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Les éléments de la désagrégation

Les Guerres de l'Indépendance cubaine

A. Origines historiques

II. Les Guerres : périodisation et continuité

2) Les éléments de la désagrégation

Les luttes de pouvoir entre les instances politiques et militaires furent les facteurs déterminants de la désunion puis de la désagrégation du mouvement révolutionnaire. Il ne s’agit pas de dire que ces oppositions, cristallisées en quelques conflits bien particuliers, sont la cause de l’échec indépendantiste. Pour la plupart, elles étaient révélatrices de désaccords

idéologiques souterrains entre les tendances de l’indépendantisme. Ces discordes créaient les divisions qui expliquent la fragilisation de la République en Armes141.

Sergio Aguirre, dans une brève publication142

consacrée à la popularisation et à la radicalisation du mouvement révolutionnaire de 1868, s’appuie sur les profils des dirigeants révolutionnaires qui incarnèrent tour à tour cette évolution. Aguilera, le plus riche propriétaire terrien oriental et un des personnages clefs de la conspiration initiale, céda son autorité à Carlos Manuel de Céspedes. « Hacendado » de moindre fortune, celui-ci dirigea l’insurrection jusqu'à ce qu’Ignacio Agramonte défendît une position plus démocratique, plus égalitaire et plus radicale. Máximo Gómez illustrerait une étape supplémentaire dans la mesure où sa stratégie de l’invasion, organiquement liée à la pratique de l’incendie des plantations, imposait le rejet de la priorité consistant à protéger les intérêts des élites révolutionnaires. Enfin, Maceo, voyant avant tout dans le « Pacte du Zanjón » l’abandon de la double revendication indépendantiste et abolitionniste, fit siennes, avec la « Protesta de Baraguá », les aspirations absolues du peuple de Cuba Libre.

Si l’on se place depuis la perspective de la « Protestation » de Maceo, cette lecture est en effet fondée. Elle permet de souligner le renforcement du contenu social du discours de l’Indépendantisme qui aboutira au projet martinien. Mais elle est moins féconde lorsqu’il s’agit d’analyser la résistance à cette évolution. Il nous semble en effet que l’on ne peut comprendre les problèmes et les faillites de Cuba Libre sans partir du constat de la coexistence de groupes sociaux aux intérêts initialement contradictoires. Ceci fut pour une grande part à la source des tensions majeures qui menèrent à l’instabilité du pouvoir politique et à la dislocation de la puissance militaire.

Dans une perspective à la fois chronologique et thématique, nous allons aborder les points cruciaux de divergence, voire d’opposition, suivants : l’aspiration démocratique, le problème de l’insubordination militaire, l’attitude de l’émigration.

a) L’aspiration démocratique

La revendication démocratique était, avec l’exigence de l’abolition immédiate, un aspect essentiel de l’Utopie indépendantiste. Cette aspiration collective allait se heurter à deux réalités : la guerre et l’équilibre des forces dans un front socialement hétérogène. Tant que Céspedes fut à la tête de l’exécutif, avant et après Guáimaro, le débat se cristallisa sur sa personnalité et sa tendance à s’arroger autoritairement la direction de la Révolution. Après sa

destitution et l’arrivée au pouvoir des représentants de l’élite révolutionnaire, les conflits perdurèrent révélant le conflit social sous-jacent entre le « mambisado » et les nouveaux gouvernants. De fait, depuis l’aube du mouvement, l’équilibre et le rapport entre les diverses composantes sociales avait été au cœur de la problématique politique de la révolution.

Le conflit initial s’était déroulé aux premiers jours de la conspiration en 1867. Ce comité révolutionnaire de Bayamo constitué autour d’Aguilera avait fait des émules à Manzanillo sous la direction de Céspedes et à Jiguaní sous celle de Mármol. Vicente García, propriétaire terrien à Las Tunas, s’était organisé dans sa région, comme Cisneros Betancourt, marquis de Santa Lucía, à Puerto Príncipe. Ce fut d’ailleurs Cisneros qui emporta difficilement la participation d’Aldama143

et de Morales Lemus, personnalités du milieu « occidental » des grands propriétaires et des affaires. La première dissension entre les élites des « hacendados » et les propriétaires moyens144

opposa Céspedes, Vicente García et Donato Mármol, partisans d’une insurrection imminente, à Aguilera, Cisneros Betancourt ou Belisario Alvárez (de Holguín), désireux de retarder le soulèvement afin que la récolte de 1868 pût se faire en toute quiétude.

