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La situation de communication comme facteur de variation Les études menées jusqu’au milieu des années quatre-vingt ont observé une Les études menées jusqu’au milieu des années quatre-vingt ont observé une

Labov (1964) : l'enfant perçu à l'aune des régularités observées chez les adultes

4. Les études sociolinguistiques enfantines à partir des années 1990 : premières préoccupations années 1990 : premières préoccupations

4.1.3. La situation de communication comme facteur de variation Les études menées jusqu’au milieu des années quatre-vingt ont observé une Les études menées jusqu’au milieu des années quatre-vingt ont observé une

adaptation stylistique plus précoce que celle indiquée par Labov (1964) qui, rappelons-le, la situait à la fin de l’adolescence. Dès l’âge de 10 ans, Romaine (1984) note que les enfants sélectionnent davantage les variantes standard des variables (s) (in) et (i) en situation formelle (cf. [41] [46] [42], index page 424). De la même façon, l’adaptation situationnelle aux abords de la préadolescence, notée par Labov (1964) et les auteurs de la première période (Macaulay, 1977 ; Reid, 1978 ; Romaine, 1984), est également retrouvée par Chevrot (1991) chez des enfants de 10-12 ans sur la production du // post-consonantique final en français (cf. [9], index page 417). Ce dernier remarque que, dans la situation la plus formelle (exercices oraux d’insertion de mots à des phrases porteuses), les enfants produisent davantage le // que dans la situation moins formelle (dialogue avec l’enquêteur autour d’une tâche de comparaison d’images).

A l’instar de Labov (1964), Romaine (1984) interprète cette apparition de l’adaptation situationnelle par le fait que les jeunes locuteurs ont conscience que la situation dans laquelle ils se trouvent exige l’emploi d’un certain type de variantes. Dans cette section, les travaux dont nous ferons état ont observé, dans des tranches d’âge plus précoces, les premières manifestations d’une adaptation situationnelle. Ainsi, nous nous interrogerons sur les raisons d’une telle adaptation : la variation stylistique est-elle dépendante d’une prise de conscience de la valeur sociale des usages, comme

l’indiquent Labov (1964) et Romaine (1984), ou bien résulte-t-elle d’une association plus "automatique" entre certaines variantes et certains types d’interactions ?

Dans le cadre de l’acquisition en contexte bilingue, des travaux ont montré que, dès 2-3 ans, les jeunes enfants étaient capables de sélectionner et utiliser la langue de leur interlocuteur. Par exemple, Youssef (1991), qui a observé longitudinalement un enfant entre 2;4 et 4;9 sur l’île de la Trinité (Antilles), note qu’à partir de 2;7 ce dernier est capable de s’adapter à son interlocuteur en utilisant la même langue que lui : lorsqu’il s’adresse à son père, il utilise le créole (langue employée par son père) et lorsqu’il s’adresse à sa mère, il utilise l’anglais (langue parlée par sa mère).L’auteure en conclut que :

[…] the acquisition of stylistic awareness and the specification of appropriate linguistic behavior to accommodate it is associated with the acquisition of forms per se (Youssef, 1991: 96).

Ainsi, dans le contexte de l’acquisition en milieu bilingue, il semblerait que l’adaptation situationnelle s’acquiert en même temps que l’acquisition des formes linguistiques appartenant aux langues en présence (voir aussi De Houwer, 1990 ; Fantini, 1985 ; Ghimenton, à paraître ; Lanza, 1992, 2004).

Dans les années quatre-vingt-dix, plusieurs études variationnistes, menées sur différentes langues, ont observé une adaptation stylistique plus précoce que celle mise en évidence précédemment. Concernant la variable (-in) de l’anglais aux États-unis (cf. [34], index page 422), Patterson (1992) relève que les 48 enfants de son échantillon répartis en trois groupes d’âge – 4, 6 et 8 ans – utilisent plus souvent la variante non standard en situation de conversation qu’en situation de récit d’histoire ou lors d’une tâche de dénomination d’images. Elle remarque également que l’interlocuteur et le thème du discours influencent la sélection des variantes.

Roberts (1994), quant à elle, constate qu’entre 3;2 et 4;11, les enfants font varier leur usage de la variable (-in) en fonction de leur interlocuteur (cf. [37], index page 423). En effet, ces derniers sélectionnent davantage la variante standard lorsqu’ils s’adressent à un adulte plutôt qu’à un autre enfant. Cet effet précoce est également observé dans une étude menée en Écosse sur la variable ‘hoose’ de l’anglais (cf. [47], index page 424). A partir de l’examen d’interactions mère-enfant, Smith et al. (2007) observent que, dès 3;2, les 11 jeunes locuteurs de leur étude utilisent davantage de variantes non standard lors des activités quotidiennes et des jeux que durant des

interactions à orientation didactique (What color is it ?) ou disciplinaires (Behave ! Get up !). Sur une variable de l’espagnol, le /d/ intervocalique (cf. [12], index page 417), Díaz-Campos (2005) note, chez des enfants âgés de 4;6 et 5;11, que lorsque ces derniers sont engagés émotionnellement dans leur discours – situation définie comme informelle par l’auteur sur la base des remarques de Labov (1972) –, ils produisent davantage de variantes non standard que lorsqu’ils répondent aux questions de l’enquêteur, c’est-à-dire en situation formelle.

