur un programme d’assainissement de la vie publique et politique (suppression de la loterie, réformes judiciaires et financières) autant que sur une opposition franche aux Etats-Unis (il préconisait l’abrogation de l’Amendement Platt, la signature d’un nouveau traité commercial). Pourtant, bien que sa gestion ait surtout été remarquée pour ses aspects répressifs et criminels, la persistance de la concussion figure aussi à son bilan. Aux Etats-Unis, les lobbies divergeaient sur le soutien à apporter à Machado. Ainsi, certains qui souhaitaient le voir quitter la scène firent, en avril 1929, un rapport l’accusant de corruption. Il fut présenté devant le Comité des Affaires Extérieures du Sénat nord-américain. Machado fut alors soutenu par le Secrétaire d’Etat Stimson, et derrière lui par des hommes d’affaire cubains et nord-américains. Ce soutien lui serait retiré lors de la Révolution de 1930.

Cette constance de pratiques corruptrices et de l’utilisation du pouvoir à des fins d’enrichissement personnel aura marqué les trente premières années de la République, sans distinction de personne ou d’appartenance politique, si bien qu’une fois encore, le système né de 1902 et les responsables issus de cette génération en sortiraient condamnés.

c) Dérives autoritaires

Depuis la Guerre de Dix Ans, la question de la possibilité d’une dérive caudillesque se posait avec récurrence. Alors, on avait vu Céspedes s’opposer à l’Assemblée, puis l’Assemblée gêner les militaires. Martí, Gómez et Maceo, conscients de la nécessité de dépasser cet antagonisme, avaient néanmoins eu quelques difficultés à faire coïncider leurs critères respectifs. Dans l’ambition martinienne de voir fonctionner dans la « manigua » un gouvernement démocratique, il y avait le calcul de prévenir la Nation, par l’apprentissage et l’exercice de la démocratie, d’éventuelles dérives caudillesques. L’Armée jouant un rôle de premier plan dans l’obtention de l’Indépendance, il fallait éviter qu’elle en devînt la seule garante. L’opposition ultérieure des civilistes à Máximo Gómez – opposition menée par Cisneros Betancourt ou Juan Gualberto Gómez, si proche de Martí – s’inscrivait dans cette préoccupation constante dans l’histoire des mouvements d’indépendance de Cuba.

Il faut signaler également d’ores et déjà que la prépondérance du camp conservateur s’établit par le biais de trucage d’élection. Ce fut le cas lors de la réélection de Estrada Palma comme ce fut le cas lors de l’élection, et de la réélection de Menocal, puis de l’élection de Zayas. Machado, « légaliste », imposa toutefois son maintien au pouvoir au moyen d’une réforme constitutionnelle. Nous reviendrons sur ce recours à la fraude électorale ultérieurement, quand nous aborderons les mouvements insurrectionnels. Néanmoins nous nous y référons une première fois ici dans la mesure où ces méthodes relèvent d’une conception dévoyée de l’exercice démocratique.

Estrada Palma, bien que civil, dévoila son autoritarisme au cours de la campagne électorale de 1906. Après des semaines d’affrontements sporadiques entre « palmistes » du Parti Modéré et Libéraux, particulièrement à Las Villas, fief de José Miguel Gómez, le Colonel Enrique Villuendas, ancien Secrétaire de l’Assemblée Constituante, déjà victime de plusieurs tentatives d’agression, mourait assassiné par un policier au cours d’une réunion politique. Le lendemain, le 23 septembre, les Libéraux décidaient de ne pas participer aux élections. Estrada Palma fut donc réélu le 20 mai 1906, faute d’adversaire, de la même manière qu’en 1901. Cette fois, la réponse libérale fut insurrectionnelle, et provoqua, par ricochet sur décision d’Estrada Palma227

, une nouvelle intervention nord-américaine.

Mais la réponse insurrectionnelle, articulée autour du Général José Miguel Gómez, portait également en elle les germes de la dérive. En fait, plus la vie politique s’organisait

autour de personnages issus de la hiérarchie militaire, au nom quelquefois d’une aspiration nationaliste, plus elle s’enfermait dans un système clientéliste et caudillesque.

Le strict bipartisme accéléra cette caractéristique. A travers l’opposition entre Libéraux et Conservateurs, c’était de la rivalité entre J.M. Gómez et Menocal dont il s’agissait. Plus ou moins à visage découvert, le jeu politique glissait vers des pratiques pour le moins douteuses. Les conservateurs recourraient à leurs alliés dans la force publique pour gêner leurs opposants ou les empêcher de faire campagne. Mais les Libéraux, et Gómez à leur