Bien que Aguilera et Cisneros Betancourt aient réussi à mettre en minorité le groupe de Bayamo145, ce fut Céspedes qui, poussé autant par son inflexibilité que par les

événements146

, prit la responsabilité de lancer l’Appel de la Demajagua. Ses partisans dans l’ouest de l’Oriente lui emboîtèrent le pas. Aguilera s’inclina devant le fait accompli et accepta l’autorité suprême de Céspedes. En revanche, les conspirateurs de Camagüey et de Las Villas tentèrent de temporiser le plus longtemps possible. Le Camagüey ne se souleva que le 4 novembre 1868, se démarquant fortement de Céspedes. Symboliquement, le drapeau choisi ne fut pas le sien, mais celui d’ Agüero et de Narciso López. Politiquement, les insurgés se donnèrent une autorité collégiale – un Comité Révolutionnaire, substitué peu après par l’« Asamblea del Centro » composée par cinq représentants. Cisneros Betancourt en constituait une personnalité centrale. Mais ce fut Agramonte, opposé au cumul des pouvoirs civils et militaires par Céspedes et préoccupé par la constitution arbitraire de la hiérarchie militaire, qui donna l’impulsion démocratique. Son projet était fondamentalement démocratique, laïque et abolitionniste. Enfin, lorsque Las Villas se souleva, le 6 février 1869, arborant le drapeau de Narciso López, la région adopta un gouvernement distinct, inscrit dans la tradition hispanique et hispano-américaine, la « Junta de Santa Clara ».

Il fallait voir dans ces directions collégiales l’application d’un principe démocratique et antiautoritaire. Mais elles étaient également le fruit de la volonté de neutraliser Céspedes dans la mesure où ses décisions iraient trop à l’encontre des intérêts de certains groupes révolutionnaires147, comme cela s’était passé lors du déclenchement de l’insurrection. Ceci,

par ailleurs, n’entache pas l’authenticité et la sincérité des aspirations communes à la population et aux intellectuels radicaux de la classe moyenne émergente, aspirations défendues par Agramonte148

.

La nécessité de coordonner le mouvement mena les représentants des insurgés à se réunir à Guáimaro les 10 et 11 avril 1869. L’assemblée de Guáimaro comprenait un bloc majoritaire de représentants des provinces de Camagüey et de Las Villas. Sa première tâche fut de donner au pays une Constitution républicaine basée sur les principes démocratiques, égalitaires, abolitionnistes et laïques. L’Assemblée légiféra dans un deuxième temps sur les questions urgentes de l’organisation administrative et militaire. Le système politique s’appuyait sur un exécutif fort et une Chambre des Représentants, aux fonctions législatives. Le gouvernement formé établissait un front politique et comportait des représentants des groupes sociaux révolutionnaires (hormis une représentation populaire directe) : Céspedes fut élu à la tête de l’exécutif ; Agramonte était le Délégué de la Chambre ; Aguilera était vice- président. Cette configuration révélait aussi le souci d’équilibrer l’action de Céspedes, notamment par l’entremise d’Agramonte.

Par ailleurs, le Président désigna une représentation diplomatique à l’étranger149

et nomma comme ambassadeurs de la République des personnalités de l’élite créole. Le caractère permanent de cette délégation témoignait de la volonté des révolutionnaires de faire reconnaître leur légitimité et d’obtenir une reconnaissance internationale. D’ailleurs, l’Assemblée de Guáimaro n’avait non plus négligé cet aspect : tout en répondant à la volonté de créer sans attendre l’utopie républicaine, elle avait aussi comme fonction de montrer la « respectabilité » des Indépendantistes aux puissances étrangères susceptibles de soutenir la Révolution et la République.

Dans un premier temps, Agramonte et Céspedes, malgré leur opposition, surent gouverner ensemble et maintenir stabilité politique et institutionnelle. La mort d’Agramonte, momentanément affecté au Camagüey pour réorganiser un corps d’Armée150

en piètre état et relancer une campagne mal gérée par Vicente García, marqua la fin de la collaboration conflictuelle mais efficace entre les deux institutions.

