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La République sous surveillance nord-américaine

Les Guerres de l'Indépendance cubaine

D. La guerre hispano-cubano-américaine

III. Indépendance nationale et frustration

3) La République sous surveillance nord-américaine

Nous l’avons vu au cours des pages précédentes, la présence des Etats-Unis fut permanente au cours de toute la période, bien qu’à des degrés divers d’ingérence politique. L’Etat cubain surgit soumis à un paradoxe essentiel : la République Indépendante existait – nul à Cuba ne le contestait –, mais sa souveraineté était partagée. La donnée fut peut-être sous-évaluée : Root et Platt ne décrivaient-ils pas eux-mêmes l’Amendement comme une formulation de principe sans conséquences concrètes ?

Nous voudrions revenir brièvement sur ces aspects politiques de la dépendance, afin d’en récapituler certains éléments qui seront utiles à la compréhension des romans étudiés. Par ailleurs, nous aborderons brièvement une question peu évoquée dans les romans qui est celle des autres mécanismes de la dépendance, et particulièrement l’insertion de l’île au marché nord-américain.

a) L’acceptation de la tutelle

Le paradoxe fondateur serait assumé, plus ou moins facilement, plus ou moins honnêtement, par la génération politique issue des Guerres. L’écrasante majorité du monde politique avait délibérément opté pour ignorer le contournement de la souveraineté nationale à partir de l’intervention de 1898, pour croire en l’énoncé de la « Joint Resolution », en vertu de quoi le ralliement à l’Amendement Platt avait été consommé.

Cette attitude serait une constante transversale des romans des guerres composés par la génération des vétérans. L’on verra comment ces auteurs, qu’ils aient été liés ou pas à la sphère politique, ne remettaient pas en cause les termes de la Constitution de 1902. Le clivage se ferait sur la référence documentaire originelle. Les Conservateurs présenteraient préférentiellement l’Amendement Platt, en le décrivant comme une opportunité historique et une protection formidable. En revanche, les Libéraux se référeraient avec constance à la « Joint Resolution », parce que la reconnaissance de l’indépendance de Cuba y était explicite273

.

La première génération littéraire – Castellanos, Carrión, Rodríguez Embil – se distingua : Castellanos s’était montré virulent lors des débats autour de l ‘Amendement Platt274

. Après son adoption, ils estimèrent que la République était l’otage des Etats-Unis, entravée par la forme légale de sa dépendance mais surtout par la domination économique. Les thèmes de la frustration et de la conjuration traités par Castellanos, étaient latents chez tous275

. Pragmatiques, ils pensaient que l’état d’infériorité des Cubains était tel que rien ne pouvait être tenté alors. Ils adoptèrent une position d’attentisme et de retrait, tout en essayant de maintenir vivaces les principes fondamentaux et d’œuvrer dans leur sphère à la défense de la culture nationale276

. L’on trouvait ainsi dans les revues et les quotidiens, dès 1902, des articles analysant et dénonçant la dépendance au regard des phénomènes économiques et sociaux. Mais ces intellectuels s’interdisant de passer à l’action, se limitant à des revues cultivées, apporteraient plus de lucidité que de changements277

et finalement plus de renoncement que de révolte278

.

La classe politique de cette première période assimila la réalité de cette tutelle. Le Parti Modéré, le Parti Libéral, le Parti Indépendant de Couleur, le Parti Conservateur intégreraient tour à tour dans leurs stratégies ponctuelles le recours à l’Amendement afin de régler par la diplomatie ou la force une situation de crise nationale. Le mouvement qui

identifierait constamment le danger d’une occupation militaire illimitée ou d’une annexion forcée, fut celui des Vétérans. C’était d’ailleurs une de leurs contradictions en 1924, puisqu’ils pensaient pouvoir recourir à l’insurrection, sans risquer une intervention qu’ils ne demandaient pas.

Néanmoins, selon que gouvernaient les Libéraux ou les Conservateurs, l’attitude vis-à- vis des Etats-Unis variait dans ses postulats. Les trois présidents conservateurs, Estrada Palma, Menocal et Zayas adoptèrent une attitude de coopération ouverte279

. L’on peut interpréter l’expérience du « Cabinet de l’Honnêteté » comme l’aboutissement de cette collaboration. En revanche, les Libéraux J.M. Gómez et Machado, tentèrent une fois au gouvernement, d’utiliser toute leur marge d’autonomie afin de préserver les intérêts de la Nation280

.

