• Aucun résultat trouvé

La « littérature de campagne »

Deuxième Partie : Représentations

I. Modèles et contextes

1) La « littérature de campagne »

Longtemps, la littérature liée aux luttes pour l’indépendance de la nation cubaine, a été abordée de façon parcellaire. Elle n’a donc pas été définie comme un ensemble cohérent, regroupant des genres littéraires divers. De plus, les études étaient consacrées soit aux œuvres jouissant d’une certaine renommée (celle du compilateur, dans le cas de l’anthologie de Martí Los poetas de la guerra), soit aux genres quantitativement prédominants (la production journalistique, les essais politiques ou la littérature de témoignage). La littérature de fiction fut négligée à l’exception de quelques œuvres reconnues au titre de la notoriété littéraire de leurs auteurs (Bacardí, Castellanos, Carrión, Loveira)360. De plus, la suprématie du critère

chronologique et générationnel dans l’histoire littéraire cubaine brisait la continuité thématique de cette production littéraire et l’atomisait aux yeux du chercheur.

L’absence de définition ontologique de ce « genre » conduisit à une diversité de dénominations, sans empêcher néanmoins l’apparition de quelques critères d’évaluation fondamentaux. Nous évoquerons ensuite, l’une après l’autre, trois des facettes de cette littérature (poésie, théâtre, mémoires), complémentaires de la littérature de fiction romanesque dans l’esprit, dans la forme et dans les modes de représentation.

Ambrosio Fornet, évoquant les caractéristiques littéraires de la période séparant les deux guerres utilisa le premier la dénomination de « littérature de campagne », qui fut par la suite adoptée largement par les historiens de la littérature :

« Al margen de la actividad cultural, una nueva imagen del hombre y del paisaje había ido surgiendo en las narraciones y apuntes de los veteranos de las guerras de independencia. Esta literatura de campaña iba a recibir muy pronto nuevos aportes al estallar la guerra del 95 [...] »361

Il faisait alors référence essentiellement aux textes narratifs, à la presse, et à la littérature politique d’analyse ou de propagande écrits par les Vétérans de la Guerre de Dix ans. Par extension, cette « littérature de campagne » désigna les textes produits pendant la guerre de Dix ans et pendant la Guerre de 1895, soit dans la « manigua », soit dans l’émigration, puis lors des années de « Repos turbulent » (1879-1895) et enfin durant la période de la « République médiatisée ». La part de la littérature de témoignage y est plus importante, avec la publication, sous la République, de nombreux journaux et mémoires de Vétérans. Dans son acception générale, la « littérature de campagne » englobe toute la production, y compris donc les textes de fiction, qui se réfèrent aux guerres de l’indépendance dans une optique analytique, prosélyte, ou apologétique.

Dans le domaine poétique, Max Henríquez Ureña, dans Panorama histórico de la literatura cubana362, rassemblait au cœur du même chapitre, consacré à la « poésie

patriotique »363

, deux anthologies : El laúd del desterrado (1858) et Los poetas de la guerra (1893). El laúd del desterrado apparut peu de temps après l’échec de l’expédition de Narciso López, sur l’initiative de Pedro Santacilia y Palacios et d’un groupe d’émigrés cubains aux Etats-Unis. Le volume rassemblait des compositions d’inspiration politique séparatiste364. José

Martí réalisa et préfaça l’anthologie Los poetas de la guerra365

. « Hay versos que hacen llorar, y otros que mandan montar a caballo »366, écrivait-il dans le prologue.

Dans les deux cas, il s’agissait en effet d’utiliser le support poétique pour diffuser la pensée patriotique et séparatiste. Mais le volume composé par Martí, justement intitulé Los poetas de la guerra, prenait racine dans la réalité historique et témoignait de l’activité littéraire dans la manigua. José Martí soulignait également un enjeu qui déterminerait l’existence de toute la « littérature des guerres » :

« ¿ Y quedará perdida una sola memoria de aquellos tiempos ilustres, una palabra sola de aquellos días en que habló el espíritu puro y encendido, un puñado siquiera de aquellos restos que quisiéramos revivir con el calor de nuestras propias entrañas ? De la tierra, y de lo más escondido y hondo de ella, lo recogeremos todo, y lo pondremos donde se lo conozca y reverencie ; porque es sagrado, sea cosa o persona, cuanto recuerda a un país, y a la caediza y venal naturaleza humana, la época en que los hombres, desprendidos de sí, daban su vida por la ventura y el honor ajeno. »367

