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Les offensives insurrectionnelles

Les Guerres de l'Indépendance cubaine

D. La guerre hispano-cubano-américaine

III. Indépendance nationale et frustration

2) Les offensives insurrectionnelles

La protestation sociale, dans les années vingt, ne fut en rien un fait nouveau. Or, dans le cadre du profond bouleversement des années consécutives à l’abolition, le caractère individuel de la révolte paysanne et la désorganisation du mouvement ouvrier rendaient la pression sociale, bien que constante, relativement maîtrisable pour les élites et la classe politique. Le mouvement ouvrier, quoique faible, marqua la période de sa présence et de ses revendications syndicales : la grève générale de 1902, les grèves ouvrières de mars 1903, la longue grève des ouvriers du tabac de février à juillet 1907 furent tour à tour réprimées. Le monde rural, en pleine restructuration, vit le phénomène du banditisme se développer. Il disparaîtrait d’ailleurs pendant le « machadato », quand la contestation populaire adopterait des formes et des structures plus organisées.

Julio Le Riverend229

situe l’aboutissement de cette phase en 1917. Ce qui changerait alors230, ce serait le degré d’organisation de ces mouvements et leur discours révolutionnaire :

la nouvelle génération mettrait en cause le système. Elle ne distinguait plus les problèmes sociaux des problèmes politiques et analysait la situation de Cuba dans le contexte de sa dépendance à la métropole. Le rassemblement traditionnel et souvent calculé autour du concept d’« union patriotique » célébrant la Nation – quelle Nation ? – n’était plus une valeur suffisante. Il en avait été autrement des protestations des premières années.

La première période constitutionnelle fut traversée par des conflits insurrectionnels motivés à la fois par une demande sociale, une revendication politique et la mise en cause de la dépendance. Ces trois questions, même si elles étaient de fait organiquement liées, étaient alors abordées de manière dissociée. Conséquence de la confusion provoquée par la naissance sous tutelle de la République, corollaire de la désagrégation du front indépendantiste (elle- même due à des dérives internes ou des mécanismes imposés par la métropole), l’absence de cohésion enfermait ces initiatives dans l’échec. Autrement dit, les mouvements de

revendication, également immergés dans ce contexte paradoxal d’« indépendance néocoloniale », ne parvinrent pas à se structurer et à poser les questions nécessaires : ils se condamnaient donc à l’isolement.

Entre 1906 et 1912, une série de soulèvements armés mineurs – soulèvement des Cortès, double insurrection d’Acevedo, rébellion patriotique des Généraux Masó Parrá et Miniet231, soulèvement de Urbano Guerra – ponctuèrent la vie de la République. Mais les

révoltes libérales, le mouvement et l’insurrection des « Indépendants de Couleur », et le mouvement et l’insurrection des « Vétérans et des Patriotes » constituèrent des crises graves du système. Ces groupements, en choisissant la voie armée, parce qu’ils considéraient ne pouvoir faire entendre leur voix dans le cadre de cette République « démocratique », en désignaient les dysfonctionnements croissants tout en la mettant sous le couperet de l’intervention.

a) Les guerres libérales

La première insurrection libérale se déroula en août 1906, la seconde en février 1917. La « Révolution d’Août » fut le premier de la série de conflits armés qui éclateraient sous la Première République. A l’instar de Julio Le Riverend, nous conviendrons que la « Chambelona » en fut le dernier. Les deux insurrections furent déclenchées en réaction aux fraudes électorales des Conservateurs. Aucune de ces tentatives ne fut subite ou spontanée, contrairement à ce que soutint le Secrétariat d’Etat nord-américain : les deux soulèvements se produisirent au terme de graves périodes de troubles civils.

Le Parti Libéral, en août 1905, venait de se constituer à partir de l’alliance de formations déjà existantes et autrefois adversaires, unifiées contre la réélection d’Estrada Palma. L’insurrection eut lieu immédiatement après cette réélection, dans une phase de redéfinition du paysage politique : elle peut en être considérée comme une de ses expressions.

Fin 1905 et début 1906, localement, l’attitude des partisans d’Estrada Palma et de J.M.Gómez tournait à l’affrontement armé, au détriment de ces derniers du fait de la collusion de la force publique et du Président. Fin février, une caserne de la Garde Rurale – mêlée aux exactions palmistes – était attaquée. Estrada Palma désigna d’ailleurs les coupables : Morúa Delgado et des hommes de couleur232

...