Ce couperet de l’intervention nous permet d’aborder un aspect que nous avons laissé de côté. Nous avons jusqu'ici abordé la dépendance sous son aspect politique, bien que nous ayons signalé la ratification du Traité de Réciprocité Commerciale. Le Traité Permanent constitua la deuxième étape de l’intégration de l’économie cubaine au marché néocolonial. Les compagnies nord-américaines investirent le secteur du sucre très tôt, transformant Cuba en région monoproductrice de matière première. Non seulement la moyenne et la petite propriétés disparurent, mais le processus d’industrialisation démantela la petite paysannerie bientôt réduite à la condition de prolétariat agricole saisonnier. La défection des gouvernements quant à la mise en place d’une politique agricole compensatoire amena Cuba à importer des Etats-Unis les produits alimentaires de consommation courante, ce qui accentua les difficultés des classes les plus déshéritées.

Magoon, lors de la Deuxième Occupation, permit au trust sucrier de resserrer l’étau sur cette économie dépendante281

. Il n’est pas fortuit que la « Cuban American Sugar Co » ait été créée alors par Hawley, sur les conseils avisés de Menocal. Dans le cadre de la réforme législative qu’il mettait en place, le gouverneur militaire fit promulguer une série de lois concernant les infrastructures publiques. Elles permettaient ouvertement aux investisseurs nord-américains de dominer les marchés locaux ou nationaux de travaux publics d’aménagement : eau, construction, transport, communication.

Ce ne fut qu’après la crise des années vingt, provoquée par la chute des prix du sucre, que certains aspects de cette absorption économique furent mis en cause par une partie de la bourgeoisie. La contestation de la Loi Tarifa par les Vétérans en avait été une des premières

manifestations, comme le projet qui s’ensuivit de renverser Zayas, « l’homme des compagnies ». Machado arriva au pouvoir porté par le ralliement au pôle libéral d’un courant patriotique de la bourgeoisie réactionnaire qui s’était rassemblé en réaction à la crise et au phénomène qui y avait mené. Néanmoins, ses efforts pour soutenir la production vitale de Cuba s’inscrivaient dans une politique régulatrice et réformiste loin de contester l’ensemble du système dont l’Amendement Platt était la partie visible.

L’intégration par la classe politique en exercice du paradoxe de l’indépendance sous tutelle, dont les répercussions se déclinèrent aussi en termes de pratiques de corruption et d’agissements autoritaires, n’était-elle pas le signe que le système néocolonial était en place et fonctionnait ? La génération qui avait fait la guerre, celle qui avait quasiment réussi à imposer la concrétisation de l’Utopie nationale avait plié devant la réalité des faits – absorption économique, démonstration de force militaire. La jeune génération jouait la carte du temps, et tentait de préserver l’esprit de la Nation. L’intégration au système néocolonial était une réalité. La marge de manœuvre restante était réduite et se limitait à une attitude défensive à défaut d’avoir les moyens d’être autoprotectrice.

Mais, à l’inverse, Cuba, n’avait-elle pas préservé un peu de sa souveraineté ? Le cas de Porto Rico semblait permettre aux patriotes de le penser. Intégrés également au marché, les Portoricains n’avaient plus même l’illusion d’exercer une souveraineté partagée. Or Cuba avait, en 1898, principalement grâce à son attachement au projet national, dissuadé le gouvernement nord-américain de lui imposer l’application du « Foraker Act ». La volonté de préserver cet acquis ou d’éviter le pire allait déterminer les esprits les plus patriotes.

b) Le traumatisme des interventions

Si au début, les Cubains purent croire les déclarations généreuses et respectueuses de Mac Kinley, s’ils continuèrent longtemps à se raccrocher à la sincérité de la « Joint Resolution », s’ils se félicitèrent d’avoir échappé au « Foraker Act », à chaque nouvelle ingérence flagrante des gouvernements nord-américains, ils sentaient l’étau se refermer sur eux. Parmi toutes ces interventions, les militaires furent les plus traumatisantes. Mais les interventions amicales n’étaient pas moins préoccupantes dans leur banalité. Il faut reconnaître aussi que l’attitude des hommes politiques et de leurs partis n’était pas toujours dénuée de contradictions et de rouerie.

