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Labov (1964) : l'enfant perçu à l'aune des régularités observées chez les adultes

4. Les études sociolinguistiques enfantines à partir des années 1990 : premières préoccupations années 1990 : premières préoccupations

4.1.4. L’âge comme facteur de variation

Certains auteurs de la seconde période que nous avons délimitée se sont attachés à observer l’évolution avec l’âge de la masse globale des variantes produites par les enfants. Ils se sont ainsi demandés si la fréquence des variantes standard et des variantes non standard augmentait ou diminuait avec l’âge.

Nous mentionnons également ici les travaux de Romaine (1984) puisqu’ils nous semblent constituer la charnière entre les deux périodes. En effet, cette auteure montre clairement son intérêt pour une perspective développementale en analysant l’évolution des "scores" sociolinguistiques relevés chez ses jeunes sujets de 6, 8 et 10 ans. Elle observe que la fréquence d’usage des variantes non standard des variables (au) et (i) décroît au fur et à mesure que l’âge des enfants augmente44 (cf. [43] [42], index page 424). Plus précisément, elle note qu’entre 8 et 10 ans l’emploi des variantes non standard de (i) décroît massivement alors que pour (au) c’est entre 6 et 10 ans. Pour d’autres variantes comme (s) et (in), au contraire, aucun effet de l’âge n’est relevé (cf. [41] [46], index page 424).

This indicates that at least for some variables age differences of only two years are not sufficiently large to show clear age-grading. And there is no a priori reason to believe that two-year intervals provide the best time scale for looking at the longitudinal development of sociolinguistic variables (Romaine, 1984: 105).

Pour la variable (in) (cf. [34], index page 422), Patterson (1992), comme Romaine (1984), observe le même type d’évolution des variantes utilisées en fonction de l’âge : plus l’enfant grandit et plus il emploie la variante standard (à 4 ans : M = 68, à 6 ans : M = 79, à 8 ans : M = 84). Enfin, Chevrot, Beaud & Varga (2000a) notent qu’entre 6-7 ans et 10-12 ans, en situation formelle seulement, les enfants suppriment moins la consonne // en position post-consonantique (cf. [11], index page 417). Les auteurs font alors l’hypothèse que seuls les enfants de 10-12 ans sont capables d’adaptation stylistique. L’adaptation situationnelle relevée par Chevrot et al. (2000a) en situation formelle est cependant à rapprocher des résultats de Patterson (1992) et de Romaine (1984) comme le suggère la remarque faite par cette dernière :

44 Wolfram (1969) a également observé que les jeunes noirs américains de Détroit de 10-12 ans supprimaient davantage la consonne finale d’un cluster (variante non standard) que les adolescents de 14-17 ans (cf. [50], index page 425).

This might at first seem paradoxical, since it appears that the use of the more stigmatized dialect pronunciations […] are disappearing as the child gets older, and this is certainly one conclusion that might be reached on the basis of recording children in a face-to-face interview. Yet, if the same children are recorded talking to their friends in the playground, we would find that the use of monophtongal variants was still quite frequent (Romaine, 1984: 102).

Ainsi, Romaine (1984) rend compte de l’accroissement des variantes standard et de la diminution corrélative des variantes non standard au fil du développement en évoquant l’impact des situations formelles sur la production. Dans les trois recherches dont nous venons de faire état, les enregistrements sont effectués dans un contexte où l’enfant s’adresse à un adulte. Dans un tel contexte, il est donc attendu que la fréquence des variantes non standard diminue avec l’âge lorsque l’enfant intériorise progressivement les usages qui conviennent pour s’adresser à un adulte non familier. En outre, comme l’envisage Romaine (1984), il est probable que des enregistrements entre pairs, en situation informelle, fassent apparaître une tendance différente : un accroissement, ou tout du moins un maintien, des variantes non standard avec l’âge.