Gómez souhaitait convaincre les Etats-Unis de jouer les arbitres conformément à l’Amendement Platt233

Révolutionnaire qui rassemblait des Généraux vétérans (José Miguel Gómez, Carlos García Vélez) et des civils (Juan Gualberto Gómez). Après avoir initialement prévu un coup d’Etat rapide, les insurgés réduisirent leur ambition en août pour exiger l’annulation des élections. Le gouvernement Estrada Palma tenta dans un premier temps de maîtriser la situation, et minimisa la portée de l’insurrection afin de se protéger. Une semaine après le déclenchement de la rébellion, l’état-major nord-américain recevait l’ordre de se tenir prêt. Or la probabilité et le gain d’une intervention n’étaient pas jugés par tous les rebelles identiquement. En août, certains libéraux persistaient à la demander. D’autres, sans la souhaiter, étaient disposés à la risquer, estimant qu’elle permettrait au moins le déroulement d’élections régulières. D’autres enfin, voulaient l’éviter à tout prix.

Début septembre, des vétérans, représentés par Masó, Quintín Banderas234

ou Menocal (qui commençait là sa carrière politique), tentèrent d’arbitrer ce conflit « entre partis » – comme l’analyserait Enrique José Varona – afin de préserver les intérêts de la Nation et d’éviter l’intervention de plus en plus prévisible235. La volonté conciliatrice de ces vétérans,

organisés en Junte des Vétérans début septembre, semblait porter ses fruits dans la mesure où des négociations s’établirent sur la revendication de l’annulation de l’élection. Mais Estrada Palma, ferme sur ses positions, manœuvrait avec l’aide de l’ambassadeur Steinhart, pro- annexionniste, afin d’obtenir l’intromission des Etats-Unis dans le conflit.

Le 19 septembre, Taft et les membres de la « Commission de Paix », envoyée par Théodore Roosevelt arrivaient à Cuba, décidés à jouer les arbitres. Il était d’autant plus urgent de pacifier le conflit que des chefs insurgés avaient déjà fait valoir qu’ils s’attaqueraient à la propriété foncière et industrielle. Le 25 septembre, Taft présentait une première proposition en trois points : démission du vice-président et de tous les élus de décembre 1905, remise consécutive des armes par les insurgés, création d’une commission juridique destinée à préparer des projets de loi. Le Congrès cubain devrait les approuver, demander la démission d’Estrada Palma et lui désigner un successeur. La réunion extraordinaire du Congrès fut fixée au 28 septembre. La solution était consensuelle : elle aboutissait à l’annulation des élections (demande des insurgés), sans reconnaître qu’elles avaient été frauduleuses (ce qu’Estrada Palma refusait de faire, et qui convenait peu aux Etats-Unis dont il était le « poulain »).

Durant ces trois jours, nombre de transactions, de négociations et de pressions eurent lieu de tous côtés, chacun essayant de tirer la situation à son moindre désavantage. La difficulté de trouver une personnalité acceptable par tous – y compris par les Nord- américains236

occupation si la situation n’était pas débloquée. Ainsi, il y eut une tentative de ramener la balle dans le camp cubain : Zayas et le Parti Modéré – qui voulait survivre au naufrage d’Estrada Palma – tentèrent de s’accorder sur l’élection d’un président provisoire et non pas constitutionnel : Menocal, Sanguily et Zayas étaient pressentis.

Le 28 septembre, après la démission de Estrada Palma, les Conservateurs décidaient de ne plus participer au vote237. Cette vacance de l’exécutif ouvrait la porte aux Nord-

américains : le 29 septembre, Taft, le Secrétaire d’Etat à la Guerre, assumait la fonction de Gouverneur militaire. Il se présentait comme l’unique alternative face à l’incapacité des représentants des Cubains à résoudre un conflit de type gouvernemental en période d’urgence pour cause de crise insurrectionnelle. Taft s’étant précédemment assuré la fidélité de la Garde Rurale238

, l’occupation militaire allait être requise pour imposer le retour dans leur foyer des insurgés et éviter toute réaction anti-interventionniste. Taft puis Magoon se donneraient comme objectif d’aider les Cubains à parfaire l’arsenal législatif incriminé. Mais l’occupation, qui durerait jusqu’en janvier 1909, resserrerait surtout l’étau économique et psychologique sur Cuba.

