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Labov (1964) : l'enfant perçu à l'aune des régularités observées chez les adultes

4. Les études sociolinguistiques enfantines à partir des années 1990 : premières préoccupations années 1990 : premières préoccupations

4.1.5. Le réseau de pairs comme facteur de variation

L’étude du lien entre réseau social et productions de variables sociolinguistiques a fait l’objet de nombreuses études chez l’adulte et l’adolescent (Beaulieu & Cichocki, 2002 ; Cheshire, 1982b ; Eckert, 2000 ; Labov, 1978 ; Milroy, 1987 ; Russell, 1982). Cependant, à notre connaissance, peu de recherches ont été menées auprès de jeunes enfants et aucune ne s’est intéressée à cette tranche d’âge avant les années quatre-vingt-dix. Des résultats clairs sur ce point seraient importants pour l’avancée des recherches dans le domaine de la sociolinguistique enfantine puisqu’ils permettraient d’examiner le postulat de Labov (1964) qui, sans avoir mené d’enquête, estimait que l’influence du réseau de pairs s’exerçait dès l’âge de 5 ans.

À partir du corpus recueilli par Barbu (2000), Martin (2005) a exploré le lien entre la production des liaisons facultatives (cf. [27], index page 421) dans une classe d’enfants de 4 ans (Moyenne Section de Maternelle) et différents indicateurs sociaux relatifs au réseau de pairs. Elle a ainsi considéré deux indicateurs sociaux issus du travail de Barbu (2000) : l’activité sociale, qui correspond à « la fréquence des comportements socialement dirigés par chaque enfant vers les autres enfants de la classe » (Barbu, 2000: 29) et l’attractivité sociale, qui correspond à la fréquence de sollicitation d’un enfant par les autres enfants du groupe. Elle n’observe aucun lien entre les taux de liaisons facultatives réalisées et ces indicateurs. Devant cette absence de résultats, elle a exploré systématiquement les relations entre l’usage des variantes et différents indices de réseau : un indice de loquacité qui correspond à la fréquence des prises de parole d’un enfant vers autrui, et un indice de réception de parole correspondant au nombre d’énoncés reçus par un enfant. Comme précédemment, aucun lien entre ces indices et les productions de la variable sociolinguistique n’a été noté.

Enfin, Martin (2005) a également mené une analyse en examinant si la densité des interactions dans les dyades d’enfants ayant des échanges verbaux fréquents et réciproques influençait l’usage des variantes de la liaison facultative. Ses résultats montrent que les taux de réalisations de liaisons facultatives ne sont pas reliés à la densité des interactions entre les enfants du groupe.

Au Grand-Bornand (Haute-Savoie, France), Martin (2006) a étudié l’usage de différentes variables par Aurélien, un enfant âgé de 10 ans, lorsqu’il s’adresse à ses pairs. Deux types de variables ont été considérées par l’auteure : les variables qu’elle nomme variables du français local – l’opposition // - /e/ (par exemple lait prononcé [l] au Grand-Bornand et prononcé [le] à Grenoble45) et l’emploi du pronom objet y (par exemple, J’y ferai demain pour Je le ferai demain) et celles qu’elle nomme variables du français général – la liaison facultative, le // post-consonantique final et le /l/ dans les pronoms clitiques il(s) et elle(s) (cf. [28] [29] [30] [31], index page 422). Elle remarque que son jeune sujet utilise significativement davantage les variantes du français local avec ses pairs natifs du Grand-Bornand qu’avec ses pairs non-natifs. De plus, elle observe qu’Aurélien produit significativement plus de variantes non standard du français général lorsqu’il s’adresse à ses amis natifs plutôt qu’à ses amis non-natifs. Elle note enfin que l’ancienneté du lien amical entre Aurélien et ses amis (ami connu depuis peu versus ami connu depuis longtemps46) influence de manière significative son usage de la variante locale y alors qu’il n’influence pas l’autre variante locale //, ni les variantes du français général. Aurélien produit plus de y avec ses amis connus de longue date, qu’ils soient natifs ou non. Par ailleurs, avec les amis connus depuis peu, ce dernier produit davantage la variante locale y lorsqu’il s’adresse à un enfant natif (Martin, Barbu & Chevrot, soumis) Il semblerait donc que dès 10 ans, l’usage des variables sociolinguistiques soit très régulièrement structuré en fonction de la position de l’interlocuteur dans le réseau de pairs.