D’autres études se sont intéressées à l’évolution de l’usage des variables sociolinguistiques. Ces dernières relèvent cependant une évolution inverse à celle mentionnée précédemment. En effet, ces travaux pointent un accroissement des variantes non standard au fil du développement. Par exemple, Smith et al. (2007) observent que les trois plus jeunes sujets de leur échantillon (âgés de 2;10, 2;11 et 3;0) utilisent de manière quasi catégorique la variante standard [] alors que les enfants plus âgés (âgés de 3;2 à 3;6) utilisent davantage la variante non standard [u:] (cf. [47], index page 424). Le même type de résultat est présenté par Chabanal (2004) qui note que, Pierre, jeune sujet de son étude longitudinale, supprime davantage les liquides/l/ et // (cf. [7] [8], index page 417) dans sa quatrième année (4;0-4;2) que dans sa troisième année (3;4-3;11).

Enfin, Roberts (1994), en comparant les productions d’enfants de 3 ans à celles d’enfants de 4 ans, ne note aucun effet de l’âge sur la production de la variable (-t, d) (cf. [38], index page 423) et de la variable (in) (cf. [37], index page 423) bien que Patterson (1992) observe une augmentation des variantes standard entre 4 et 8 ans sur cette dernière variable.

Malgré des résultats divergents, cette revue de la littérature concernant les modifications avec l’âge de l’usage des variables sociolinguistiques pointe plusieurs

faits. Premièrement, nous constatons que c’est à partir de 4 ans et jusqu’à 10-12 ans que l’on observe un accroissement de la production de variantes standard en situation formelle (Chevrot et al., 2000a ; Patterson, 1992 ; Romaine, 1984), à l’exception toutefois de deux variables pour lesquelles Romaine (1984) n’observe aucune évolution. Nous pouvons alors supposer que l’entrée dans le système éducatif académique (en moyenne vers l’âge de 4 ans selon les pays), ainsi que la découverte et la connaissance de l’écrit peuvent être des facteurs favorisant l’accroissement des variantes standard dans le discours enfantin en situation formelle. Chevrot (1991 ; 1996 ; 1998) et Chevrot & Malderez (1999) ont d’ailleurs réuni différents faits suggérant un effet propre de l’écriture sur l’usage des variantes, indépendant de l’effet de standardisation impulsé par la fréquentation scolaire. Deuxièmement, en dessous de l’âge de 4 ans, aucune augmentation n’est relevée dans l’usage des variantes standard. En effet, entre 2 et 3 ans et entre 3 et 4 ans, deux types d’observations sont attestés. D’une part, l’absence d’effet de l’âge sur le choix des variantes (Roberts, 1994) et d’autre part, une augmentation des variantes non standard (Chabanal, 2004 ; Smith et al., 2007). Cette augmentation des variantes non standard observée à des âges précoces pourrait être le fait de l’input reçu par les enfants. En effet, les travaux de Foulkes et al. (2005) et ceux de Smith et al. (2007) ont mis en évidence que la fréquence des variantes standard présentes dans le discours adressé à l’enfant par leur mère diminue au fur et à mesure que grandit l’enfant. Par ailleurs, l’étude de Smith et al. (2007) montre une corrélation significative entre les usages maternels de la variable ‘hoose’ et ceux de leurs enfants (cf. [47], index page 424).

Finalement, la question de l’évolution avec l’âge de la masse globale des variantes produites par les enfants, telle qu’elle a été posée par les différents auteurs, apparaît comme parcellaire.

[…] the major question is to identify not how the overall mass of nonstandard variants develops, but rather how their usage changes in each situation and for each category of speakers (Chevrot et al., 2000a: 297).

Comme le soulignent Chevrot et al. (2000a), la question serait plutôt de se demander comment les différentes variantes évoluent avec l’âge dans telle ou telle situation et chez telle ou telle catégorie de locuteurs. Par ailleurs, au vu de notre revue de la littérature, il semblerait que la question de l’évolution avec l’âge mérite d’être considérée en deux temps : un premier temps qui couvrirait la période préscolaire et un second la période de scolarisation. En effet, nous avons vu que la période de la fin de la

petite enfance se caractériserait par un accroissement des variantes non standard dans l’input et dans les usages enfantins alors que durant la période scolaire, en situation formelle, les variantes standard seraient de plus en plus utilisées.

Un autre facteur qui n’a pas été pris en compte par les études qui ont observé l’évolution de l’usage enfantin des variantes en fonction de l’âge est la socialisation de l’enfant à l’extérieur du milieu familial, notamment ses contacts croissants avec le groupe de pairs (Cartron & Winnykamen, 2004). La section suivante abordera donc le réseau de pairs comme facteur de variation.