• Aucun résultat trouvé

Pourquoi utiliser la chanson dans une classe de FLE ?

2 La chanson en tant que document élargissant les pratiques pédagogiques

2.3 Sur le plan actionnel

C’est le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues qui, après avoir posé les bases de la perspective actionnelle, considère l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux qui accomplissent des tâches. Il ne s’agit donc plus seulement de communiquer mais d’agir avec l’interlocuteur (Puren, 2006a : 37).

Dans ces conditions, « La transmission des savoirs et des savoir-dire ne se fait pas seulement autour d’une somme de connaissances à acquérir, mais aussi à travers une parole en action. » (Cicurel, 2011 : 86) Ainsi, la chanson, en tant que document authentique détenant un message mis en parole et en musique, pourra être exploitée en classe de langue. L’artiste qui interprète sa chanson cherche à produire certains effets32 sur ses auditeurs. Ce « texte » ne se prête, par conséquent, pas seulement à une analyse du message des points de vue linguistique, musicologique, social, culturel et politique, mais aussi à une analyse des effets, qu’il va produire et peut-être aussi des actions qu’il pourra susciter. Nous chercherons donc à cerner les caractéristiques qui pourraient être exploitées sur le plan actionnel à

31

Windmüller définit la conscience interculturelle comme la prise de conscience, un retour sur soi, sur sa propre appartenance à la

culture maternelle qu’une personne sera en mesure de s’ouvrir à l’Autre et de l’accepter dans ses différences. (2011 : 20-21)

32

Nous pouvons rappeler ici les effets discursifs établis par Austin qui les répertorie selon trois types : les effets locutionnaires (le

fait de dire quelque chose), illocutionnaires (ce que l’on dit) et perlocutionnaires (l’action que l’on peut avoir sur l’auditeur). Il

souligne notamment que dans certaines situations de langage, les effets perlocutionnaires sont différentes des deux autres. (Dumont, 1998 : 14)

46

l’intérieur comme à l’extérieur du cadre scolaire. Dans cette perspective, nous nous inspirerons des trois points cités par Puren pour caractériser une « orientation projet » selon laquelle : 1. La communication ne suffit pas pour l’action sociale, et peut même la gêner. 2. C’est l’action sociale qui détermine la communication et 3. C’est l’action commune, et non la simple communication, qui est la condition d’une véritable compréhension de l’Autre ainsi que 4. De la coopération avec l’Autre. (Puren, 2006a) Toutefois, c’est dans le chapitre suivant que nous présenterons l’exploitation effective des chansons au service des tâches et des actions scolaires et extrascolaire de notre projet social.

2.3.1 La chanson et une bonne sélection musicale

De nos jours, il est observé, au sein de plusieurs entreprises, que les employés utilisent la messagerie électronique comme seul outil de collaboration. Pourtant, il ne s’agit pas d’un outil de collaboration, mais bien de communication. D’ailleurs, cet usage abusif entraîne souvent la saturation des messageries. D’où la nécessité aujourd’hui de « maîtriser l’information de manière à la rendre la plus efficace possible pour l’action commune » (Puren, 2006a). Il faut donc, en émission, fournir à la bonne personne la bonne information au bon moment et, en réception, sélectionner et utiliser la bonne information au bon moment.

Pour un enseignant désireux d’enrichir ses pratiques pédagogiques autour de la chanson, il ne sera pas aisé d’effectuer des choix dans la quantité infinie de ressources existantes. Il va devoir prendre en compte les besoins de son groupe, la chanson la mieux adaptée et le moment idéale pour son introduction. Les apprenants face à ce document riche linguistiquement, culturellement, socialement seront obligés de faire un tri, donc ne retenir que les informations utiles à un moment précis pour réaliser une activité, une tâche demandée. Les richesses musicales, thématiques, lexicales, la variété de genres, des buts divers que l’on retrouve dans le répertoire de la chanson française/francophone peuvent constituer autant d’entrées différentes à son exploitation : l’entrée par la grammaire, l’entrée par le lexique, l’entrée par la communication et l’entrée par l’action. Selon Puren (2006b : 44), cette dernière

