• Aucun résultat trouvé

Labov (1964) : l'enfant perçu à l'aune des régularités observées chez les adultes

1. La nature de l’input

2.2. Les liaisons facultatives

2.2.2. Les facteurs extralinguistiques

La liaison facultative est un phénomène variationnel du français qui a été largement investi par les recherches en sociolinguistique. Ces études ont montré que la réalisation de la liaison facultative, chez l’adulte, dépendait de facteurs sociaux et situationnels.

91 Alexander (2004) a utilisé le Frequency dictionary of French word (Juilland, Brodin & Davidovitch, 1970).

Dans les sections suivantes, nous rendons compte des investigations menées sur ces aspects92.

a.Le milieu social

Comme la plupart des variables sociolinguistiques, la réalisation des liaisons facultatives est influencée par le milieu social. Toutes les études incluant ce facteur convergent pour montrer son impact (Ashby, 1981 ; Booij & De Jong, 1987 ; De Jong, 1994 ; Malécot, 1975). Par exemple, De Jong (1991), qui a analysé le discours de 45 locuteurs orléanais (Loiret), relève une différence significative entre les taux de liaisons facultatives réalisées par les locuteurs de milieu favorisé (upper middle class) et ceux des locuteurs issus de milieu moins favorisé (lower working class). Les premiers réalisent les liaisons facultatives à hauteur de 61.6% alors que les seconds n’en réalisent que 29.6%. Booij & De Jong (1987), lors de l’analyse du discours produit par 38 locuteurs de Tours, issus de cinq catégories socioprofessionnelles différentes, obtiennent des résultats semblables, comme l’illustre le tableau suivant.

p ro fe ss io n s li b ér a le s et ca d re s su p ér ie u rs ca d re s m o y en s em p lo y és C o n tr em a ît re s et o u v ri er s q u a li fi és o u v ri er s sp éc ia li s et m a n œ u v re s style

débâcles_inattendues 88% 67% 17% 50% 25% lecture d’un texte

certains_ exécutants 100% 100% 67% 50% 50% lecture d’un texte

moins_important 100% 100% 75% 67% 40% lecture d’une liste de mots

fort_intéressant 100% 100% 58% 67% 20% lecture d’une liste de mots

est + X 43% 65% 40% 24% 29% interview

sont + X 22% 35% 14% 13% 0% interview

Tableau 1 – Pourcentages de liaisons facultatives réalisées (Booij & De Jong, 1987: 1016)

Quel que soit le style (lecture d’un texte, lecture d’une liste de mots, interview), et pour différents contextes de liaisons, les résultats de Booij & De Jong (1987) montrent une gradation de l’usage des liaisons facultatives qui covarie avec la stratification des

92 Soulignons que les pourcentages de réalisation issus des différentes études que nous présentons ne sont pas comparables entre eux puisque d’une part, certains auteurs n’ont pas différencié liaisons obligatoires et liaisons facultatives dans leur recherche et d’autre part, lorsqu’ils l’ont fait, ils ne se sont pas appuyés sur le même classement des liaisons. Toutefois, les écarts entre les pourcentages de réalisation à l’intérieur d’une même étude sont tout à fait révélateurs du fonctionnement de la liaison facultative.

catégories socioprofessionnelles. Nous constatons notamment que les différences entre les milieux les plus favorisés et le milieu le moins favorisé peuvent être considérables (par exemple, 100% versus 20% pour fort_intéressant). Nous relevons également que certaines liaisons facultatives ne sont jamais produites par les locuteurs du milieu le moins favorisé (0% de liaisons réalisées après sont).

b.Le genre

L’effet du genre est reconnu comme un facteur prégnant de l’usage de nombreuses variables sociolinguistiques (Labov, 1972, 1976 ; Trudgill, 1974, 1997 ; Wolfram, 1969) ; il fait donc partie des facteurs de variation dits "classiques" et a évidemment suscité l’intérêt des chercheurs étudiant la liaison facultative. D’une manière générale, les tendances observées correspondent à celles relevées sur d’autres variables sociolinguistiques : les femmes produisant davantage les variantes valorisées au sein de la communauté que les hommes. Ainsi, De Jong (1994) note un effet significatif du genre sur la fréquence de réalisation de la liaison après la forme verbale est : les femmes réalisent cette liaison à hauteur de 73% alors que les hommes ne la réalisent que dans 59% des cas. D’autres recherches montrent également une différence entre hommes et femmes, dans de moindres proportions toutefois. Par exemple, Malécot (1975) note que les femmes réalisent 66.9% de liaisons et les hommes 62%. De Jong (1991), quant à lui, relève 50.8% de réalisation pour les femmes et 46.9% pour les hommes.