La première crise ouverte allait aboutir à la destitution de Céspedes, fomentée par une alliance inédite et occasionnelle de dirigeants politiques et de chefs militaires. Cisneros Betancourt, Président de la Chambre, et Vicente Aguilera, adversaires « historiques » et politiques de Céspedes, trouvèrent en Calixto García et en Vicente García deux appuis pour remettre en question la gestion militaire du Président151

. La question récurrente de la tendance du Président au despotisme apparaissait en sous-main : le peu de contacts entre le Président et la Chambre au cours des deux dernières années, les décisions politiques et militaires que Céspedes avait prises confortaient les civilistes et les militaires dans cette interprétation. De son côté, Céspedes estimait que les « conspirateurs » avaient comme objectif dissimulé la signature de la paix. Il est certain que l’absence de Agramonte, qui avait toujours imposé le strict respect des institutions et de leurs représentants, pesa lourd dans le processus. A Jiguaní, sous la surveillance des troupes de Calixto García, la Chambre se réunit : les représentants, au nombre de huit, votèrent la destitution.

Céspedes écarté – il fut tué en 1874 –, ce fut Cisneros Betancourt, Président de la Chambre, qui, en vertu de la Constitution, fut nommé Président. Cette solution152 paraissait

éliminer, bien évidemment, les conflits entre les deux institutions gouvernementales. Elle était également le signe d’une reprise en main larvée du pouvoir par les milieux d’affaires, regroupés autour d’Aldama et par les propriétaires terriens représentés par Cisneros. D’un autre côté, les chefs militaires purent, un temps, nourrir l’espoir que le nouveau gouvernement civil les écouterait mieux et leur laisserait plus d’autonomie. Il n’en était rien.

Jiguaní constitua certainement un précédent qui conduisit Vicente García à ourdir la réunion de Lagunas de Varona fin avril 1875. Il agissait certes en fonction d’ambitions personnelles153

, mais réagissait aussi à l’infléchissement politique du gouvernement en exercice. Cette fois, donc, c’était Cisneros Betancourt qui se retrouvait sur la sellette. Les partisans de Céspedes, qui n’avaient pardonné ni la destitution du « Père de la Patrie », ni sa mort fin février 1874, s’allièrent avec García, véritable chef régional, en dépit de la part qu’il avait prise dans cette éviction. Ces alliés très occasionnels bénéficiaient de la sympathie du « mambisado », indigné par le destin imposé au premier Président de Cuba Libre par les représentants politiques. Ce n’était donc pas simplement la personne du Président qui était contestée, mais l’équilibre des institutions qui avait permis l’adoption de mesures estimées contraires à l’intérêt général154

Du point de vue strictement institutionnel, l’affaire était désastreuse : un militaire – bien qu’il fût respecté ne rendait son coup de force que plus dangereux pour la démocratie – faisait pression et imposait son droit sur le droit républicain. Mais en ce faisant il désignait les manquements du système : Cisneros démissionna155, Spotorno fut nommé président

intérimaire, la Chambre de représentant fut renouvelée début 1876, puis élit un nouveau Président, Estrada Palma.

Par ailleurs, dans la mesure où cette protestation avait été régionale et placée sous l’influence d’un chef local, en l’occurrence Vicente García, ne révélait-elle l’inaboutissement du processus d’intégration nationale ? Or ces aspirations et ces nouveaux troubles fragilisaient la République. Néanmoins, le légalisme indéfectible de généraux extrêmement respectés comme Gómez ou Maceo contredisait cette tendance. Jusque dans leur pratique militaire, ils raisonnaient depuis une vision globale : la campagne d’Invasion était une offensive de l’ensemble des corps d’Armée, quelle que soit leur origine provinciale, sous l’autorité d’un Commandement unique et national. Les « mambis » étaient cependant encore trop influencés par le régionalisme pour ne pas tenter de résister au processus d’intégration par l’Armée Nationale, comme l’avaient montré l’insubordination de Las Villas et les réticences de Vicente García à participer à l’Invasion.

