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et l’action selon la perspective actionnelle ?

1. R apports possibles entre la chanson et l’action

1.1. Dans la société

Dans le chapitre précédent, nous avons cherché à définir la chanson. Nous l’avons présentée comme un mode de communication, conjuguant entre autres langue, mélodie, et voix, dont chacun des éléments le constituant participe à la portée de son message global. Nous avons aussi précisé qu’une production musicale détient des éléments linguistiques et culturels issus de la société puisque « la langue et la culture sont indéniablement liées ». De plus, ce document peut être présenté sous des supports différents : écrit, sonore et/ou visuelle. De ce fait, écouter une chanson, c’est entendre une langue à facettes et y découvrir le « labyrinthe de la société française ».

Selon Habermas (1987, [en ligne]), la société se présente à la fois comme « monde vécu » et comme « système ». L’action des membres d’une société qui se développe dans le « monde vécu » est prise en compte du point de vue de celui qui agit. De telles actions sont coordonnées par leur orientation et par la communication. Tandis que le « système » représente la société observée de l’extérieur et l’action qui s’y déploie est vue « […] comme une fonction dans la conservation du système. » (Ibid.) La subjectivité de l’actant (son intention et sa volonté) est donc écartée pour ne s’intéresser qu’aux effets de son action. De ce fait, les actions y sont coordonnées par leurs conséquences. J.-P. Bronckart (1995 : 145) dira, après Habermas, que « […] les humains organisent et régulent leurs activités collectives au moyen d’un agir communicatif sémiotisé, c’est-à-dire d’un agir exploitant des signes. »

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Par conséquent, nous pourrions poursuivre notre investigation sur d’éventuelles ressemblances entre une action inspirée socialement et une chanson qui est produite par un membre de cette société. Pour reprendre les termes de Habermas, une chanson fait-elle partie du « monde vécu » ou représente-elle plutôt le « système » ? Ou peut-être fait-elle partie de ces deux entités ? De quels signes le chanteur se servirait-il pour agir sur les actions de ses auditeurs ? Pour tenter de répondre à ces interrogations, nous décrirons, dans un premier temps, les actions sociales au sens général et, dans un deuxième temps, nous chercherons à savoir si une chanson peut être perçue comme une action sociale et quel serait « son agir » : communicatif ou stratégique ?

1.1.1. Les actions sociales

Selon Bange (1996 : 102), « […] une action sociale renvoie au comportement d’autres personnes, c’est-à-dire qu’elle réalise son but et trouve son sens grâce à l’action d’un partenaire. » La réaction de l’autre nous permet donc d’évaluer la portée de nos paroles et de nous y adapter en continuant l’échange dans la compréhension mutuelle, en reprenant ou répétant certains propos si le message semble ne pas être compris. Kerbrat-Orecchioni va dans le même sens, lorsqu’elle déclare que « […] la parole est une activité sociale [et que] tout acte de parole est émis à l’intention d’un destinataire. » (Cicurel, 2011 : 19) Goffman (1973 : 23) souligne encore l’existence d’une influence mutuelle que les interactants vont exercer les uns sur les autres par leurs actions (verbales ou pas) dans un rapport social qui les relie : « Par interaction (c’est-à-dire l’interaction face à face), on entend à peu près l’influence réciproque que les partenaires exercent sur leurs actions respectives lorsqu’ils sont en présence physique immédiate les uns des autres […] ». Bange va dans le même sens lorsqu’il souligne un lien entre la langue et les actions des interactants :

La langue est un ensemble de régularité de comportement valide dans un groupe social, le groupe des

locuteurs de cette langue et […] repose sur un savoir réciproque et crée des attentes réciproques […].

Chacun des partenaires fait tacitement l’hypothèse que les autres possèdent les mêmes savoirs, vont activer dans leurs interprétations les mêmes portions pertinentes de ces savoirs, ce qui permet à chacun de faire des prévisions sur les actions des partenaires et donc de moduler ses propres actions en fonction des

réactions qu’il prévoit. (Bange cité par Griggs, 2009 : 82)

Dans le cas d’une chanson, l’interaction directe n’a pas lieu, en tout cas pas dans la phase de sa conception. Que ce soit l’auteur ou le compositeur de la chanson, lorsqu’ils écrivent les paroles, composent la musique et enregistrent leur production, étant physiquement distants des auditeurs. Le choix des paroles écrites, de la musique, de la mise en images livre néanmoins un message, qui vise à s’approcher au maximum du public. Nous pourrions donc dire ici que c’est par le biais du produit fini que le chanteur entre en interaction avec ses fans.