Toutefois, les résultats d’Ashby (1981) modèrent cette tendance générale des femmes à réaliser plus de liaisons facultatives que les hommes. Dans son étude menée à Tours (Indre et Loire), auprès de 16 locuteurs et locutrices répartis en deux milieux sociaux (working class et middle class) et deux groupes d’âge (14-21 ans ou 51-64 ans), il observe que les femmes réalisent moins de liaisons facultatives que leurs homologues masculins, à l’exception toutefois des locutrices de 14-21 ans de la working class. Dans la middle class, les femmes de 14-21 ans réalisent 24% de liaisons facultatives contre 43% chez les hommes. À 51-64 ans, la différence s’atténue, les femmes en réalisant 45% et les hommes 48%. Dans le milieu nommé working class, les femmes de la tranche d’âge 51-64 ans réalisent 19% de liaisons facultatives contre 25% chez les hommes. En revanche, à 14-21 ans, l’auteur note un patron de production identique à celui relevé dans les études citées précédemment : 34% de réalisation pour les femmes contre 17% chez les hommes. L’auteur concède lui-même que ce patron de résultats, qu’il qualifie d’aberrant, est certainement dû à la classification large en milieux sociaux

qu’il a adoptée. Malgré cette réserve méthodologique, il convient de préciser qu’une autre étude, celle de Green & Hintze (1990), observe le même type de régularité, les femmes réalisant moins de liaisons que les hommes. Quant à Moisset (2000), qui a analysé les productions en contexte de liaison facultative de 14 informateurs de milieu favorisé, âgés de 16 à 87 ans, elle ne constate aucune différence selon le genre ; les hommes réalisant 17.6% de liaisons facultatives et les femmes 18.3%. Il semblerait donc que l’effet du genre sur la réalisation des liaisons facultatives ne soit pas aussi fermement établi que celui du milieu social.

c.La situation de communication

La situation de communication est un autre facteur qui influence les taux de réalisation des liaisons facultatives. Les travaux qui se sont intéressés à son impact relèvent tous qu’un degré élevé de formalité favorise la réalisation des liaisons facultatives. Par exemple, Ågren (1973), qui a analysé un corpus composé d’enregistrements de programmes radiophoniques, observe une corrélation entre le style de discours utilisé et le taux de liaisons facultatives réalisées. Ainsi, dans les programmes caractérisés par du discours soutenu, les liaisons facultatives sont davantage réalisées que dans les programmes utilisant un discours dit "familier"93.

Ahmad (1993), quant à lui, a comparé un corpus composé d’une demi-heure d’informations sur France Inter et de deux heures de conférence sur France Culture avec un corpus de conversations informelles. Il observe qu’en situation formelle (émissions radiophoniques), 57% des liaisons facultatives sont réalisées alors qu’en situation informelle (conversation), seulement 10% de ces liaisons donnent lieu à une réalisation. À partir de quatre situations différentes (conférence, lecture, interview et conversation), Lucci (1983) note une différence importante, dans la fréquence de réalisation des liaisons facultatives, entre situation formelle (conférence et lecture) et informelle (interview et conversation) : respectivement 43.75% et 27.75%. Par ailleurs, Encrevé (1988), qui a étudié l’emploi des liaisons facultatives chez les hommes politiques, remarque que selon le type de discours – avec ou sans support écrit – la fréquence de réalisation chez François Mitterrand oscille entre 54.5% (débat du 5 mai 1981 avec Valéry Giscard d’Estaing) et 84% (vœux du Nouvel An le 31 décembre

93 Le classement des programmes radiophoniques en fonction du style de discours a été fait sur la base de critères linguistiques : vocabulaire, traits grammaticaux, vitesse et caractéristiques de l'intonation.