La république se trouvait donc, au fur et à mesure que le conflit s’étendait, plus fragilisée de l’intérieur. Il faut reconnaître que, malgré les manœuvres des groupes de pression et les tentatives de coups de force internes, les pouvoirs exécutif et législatif réussirent à maintenir tant bien que mal, depuis la magistrature Céspedes jusqu'à celle d’Estrada Palma, le droit républicain et éviter l’éclatement du mouvement révolutionnaire. Mais, en octobre 1877, Tomás Estrada Palma fut fait prisonnier et envoyé en Espagne. Simultanément, Eduardo Machado, Président de la Chambre était tué au Camagüey. Le vice- président Francisco Javier Céspedes tenta un temps de maintenir le gouvernement – alors que Vicente García faisait à nouveau sécession – et démissionna en décembre. Vicente García fut alors désigné président de la République de Cuba en Armes. Cette dernière nomination par une Chambre dans l’impasse et dans une situation de générale déliquescence, sanctionnait l’échec de l’utopie démocratique dans la guerre dans la mesure où elle allait à l’encontre des options jusqu’alors privilégiées.

Ces faiblesses et ces contradictions contribuaient à fragiliser l’unité militaire, et furent en partie à l’origine des problèmes d’insubordination individuelle ou collective qui se multiplièrent à mesure que passaient les années. Il faut distinguer, à notre avis, les actes de rébellion à connotation politique et sociale de chefs régionaux comme Donato Mármol ou Vicente García, de la désobéissance de Máximo Gómez qui consista à imposer « la bonne stratégie ». Néanmoins, ces faits constituaient unanimement une réponse au manque de radicalisme politique, social et militaire du gouvernement civil. Quant à la question de l’indiscipline des troupes, elle fut favorisée par l’accablement, la désillusion et les promesses espagnoles. Il faut dire aussi que leur fréquence fut faible ; compte tenu des difficultés internes et externes, l’unité, la cohésion et l’autodiscipline furent la norme indépendantiste.

L’Armée de Libération, parce que c’était une armée populaire, intervint à plusieurs reprises sur des questions publiques dans une perspective radicale. Mais parce qu’elle suivait un processus d’intégration à la Nation, ses revendications s’élaborèrent dans un cadre régionaliste.

Dans les premiers mois de la guerre, début de 1869, l’attitude conciliatrice de Céspedes sur l’abolition immédiate fut à l’origine de l’insubordination de Donato Mármol. Comme le signala Raúl Cepero Bonilla156, ce premier acte d’opposition à Céspedes révélait

l’écart qui séparait les positions des propriétaires terriens (positions qui n’étaient d’ailleurs pas unanimes, puisque l’élite et la classe moyenne divergeaient sur les questions sociales) de celles du « mambisado » et des chefs militaires d’origine plus modeste157

. Mármol se proclama « dictateur », comme Céspedes s’était lui-même proclamé Capitaine Général ou Général en Chef : il contestait le report de l’abolition, le respect des biens des « pacíficos »158

et estimait prioritaire la constitution d’un gouvernement républicain. La médiation d’Aguilera conduisit à l’unification des forces indépendantistes à Guáimaro où se déroula la première Assemblée démocratique et nationale de Cuba Libre. Certes, Guáimaro était à la fois le premier pas vers la concrétisation d’un projet idéaliste et la réponse fédératrice aux divergences des insurgés. Mais Guáimaro fut également imposée par le radicalisme du « mambisado » et des classes moyennes.

Les motivations des actes d’insubordination de Vicente García ne sont pas si éloignées. Sa participation à la cabale contre Céspedes était en partie motivée par le jugement qu’il portait sur les options stratégiques du Président. Mais à Lagunas de Varona, à travers Cisneros Betancourt, c’était l’infléchissement du politique vers les options défendues par les

élites à Cuba et dans l’émigration, qui était contestée. Il y eut dans l’attitude de Vicente García une dimension politique dont les autres (Gómez, Maceo ou Calixto García) se gardaient par devoir de réserve ou par adhésion au système. Le Manifeste de Santa Rita publié en mai 1877 était un programme politique et militaire révolutionnaire : il dessinait bel et bien le préambule constitutionnel d’un nouvel Etat, dont il aurait été le chef absolu. Il fonda d’ailleurs le « Canton de Holguín »159. Certes le personnage est complexe, et peu propice à

fournir une figure d’identification ultérieure160

. Il incarne un type de caudillo militaire populaire et, à ce titre, n’hésite pas à mettre en jeu les institutions démocratiques en recourant à la force. Vicente García montra à Lagunas de Varona qu’il avait intégré la logique de l’ingérence militaire dans les affaires politiques. Maceo lui reprocha durement et directement ces actions à cause des méthodes employées et au nom du non respect de la légitimité républicaine.