Nous savons déjà que c’est aussi grâce au langage que l’action et la communication sont possibles puisque sans le langage, l’intercompréhension n’existe pas. D’après Habermas il existerait deux types d’agir : un agir stratégique, c’est celui par lequel l’acteur cherche à exercer une certaine influence sur

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l’autre, et un agir communicationnel, c’est celui par lequel on cherche à s’entendre avec l’autre en interprétant l’ensemble de la situation et en s’accordant sur la conduite à tenir.

1.1.2. La chanson, une action sociale ?

Bronckart, lorsqu’il décrit les interactions humaines avec le milieu, évoque la mise en place des activités qui régulent et servent d’intermédiaires pour les relations entre les personnes et leur lieu de vie.

Les interactions de l’humain avec le milieu s’effectuent dans le cadre de conduites de groupe […] [dont

les] activités constituent les cadres qui organisent et médiatisent l’essentiel des rapports entre les organismes singuliers et le milieu ; elles se caractérisent d’une part par la production et l’exploitation

d’outils qui donnent lieu à la production d’objets sociaux et d’œuvres culturelles, et elles sont d’autre part

régulées par ces outils particuliers que constituent les productions langagières. (1995 : 140)

Si nous reprenons, avec Habermas ([en ligne]), la définition du « monde vécu » qu’il considère comme un ensemble constitué par la culture et le langage, plus précisément, comme une réserve de savoirs organisés par le langage, nous pourrons y établir un parallèle avec la chanson dont les éléments constitutifs sont aussi la langue et la culture. De plus, les outils, tels que la mélodie, le rythme, les instruments, l’interprétation viennent s’ajouter aux productions langagières contenues dans les chansons. Ces dernières seraient par conséquent des « œuvres culturelles » régulées par les productions langagières.

Leur contenu résulte de l’intention et de la volonté du chanteur qui désire communiquer un message à son public et en même temps entrer en communication avec lui. Nous pourrions donc parler ici d’un agir communicatif par lequel l’artiste cherche à s’entendre avec son auditeur en lui fournissant des outils, comme paroles, musique, rythme, voix, qui facilitent l’interprétation du message souvent codé. Il n’y aura pas, de manière générale, d’échanges directs entre les protagonistes pour s’entendre sur la conduite à tenir. Toutefois, les concerts en direct qui facilitent le rapprochement entre le chanteur et ses fans, pourraient refléter une certaine union, une certaine complicité. Notamment, lorsque le public « se met dans la peau » de l’artiste en chantant, en dansant, en effectuant les mêmes gestes que lui. Il est donc possible d’en conclure que les chansons font partie de ce « monde vécue » puisque l’action de chanter qui s’y déroule est prise du point de vue du chanteur et que ce dernier oriente intentionnellement ses interprétations en vue de communiquer avec son public.

Qu’en est-il du « système » qui représente la société observée de l’extérieur et dont l’action est vue « comme une fonction dans la conservation du système » ? Est-ce qu’on ne pourrait pas y voir la chanson comme celle qui détient certaines informations, représentations de la société qu’elle présente à travers ses paroles ? Et le chanteur comme acteur qui cherche à exercer une certaine influence sur celui qui l’écoute ? En conséquence, à travers ses chansons, l’artiste peut agir sur les représentations que les auditeurs ont du milieu dans lequel ils vivent et ainsi contribuer à les faire changer, évoluer.

Etant donné ces comparaisons, nous pourrions tenter de dire qu’il y aurait lieu de rapprocher les actions sociales et les chansons. Ainsi pourrions-nous conclure que la chanson représente une action

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sociale qui s’opère au sein d’une communauté, et que ses outils contribuent à la transmission du message dont la visée sera à la fois communicative et stratégique.