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La prononciation [l] (lait) est celle prescrite en français standard (Rey-Debove & Rey, 2006). À partir des travaux de Lucci (1983) sur la neutralisation de l’opposition phonologique /e/ - // dans la région, Martin (2006) considère le maintien de l’opposition /e/ - // comme caractéristique de son terrain d’enquête.

46 Les amis connus depuis peu le sont depuis 2-3 ans. Quant à ceux connus depuis longtemps, ils le sont depuis 5 ans et plus.

En mettant en perspective les résultats obtenus par Martin (2005), chez des enfants de 4 ans, et Martin (2006), chez un sujet témoin de 10 ans, on peut être amenée à conclure que l’influence du réseau de pairs sur la sélection des variantes se met en place entre la petite enfance et la préadolescence. Nous resterons toutefois prudente dans nos conclusions puisque les différences de méthodologies entre les deux études pourraient occasionner les différences de résultats.

Enfin, une étude menée à Tokyo (Japon), sur un échantillon de 151 écoliers de 13-14 ans (Ito, 1989), montre que le réseau d’amis influence l’usage des formes non standard47. En effet, cet auteur note que les réseaux d’amis, au sein de la classe, présentent des patrons d’usage des variantes non standard similaires.

Comme nous venons de le constater, peu d’études ont exploré le lien entre réseau de pairs et usage des variables sociolinguistiques chez le jeune enfant. Une telle relation a été mise en évidence à partir de l’âge de 10 ans (Ito, 1989 ; Martin, 2006), mais aucun résultat n’est apparu en deçà. Sur la base des recherches de Martin (2005 ; 2006), nous avons fait l’hypothèse que la méthodologie de l’enquête pouvait être un facteur affectant la mise en évidence d’une telle relation. Notons toutefois, que dans d’autres domaines que la sociolinguistique, des chercheurs ont montré une influence précoce du réseau de pairs sur le langage de manière plus générale. Par exemple, George & Krantz (1981), chez des enfants d’âge préscolaire, ont observé que les échanges verbaux entre amis présentaient une plus grande cohérence dans les tours de parole des partenaires ainsi que des tours de parole plus nombreux que les échanges entre non-amis. Chez des enfants de 3-4 ans, Barbu (2000) note que les amis partagent les mêmes thématiques conversationnelles. Dans le contexte d’une école bilingue anglais/espagnol accueillant des enfants de 4 ans dont la langue au sein de la famille est l’espagnol, Chesterfield, Chesterfield & Chavez (1982) relèvent que les interactions en anglais avec les pairs sont fortement corrélées à l’augmentation des compétences langagières dans cette langue48.

Au vu de ces résultats, nous pouvons penser que dès la scolarisation en maternelle, les enfants s’influencent mutuellement du fait de leurs relations. Nous nous attacherons alors, dans notre démarche empirique (cf. chapitre 5 de la troisième partie), à approfondir le lien entre réseau de pairs et usage des variables sociolinguistiques entre 4

47 Différents niveaux linguistiques sont concernés par cette étude : phonétique, lexique et grammaire.

48 Les compétences langagières ont été appréhendées par les auteurs au travers de la MLU (Mean Length

et 5 ans puisque, à cet âge-là, les enfants sont déjà scolarisés depuis au moins un an en France. A partir d’une étude longitudinale empruntant aux méthodes de l’éthologie, nous nous demanderons si les relations sociales entre enfants influencent leurs usages sociolinguistiques

4.2.L’évaluation des variables sociolinguistiques

Dans la section consacrée à l’étude de l’impact de la situation de communication, nous nous sommes interrogée sur l’âge d’apparition des premières manifestations d’une adaptation stylistique ainsi que sur les causes possibles d’une telle adaptation. Nous avons vu que, dès 3 ans, les enfants étaient capables de sélectionner les variantes appropriées à la situation d’interaction et nous avons alors remis en question le modèle labovien selon lequel la prise de conscience de la valeur sociale des usages précède la capacité à faire varier son discours (Labov, 1964). Dans cette section, consacrée à l’évaluation des variables sociolinguistiques, nous réinterrogerons ce modèle à la lumière des travaux de Chevrot (1991) qui a mis en perspective "production" et "évaluation" d’une variable sociolinguistique du français : le // post-consonantique final (cf. [9], index page 417). En outre, dans la perspective développementale revendiquée dans la deuxième période de la sociolinguistique enfantine que nous avons délimitée, nous mettrons l’accent sur l’évolution avec l’âge du lien entre production et évaluation des variables sociolinguistiques.