Si le radicalisme, la personnalité et l’ambition personnelle de Vicente García le poussèrent à s’insurger contre le système politique de la République, son régionalisme le conduisit également à refuser, depuis sa conception, la Campagne d’Invasion. Nommé à la tête des régiments de Las Villas, il immobilisa ses troupes et enjoignit les soldats du Camagüey à s’insurger contre le gouvernement. Une des répercussions directes de ces agissements fut d’accentuer le démantèlement de l’Armée de Camagüey dont le moral était déjà au plus bas. Pourtant dans la déliquescence politique des derniers mois, Vicente García serait nommé président de la République161 : il était une des rares personnalités susceptibles de

rassembler le « mambisado » et il incarnait une position intransigeante de l’indépendantisme. Comme Maceo, il opposerait une fin de non-recevoir aux propositions de Martínez Campos.

Máximo Gómez, lui, refusa toujours de prendre part aux affaires politiques y compris dans la situation désespérante de fin 1877. Pourtant, les successifs rejets de sa tactique de la « Tea » et de sa stratégie d’Invasion étaient également liées à ces considérations-là. Il se considérait comme un militaire, au service d’un Etat, et refusa à ce titre tout mandat étranger au cadre strict de ses fonctions. De plus, n’étant pas Cubain de naissance, il s’estimait au service de cette cause nationale mais pensait inopportun ou malvenu d’interférer dans les décisions politiques d’une République de Cuba dont il n’était pas citoyen.

Céspedes, parce qu’il optait pour une relative protection des propriétaires esclavagistes au nom du maintien de l’activité économique des plantations dans les zones insurgées, lui avait opposé des refus successifs. La destitution du Président n’amena d’ailleurs

pas de changement immédiat sur ce point puisque Cisneros repoussa également le projet toujours au même titre. Au terme de plusieurs années de négociations et de reports, après une série de victoires « mambises » qui démontraient que l’Armée de Libération remportait des victoires dans des conditions a priori contraires (La Sacra, Palo Seco, Las Guásimas n’étaient plus des combats de « guérilla », et ne se déroulaient pas dans des régions totalement acquises à l’Indépendance), Máximo Gómez prit ses responsabilités de Général en Chef. Le déclenchement de la campagne de Las Villas, première phase de l’Invasion, était sa réponse à l’incapacité des politiques, en l’occurrence le Président Cisneros et la Chambre, à évaluer les données militaires et à adopter la seule stratégie susceptible de sortir le camp indépendantiste de l’enlisement militaire et de le conduire à la victoire. Bien sûr, l’attitude de Gómez est loin d’être exempte de ressentiment ou de déception vis-à-vis de ces non-combattants, politiques162

ou émigrés, refusant de soutenir l’Invasion et mettant en jeu l’issue de la guerre pour des raisons politiciennes. Mais ce ressentiment ne le poussa pas vers la contestation du système.

L’attitude des troupes est le dernier aspect de la Guerre sur lequel nous souhaitons revenir. Les deux problèmes de taille en ce qui les concerne furent l’insoumission, motivée par un régionalisme exclusif, et les désertions, favorisées par les propositions espagnoles. Ces actions ne constituèrent jamais une caractéristique du comportement des soldats de l’Armée de Libération – rumeur comportementale que les Espagnols, ou vingt ans après les Nord- américains, tentèrent de répandre afin de discréditer leurs adversaires ou alliés.

Il serait juste de souligner, au contraire, combien ces hommes, des civils qui n’étaient initialement formés en aucune manière à l’exercice de la guerre, menés par des chefs qui n’étaient généralement pas des militaires, menèrent pendant dix ans une guerre contre une armée supérieure en nombre, régulièrement renouvelée et équipée, alors qu’eux-mêmes se