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Labov (1964) : l'enfant perçu à l'aune des régularités observées chez les adultes

4. Le modèle développemental de l’acquisition des liaisons obligatoires liaisons obligatoires

2.2. Choix des mots1

Contrainte par le fait que le référent du mot1 devait être facilement identifiable sur une image, nous avons choisi d’utiliser les déterminants numéraux un et deux et les adjectifs petit et gros. À l’instar des travaux de Booij & De Jong (1987) et Durand & Lyche (2008) (cf. section 2.1 du chapitre 2), nous considérons comme obligatoires les liaisons réalisées après les déterminants un et deux et comme facultatives celles réalisées après les adjectifs petit et gros. En effet, pour faire produire les déterminants un et deux, il suffisait de présenter les dessins des mots2 en simple et en double exemplaires et pour faire produire les adjectifs petit et gros, il suffisait de présenter les dessins des mots2 dans des tailles différentes.

La méthodologie précise de la tâche de dénomination d’images, ainsi que celle employée pour la tâche de jugement d’acceptabilité, seront présentées au début des chapitres de résultats afin que la récence de leur présentation permette de mieux comprendre la façon dont les résultats ont été obtenus.

3. Choix des tests statistiques

Les données recueillies par le biais des tâches de dénomination d’images et de jugements d’acceptabilité ont été soumises à un traitement statistique. Afin d’observer l’effet de variables indépendantes (comme l’âge et le milieu social) sur une variable dépendante (les pourcentages de types de réponse), nous avons choisi d’utiliser l’analyse de variance (ou ANOVA).

L’ANOVA est une technique statistique paramétrique permettant de comparer les moyennes de deux populations ou plus. En outre, elle permet de traiter simultanément deux ou plusieurs variables indépendantes et d’observer à la fois les effets simples de

chaque variable séparément et les effets d’interaction105 entre deux ou plusieurs variables (Howell, 1998). L’application d’un tel test requiert plusieurs conditions (Howell, 1998 ; Judd, McClelland & Culhane, 1995) :

a) la normalité

Il faut, pour chaque condition, que les scores de la variable dépendante soient distribués normalement autour de la moyenne.

b) l’homogénéité des variances

Il faut que chaque population présente des variances approximativement identiques. c) l’homogénéité des effectifs par cellule

Il faut que chaque population présente des échantillons de taille équivalente.

Nous avons calculé des pourcentages de type de réponse parmi les productions ; il s’agit donc de proportions calculées selon le modèle :

Nombre d’occurrences d’un type de réponse

Nombre total d’occurrences X 100 Comme le dit Chevrot (1991) :

Ce type de mesure présente une particularité exaspérante. Indépendamment des phénomènes observés, la variance d’une série quelconque de données croît avec sa moyenne (Chevrot, 1991: 77).

Dans le cas de notre recherche, cette relation se manifeste par une augmentation de la variance des groupes qui présentent des moyennes élevées. Ainsi, plus les moyennes des groupes sont différentes, plus les variances sont hétérogènes et moins l’ANOVA est applicable. Afin de pallier cet inconvénient et travailler sur des variances homogènes, nous avons opté pour une transformation des données en arc sinus.

La transformation arc sinus, ou transformation angulaire, est particulièrement adaptée aux données exprimées en proportions ou pourcentages (Sokal & Rohlf, 1981).

105 « Par interaction, il faut entendre tous les cas où l’impact d’une variable change selon les modalités d’une autre variable » Chevrot (1991: 75).

La formule que nous avons utilisée est la suivante : = arcsin ) 4 3 ( / ) 8 3

(Y+ n+ (Sokal & Rohlf, 1981: 428).

Y correspond au pourcentage obtenu par chaque enfant et n à l’effectif total de l’échantillon.

La transformation arc sinus de la racine carrée exprime alors les données brutes en valeurs et homogénéise les variances comme l’atteste le Tableau 8 établi à partir de nos données sur la production de liaisons facultatives réalisées justes (cf. section 3.1 du chapitre 4). Pour des raisons de lisibilité, dans le tableau, nous donnons les déviations standard (DS) avant et après la mise en œuvre de la transformation arc sinus. Pour rappel, la déviation standard correspond à la racine carrée de la variance, nous conservons donc les mêmes échelles de valeur.