Joel James Figarola a parlé du traumatisme causé par l’occupation de 1898. Il fut d’autant plus violent que les Indépendantistes cubains, forts de leur objectifs, de leur cohésion, de leurs institutions estimaient qu’un tel coup de force serait impossible.

Il y eut peut-être là aussi une dose d’angélisme ou d’aveuglement de la part de ceux qui ne souhaitaient pas un rattachement, quel qu’il fût, mais qui considéraient les Etats-Unis comme un modèle de modernité politique, économique et sociale. Ce sentiment était ordinairement répandu ; au contraire, les analyses critiques et non dépourvues d’admiration de José Martí des multiples manifestations de la société nord-américaine, faisaient figure d’exception. Pour les mêmes raisons, l’attitude réservée, ombrageuse et défiante de Máximo Gómez vis-à-vis de l’intervention de 1898 ne serait pas comprise par tous, ni sur le moment, ni après. Nous évoquerons ultérieurement le roman de Juan Maspons Franco, vétéran et patriote, qui, en 1927, jugerait cette attitude comme une « bouderie » caractérielle d’un Général en Chef emporté et bougon.

Ce jugement commun se trouvait renforcé par la « Joint Resolution » dont les Emigrés s’étaient tant réjouis. Et l’on ne sait plus si la connaissance de cette déclaration de principe convainquit les Cubains de la philanthropie du puissant voisin, ou si les Cubains choisirent de ne se souvenir que de cette déclaration afin de se convaincre qu’ils n’avaient pas été spoliés de leur victoire. Entre ceux qui votèrent l’Amendement par conviction (anciens réformistes, anciens Autonomistes, courant modéré de l’Indépendantisme), et les réfractaires qui l’acceptèrent sous la menace, il y eut tous les représentants qui acceptèrent une tutelle pesante, qu’ils estimaient protectrice et bienveillante, sur la bonne foi des déclarations officielles apaisantes du Gouvernement militaire et du Secrétariat d’Etat nord-américain.

Le départ des militaires nord-américains en 1902, bien qu’ils aient laissé à la tête de l’Etat « leur » candidat, entretint cette illusion de l’indépendance. Les troupes et le gouverneur militaire se retiraient laissant un gouvernement constitutionnel élu. Il suffisait de regarder ce qui se passait à Porto Rico pour saisir la différence282

. Rappelons que le 12 avril 1900, le Congrès nord-américain avait voté le « Foraker Act », qui autorisait l’établissement à Cuba et à Porto Rico d’un gouvernement civil nord-américain, avec participation locale et normalisait l’ingérence étrangère. Le 1er mai 1900, Charles H. Allen était entré dans ses fonctions de premier gouverneur civil283

. Cuba, elle, avait évité le désastre de cette banalisation. Il n’était donc pas incohérent de vouloir croire que l’Amendement Platt était

destiné à aider ceux qui avaient su briser l’ordre colonial pour entrer dans l’âge adulte de l’exercice de la démocratie284...

A tel point qu’en 1906, les Libéraux demandèrent l’application de l’Amendement afin d’obtenir une médiation entre eux et Estrada Palma. Cette fois-ci encore l’Intervention militaire saisit les Cubains. Mais cette fois-ci, elle les laissait dans un abattement autrement plus profond. Jorge Ibarra estime que la Seconde Intervention plongea Cuba et sa classe politique dans une situation et un sentiment d’infériorité sans précédent285.

