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SIQUEIRA BARRETO: la confrontation de groupes religieux de la Baixada Fluminense et de Nova

Chapitre 4. LA BAIXADA FLUMINENSE ET NOVA IGUAÇU

4.2 Religion et politique dans la Baixada Fluminense et Nova Iguaçu

4.2.3 SIQUEIRA BARRETO: la confrontation de groupes religieux de la Baixada Fluminense et de Nova

Lors des élections municipales de 2004, la Baixada était considérée, avec la candidature de Lindberg, et pour la toute première fois de son histoire, non plus comme un problème mais comme un enjeu électoral, la candidature et la campagne de Lindberg étant pour le PT le premier pas dans un projet politique plus large pour Rio de Janeiro. Nous verrons que c’est également ainsi que le camp adverse a considéré cette candidature, si on se fie à la manière dont s’est déroulée la joute politique.

Siqueira Barreto nous présente les deux camps : d’un côté, Mário Marques, du PMDB, ayant pour slogan « Grandir toujours avec Dieu et avec le peuple », dans une coalition de 16 partis : le PP, le PDT, le PMDB, le PSL, le PTN, le PSC, le PL, le PPS, le PSDC, le PRTB, le PHS, le PMN, le PV, le PRP, PRONA et le PT du B. Il comptait avec l’appui du gouvernement de l’État dans la personne de la gouverneure Rosinha Matheus ainsi que de son mari Anthony Garotinho (président régional du PMDB et, à l’époque, candidat ressenti pour les futures élections présidentielles). De l’autre côté, avec l’appui du président Lula et du PT (et, dans un second moment de la campagne, de César Maia, maire de Rio de Janeiro, et du PFL), Lindberg Farias, porté par la coalition du PT, du PFL, du PSDB, du PSB et du PC du B, et ayant pour slogan «L’heure du changement». L’auteure insiste sur l’importance de la parole et de l’image dans les batailles politiques (nous rappelant entre autres référence avec Favret-Saada que, tout comme dans la sorcellerie, en politique aussi « l’acte, c’est le verbe »), et commente le rôle crucial de l’horaire gratuit de propagande électorale à la télévision, qui selon elle, a marqué la deuxième phase de la campagne de Lindberg (la première ayant été cette période pendant laquelle la population locale semblait ne pas connaître le candidat originaire de Paraíba), le moment où sa campagne a véritablement décollé. Non moins importants, cependant, étaient les « showmícios », moments de fête et de performance dans la rencontre de son électorat jeune, féminin (les principaux attributs reconnus au candidat pétiste pendant ce que Siqueira Barretos considère être la première phase de sa campagne étaient le fait qu’il était jeune et physiquement attrayant. Il était appelé d’ailleurs par une partie de son électorat « Lindberg » ou « Lindinho ») ou religieux.

Mário Marques et les Garotinho ont activement mené, dès le début, une véritable campagne de diffamation à l’endroit de Lindberg: on l’accusait avant tout d’être un candidat « parachuté » et de venir de l’extérieur de la ville et de l’État, de l’utilisation abusive de la machine administrative (et ce, même avant les élections), on dénonçait son rôle dans la démarcation des terres de la réserve autochtone Raposa Serra do Sol, sa position pour le vote du salaire minimum, et finalement, sa soi-disant fille illégitime(inconnue avant le milieu de la campagne et inventée de toutes pièces par l’équipe de Mário Marques).

Lindberg, de son coté, a dénoncé l’assistentialisme du gouvernement de l’État de Rio de Janeiro à des fins électoralistes pendant la campagne. Notamment, la distribution de paniers alimentaires par la Fondation Leão XIII (liée au gouvernement de l’État) dans les quartiers Aymoré et Campo Belo (deux des quartiers les plus pauvres de la ville) contre la présentation de la carte d’identité et de la carte d’électeur. Cependant, la démarche de Lindberg auprès du juge a entraîné la suspension de ces mesures et la révolte de la population locale à son endroit.

Parallèlement à la « carotte », les Garotinho ont aussi brandi le « bâton », la gouverneure de l’État, Rosinha Matheus, ainsi que son mari Anthony Garotinho, ont tenu des discours publics dans lesquels ils menaçaient de se désintéresser de la ville dans le cas où Lindberg soit élu. Cette déclaration a provoqué une très forte réaction, notamment dans une manifestation publique le 27 décembre, donnant naissance au « Mouvement pour élections propres et éthiques dans la politique de Rio », qui a compté avec la présence de nombreux personnages politiques importants au niveau de la ville, de l’État et du pays. Cela a octroyé également plus de visibilité à la candidature du PT et a élargi son appui populaire.