Les études présentées précédemment (cf. section 3.2) pointaient les prémices d’une évaluation enfantine en adéquation avec celle des adultes à 10-12 ans au plus tôt. Chevrot (1991) a mené une étude sur l’évaluation du // post-consonantique final ainsi que sur la présence ou l’absence de // dans la locution parce que auprès d’un groupe de 24 enfants âgés de 6-7 ans et d’un autre groupe de 24 enfants de 10-12 ans (cf. [10], index page 417). Les enfants étaient amenés à porter un jugement d’acceptabilité sur différents énoncés comportant les variables en question et devaient dire si le locuteur avait "bien parlé" ou "mal parlé".

Pour le // post-consonantique en position finale, il remarque que les enfants de 6-7 ans jugent défavorablement l’absence du phonème // lorsque celui-ci précède une pause (ferme la fenêt(re)). Lorsque // est suivi d’une consonne (fenêt(re) fermée) ou d’une voyelle (fenêt(re) ouverte), les 6-7 ans ne présentent pas de jugements

différenciés. Autrement dit, aucune différence entre les jugements favorables à la conservation de // et ceux favorables à la suppression n’est attestée. A 10-12 ans, l’auteur relève que la préférence des enfants pour le maintien de // lorsqu’il précède une pause s’étend au contexte pré-vocalique.

Dans le cas du // de parce que, les résultats sont très différents : les enfants de 6-7 ans jugent plus acceptables les formes de la conjonction dans lesquelles le // n’est pas produit (pasque). Dans ce groupe d’âge, l’auteur note également que cette tendance à préférer la variante sans // est plus marquée chez les filles49. Il semblerait alors que pour les filles, la forme normative soit celle sans // alors que le groupe de garçons est plus indéterminé. A 10-12 ans, comme pour le // post-consonantique final, la tendance des jugements s’inverse : les enfants favorisent davantage la variante avec //, bien qu’il ne s’agisse que d’une tendance au niveau statistique. Chevrot (1991) interprète cette modification de l’évaluation entre 6-7 ans et 10-12 ans par le fait qu’à 6-7 ans, les enfants n’ont pas encodé le // de parce que dans leur représentation phonologique. Ce ne serait qu’après la découverte de la forme graphique de parce que que les enfants reformuleraient leur représentation phonologique en y ajoutant le phonème // correspondant à la lettre "r".

Pour chacune des deux variables (// post-consonantique final et // de parce que), l’auteur observe une relative homogénéité des jugements puisque aucun effet du milieu n’est noté et que l’effet du genre, observé sur les jugements du // dans parce que à 6-7 ans, disparaît à 10-12 ans. Ce résultat rejoint celui observé par Labov (1972 ; 1976) chez l’adulte ; malgré des usages socialement stratifiés, les locuteurs partagent des normes d’évaluation communes. Chevrot (1991) souligne toutefois que l’uniformité des jugements enfantins ne correspond pas nécessairement à celle des adultes. Comme nous l’avons vu avec ses résultats sur l’évaluation dans le groupe d’enfants de 6-7 ans sur le // de parce que, les jugements peuvent converger vers la valorisation de la variante non standard. Il semblerait que l’action précoce d’un facteur comme le genre disparaisse au

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Précisons toutefois que si pour les jugements concernant le // dans parce que la différence entre les scores des filles et des garçons est significative sur le plan statistique, elle ne relève que d’une tendance pour le // post-consonantique final.

cours du développement et que dès 10-12 ans les enfants aient acquis les normes linguistiques partagées par la communauté adulte comme d’autres études l’ont montré (cf. section 3.2).