Cette déroute, conséquence de l’interprétation erronée de la politique étrangère des Etats-Unis, amena les politiques à réinterpréter a posteriori le plattisme. Il devint alors à leurs yeux la seule garantie que Cuba ne serait pas occupée indéfiniment et pourrait continuer à être, au moins, une « république médiatisée ». C’était exactement ce que Elihu Root avait exprimé le 10 octobre 1906 devant Gonzalo de Quesada et le général Rius Rivera286

. Malgré une offensive annexionniste de sénateurs nord-américains pendant la campagne présidentielle de T. Roosevelt, les Etats-Unis envisageaient de gérer à l’amiable le cas de Cuba afin de ne pas gêner leur politique panaméricaine et parce qu’ils étaient conscients de l’attachement de la majorité des Cubains à l’indépendance. Les sommations de Taft, puis de Magoon, conformément aux consignes et aux déclarations du président T.Roosevelt, définirent clairement les enjeux : le système de gouvernement qui s’établit après les réformes représentait pour Cuba la dernière chance de rester indépendante. Si de nouveaux troubles susceptibles d’attenter aux biens des Nord-Américains à Cuba venaient à se produire, la réaction serait d’une autre nature et conduirait à l’annexion.

Il faut ajouter à cela que le bilan de l’occupation et du gouvernement Magoon était loin d’être aussi facilement justifiable du point de vue cubain. Autant on avait prétendu que Brooke, en s’appuyant sur la participation d’un Cabinet intégré par des Cubains, avait pacifié l’île, permis la passation des pouvoirs, déployé un soutien humanitaire et parrainé la naissance de la République, autant ce genre d’arguments à la frontière de l’autopersuasion était inapplicable au gouvernement provisoire de Taft287 puis au gouvernement militaire de

Magoon.

Dépendant du Secrétariat d’Etat à la Guerre, il avait attribué les différents portefeuilles à des militaires nord-américains288

et nommé une Commission Consultative, chargée, en fonction de ses directives, de préparer un ensemble de lois complémentaires nécessaires au rétablissement de la paix civile289

Cubains se retrouvaient « consultants ». Par ailleurs, les années Magoon furent celles d’une seconde offensive économique sur l’île. Non seulement il favorisa les investissements nord- américains dans l’île, complétant ainsi l’incorporation économique de Cuba, mais il distribua également faveurs et prébendes à ceux des Cubains qui se montraient affairistes ou conciliants. Cette manière de gouverner, en se gagnant des soutiens locaux, n’avait rien de neuf – elle avait été déjà expérimentée dans une moindre mesure à Cuba, et s’était montrée fructueuse dans la Zone du Canal de Panama – et renforçait une tendance déjà existante dans le monde cubain de la politique et des affaires.

Enfin, après les années « Big Stick » de la politique internationale de Théodore Roosevelt, se profilait déjà la « Diplomatie du Dollar », professée par le futur président Taft, dès ces années d’occupation militaire à Cuba. Cela contribuerait certainement à renforcer ces appétences à l’intéressement financier des politiques cubains de tout bord.

La deuxième intervention, pour les défenseurs de la Nation, sonna comme un glas. La vie politique postérieure se placerait sous la semonce de ce dernier avertissement. L’on perçoit mieux alors l’attitude empressée du gouvernement J.M. Gómez-Sanguily en 1912 : il s’agissait d’écraser l’insurrection du Parti Indépendant de Couleur d’autant plus rapidement et définitivement que les Etats-Unis, contre l’avis du Gouvernement cubain, débarquaient déjà leurs « Marines »290

. La répression ignoble était paradoxalement le prix à payer pour maintenir Cuba hors du risque d’une intégration politique complète et forcée. Les tergiversations apparentes des Vétérans s’expliquent aussi. Le bras-de-fer entamé contre Zayas par la fraction radicale de 1924 s’appuyait sur le calcul de l’abandon momentané de l’interventionnisme par les Nord-américains. Néanmoins, Carlos García Vélez ne prit pas le risque de porter le bluff à son terme. Il faudrait encore attendre quelques années pour que, dans le cadre de la politique de « Good Neighbourhood » de F.D.Roosevelt, une nouvelle génération moins traumatisée par l’échec, se risque à perturber l’ordre public.

c) Une étrange déconnexion régionale

Si justement l’on évoque les relations intercontinentales, on constate que l’ensemble des partis évacua les contenus antillanistes et américanistes du discours révolutionnaire de Martí. Cette oblitération, dont nous avons fait remonter l’origine au groupe des Emigrés de New-York dans les années 1895, était le signe et le résultat de l’évolution du conservatisme

cubain comme courant prônant l’intégration plus ou moins poussée au système néocolonial nord-américain. La fin de la solidarité avec Porto Rico, voire la « disparition » de toute référence à « l’île-sœur », datait de cette période et se confirmerait par la suite. L’analyse martinienne s’inscrivant dans une stratégie de résistance à la mise en place de l’hégémonie nord-américaine, il n’y a rien de surprenant à ce que les Conservateurs aient évité cette lecture globale. De la part des Libéraux, le phénomène fut moins unanime.