Des nombreux représentants du gouvernement fédéral (dont le président lui-même, par des capsules télévisés) ont répondu à ces menaces en assurant la population qu’il comblerait les coupures éventuelles du gouvernement de l’État aux programmes sociaux destinés aux citoyens de la ville « pour cause de discrimination politique ». Selon Siqueira Barreto, toutes ces réactions plaçaient le camp de Mário Marques et des Garotinho dans la polarité du mal, alors que Lindberg, qui a subi la colère de la population suite à l’annulation de la distribution d’aliments par le gouvernement de l’État, faisait office d’agneau sacrificiel.

Mais alors que cette illustration\image est le fait de l’auteure, une telle polarisation a été effectivement réalisée par Garotinho lorsque, devant des milliers de jeunes évangélistes dans le rassemblement annuel « Celebrai », il a prié pour que Dieu » empêche l’élection de Lindberg », car celui-ci offenserait la foi chrétienne de la ville, étant donné ses positions à faveur de la légalisation de la marijuana et du mariage de personnes du même sexe.

Il faut comprendre que cette dichotomie « Bien » ∕ « Mal » joue un rôle important dans des milieux stigmatisés par la pauvreté et la violence (le « Mal ») et où, comme le montre Leite (2003, p. 71), la religion peut avoir un rôle légitimant et purifiant, socialement parlant. L’auteure attire l’attention sur le travail de Leite (2003), qui établit des liens entre la pauvreté, la violence et la religion, particulièrement dans les zones pauvres et stigmatisées que sont les bidonvilles de la Baixada et celles de Rio. Selon elle, les résidents y sont criminalisés ou présumés coupables de connivence avec des criminels du seul fait qu’ils y habitent. Les bidonvilles et ses habitants sont donc associés à la violence, aux trafiquants et, plus globalement, au camp du « Mal ».

Voilà à quoi l’appartenance à une église évangéliste pourrait être une réponse légitime, dans la mesure où une telle appartenance pourrait représenter, aux yeux de tous, une garantie d’un éloignement et d’une différenciation d’avec lesdits criminels (étant donné le pouvoir transformateur de la Parole de Dieu, capable de convertir les pires des pêcheurs) et d’avec le camp du « Mal ».

C’est pendant le second tour des élections que la campagne a entamé ce virage plus « religieux » (bien que cette préoccupation ait été présente depuis le début, à travers le slogan de Marques), et que la bataille pour le « vote évangélique » a commencé. Chaque candidat a alors essayé d’élargir ses alliances avec des noms importants du milieu évangéliste (qui représente 29% de la population de Nova Iguaçu) de la Baixada et de l’État. Manoel Ferreira, important leader de l’Assembléia de Deus (qui comprend 11,5% des habitants de Nova Iguaçu) a donné son appui à Lindberg, alors que l’évêque de l’Universal (3,5% des habitants de Nova Iguaçu) a plutôt choisi Mário Marques.

Lorsque que Garotinho l’accusait d’être le « fils du Démon » (« filho do demo »), Lindberg s’est défendu en cherchant appui auprès du PTB. Leur candidat, Fernando Gonçalves, était arrivé à la troisième place dans la compagne et a donné son appui à Lindberg. En plus de contrer l’attaque de ses opposants qui accusaient Lindberg d’être un « outsider » (Gonçalves étant né à Nova Iguaçu et un des politiciens ayant reçu le plus de vote dans la ville), il est aussi évangéliste, ce qui a éloigné ainsi Lindberg du « camp de Mal » auquel Garotinho essayait de l’associer.

Cette association entre le champ religieux et le capital politique a été particulièrement marquée, selon Siqueira Barreto, depuis 1998, avec l’élection en 1998 d’Anthony Garotinho (PDT) comme gouverneur de l’État de Rio de Janeiro et de Benedita da Silva (PT) comme vice, étant tous les deux évangélistes. Bien que l’instrumentalisation de l’appartenance confessionnelle, du discours religieux ainsi que le ton de la guerre politique des élections de 2004 (appelée par certains la « guerre sainte ») ait été critiquée par des membres de parti de Garotinho lui-même, cela a augmenté fortement la participation des évangélistes aux élections et permis, selon l’auteure, une véritable « suprématie » politique du couple Garotinho lors de l’élection qui a suivi.

Il convient de préciser que ce projet politique a été soutenu par une association entre le leadership religieux et l’assistentialisme socio-économique. Selon Novaes (2002), cela aurait commencé avec l’Église Universelle, mais d’autres confessions religieuses auraient rapidement suivi. Ainsi, l’Assemblé de Dieu se serait

engagé dans des projets comme le « chèque-citoyen », lors du gouvernement Garotinho, et serait également liée à la Fondation Leão XIII et à son réseau assistentialiste ayant une utilisation électoraliste, tel que mentionné précédemment. Selon certains auteurs, tels que Machado (2003), il y aurait là un « cercle vicieux » dans lequel l’acteur utilise son engagement dans des activités religieuses assistentialistes pour gagner des votes, et une fois élu, soutiendrait prioritairement la tenue de telles activités.