1981) et chez Valéry Giscard d’Estaing entre 43.7% (débat du 5 mai 1981 avec François Mitterrand) et 78.2% (discours solennel dit du "bon choix", 12 mars 1978). Moisset (2000), qui a étudié le discours d’informateurs de milieu favorisé, relève une stratification situationnelle dans la fréquence de réalisation des liaisons facultatives. En effet, plus la situation est formelle, plus les liaisons facultatives sont réalisées. Plus précisément, l’auteure observe qu’en situation de lecture, les locuteurs produisent davantage de liaisons facultatives réalisées qu’en "langage formel" (défini par l’auteure comme un discours produit avec un certain degré de surveillance, discours utilisé dans le domaine professionnel ou avec un inconnu) et plus qu’en "vernaculaire" (le langage utilisé dans le milieu familial et amical pour parler des activités quotidiennes). Il convient enfin de souligner que cette manifestation d’une influence situationnelle n’est pas le seul fait des locuteurs de milieu favorisé/éduqué. Booij & De Jong (1987) et De Jong et al. (1981) observent le même type de régularité parmi cinq classes sociales allant d’ouvriers à cadres supérieurs. Après les formes du verbe être, les auteurs notent un patron régulier, dans chacune des deux situations, en fonction du milieu social. Par exemple, tandis que les cadres supérieurs réalisent 78% de liaisons en situation formelle et 44% en situation informelle, les ouvriers en réalisent 35% en situation formelle et 0% en situation informelle.

d.L’âge

Un autre facteur extralinguistique pris en compte pour rendre compte de la variabilité des liaisons facultative est l’âge. Ainsi, plusieurs recherches ont établi que plus les locuteurs sont âgés, plus ils réalisent les liaisons facultatives94.

Ashby (1981), qui a étudié un échantillon de 16 locuteurs, observe que les locuteurs du groupe d’âge 14-21 ans réalisent moins ces liaisons que les locuteurs de 51-64 ans. Malécot (1975), à partir de l’étude de 5 groupes d’âge (20-29 ans, 30-39 ans, 40-49 ans, 50-59 ans, 60-69 ans) relève, à l’exception du groupe d’âge le plus jeune et du groupe d’âge le plus âgé, un accroissement régulier des liaisons réalisées d’un groupe d’âge à l’autre (à 30-39 ans : 58.5%, à 40-49 ans : 63.9%, à 50-59 ans : 69.3%) avec une différence significative entre 30-39 ans et 50-59 ans. Moisset (2000) note également une

94 Une seule étude, parmi celles dont nous disposons, ne trouve pas d’effet du facteur âge ; il s’agit des travaux de Green & Hintze (1990) qui ont étudié le discours de 8 locuteurs répartis en deux groupes d’âge : 35-40 ans et 55-65 ans. Ceci dit, leur résultat n’est pas tellement surprenant puisque les deux groupes d’âge sont proches et leur échantillon de locuteurs est limité.

différence entre les deux groupes d’âge "plus de 50 ans" et "moins de 50 ans", au profit du premier groupe qui réalise plus de liaisons facultatives que le second. Booij & De Jong (1987) et De Jong (1988 ; 1991 ; 1994) observent un patron régulier de réalisation évoluant avec l’âge. Par exemple, Booij & De Jong (1987) notent qu’en situation d’interview (situation formelle), la liaison après sont est réalisée à 4% à 18-30 ans, à 16% à 30-50 ans et à 62% à 50 ans et plus. Après est, De Jong (1994) opère le même type de constatation et note un effet significatif de l’âge sur le taux de réalisation de la liaison.

Booij & De Jong (1987) proposent deux pistes explicatives. La première est que les locuteurs commencent à réaliser davantage de liaisons quand ils vieillissent, phénomène communément appelé age grading95. La seconde est que la stratification en fonction de l’âge, observée sur la liaison facultative, est une indication, en temps apparent, d’un changement en cours. Il est d’ailleurs à noter que les adolescents réalisent peu les liaisons facultatives. Encrevé (1983), chez des adolescents de 14-15 ans, note que sur 576 liaisons facultatives potentielles, seules 17 ont donné lieu à une réalisation (soit 3%). Armstrong (2001) observe un résultat similaire chez des adolescents de 11-12 ans et à 16-19 ans : par exemple, il remarque que la liaison après est n’est quasiment jamais réalisée.

Sur la base du corpus recueilli dans le cadre du projet Phonologie du Français Contemporain, Pagliano & Laks (2005) observent aussi un accroissement progressif de la fréquence de réalisation des liaisons avec l’âge des locuteurs. Les auteurs relèvent que les moins de 20 ans en réalisent 45.44%, les 20-39 ans en réalisent 48.43%, les 40-49 ans, 49.12% et les plus de 60 ans, 51.38%. Pour interpréter ce patron, les auteurs proposent la même alternative que Booij & De Jong (1987) :

[…] faut-il interpréter ce changement comme diachronique, en temps apparent, ou comme socio-synchronique ? (Pagliano & Laks, 2005: 4).