sans transformation avec transformation arc sinus Pourcentages de liaisons facultatives réalisées justes DS ׯ des pourcentages de liaisons facultatives réalisées justes DS enfants de cadres 20% 16.5 5.5 0.8 2-3 ans (2;3-3;2) enfants d’ouvriers 15.3% 19.6 5.3 0.9 enfants de cadres 26.6% 26 5.8 1.1 3-4 ans (3;3-4;0) enfants d’ouvriers 16.4% 15 5.3 0.7 enfants de cadres 28.4% 31.2 5.8 1.3 4-5 ans (4;1-5;0) enfants d’ouvriers 15.8% 25.4 5.3 1.1 enfants de cadres 40.7% 34.6 6.3 1.4 5-6 ans (5;1-6;0) enfants d’ouvriers 21.1% 22 5.5 1

Tableau 8 – Transformation arc sinus : illustration avec les données sur la production des liaisons facultatives réalisées justes

À la lecture de ce tableau, nous pouvons observer qu’avant transformation, les déviations standard sont très différentes puisqu’elles s’étalent sur une fourchette qui va de 15 à 34.6. La transformation arc sinus réduit cette échelle comme le montre la dernière colonne du tableau. Après transformation, les déviations standard s’échelonnent entre 0.7 et 1.4. Bien que chacune des analyses de variance présentées dans cette partie porte sur les données transformées par la fonction arc sinus, nous commenterons (et raisonnerons sur) les données réelles exprimées en pourcentages,

comme il est d’usage de le faire. Par ailleurs, nous présenterons, dans les divers tableaux de résultats, les déviations standard se rapportant à ces pourcentages.

Si l’ANOVA révèle des différences significatives parmi les moyennes comparées, nous serons amenée à procéder à des comparaisons multiples par paire afin d’explorer plus précisément où se situent ces différences. À cette fin, nous utiliserons le test a

posteriori PLSD de Fisher qui compare deux à deux l’ensemble des moyennes à l’aide d’un

test-t multiple corrigé.

Nous avons également mis en œuvre un test t pour échantillons appariés permettant de comparer la moyenne de deux variables pour un seul groupe. Nous avons utilisé cette procédure dans nos analyses concernant l’évolution des différents types de productions en fonction du milieu d’origine en comparant les pourcentages des différents types de production pour les enfants de cadres d’une part et les enfants d’ouvriers d’autre part.

Enfin, nous avons utilisé le test-t univarié afin de vérifier si les valeurs d’une variable sont équitablement réparties autour d’une valeur spécifique. Plus précisément, il teste l’hypothèse que la médiane d’une distribution est égale à une valeur théorique en comparant le nombre d’observations situées de part et d’autre de cette valeur. Ce test a été appliqué aux performances relevées dans la tâche de jugement d’acceptabilité pour lesquelles nous avons procédé à une comparaison des moyennes à la valeur aléatoire du hasard (50%).

Ces tests d’inférence statistiques permettent d’estimer le risque que l’on prend à généraliser un résultat de l’échantillon à la population dont il est issu. Selon l’usage, on admet la généralisation d’un résultat si le risque (p) est inférieur ou égal à 0.05 ; on dit alors que le résultat est significatif. Si le risque est supérieur à 0.05 et inférieur ou égal à 0.10 ; on parle alors de tendance. S’il est supérieur à 0.10, on estime que le résultat n’est pas généralisable et on ne le prend pas en considération.

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CHHAAPPIITTRREE 44.. PPrroodduuccttiioonnss ddee lliiaaiissoonnss

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obblliiggaattooiirreesseett ddee lliiaaiissoonnss ffaaccuullttaattiivveess

1. Méthodologie : expérimentation de dénomination

d’images

Dans le but d’obtenir des productions de liaisons obligatoires et de liaisons facultatives dans les contextes "déterminant + nom" et "adjectif + nom", nous avons mis en place une tâche de dénomination d’images.

1.1. Matériel

Pour cette épreuve, nous disposions de différentes images en couleurs que nous avions extraites d’imagiers pour enfants106. Elles représentaient les six mots2 de notre expérimentation : ours – arbre – avion – éléphant – escargot – ordinateur. Afin de susciter la production de "un + mot2" et de "deux + mot2" (contextes de liaison obligatoire), les différents animaux ou objets étaient respectivement représentés en un et deux exemplaires. Pour la production de "petit + mot2" et de "gros + mot2" (contextes de liaison facultative), les animaux ou les objets représentés étaient soit de petite taille, soit de grosse taille. Outre les images des mots cibles (mots2), nous avons utilisé les images de six mots distracteurs à initiale consonantique bloquant la liaison : ballon – lit – cochon – singe – camion – balai.