A partir de l’analyse de micro-situations d’énonciation43 dans une classe d’enfants de Moyenne Section de Maternelle, Martin (2005) observe que c’est dans les activités qui impliquent une posture langagière particulière que les liaisons facultatives (cf. [27], index page 421) sont le plus souvent réalisées (62 liaisons facultatives réalisées sur 78 contextes). Elles sont en effet réalisées dans des situations de jeu de rôle (jouer au papa et à la maman, jouer à la maîtresse), de simulation de lecture, de mise en scène de personnages avec des animaux, etc. L’auteure suggère alors que :

Les enfants acquièrent certaines connaissances sociales sur la langue à travers ces activités qui les poussent à un usage plus normé de la variable en fonction de la situation d’énonciation (Martin, 2005: 82).

Ce résultat rejoint celui observé par Coupland (1980) dans la parole adulte. Cet auteur a étudié le discours de l’employée d’une agence de voyage. Il établit que cette dernière présente différents types de parole en fonction du contexte, défini à partir de trois paramètres : l’interlocuteur (ami, client ou collègue), le canal (téléphone ou face à face) et le contenu du propos (professionnel ou non). Chez l’adulte, comme chez l’enfant, il apparaît donc que la sélection des variantes phonétiques dépend de micro-contextes d’énonciation.

Un seul résultat n’est pas convergent avec ce faisceau d’indices. Roberts (1994 ; 1997a) ne remarque aucune adaptation à l’interlocuteur selon que des enfants, âgés de 3;2 à 4;11, adressent la variable (-t, d) de l’anglais à un adulte, un autre enfant ou une marionnette (cf. [38] [39], index page 423).

Les études qui se sont penchées, à partir des années quatre-vingt-dix, sur l’usage enfantin des variables sociolinguistiques en fonction de la situation de communication indiquent que l’adaptation stylistique est bien plus précoce que ne l’envisageaient

43 Nous empruntons ce terme à Martin (2005). Il renvoie, chez l’auteure, à toutes les activités ou jeux qui conduisent les enfants à prendre une posture particulière.

Labov (1964) et les auteurs de la période précédente (cf. section 2 et section 3.1.3) En effet, les résultats que nous venons de présenter, comme ceux établis dans des situations de bilinguisme (De Houwer, 1990 ; Fantini, 1985 ; Ghimenton, à paraître ; Lanza, 1992, 2004 ; Youssef, 1991), montrent que, dès 3 ans, les enfants sont capables de sélectionner les variantes en fonction du type d’interaction dans lequel ils sont engagés (Roberts, 1994 ; Smith et al., 2007). Ces résultats – à l’exception de ceux de Roberts (1994 ; 1997a) sur la variable (-t, d) – sont compatibles avec les observations faites parmi les locuteurs adultes et les résultats des travaux menés auprès d’enfants après Labov (1964) : c’est dans les situations qui impliquent un degré de formalité élevé que les variantes standard sont davantage produites.

Soulignons que cette adaptation situationnelle précoce ne se manifeste pas seulement en fonction de situations globales (par exemple : interview versus exercices de type scolaire) mais également dans des contextes plus particuliers. Ainsi, à l’intérieur d’une même situation globale, des études ont mis en évidence des réactions stylistiques précoces à des "micro-situations" – par exemple : la posture prise par l’enfant, le thème du discours, etc. – (Patterson, 1992 ; Roberts, 1994 ; Smith et al., 2007). Ces derniers résultats remettent en cause l’idée de Labov (1964) selon laquelle les adaptations situationnelles émergeraient lors de la prise de conscience de la valeur sociale des variantes. Il semblerait plutôt, comme le souligne Patterson (1992), que les enfants acquièrent les patrons de variation stylistique dès lors qu’ils participent aux interactions familiales quotidiennes. Ainsi, dès leurs premiers mots, ils associeraient les variantes sociolinguistiques à différentes interactions et ce n’est que plus tard dans le développement qu’ils utiliseraient les variantes comme des marqueurs d’identité sociale. L’auteure résume sa position ainsi :

[…] stylistic differences precede rather than follow the evaluation of specific variants and the ability to discuss the relationships among variants, social groups, and styles (Patterson, 1992: 178).