Néanmoins, plus ils se trouvaient dans une attitude défensive, moins il était fait référence aux pratiques et aux forfaitures des gouvernements nord-américains dans la région caraïbes. Cette forme étrange de déconnexion régionale est attestée par la presse littéraire et par les romans des guerres. Quant nous consultions les revues culturelles d’obédience libérale des années dix et vingt – Azul y Rojo, Letras, Social –, dans lesquelles questions sociales et politiques étaient abordées, nous avons été souvent frappée par le traitement disproportionné de l’expansion territoriale de l’impérialisme japonais (l’invasion de la Mandchourie et la guerre de Corée) par rapport à l’actualité régionale (les événements au Panama, l’intervention nord-américaine dans la zone du Canal, l’ingérence militaire au Nicaragua).

Or ceci est d’autant plus intéressant que la nation préoccupée par cet impérialisme oriental, c’était les Etats-Unis. Relativement assurés du retrait anglais de l’aire d’Amérique centrale et antillaise, ils avaient en revanche à se préserver des ambitions allemandes et japonaises. La stratégie plattiste et interventionniste de T.Roosevelt entre d’ailleurs dans cette mise en place géopolitique de régimes « autonomes », stables et assurés aux Etats-Unis.

Donc, la couverture dans la presse cubaine des avancées de l’impérialisme japonais, semblait adopter les inquiétudes de la presse nord-américaine. Etait-ce seulement la preuve d’une assimilation mentale volontaire ou inconsciente ? Car il y a, sous certaines plumes, une ironie un petit peu perverse à laisser entendre de manière répétitive que les invasions viennent toujours de l’Ouest... L’importance donnée au thème ne révélait-elle pas un état d’esprit jubilatoirement revanchard plus qu’une domination idéologique ? Mais son traitement montrait l’absence d’une vision d’ensemble que les faits auraient pu contribuer à faire apparaître.

Car, en vertu de l’extension de la zone d’influence des Etats-Unis en Amérique et dans le Pacifique, en vertu des objectifs de l’Allemagne et du Japon de prendre leurs propres marques, l’expérience plattiste de Cuba serait reconduite ultérieurement dans les Caraïbes et en Amérique centrale. La politique interventionniste de Roosevelt servirait ce dessein : les

Nord-américains ne prenaient pas possession de nouveaux territoires – si l’on excepte l’enjeu très particulier de la Zone du Canal –, ils les occupaient de manière temporaire et laissaient derrière eux, à leur départ, un arsenal légal destiné à maintenir la dépendance. Cette politique- là d’ailleurs avait permis l’apparition d’une classe de hauts fonctionnaires, militaires et civils, consacrés à la gestion des affaires internationales : les Brooke, les Crowder, les Magoon, les Steinhart, les Wells opéraient successivement comme ambassadeur ou comme gouverneur ou même comme Conseiller, à Porto-Rico, au Nicaragua, au Panama, à Cuba, aux Philippines.

Face à ce système cohérent, les Cubains, et parmi eux les plus patriotes et les plus critiques, se montraient très en retard et dénués d’ambition de regroupement régional ou continental. Cette frilosité, cet enfermement sur soi, doit être également interprété comme une conséquence de la frustration et du traumatisme consécutifs aux interventions. Isoler Cuba de tout contexte n’était pas qu’un repli autiste. C’était peut-être aussi une tentative désespérée de porter aux nues les appâts et les atouts si enviables de l’île, tout en se persuadant que les aléas récents de la Nation, étant singuliers, seraient à long terme maîtrisables.

Néanmoins, la première expérience républicaine se terminait sur un bilan bien négatif. En réponse à l’ingérence liberticide des Etats-Unis, l’ensemble de la classe politique cubaine