De son côté, la Théologie de la libération et les CEBs, bien que toujours présentes, se sont faites de plus en plus discrètes depuis le changement de direction de l’Église Catholique sous Jean-Paul II, l’expansion du Renouveau Charismatique, l’effondrement du paradigme marxiste et surtout, depuis le développement du processus de démocratisation entamé dans les années 80, qui laisse de plus en plus de place aux associations citoyennes, aux syndicats et aux partis politiques. Il faudrait aussi, selon Siqueira Barreto, tenir compte d’un phénomène identifié par Leite (2003) comme étant des « réseaux de solidarité et de philanthropie », basés dans l’engagement civil et dans le sentiment religieux, faisant émerger une « dimension religieuse publique ou civile » qui pourrait altérer les frontières entre religion et politique.

Alors que Geertz (1977, p.214) nous rappelle « qu’un monde totalement démystifié est aussi un monde totalement dépolitisé », Siqueira Barreto nous exhorte, pour bien penser le politique dans la Baixada en tant qu’action symbolique, à appréhender les divers discours en action : celui du marketing, celui du spectacle, celui du religieux, celui du politique, celui du capital, etc. Cette présence du religieux dans le politique se fait voir notamment dans le langage et dans les discours des candidats et des campagnes, ainsi que par les alliances, et rend manifeste l’intégration de nouveaux agents (qui proviennent du champ religieux) et qui n’hésitent pas à penser (et à faire penser) le bien et le mal dans la culture et la politique brésilienne. Selon Siqueira Barreto, les élections municipales de 2004 ont montré que, dans le jeu politique, les affiliations, les alliances, et même le sens accordé à un même phénomène sont mouvants, dynamiques et changeants. L’exemple de l’assistentialisme est révélateur : il peut être acculé dans le camp du « mal » par un discours dénonciateur d’une forme de violence, mais aussi peut s’inscrire comme forme relationnelle d’engagement d’un politicien ‘violent- bienfaiteur-religieux’ et de reconnaissance d’un ‘électeur-bénéficiaire-croyant’.

Conclusion

Dans ce chapitre, j'ai présenté la constitution historique, économique et sociale de la Baixada Fluminense et de Nova Iguaçu dans un premier temps, et religieuse dans un deuxième temps. Une Baixada construite dans l'abandon des pouvoirs publics, sous-financée dans ses services et infrastructures et conçue essentiellement pour servir nourriture et main-d’œuvre à Rio, abandonnée dans une paupérisation, marginalisation et stigmatisation grandissante depuis sa création, jusqu'à sa gestion dans la violence économique et politique la plus éhontée.

C'est dans ce contexte, présenté dans le sous-chapitre 4.1, que se constituent les deux principaux agents religieux catholiques rencontrés, soit la Théologie de la libération et le Renouveau Charismatique, dont les réponses à la question de la pauvreté vont se construire progressivement et différemment dans leur conquête respective des champs religieux puis politique, tel que je l'ai présenté au sous-chapitre 4.2.

Il semblerait que l’histoire des transformations de ces deux agents du champ religieux brésilien vienne donner raison à Bourdieu lorsqu’il affirme que le capital symbolique est transférable d’un champ à un autre, via des négociations au cours desquelles les agents cherchent à avoir de plus en plus de valeur accordée à leurs produits. Ainsi, tant la Théologie de la libération que le Renouveau Charismatique se sont développées dans la Baixada à travers leur implication de plus en plus orientée dans le champs politique (partidaire ou non) et il

semblerait que, là où la Théologie de la libération se retire de ce champ, le Renouveau Charismatique et les évangélistes pentecôtistes prennent la place.

L'utilisation, dans ce chapitre-ci, de trois articles particulièrement proches de mon sujet d'études m'a semblé pertinente en raison de leur niveau d'observations très englobant pour la Baixada, niveau que le contexte d'un mémoire ne me permettait pas d'atteindre (bien que ces observations trouvent presque toujours un écho dans mes notes de terrain ou encore dans mes propres entrevues).

Dans le chapitre suivant, par contre, toute la place sera laissée aux données micro-contextuelles auxquelles m'a donné accès mon terrain à Nova Iguaçu (plus particulièrement, aux entrevues), et qui me permettront de vérifier dans quelle mesure il me sera possible de répondre à la question de recherche de mon mémoire.