Enfin, la mise en perspective des productions et des évaluations présente des résultats disparates. Alors que l’absence de // devant consonne n’est repérée ni à 6-7 ans, ni à 10-12 ans lors de la tâche de jugement, l’auteur note une adaptation situationnelle très nette concernant ce contexte précis : chez les enfants de 10-12 ans, quels que soient leur genre ou leur milieu d’origine, le // devant consonne est plus souvent réalisé en situation formelle qu’en situation informelle. Concernant le // devant voyelle ou pause, le résultat est inversé. La suppression du phonème est jugée défavorablement dans la tâche d’évaluation mais l’adaptation situationnelle est beaucoup moins nette : seules les filles de 10-12 ans issues du milieu supérieur modifient leurs productions en fonction de la formalité.

Là où l’évaluation suggère qu’il y perception des variations et de leur valeur sociale, nous n’enregistrons aucune adaptation situationnelle, et vice-versa (Chevrot, 1991: 211).

Il semblerait alors que la capacité à adapter son discours en fonction de la situation soit indépendante de celle consistant à formuler des jugements d’acceptabilité valorisant les variantes utilisées en situation formelle. Par ailleurs, la mise en relation de l’évaluation et de la production de la locution parce que montre, quant à elle, une évolution parallèle de ces deux capacités : les 6-7 ans produisent exclusivement la variante [pask] et l’évaluent favorablement ; les 10-12 ans, quant à eux, font varier leur usage de la locution en fonction de la situation et tendent à rejeter [pask]. Au vu des différents résultats mis en avant par Chevrot (1991), il semblerait que la forme de la relation entre usage et évaluation soit dépendante de la variable étudiée.

5. Bilan et perspectives

Les études menées dans le domaine de la sociolinguistique enfantine ont fait émerger un effet robuste et précoce du milieu social d’origine sur la sélection des variantes qui se manifeste dès l’âge de 3 ans. Ainsi, plus la famille a une position élevée sur l’échelle sociale et plus les enfants utilisent les variantes standard. De plus, il semblerait que son impact se manifeste tout au long de l’existence. Les recherches présentées dans ce chapitre ont mis en évidence son effet de 3 à 15 ans et les travaux

menés auprès d’adultes confirment son impact plus tardif. Cet effet très précoce du milieu suggère qu’il résulte davantage de la transmission des variantes au sein de la famille plutôt que d’une prise de conscience plus tardive de l’identité sociale.

L’effet du genre est moins net. Plusieurs études laissent penser que ce facteur n’exerce aucune influence sur la sélection des variantes entre 2 et 8 ans alors que d’autres constatent son impact avec cependant des tendances opposées. Entre 3 et 4 ans : plus de variantes standard produites par les filles (Docherty et al., 2006 ; Martin, 2005) ou plus de variantes standard produites par les garçons (Roberts, 1994, 1997a). Chevrot (1991), quant à lui, note que les garçons de 6-7 ans réalisent plus de variantes standard que les filles du même âge. Cette inconstance des résultats pourrait s’expliquer par le fait que le genre est une construction sociale. Ainsi l’apprentissage, par les enfants, de leur rôle social en tant que fille ou garçon serait un processus long. Il pourrait résulter de la convergence de deux sources : d’une part, pour les variables les plus saillantes sociolinguistiquement, de la tendance des mères à adresser plus souvent les variantes standard aux filles qu’aux garçons et d’autre part, de la prise de conscience progressive des rôles sociaux tout au long de l’enfance et de l’adolescence sous l’effet de l’influence du groupe de pairs, des injonctions éducatives parentales, etc.

La situation de communication joue également un rôle prépondérant : toutes les études – à l’exception toutefois de Roberts (1994 ; 1997a) sur (-t, d) qui n’observe pas un tel effet – notent que plus le degré de formalité est élevé, plus les enfants produisent de variantes standard. Cet impact de la formalité est également constaté précocement, dès 3 ans, contrairement à ce que suggéraient les premières suppositions de Labov (1964). En outre, il apparaît que la conscience de la valeur sociale des variables n’est pas un pré-requis à la capacité enfantine d’ajuster la sélection des variantes en fonction de la situation.

