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Dos Reis: l’enracinement de la Théologie de la libération dans la Baixada

Chapitre 4. LA BAIXADA FLUMINENSE ET NOVA IGUAÇU

4.2 Religion et politique dans la Baixada Fluminense et Nova Iguaçu

4.2.1 Dos Reis: l’enracinement de la Théologie de la libération dans la Baixada

Dos Reis (2010) interprète les actions socio-politiques telles que déployées par l’Église Catholique dans le Diocèse de Nova Iguaçu et menées Dom Adriano Hypolito, évêque dans ce diocèse de 1966 à 1995. Selon l’auteure, toutes les initiatives de l’Église dans cette période (y compris les efforts continus pour stimuler

la formation socio-politique de ses fidèles) visaient à s’approprier, à protéger et à contrôler son territoire d’influence dans la Baixada Fluminense, dans un contexte de concurrence dans le champ religieux avec les églises évangéliques, les maisons de candomblé et les centres spiritistes. L’engagement socio-politique de l’Église visait à améliorer les conditions de vie d’une population depuis longtemps délaissée par les politiques publiques.

L’auteur, qui étudie la période avec une perspective autant géographique qu’historique et politique, met l’accent sur le fait que c’est précisément dans une ambiance de pauvreté et de violence qu’est créé le Diocèse de Nova Iguaçu, le 26 mars 1960 par le pape Jean XXIII, en plein développement de l’esprit du Concile Vatican II. Cette Église a commencé à être considérée par plusieurs comme étant un modèle de l’Église socio- transformatrice qui articulait au sein de ses communautés de vie une action tournée à la fois vers le religieux et le politique.

Selon Dos Reis, le diocèse de Nova Iguaçu a introduit avec Dom Adriano des pratiques d’approximation de l’Église avec ses membres les plus éloignés, et ce serait dans ce but que s’insèrent les différentes actions socio-politiques qui ont fini par structurer les communautés locales. Il y avait un accent mis sur une approximation entre les groupes catholiques et les groupes plus éloignés de la pratique religieuse, dans le but de discuter des problèmes politiques, religieux et culturels du moment.

Ses initiatives ont renforcé la société civile à travers la création des CEBs, les communautés ecclésiales de base, groupes de quartier (ou plus précisément « de paroisse », dans les villes, ou encore « de chapelle », en milieu agricole) de 10 à 50 personnes, réunies autour de la rencontre entre l’Évangile et leur conjoncture socio-économique et politique locale. La création des CEBs et leur impact, de même que l’étendue de leur implication, doivent impérativement être comprises dans le cadre historique local ainsi que du contexte politique national de cette période, tel que je l'ai présentée dans le sous-chapitre précédent.

Ensuite, l’auteure présente Dom Adriano avant tout comme un leader « extraordinaire » qui avait une charge ecclésiale41. Il est arrivé de Salvador de Bahia en 1966, en tant qu’évêque auxiliaire du diocèse de Nova Iguaçu.

La même année il a créé le Conselho Presbiterial, puis, deux ans plus tard, le Movimento de Integração Comunitária (MIC). Selon Dos Reis, il s’agissait là de la première réponse aux défis sociaux du diocèse.

Il a entre autres aboutit aux Grupos de Maes dans lequel elles apprenaient divers travaux manuels et qui ont été, dans toute l’Amérique Latine, de véritables berceaux des divers groupes communautaires par la suite. Les groupes de mères discutaient de problèmes du quotidien avec un éclairage de l’Évangile et s’offraient des formations politiques et techniques, elles partageaient ensuite ces apprentissages et réflexions avec leurs maris et enfants.

Au début des années 70, Dom Adriano engage des enquêteurs pour recenser statistiquement les centres spiritistes, les maisons de candomblé et les églises évangéliques au sein du territoire de son diocèse. Cela s’est transformé en un document guidant toutes les politiques du Diocèse en ce qui a trait à la gestion des fidèles. Ainsi, la création en 1975 du Movimento Amigos do Bairro, qui a influencé énormément les mouvements populaires de la Baixada aurait été pensée en ce sens, étant donné que la religion était une dimension sociale importante des lieux. Également en 1977 a été créée la Comissão Social da Terra qui défendait les « assentamentos42 » réalisés par une faction importante de la population. C’est aussi en cette décennie qu’est

née la Commissão Justiça e Paz visant à diminuer les effets des « grupos de extermínio43 » dans la région.

41 Cette figure emblématique était à ce point importante sur le terrain que j’ai souvent eu l’impression (surtout dans les premiers jours,

avant de réaliser ma méprise) que Dom Luciano pourrait arriver à n’importe quel moment lors de nos repas à la maison paroissi ale, puisque l’on en parlait très souvent et d’une manière qui m’a laissé croire qu’il était encore bien vivant et actif.

42 Occupations de terres selon les termes de la loi de la réforme agraire, qui stipule qu’après un certain nombre d’années, les personnes

occupant et cultivant des terres auparavant non-productives en acquièrent les droits..