Pagliano & Laks (2005) défendent la première piste explicative avancée par Booij & De Jong (1987) en suggérant que l’augmentation des liaisons réalisées avec l’âge serait la conséquence de l’évolution de la trajectoire sociale des individus. En effet, lorsque les individus avancent en âge, leur situation professionnelle ainsi que leurs revenus généralement progressent. Ainsi, selon Pagliano & Laks (2005), la covariation entre

95 Le phénomène appelé age grading est lié à l’effet de la génération et consiste à modifier son comportement linguistique au cours de sa vie.

l’âge et les taux de réalisation des liaisons relèverait d’une pure variation sociale, saisie à un moment donné au travers de différences entre générations. De Jong (1994), quant à lui, interprète ces différences entre générations à l’aide d’un facteur cognitif, relié à l’input. Il estime que l’acquisition de la liaison relève d’un apprentissage comparable à celui du vocabulaire. Cet apprentissage requiert d’une part, une exposition fréquente aux séquences linguistiques et d’autre part, un processus long qui ne se termine jamais. En outre, cette explication rend également compte des différences sociales observées sur les taux de réalisation des liaisons (cf. section a) : en effet, ce processus d’apprentissage ne se déroulerait pas de la même façon chez tous les individus.

Cette revue des résultats sur l’usage adulte de la liaison facultative donne un aperçu des différents facteurs – intra- et extralinguistiques – qui affectent sa fréquence de réalisation. Parmi les facteurs extralinguistiques, le milieu social, qui sera au centre de nos investigations ultérieures chez l’enfant, est un paramètre particulièrement fiable, tout comme la situation de communication. En effet, tous les résultats convergent vers la même tendance : davantage de liaisons facultatives sont réalisées dans les milieux favorisés et en situation formelle. L’âge, sur une vaste échelle, influence aussi les taux de réalisations. Quant au genre, comme nous l’avons vu, son impact est moins net.

Parmi les facteurs intralinguistiques, l’effet de la fréquence est prééminent, au travers de la fréquence du mot porteur de la consonne de liaison, mais surtout au travers de la fréquence de la collocation des deux mots impliqués dans le contexte de liaison. La longueur du mot – celle du premier et celle du second – agit également sur les taux de réalisation. Plus les mots sont courts, plus ils suscitent la réalisation de la liaison facultative ; c’est la raison pour laquelle, nous avons pris soin, autant que faire se peut, de retenir ce paramètre lors de l’élaboration du notre tâche expérimentale. Rappelons toutefois, que ce facteur se superpose à celui de la fréquence puisque les mots les plus fréquents sont aussi les mots les plus courts. D’autres recherches ont observé un effet du lexique sur la réalisation des liaisons facultatives. Les auteurs soutiennent alors que les locuteurs apprennent à faire des liaisons après certains mots. Ici aussi, nous pouvons nous demander dans quelle mesure l’effet du lexique ne serait pas la manifestation d’un effet de la fréquence. Enfin, à un niveau plus général, il apparaît que la catégorie grammaticale du mot porteur de la consonne de liaison, la nature de la consonne de liaison, la nature du segment précédant la consonne de liaison ou encore la prosodie sont des facteurs influençant la réalisation des liaisons facultatives. Toutefois, leur

impact ne semble se manifester qu’en interaction avec d’autres facteurs, comme le lexique ou la fréquence des mots par exemple.

Nous nous sommes centrée ici sur un ensemble de facteurs qui orientent la fréquence de réalisation des liaisons facultatives, néanmoins, il convient de préciser qu’une grande part de variation inhérente subsiste également dans la réalisation des liaisons facultatives. Par exemple, Encrevé (1988), qui a étudié l’usage des liaisons facultatives chez les hommes politiques, remarque que, dans le même discours – donc dans la même situation –, François Mitterrand produit la locution Crédit agricole successivement avec et sans liaison. Malgré cette part apparemment aléatoire qui se manifeste par la variation inhérente (Labov, 1976), de solides régularités ont été mises à jour quant au fonctionnement de la liaison. Finalement, et comme le souligne De Jong (1991: 200), « […] la liaison se comporte tout à fait comme les variables socio-linguistiques décrites dans Labov (1972) […] ».

Comme nous l’avons vu, les recherches menées sur l’objet linguistique "liaison" révèlent sa complexité et ses multiples facettes. Chevrot, Fayol & Laks (2005b) l’envisagent comme :

[…] un point d’émergence où interagissent les différents niveaux de la structure linguistique (phonologie mais aussi lexique, morphologie, syntaxe et orthographe) et extralinguistique (sociolinguistique, style discursif, etc.) (Chevrot et al., 2005b: 3).