Les travaux affichant un intérêt pour le développement ont montré que l’augmentation dans l’usage des variantes standard se manifestait entre 4 ans et 10-12 ans en situation formelle. En dessous de cet âge, les résultats divergent : certaines études ne notent aucune évolution dans la production des variantes (Roberts, 1994) alors que d’autres relèvent un accroissement des variantes standard entre 2 et 4 ans (Chabanal, 2004 ; Smith et al., 2007). Nous avons alors fait l’hypothèse que l’entrée dans le système éducatif à la fin de la petite enfance pouvait rendre compte de l’augmentation des variantes standard en situation formelle. L’accroissement des

variantes non standard en dessous de l’âge de 4 ans pourrait, quant à lui, refléter l’input, de moins en moins standard, reçu par les enfants (Foulkes et al., 2005 ; Smith et al., 2007).

Nous avons également constaté que peu d’études s’étaient intéressées à l’influence du réseau de pairs sur la production enfantine des variables sociolinguistiques. L’examen des rares travaux disponibles ne permet pas de mettre en évidence l’impact du réseau en dessous de l’âge de 10 ans. Rappelons que la méthodologie mise en œuvre chez des enfants plus jeunes (Martin, 2005) est très différente de celle utilisée chez les préadolescents (Ito, 1989 ; Martin, 2006). De ce fait, subsiste l’éventualité qu’une autre méthode d’observation du réseau de sociabilité enfantine aurait pu faire apparaître une influence plus précoce du réseau de pairs sur la sélection des variantes sociolinguistiques.

Enfin, les données disponibles suggèrent qu’avant 10 ans, les enfants ne sont pas capables de percevoir la valeur sociale des variantes sociolinguistiques et d’exprimer explicitement à leur égard des jugements d’acceptabilité conformes à ceux de l’adulte.

Une part importante du travail empirique de notre thèse consistera à explorer plus avant l’effet des différents facteurs dont nous venons de faire état (milieu social, genre, situation de communication, réseau de pairs) sur la production et l’évaluation de variables sociolinguistiques du français. Dans ce but, nous adopterons une méthodologie mêlant psycholinguistique développementale, sociolinguistique enfantine et procédés d’observations issues de l’éthologie. Dans le chapitre suivant, nous aborderons la question des dispositifs d’apprentissage de la variation. À partir de l’observation des productions enfantines et de la mise en évidence de l’effet de facteurs extralinguistiques (milieu social, genre, situation de communication, etc.), des auteurs ont en effet proposé des modèles des mécanismes cognitifs en jeu lors de l’acquisition des formes variables.

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Dès leurs premiers mots (vers 16-18 mois), les enfants produisent différentes formes qui renvoient au même référent (Menn & Matthei, 1992). Cette variation développementale précoce est cependant à distinguer de la variation sociolinguistique qui consiste plutôt à adopter les usages en vigueur dans la communauté et à s’adapter aux situations. Nous avons vu, dans le chapitre précédent, que, dès l’âge de 3 ans, le milieu d’origine et la situation d’interaction influençaient la sélection des variantes sociolinguistiques. Les chercheurs qui se sont interrogés sur le dynamisme développemental ont alors été amenés à formuler des hypothèses sur l’acquisition des mécanismes sous-tendant le fonctionnement des unités linguistiques variables et des facteurs qui contraignent leur sélection. Dans ce chapitre, nous présenterons trois conceptions de ces dispositifs : les règles variables, l’apprentissage item par item et l’apprentissage à partir d’exemplaires. Nous rendrons compte également ici de la façon dont ces dispositifs expliquent l’ordre d’acquisition des contraintes intra- et extralinguistiques. Enfin, nous présenterons les théories basées sur l’usage (usage-based theories) qui, selon leurs principes fondamentaux, laissent entrevoir la possibilité de rendre compte de l’acquisition de la variation. C’est d’ailleurs dans le cadre de ces théories que nous rendrons compte de nos résultats sur l’acquisition et l’usage des liaisons obligatoires et facultatives chez des enfants issus de milieux sociaux contrastés.

1. Les règles variables

Avant de présenter l’apprentissage de la variation par les règles variables, il nous a semblé nécessaire de faire un détour par l’origine de cette notion. En effet, ce retour à la source permettra de mieux cerner les fondements et les conséquences du concept de règle variable, puisque les chercheurs postulant ce mode d’apprentissage (notamment Patterson, 1992 ; Roberts, 1994, 1997a ; Smith et al., 2007) prennent souvent pour acquis l’existence cognitive de ces règles sans nécessairement les justifier ni même les remettre en cause.

1.1.Labov et la grammaire générative : rupture et continuité