43 Groupes d’extermination, ce sont des milices qui opèrent dans toutes les grandes villes du Brésil, ils entrent parfois dans les bidonvilles

Des nombreuses actions sont également créées autour des thèmes foi et vie et foi et politique, visant à instruire et à défendre les habitants (qu’ils soient croyants ou non) en ce qui a trait à leurs droits à l’habitation, à l’éducation, aux transports en commun et aux infrastructures de base. De tout cela découle la création des CEBs, ainsi que le renforcement du sentiment local « d’être Église », une Église dans laquelle les laïcs sont des protagonistes et les prêtres et religieux ou religieuses sont des compagnons de leur cheminement.

Dans un tel contexte, le Diocèse de Nova Iguaçu a été un agent de transformation par la promotion de la dignité humaine, par la voie de diverses activités religieuses mais aussi socio-politiques, transformant des espaces en communautés, dans lesquelles s’active une cohabitation fertile et féconde autant sur le plan religieux que socio-politique. Ce mouvement a cependant rencontré une opposition claire au sein même du diocèse dans ses sections plus conservatrices: on reprochait à l’évêque de « forcer » les fidèles vers une option plus politisée de la religion.

C’est alors que Dom Adriano a commencé à être menacé. Le 22 septembre 1976 il a été kidnappé, torturé, mis à nu et peinturé entièrement en rouge, avant d’être abandonné dans une décharge publique. En 1979, la cathédrale Santo Antonio ainsi qu’une église de Nova Iguaçu ont été vandalisées avec des graffitis, dans lesquels on insulte Dom Adriano. Un mois plus tard, le 20 décembre, une bombe dont le modèle est reconnu pour être utilisé exclusivement par l’armée a explosé à l’autel de l’église Santo Antonio de Jacutinga, la cathédrale de Nova Iguaçu, blessant deux des trois ouvriers qui y travaillaient. Plusieurs autres églises ont ensuite été vandalisées et un manifeste contre Dom Adriano a été distribué. Un tel évènement s’est avéré être un point tournant dans l’imaginaire et dans la mobilisation de l’Église brésilienne. Le 30 décembre, 10 000 personnes, dont plusieurs évêques, ont participé à une procession d’appui à Dom Adriano. Toute la région, voire toute l’Église brésilienne ainsi que la presse nationale et internationale a été fortement choquée et solidarisée par les évènements (y compris ceux qui, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Église, critiquaient les positions de l’évêque).

Cependant, après 1980, le Vatican a pris des mesures pour limiter les changements théologiques dans l’Église brésilienne. Une lettre apostolique adressée aux évêques brésiliens en décembre 1980 affirmait que l’Église ne devait pas s’engager dans des questions sociales au détriment de sa fonction religieuse. De plus, le Vatican a choisi d’appuyer la ligne pastorale traditionaliste de Dom Eugênio Sales, alors archevêque de Rio de Janeiro et leader des néo-conservateurs. Tout en cherchant à éviter une quelconque confrontation frontale avec l’Église brésilienne, le Vatican a pris diverses mesures visant à limiter ses élans progressistes, et la reconfiguration territoriale des diocèses en a été une tactique aussi discrète qu’efficace.

Ainsi, le démembrement des paroisses de Petrópolis et de Nova Iguaçu le 11 octobre 1980, au profit de la création de celles de Duque de Caxias et São João de Meriti était effectivement cohérente avec l’augmentation de la population et de la demande religieuse subséquente, elle permettait ainsi de mieux y répondre tout en court-circuitant l’expansion potentielle de d’autres doctrines (raisons officielles d’une telle réorganisation), mais a aussi permis l’affaiblissement du catholicisme de masse développé à São João de Meriti, et du coup, restreignait l’impact de plus en plus important des CEBs de la région et de Dom Adriano Hypólito,

certains tuent des enfants de la rue parce qu’ils prétendent que « la mauvaise herbe, il faut l’arranger lorsqu’elle est encore jeune » (extrait d’une entrevue à la télévision à laquelle j’ai assisté il y a des nombreuses années, et qui m’a marquée). Souvent ce sont des agents de la police militaire, sans leur uniforme. C’est ce qui s’est produit la nuit du 31 mars 2005, alors que cinq policiers militaires ont planifié une attaque dans les rues de Nova Iguaçu et Queimados, dans la Baixada Fluminense. Quatre d’entre eux sont partis en voiture et ont tiré au hasard, tuant 17 personnes à Nova Iguaçu et 12 autres à Queimados. Bien que 11policiers aient été denoncés, cinq ont été libérés faute de preuves, un autre a été exécuté de 15 balle suite à son témoignage incriminant les cinq autres, et ces derniers ont été condamnés à la prison entre 2006 et 2009, après qu’il ait été demontré qu’ils faisaient partie d’un « groupe d’extermination » de la région. À Rio également, ces « chacinas » (massacres) ont lieu regulièrement. L’une des plus connues, la « chacina da Candelaria » a eu lieu la nuit du 23 juillet 1993 devant l’Église de la Candelaria. Des miliciens d’un groupe d’extermination ont ouvert le feu sur des enfants et des adolescents qui dormaient devant l’église, tuant huit d’entre eux et blessant des dizaines d’autres .

qui voyait alors diminuée la représentativité de son champ politique et religieux au sein de la Baixada Fluminense.

4.2.2 Figueiredo de Assis et le développement du Renouveau Charismatique du