Il proposait plus loin un critère de lecture et d’analyse tout particulièrement fondamental dans l’étude de la littérature des guerres :

« Su literatura no estaba en lo que escribían, sino en lo que hacían. Rimaban mal a veces pero sólo pedantes y bribones se lo echarán en cara : porque morían bien. (...) La poesía de la guerra no se ha de buscar en lo que en ella se escribió : la poesía escrita es grado inferior de la virtud que la promueve ; y cuando se escribe con la espada en la historia, no hay tiempo, ni voluntad, para escribir con la pluma en el papel. »

Traitant de la même période, Max Henríquez Ureña évoquait à nouveau, dans un chapitre consacré à Julián del Casal, « l’axe patriotique » de la création poétique dans quelques compositions de l’auteur moderniste signées du pseudonyme de Conde de Camors.

José Antonio Portuondo, dans Bosquejo histórico de las letras cubanas368

, en revanche, établit une continuité entre El laúd del desterrado et Los poetas de la guerra, en signalant, juste après avoir évoqué la publication de 1858, que « fueron muchos los escritores que se unieron a las filas libertadoras. », puis que « (...) algunos de los poemas compuestos en la manigua fueron recogidos más tarde por Martí (...) ».

Il présentait, toujours dans la continuité de ce qu’il considérait comme un « genre » thématique à l’intérieur de la production poétique, les compositions de la première génération républicaine :

« En la hora amarga de la frustración política vuelve el verso romántico y el tono herediano de exaltación patriótica a imponerse en la mayor parte de los poetas del período. »369

Cependant, bien que cette démarche ait été globalisante, elle ne le conduisit pas à définir un courant particulier de la poésie cubaine, celui-là même que Martí avait dénommé « Poesía de la guerra ».

Alfred Melon, quant à lui, considéra cette production poétique comme un « axe thématique », une « veine mambisa » dans la poésie cubaine, une « poésie des combattants » pour ce qui fut des deux premières anthologies, puis « une poésie des Anciens combattants » pour la poésie postérieure à 1902370.

Le « théâtre mambi», qui apparut postérieurement à la poésie, laissa son empreinte dans la genèse des premiers romans des Guerres : les archétypes que l’on étudiera dans les romans (le Cubain, le Noir, la Cubaine) révéleront souvent une relation, entre analogie et filiation, avec ceux représentés au théâtre.

Mais revenons sur ce théâtre de manière spécifique. Rine Leal, dans son histoire du théâtre cubain La selva oscura. De los Bufos a la neocolonia371

, fut amené à examiner les caractères de ce que lui-même qualifia de « Théâtre de la guerre ». Dans un premier temps, il se pencha sur les œuvres dramatiques composées pendant la Guerre de Dix ans, à Cuba, et essentiellement dans l’exil372.

« (...) La Guerra de los Diez Años situó la lucha de la manigua en el teatro en medio de una invasión de panfletos, loas, alegorías y obras políticas llenas de patriotismo (...) La escena se pobló de mambises, soldados, esclavos liberados, abnegadas mujeres, banderas y gritos, voluntarios, héroes y traidores, y hasta personajes reales desde Céspedes y Aguilera hasta Leoncio Prado. Se trató de una inmersión en la realidad, en la historia, en los hechos verdaderos, y tantos cubanos como españoles rivalizaron en mostrar su razón de lucha ilustrando dramáticamente su ideología. »373

Il y eut, certes, une mode. Mais c’était une mode qui répondait à des objectifs prosélytes. L’écriture s’adaptait à son temps et devenait un instrument offensif au service de l’Indépendance, mais quelquefois aussi d’un projet plus personnel. Ne négligeons pas que Céspedes fut le vainqueur incontestable de cette « guerre de l’image » dans le théâtre. Faut-il n’y voir qu’un hasard, si la plupart des œuvres le mettant en scène comme le Père de la Patrie,

furent écrites par des émigrés de New-York. On peut douter qu’ils aient été Aldamistes... La postérité de Céspedes aurait-elle été en partie due à la propagande quesadiste ?