[…] est certainement promise à un bel avenir, puisqu’elle est aussi l’entrée naturelle dans les classes pour

enfants, dans les classes « européennes » ou « bilingues » (dans lesquelles la langue est apprise pour

réaliser une action sociale […]) […] C’est aussi une entrée la plus adéquate pour exploiter la potentialité didactique spécifique à l’Internet […] une masse énorme de documents authentiques [la chanson y

comprise]. Pour savoir sur quels sites se rendre, quels documents rechercher, quels copier-coller, quels

montages et réécritures effectuer, ils doivent […] avant de se connecter, savoir ce qu’ils doivent faire. […] Jusqu’à présent, l’agir scolaire était instrumentalisé au service des documents, désormais ce sont à l’inverse les documents [les chansons] qui sont instrumentalisés au service de l’agir social.

2.3.2 La chanson et une bonne communication

Pour Courtillon, la dimension d’enjeu social authentique, l’accomplissement d’activités en groupes, se distinguent de la simulation dans les approches précédentes. (Bekker, 2008 : 12). Effectivement, l’approche communicative propose des simulations et des jeux de rôles pour entraîner les apprenants à communiquer avec leurs interlocuteurs. Ces échanges à visée informative, à travers lesquels on cherche

47

à s’informer et à informer, revêtent un caractère ponctuel, par exemple, un voyage touristique. C’est pourquoi, l’acquisition et la maîtrise des actes de parole s’avèrent suffisantes dans ce type de rencontre où la communication devient à la fois le moyen et l’objectif. La situation est inversée dans une perspective actionnelle qui cherche à s’adapter à une mobilité croissante des personnes, à des échanges de longue durée et de natures différentes. Par conséquent, « […] préparer les apprenants à travailler, dans leur propre pays ou dans un pays étranger, avec des natifs de différentes langues-cultures », devient, dès lors, l’objectif premier de cette nouvelle logique. (Puren, 2006a : 40)

La chanson semble un support idéal pour se familiariser avec les différents registres de langue, expressions, accents, usages pour préparer les apprenants à côtoyer les natifs. Et pour ceux qui sont amenés à étudier, à travailler, à habiter en Europe, ce document authentique peut les y préparer de manière pratique. C’est pourquoi,

Nous croyons fermement […] que la chanson contemporaine […] s’avère un document authentique

optimal tout désigné pour intégrer, au sein d’activités langagières en contexte, un enseignement du

français familier qui permettra de communiquer plus facilement avec les locuteurs natifs. (Paradis & Vercollier, 2010 [en ligne])

2.3.3 La chanson et une meilleure compréhension de l’Autre

Selon les auteurs du CECRL, la communication et les échanges entre les personnes se verront facilités grâce à une meilleure connaissance des langues vivantes. Les diversités linguistiques et culturelles pourront devenir ainsi source d’enrichissement et de compréhension réciproque et favoriser la mobilité et la coopération (2005 : chapitre 1).

Selon Puren, « […] c’est l’action commune et non la simple communication, qui est la condition d’une véritable compréhension de l’Autre. » (2006a : 38). Dans cette réflexion, l’auteur rejoint les objectifs du Cadre qui considère l’apprenant-usager comme acteur social qui accomplit des actions, langagières ou autres, dans différents domaines et contextes.

« Parmi tous les documents que les nouvelles didactiques ont fait entrer dans la classe, la chanson se trouve l’un des plus riches. » (Demari cité par Bekker, 2008 : 22) La chanson c’est une mélodie, une interprétation, un langage, une culture. En l’introduisant en classe de langue, l’enseignant cherchera à sensibiliser les élèves à cette richesse car « Instant par instant, elle [la chanson] souligne le type d’échange verbal qui a toujours lieu, affinant la sensibilité de l’auditeur et le conduisant insensiblement à tout ce qui constitue cette compétence ethnosocioculturelle que nous [les enseignants] voulons lui [à l’apprenant] offrir ». (Dumont, 1998 : 218)

Toutefois, il nous semble que ce document idéal se veut le point de départ par excellence pour développer la compréhension de l’Autre en préparant ainsi les apprenants