La « Chambelona » de février 1917 allait ressembler en bien des points à la « Révolution » d’août 1906. La campagne électorale fin 1916 fut marquée, pareillement, par la violence. Les Libéraux auraient très vraisemblablement remporté la victoire si les élections n’avaient pas été truquées. L’envoi par le gouvernement Menocal de troupes lors des élections complémentaires à Las Villas – qui restait le fief de José Miguel Gómez – fut cette fois l’acte qui motiva la préparation d’une deuxième insurrection. Plus qu’en 1906, Gómez et ses partisans cherchaient à provoquer une réaction nord-américaine : ils estimaient qu’une nouvelle commission arbitrerait en leur faveur, comme ils pensaient que cela avait été le cas autrefois et permettrait la tenue d’élections régulières. De plus, José Miguel Gómez bénéficiait d’un atout : la protection et l’appui de responsables de compagnies nord- américaines avec lesquels il était professionnellement lié239

.

Mi-février, les premiers soulèvements – dont l’objectif était d’attaquer des casernes afin de s’armer – se déclenchèrent à Las Villas, à Pinar del Río, à Matanzas, à La Habana, en Oriente et ailleurs. Cette fois, des militaires en exercice se rallièrent avec leurs troupes à l’insurrection. Leur participation donna une force nouvelle au mouvement. En fait l’attentisme tactique des Libéraux les empêcha de pousser leur avantage militaire. Ils usèrent en revanche de tous leurs arguments pour fléchir le Président Wilson : une commission,

composée de Orestes Ferrara et de Raimundo Cabrera fut envoyée à Washington ; Alfredo Zayas concentra ses efforts sur l’ambassadeur nord-américain González. Sans succès. Même le chantage économique fut à nouveau brandi puisque Gustavo Caballero claironna qu’il allait s’attaquer aux propriétés nord-américaines. Cela leur fit perdre leurs quelques appuis de cadres de compagnies nord-américaines à Cuba, liés à José Miguel Gómez, sans convaincre pour autant les Etats-Unis d’organiser de nouvelles élections.

Le gouvernement Wilson allait condamner l’insurrection et donner à Menocal les moyen de la maîtriser. Comme ce dernier se trouvait privé du soutien de l’Armée Nationale, ce furent des troupes nord-américaines qui débarquèrent dans les régions soulevées, bloquant les ports avec des navires de guerre. A partir de quoi, la tactique consista à passer des accords avec des chefs insurgés240

. La capture de José Miguel Gómez le 8 mars, contribua à la faciliter. Seuls Camagüey et l’ouest de Las Villas restaient rebelles. Puis, comme il devenait évident que les Etats-Unis ne se lanceraient plus dans un difficile arbitrage241

, les groupes insurgés se disloquèrent progressivement au cours du mois de mai. Ce fut justement en mai, le 20, que Menocal prit possession de ses fonctions présidentielles. Cette fois, le calcul des Libéraux visant à utiliser l’Amendement Platt, et non pas se contenter de le subir, avait échoué.

Soulignons dans cette question des insurrections libérales trois aspects. Le premier concerne le Parti Libéral de manière interne. La naissance du libéralisme se fit sous le sceau insurrectionnel. Cette culture de groupe perdurerait. En effet, les dirigeants du libéralisme seraient choisis et évalués en fonction de leur participation militaire à la Révolution de 1906242. José Miguel Gómez fut le premier à en bénéficier : la Révolution d’août comme la

« Chambelona » furent portées à la gloire du fondateur et dirigeant du Parti, véritable « caudillo » libéral. Ce parti, à la différence du Parti Conservateur, assuma donc cette forme de nationalisme caudillesque dans ses références, puis dans ses pratiques. Cela prépara en partie l’accession de Machado au pouvoir.