1.2. Procédure

Nous avons mis en place deux séries d’images : une série de douze images sollicitant la production de liaisons obligatoires et une série de douze images donnant lieu à la production de liaisons facultatives. Parmi les douze images de la série sollicitant la production de liaisons obligatoires, six représentaient les animaux ou objets en un seul exemplaire et six en deux exemplaires. Parmi les douze images de la série consacrée aux liaisons facultatives, six représentaient des animaux ou des objets de grosse taille et six représentaient des animaux ou des objets de petite taille. Il en était de

même pour les distracteurs : douze images les représentaient en un ou deux exemplaires et douze autres en grosse ou petite taille.

Ainsi, la série d’images correspondant aux liaisons obligatoires comprenait vingt-quatre éléments : douze images cibles et douze distracteurs dessinés en un ou deux exemplaires. La série correspondant aux liaisons facultatives était également composée de vingt-quatre éléments : douze images cibles et douze distracteurs dessinés en grosse ou petite taille. Chacune de ces séries était présentée l’une à la suite de l’autre et l’expérimentateur faisait alterner leur ordre de présentation entre chaque enfant : le premier enfant produisait la série sur les liaisons obligatoires puis la série sur les liaisons facultatives, le deuxième enfant produisait la série sur les liaisons facultatives puis la série sur les liaisons obligatoires, etc. À l’intérieur de ces séries, l’ordre de présentation des images variait entre chaque enfant. Entre chaque passation, l’expérimentateur mélangeait les images tout en veillant à ne pas présenter deux fois de suite le même mot cible. Pour faciliter cette manipulation, chaque objet ou animal était collé sur un papier de couleur spécifique ; il suffisait alors de faire en sorte de ne pas présenter deux feuilles de couleur identique à la suite. En outre, afin de nous prémunir d’un éventuel effet d’amorçage entre deux consonnes de liaison produites l’une à la suite de l’autre, nous faisions alterner chaque production de séquence contenant un mot cible avec une production de séquence contenant un mot distracteur bloquant la liaison. Par exemple, nous montrions d’abord l’image d’un ours, puis celle de deux ballons, puis celle de deux arbres, etc.

Chaque enfant a été rencontré individuellement dans une pièce mise à disposition par son établissement scolaire. Au début de la passation, l’expérimentateur illustrait la consigne en s’appuyant sur les images distracteurs et disait à l’enfant : [en montrant l’image d’un ballon] Tu vois, sur cette image, il y a un ballon et sur celle-ci il y a deux ballons [en montrant l’image de deux ballons]. Sur toutes les images que je vais te montrer, il y aura soit un "quelque chose", soit deux "quelque chose". Il s’y prenait de la même façon pour introduire les images de grosse et petite taille. De cette manière, l’enfant comprenait ce qu’on attendait de lui et l’épreuve pouvait débuter. Signalons enfin que la passation était enregistrée.

Cette épreuve a donc permis de recueillir vingt-quatre productions de séquences "mot1 + mot2" par enfant, soit douze productions en contexte "déterminant + nom" (six productions avec un et six avec deux) et douze productions en contexte "adjectif + nom" (six productions avec petit et six avec gros).

Dans les sections suivantes, nous présentons les résultats issus du protocole de dénomination d’images en procédant à l’analyse des différents types de productions enfantines que nous avons recueillies. Trois types de productions seront examinés :

- les productions justes : la liaison est réalisée avec la consonne de liaison adéquate (par exemple, [œ nus], [ozus]) ;

- les non-réalisations : aucune consonne de liaison n’est produite (par exemple, [œ us], [ous]) ;

- les erreurs par remplacement : la liaison est réalisée, mais la consonne de liaison produite n’est pas celle attendue (par exemple, [œ zus], [otus]).

Pour chaque catégorie de liaison – liaison obligatoire et liaison facultative – nous observerons l’évolution de chacun des trois types de productions en fonction du milieu social d’origine. Enfin, nous nous attacherons à l’évolution conjointe de ces productions dans chacun des milieux.

2. Productions de liaisons obligatoires

Le thème principal de notre thèse est l’acquisition des alternances porteuses d’une valeur sociolinguistique mais, à titre de comparaison, nous avons proposé, à notre échantillon de 185 enfants, une tâche de production de liaisons obligatoires ; l’enjeu est ici de confirmer l’existence de différences sociologiques lors de l’acquisition des liaisons obligatoires puis de comparer l’évolution des différences sociales quant à deux phénomènes d’alternance phonologique structurellement identiques, mais différents par leur valeur sociolinguistique ; la liaison facultative étant un marqueur sociolinguistique contrairement à la liaison obligatoire. Enfin, si de telles différences se manifestent, nous examinerons dans quelle mesure le modèle développemental basé sur l’usage que nous avons retenu (Chevrot et al., 2007a ; Chevrot et al., sous presse) peut rendre compte d’une acquisition socio-différenciée.