Dans les œuvres théâtrales des années 1895 à 1898, Rine Leal constata la permanence du thème et ses variations :

« Ahora no hubo sucesos del Villanueva, pero el teatro cubano se injertó en su historia y llevó el ardor mambí a obras y representaciones, sin olvidar una bomba que estalló en el Irijoa en respuesta a la desaparición del Maine. En comparación con los Diez Años, el repertorio de guerra, tanto cubano como español, fue menor (...) »374

En 1978, dans l’anthologie Teatro mambí375, rassemblant six œuvres écrites entre 1869

et 1900, il caractérisait ce « genre » dramatique :

« Fue un teatro en busca de sus raíces históricas, de su tradición de lucha desde Hatuey a Maceo (...) No se trató de una recreación histórica o de una escena « historizada », sino que ahora el teatro descubre sus vínculos con la lucha armada, se une a ella, se forja como arma ideológica y paga su cuota de sangre y sacrificios (...) El teatro independentista convirtió en héroes y mártires a los hombres que hacían la guerra y eran objeto de escarnio y burla por los opresores (...) Es así que la historia, como expresión de la nacionalidad, crea una escena distinta, combativa, despreocupada de la rima perfecta, de la estructura ideal, pero cuyo lenguaje, personajes, conflicto y público se aúnan en el mismo crisol, el de la revolución, mientras la nacionalidad se forjaba en la manigua donde confluían igualitariamente clases y razas. »376

Rine Leal considérait qu’« avec le théâtre mambi, [notre] scène a gagné une expérience épique »377. Martí l’avait autrefois pressenti puisqu’il avait consacré un article à

une œuvre378

alors en préparation, dans Patria, le 26 Mars 1892. Il y remarquait :

« El teatro vive de la historia, y nosotros tenemos una tal, y de tan absoluta y viril grandeza, que nuestro teatro nos puede salir bello. »379

La citation, connue, a souvent illustré des propos plus généraux sur l’interaction entre l’histoire et le théâtre, ou l’histoire et la littérature. Pourtant, dans son contexte, elle désignait exclusivement ce théâtre-là, qui n’était pas encore appelé « mambi » :

« Y nos cuentan que hay quien se ensaya en poner en escena, sin tramas inútiles, los cuadros augustos o típicos de los días únicos por donde el cubano se enseñó en toda su altura : de los días de la guerra [grande]. »380

Ainsi, ayant ouvert la voie de la représentation des luttes pour l’indépendance, le théâtre constitua une référence exemplaire381

, bien que rarement reconnue, pour les premiers romanciers des Guerres. Seul Gustavo Robreño Puente – homme de théâtre il est vrai – fit allusion à ce genre, dans son roman La Acera del Louvre. Le souvenir était daté du début de 1899 ; le protagoniste de retour à La Havane entra :

« (...) en el teatro « Cuba », fuerte avanzado del patriotismo cubano, enclavado en el límite de la zona española, esto es : en la esquina de Galiano y Neptuno. Representábase en dicho teatro la primera obra patriótica, después de la guerra, titulada « El alcalde de la Güira » y escrita por un viejo revolucionario, conspirador y emigrado, a la sazón empresario y director del « Cuba »382. En

dicha obra, musicalisada por el Maestro Marín Varona, reproducíase un episodio de la Invasión y cuando al final de un dúo con Blanquita Vásquez, el tenor Arturo Ramírez, vestido de mambí, desplegaba la bandera cubana y al frente de un coro de libertadores, entonaba el himno de Bayamo, el público delirante, aclamaba a Cuba y a sus héroes.

Y cada vez que en el público se advertía la presencia de un soldado de la libertad, a quienes se identificaba por el sombrero a la mambisa con escarapela, se reproducían las aclamaciones y era irrefrenable el estruendo. »383

On peut s’étonner de la disparition, comme genre, du « théâtre mambi » au début du siècle. Il céda la place à la poésie et au roman384

: supports à la mode, supports moins volatiles, ils étaient destinés à une lecture individuelle qui évitait tapage et trouble de l’ordre ! Il est certain également que la prose narrative autorisait plus aisément les auteurs non- professionnels à tenter une expérience d’écriture : ce serait leur apport qui rendraient si nombreux les romans des Guerres.

Le versant le plus considérable de la littérature de campagne est celui du témoignage. Il a été également le plus étudié, y compris d’un point de vue théorique dans la mesure où il fut et reste une des sources de la recherche historique. Cette littérature eut des formes multiples dont les principales furent les mémoires, les narrations, les journaux, les lettres, les discours, et les articles de journaux.