Le second point est relatif à la formation de la génération qui fut politiquement active sur le front de la défense de la Nation à partir des années vingt. Le pôle libéral, dont l’objectif était de défendre le mieux possible les intérêts de la Nation, avait implicitement reconnu, par ce double recours à l’insurrection, l’impossibilité d’accéder au pouvoir dans le cadre institutionnel. Seul Machado y parviendrait parce qu’il serait soutenu par un courant conservateur nationaliste né de la crise économique des années vingt. Une fois rejetée l’option

dictatoriale de Machado par la nouvelle génération, il ne resterait comme solution politique destinée à imposer les options nationales que la voie révolutionnaire.

Enfin, cette logique serait renforcée par l’ambiguïté de l’utilisation de la souveraineté partagée par les Libéraux. Leur tactique avait consisté à utiliser l’Amendement Platt au profit de la loi constitutionnelle et de la démocratie. Cette tactique avait la première fois conduit à un semi-échec : les Conservateurs avaient renoncé243 à l’union de l’ensemble de la classe

politique contre Taft et permis l’occupation, mais les Libéraux avaient ensuite remporté les élections. Ce même calcul avait complètement échoué en 1917. On ne pouvait pas « jouer » avec l’Amendement ni « ruser » encore avec les Etats-Unis. La nouvelle génération radicale en tirerait un enseignement : tenter de rompre la dépendance politique.

b) La révolte des « Independientes de Color »

La révolte menée par le Parti Indépendant de Couleur, plus que toute autre à notre avis, fut révélatrice des contradictions de la société républicaine, dans la mesure où elle révélait aussi le problème latent de la ségrégation raciale et sociale. C’est pourquoi nous allons lui accorder un espace conséquent. Il faut, sans doute, revenir en arrière pour placer cette tentative protestataire, et non pas révolutionnaire, dans son juste contexte.

Nous évoquions plus haut le phénomène de structuration de la population de couleur à la fin du dix-neuvième siècle, conséquence naturelle de l’évolution de la société coloniale en rupture avec l’esclavage. L’intégration de fait d’une importante population d’affranchis dans la société imposait qu’ils y trouvent leur espace politique.

Deux perspectives, alors, s’étaient manifestées dans la communauté. Celle, volontariste et collective, de Juan Gualberto Gómez consistait à créer les outils de l’insertion de la population de couleur compte-tenu des blocages qu’allait générer ou maintenir la société. Comme Juan Gualberto Gómez se plaçait dans la perspective de la création d’une république indépendante, républicaine et égalitaire, le risque de marginalisation ou de communautarisme inhérents à la structuration des sociétés de couleur existantes, se trouvait annulé.

A la même époque Morúa Delgado, issu du syndicalisme non révolutionnaire et rallié à l’autonomisme défendait une perspective bien différente. L’intégration selon Morúa devait être le résultat d’une insertion très progressive d’hommes de couleur dans les structures

politiques et économiques de la société blanche. Le succès de cette démarche dépendait en conséquence de l’accueil qui leur serait fait. Que la population de couleur se fût ralliée majoritairement à l’indépendantisme induisait que la contradiction inhérente au projet de Morúa Delgado avait été identifiée ou expérimentée par la population de couleur.

Or, cette aspiration légitime à occuper activement son espace dans la société fut freinée dès le départ par le gouvernement militaire nord-américain puis par le gouvernement Estrada Palma, pour des raisons d’ostracisme social et « racial ». En vertu de leur conception élitiste de la société, ils s’appliquèrent non seulement à éloigner des responsabilités publiques les hommes qui auraient pu prétendre y jouer un rôle, mais dédaignèrent aussi toute mise en œuvre d’une politique sociale d’intégration244. Cette attitude restait d’ailleurs dans la mémoire

collective sous la forme d’anecdotes vexatoires245

. Quant ce n’était pas le chef de l’Etat, en l’occurrence Estrada Palma, qui faisait ouvertement des déclarations empreintes de racisme246,

c’était l’Etat lui-même qui fonctionnait selon des pratiques247

ségrégatives. Les protestations, dès 1902, des vétérans regroupés au sein du Comité des Vétérans de couleur, n’y avaient rien changé.