[…] à agir et réagir dans un ensemble de contextes diversifiés […] [et à] rapprocher des individus de

cultures différentes tout en permettant aux sujets de se décentrer de leur attitude ethnocentrique et de

présenter une plus grande disposition d’esprit et une plus grande tolérance face à l’ensemble des cultures

48

2.3.4 La chanson et une meilleure coopération avec l’Autre

[Dans l’interaction didactique], l’apprenant va […] mobiliser toutes ses compétences individuelles pour

affiner son savoir-apprendre, à partir de son savoir (ses connaissances résultant de l’expérience ou d’un apprentissage antérieur), de son savoir-faire (ses habiletés linguistiques acquises), et de son savoir-être

(ses traits de personnalité et attitude à un moment donné) en situation d’échange avec un autre apprenant.

(Vertallier Monet, 2013 : 17)

Comme l’a précisé Bange (2005 : 55), « […] l’apprentissage de la communication ne peut être assuré et ne peut être facilité que dans la communication. Mais il ne peut être réalisé que par celui qui doit apprendre, par son propre travail cognitif ». Ce dernier, pour devenir un « utilisateur efficace de la langue », devrait se trouver dans une situation d’apprentissage propice à l’action, dans laquelle l’apprentissage individuel glisse vers un « apprentissage collaboratif et solidaire misant sur un agir social et communicationnel » (Rosen, 2009 : 489). Puren (2009 : 135) va dans le même sens en affirmant que « […] face au zapping individualiste que les technologies numériques et Internet tendent à développer de nos jours, […] c’est la nécessité d’inscrire fortement chaque projet pédagogique d’UD [unité didactique] dans le projet global d’enseignement-apprentissage ».

Toujours selon Puren, le travail organisé autour de projets en classe, « une véritable mini-société », permet aux apprenants de réaliser, de manière collaborative, de véritables actions sociales et d’agir en acteurs sociaux tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du cadre institutionnel. Notamment, c’est dans la « pédagogie du projet » que « toutes les activités des élèves sont organisées en fonction des « projets pédagogiques » qui ont une dimension réelle (et non simulée) et qu’ils conçoivent et conduisent eux- mêmes avec l’aide de l’enseignant. » (Ibid., p126).

C’est pourquoi, dans le cadre de notre stage, nous avons articulé la chanson autour d’un projet pédagogique global et de mini-projets, sous forme de tâches intermédiaires, qui offriront aux apprenants des occasions d’élaboration de stratégies adaptées aux tâches demandées. Afin d’assurer leur bonne préparation, leur bon déroulement et une bonne réalisation, s’avèrent nécessaire l’engagement total et la vraie collaboration et coopération33 de chaque participant. C’est sur la base de cette pédagogie que nous avons conçu toutes les activités dans lesquelles les chansons servent de point de départ aux actions réalisées dans les tâches. Autrement dit, ce sont les éléments constitutifs des propositions musicales qui sont exploités en vue de différentes actions. Par exemple, la thématique de Chanter de Florent Pagny et de Chanter pour ceux de Michel Berger sera utilisée pour préparer une interview (action n° 1)34, le message de Pourquoi c’est beau ça de MAE pour créer une affiche et un programme du festival (action n° 6)35, la syntaxe de Je peux pas travailler d’Henri Salvador et Fais pas ci fais pas ça de Jacques Dutronc ainsi que Si j’étais Président de Gérard Lenorman pour concevoir une charte dans le but d’ un

33

François Mangenot (Dejean-Thircuir & Mangenot, 2009) fait la distinction entre la coopération (production commune par répartition de travail entre les apprenants) et la collaboration (production commune où toutes les étapes de travail sont négociées collectivement). Nous utilisons ces deux termes de manière indifférente.

34

Cf. Volume 2 : De la chanson à l’action. Livret Enseignant : fiche de l’action n°1, pp6-7.

35

49

travail efficace (action n° 4)36, enfin la structure de Le blues de l’instituteur de Grand Corps Malade pour structurer sa présentation (action n° 9)37. Nous nous pencherons plus en détail sur ces actions communes que les apprenants pourront effectuer à partir des chansons dans le chapitre suivant.