D’un point de vue développemental, l’exploitation de la richesse de cet objet est intéressante dans la mesure où la liaison est une forme linguistique apte à mettre en évidence les interactions entre les niveaux linguistiques et sociaux lors du processus d’acquisition du langage.

3. La liaison : données enfantines

L’étude de la liaison facultative chez l’adulte mobilise depuis longtemps les chercheurs. La première étude quantifiée sur corpus date de 1975. De nos jours avec la constitution de grands corpus tels que celui du projet Phonologie du Français Contemporain (Durand & Lyche, 2008 ; Durand et al., 2007 ; Pagliano & Laks, 2005), les chercheurs continuent de porter leur attention sur la liaison et ses facteurs. En revanche, chez l’enfant, il a fallu attendre le début des années deux mille pour que des résultats fiables et quantifiés soient produits. Ces travaux s’appuient à la fois sur des données issues d’études de cas menées en situation "naturelle" (situation non contrôlée)

et sur des données issues d’expérimentations à grande échelle (situation contrôlée). Nous présentons ces résultats afin de les mettre en perspective et ainsi poser des repères développementaux sur l’acquisition et l’usage des liaisons obligatoires et facultatives entre 2 et 11 ans. Dans cette optique, nous nous appuyons sur les synthèses d’études de cas faites par Chevrot, Chabanal & Dugua (2007a) et Dugua (2006) qui reprennent les résultats de Basset (2000) (cf. [1] et [6] dans le Tableau 2 et le Tableau 396), Chabanal (2003) (cf. [2] et [3] dans le Tableau 2 et le Tableau 3), Méradji & Grégoire (2001) (cf. [4] et [5] dans le Tableau 2 et le Tableau 3) et Malosse (1996) (cf. [7] dans le Tableau 2 et le Tableau 3). Par ailleurs, soulignons que les enfants [1], [4], [5] et [6] ont été enregistrés au domicile familial en présence de leurs parents ou de l’enquêteur, individu familier de l’entourage de l’enfant, [2] et [3] ont été enregistrés lors de rencontres mensuelles avec l’enquêteur dans l’enceinte scolaire et [7] a été enregistrée durant les cours particuliers qu’elle recevait (son corpus est constitué de conversations, lectures et récitations). D’autre part, nous nous intéressons également aux résultats de Dugua (2006) qui a mené une expérimentation de dénomination d’images à grande échelle, auprès de 200 enfants tout-venant, suscitant la production de liaisons en contextes obligatoire ("déterminant + nom") et facultatif ("adjectif + nom"). En outre, il convient de souligner que toutes ces études s’appuient sur le même classement des liaisons que celui que nous avons utilisé pour notre étude (Booij & De Jong, 1987 ; Durand & Lyche, 2008 ; Durand et al., 2007)97.

Dans les sections suivantes, nous rendrons compte des trois principaux types de productions relevés dans ces études :

les réalisations justes (par exemple : les ours produit [lezus])

les omissions de la consonne de liaison (par exemple : les ours produit [leus]) • les erreurs par remplacement de la consonne de liaison (par exemple : les ours

produit [letus])

96 Voir pages 122 et 126.

97 Signalons toutefois que Malosse (1996) considère que le contexte "adjectif + nom" est obligatoire alors que les autres études et nous-même estimons qu’il est facultatif.

Ainsi, nous présentons les productions de liaisons conformes à la cible adulte ainsi que les types d’erreurs les plus prégnants98.

Dans la perspective développementale qui est la nôtre, il nous a paru intéressant de suivre, outre les productions conformes à celles des adultes, l’évolution des erreurs de liaison. En effet, comme le souligne Fayol (1997), l’étude des erreurs permet de révéler le fonctionnement général des productions langagières.

Les erreurs, bien que rares, ont été depuis longtemps considérées comme fournissant des informations quant aux « unités » et aux processus mis en œuvre par le système de production verbale. En effet, elles indiquent à quel(s) moment(s)/endroit(s) le système est pris en défaut. C’est pourquoi leur étude a été très tôt utilisée pour tenter de comprendre comment « fonctionne » la production langagière (Fayol, 1997: 22).

3.1. Les liaisons obligatoires

Dans cette section, consacrée à l’acquisition et à l’usage des liaisons obligatoires, nous présentons les trois principaux types de productions relevés dans la parole enfantine ; il s’agit des productions justes et des deux erreurs les plus courantes dans ce contexte : les erreurs par omission de la consonne de liaison et les erreurs par remplacement de la consonne de liaison.

Le Tableau 2 présente les pourcentages d’usage de chacun de ces types de productions chez des enfants âgés de 3;4 à 11;4.