Par ailleurs, les formations politiques laissaient peu d’espace à la population de couleur. Des figures historiques comme Juan Gualberto Gómez et Martín Morúa Delgado y avaient leur place. Mais la communauté se trouvait sous-représentée sur cette scène politique bipartite qui rendait impossible la représentation populaire. Lors des élections municipales de 1908, organisées par Steinhart pendant l’occupation nord-américaine, les désignations de candidature écartèrent les Cubains de couleur : l’ostracisme se révélait manifestement.

Dans ces conditions de fermeture, en août 1908, le Mouvement Indépendant de Couleur apparut afin de promouvoir une candidature communautaire en 1910. Evaristo Estenoz – dirigeant syndicaliste, insurgé pendant la Révolution libérale d’Août – l’organisa en parti et fut nommé à sa direction. On ne peut réduire le Parti Indépendant de Couleur à son aspect communautaire, comme cela se fit du fait de la propagande de ses adversaires désireux d’en faire un « parti raciste ». La formation avait un programme et défendait un projet libéral et social248

.

Force politique ascendante, il était susceptible de porter ombrage au Parti Libéral, au terme du mandat peu « reluisant » de José Miguel Gómez249

. Les calculs politiciens jouèrent un rôle certain : utilisés un temps par les Conservateurs contre Gómez, le jeune mouvement se trouverait pris aussi dans la lutte entre Libéraux « zayistes » et « miguelistes ». Même les

Etats-Unis, par l’intermédiaire du Consul Steinhart, se trouveraient volontairement mêlés à des stratégies complexes susceptibles de déboucher sur une annexion250.

Le sénateur libéral « migueliste » Martín Morúa Delgado répondit à l’apparition de cette nouvelle force politique par une proposition de loi électorale interdisant la création de groupements ou de partis sur des critères « de races, de naissance, de fortune ou d’appartenance professionnelle »251. La discussion de ce projet à l’Assemblée fut très animée.

A Morúa qui avançait l’argument de l’inconstitutionnalité de tels rassemblements, Cisneros Betancourt répondait sur deux points : l’inconstitutionnalité de la limitation de la liberté de réunion, et l’aberration d’établir légalement un critère racial252

. Mais la loi fut finalement adoptée : Libéraux comme Conservateurs votèrent autant en fonction de tactiques politiques que d’a priori racistes. En vertu de quoi, les réunions publiques du Parti furent déclarées illégales et des dirigeants et adhérents furent traduits en justice, ce qui explique que le Parti Indépendant de Couleur ait peu fait parler de lui aux élections de novembre 1910, et tout au long de l’année 1911.

L’essentiel des efforts des dirigeants du mouvement portèrent sur la révocation de cette loi prohibitive. Estenoz en personne, peu après sa libération, en janvier 1912, obtenait une entrevue à la Légation nord-américaine. Le 17 février, un comité était reçu par José Miguel Gómez. Les fins de non-recevoir des uns et des autres se conjuguaient entre hostilité et adresse. Ainsi, Machado, alors Secrétaire d’Etat, autorisa les Indépendants à organiser des rassemblements.

Ces signes d’ouverture de la part des Libéraux n’empêchèrent la radicalisation du mouvement d’Estenoz. Elle date justement de cette époque, à la fois résultat du rejet « naturel », vu les circonstances, des forces politiques classiques et conséquence de l’adhésion massive d’ouvriers et de travailleurs des ports et de la construction. Le Parti Indépendant de Couleur se présentait de plus en plus comme l’alternative au pôle libéral- conservateur puisqu’il se transformait en mouvement populaire et contestataire. Dans ce processus, l’influence doctrinaire et tactique de syndicalistes anarchistes resterait à approfondir. Mais, à ce stade, l’ambition était de participer aux élections, en soutenant un parti ou l’autre, et de maintenir une demande d’Abrogation de la Loi Morúa auprès du Gouvernement et de l’Ambassade.

Le 18 mai 1912, à la veille des élections présidentielles, une vague d’arrestations de dirigeants du parti fut orchestrée. Immédiatement, des groupes se soulevèrent à Pinar del Río,

à La Habana, à Las Villas et en Oriente. Les autorités politiques et militaires minimisèrent l’ampleur du mouvement : cependant, jour après jour, le nombre d’insurgés augmentait.

Quelques mois après la crise des Vétérans – sur laquelle nous allons revenir, la classe politique préféra se ranger du côté de l’ordre public, afin de ne pas risquer une intervention