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Les représentations de la pauvreté des agents du Renouveau Charismatique et de la Théologie de la libération à Nova Iguaçu (Brésil)

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Academic year: 2021

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Les représentations de la pauvreté des agents du

Renouveau Charismatique et de la Théologie de la

libération à Nova Iguaçu (Brésil)

Mémoire

Claudia Fuentes

Maîtrise en anthropologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Les représentations de la pauvreté des agents du

Renouveau Charismatique et de la Théologie de la

libération à Nova Iguaçu (Brésil)

Mémoire

Claudia Fuentes

Sous la direction de :

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Résumé

Nova Iguaçu, Baixada Fluminense, 2004: dans un Brésil aux paysages religieux et politique en pleine transformation, les groupes catholiques du Renouveau Charismatique et de la Théologie de la libération se trouvent en compétition. Dans un univers de grandes disparités sociales et où le taux d’homicides a augmenté de 130% entre 1980 et 2000, ces deux grandes orientations spirituelles doivent donner du sens à la pauvreté si elles veulent gagner “leurs” élections.

Le cadre théorique de Pierre Bourdieu, grâce aux concepts d’agent, d’habitus, de capital social et surtout, de champ, permet de comprendre à la fois les forces de reproduction sociale et celles de transformation sociale, et ce, à travers des tensions, négociations et échanges de « capitaux » spécifiques entre les champs religieux et politique. Des entrevues ont été réalisées (dont 14 ont été retenues) avec des tenants de ces deux groupes. Elles ont permis de faire ressortir le poids de l’éthos sur les représentations de la pauvreté et sur les actions privilégiées par ces deux groupes.

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Abstract

Nova Iguaçu, Baixada Fluminense, 2004: in a Brazil on changing political and spiritual landscapes, the Catholics Charismatic Renewal groups and the Liberation Theology ones are in competition. In a universe of large social disparities where the homicide rate increased by 130% between 1980 and 2000, these two spiritual orientations must make sense of poverty if they want to win « their » elections.

The theoretical framework of Pierre Bourdieu, thanks to the concepts of agent, habitus, social capital and especially, field, allows to understand the forces of reproduction and social transformation, and this, through tensions, negotiations and exchanges of specific "capital" between the religious and political fields. Interviews were conducted (14 of which were retained) with supporters of both groups. They made it possible to highlight the weight of the ethos on the representations of poverty and the actions favored by these two groups.

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Resumo

Nova Iguaçu, Baixada Fluminense, 2004 : em um Brasil cujas paisagens religiosa e política se encontram em plena transformação, os grupos católicos da Teologia da libertação e da Renovação Carismática estão em competição. Em um universo de grandes disparidades socias e onde a taxa de homicídios aumentou de 130% entre 1980 e 2000, essas duas orientações espirituais devem dar um sentido à pobreza se quiserem ganhar « suas » eleições.

O quadro teórico de Pierre Bourdieu, com os conceitos de agente, habitus, capital social e, sobretudo, de campo, permitem a compreensão das forças de reprodução social como as de transformação social, através das tensões, negociações e conversões de « capitais » específicos entre os campos religioso e político. Varias entrevistas foram realisadas (dentre as quais, 14 foram selecionadas) com participantes desses dois grupos. Isso permitiu de destacar o peso do ethos sobre as representações da pobreza e sobre as ações privilegiadas pelos membros desses grupos.

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Table des matières

Résumé ...ii

Abstract ... iii

Resumo ...iv

Table des matières ... v

Liste des tableaux ... viii

Liste des graphiques ...ix

Liste des sigles ... x

Remerciements ... xiii

Introduction ... 1

La persistance d’une question ... 1

Les sections du mémoire ... 2

Chapitre 1 VIOLENCES ÉCONOMIQUES, POLITIQUES ET SYMBOLIQUES AU BRÉSIL ... 4

Introduction ... 4

1.1. Le Brésil: réalité sociale, politique et économique ... 4

1.1.1 La dictature de 1964 ... 6

1.1.2 Vers la nouvelle Constitution de 1988 ... 11

1.2. Le Brésil et son paysage religieux: la dominance catholique ... 14

1.3 Un catholicisme transformé : la Théologie de la libération et le Renouveau Charismatique ... 19

1.3.1 La Théologie de la libération ... 19

1.3.2 Le Renouveau Charismatique ... 24

Conclusion ... 30

Chapitre 2 LE RELIGIEUX ET LE POLITIQUE ENTRE CHAMPS ET MARCHÉS: LA DIMENSION DYNAMIQUE DU CADRE THÉORIQUE DE PIERRE BOURDIEU ... 32

Introduction ... 32

2.1. Le cadre de référence : le cadre théorique de Pierre Bourdieu ... 32

2.2. Les concepts ... 35 2.2.1. Agent ... 35 2.2.2. Habitus ... 35 2.2.3. Capital social ... 36 2.2.4. Champ ... 37 Conclusion ... 38 Chapitre 3 MÉTHODOLOGIE ... 39

(7)

Introduction ... 39

3.1 Question de recherche et orientation méthodologique ... 39

3.2 La collecte des données ... 40

3.2.1 La période du terrain, les lieux de la recherche et ses particularités ... 40

3.2.2 Les groupes ... 40

3.2.3 Quelques écueils lors du terrain ... 43

3.2.4 Techniques de collecte de données ... 44

3.3 L’analyse des données ... 45

3.3.1 Les personnes interviewées ... 45

3.3.2 L’analyse des données ... 48

3.4 Considérations éthiques ... 49

Conclusion ... 49

Chapitre 4. LA BAIXADA FLUMINENSE ET NOVA IGUAÇU ... 50

Introduction ... 50

4.1 Baixada Fluminense, contexte historique, social et économique ... 50

4.2 Religion et politique dans la Baixada Fluminense et Nova Iguaçu ... 54

4.2.1 Dos Reis: l’enracinement de la Théologie de la libération dans la Baixada ... 55

4.2.2 Figueiredo de Assis et le développement du Renouveau Charismatique du diocèse de Nova Iguaçu ... 58

4.2.3 SIQUEIRA BARRETO: la confrontation de groupes religieux de la Baixada Fluminense et de Nova Iguaçu aux élections municipales de 2004 ... 62

Conclusion ... 64

Chapitre 5 LES ETHOS EN QUESTIONS ET EN ACTIONS ... 66

Introduction ... 66

5.1 Les catégories sociales des répondants retenus ... 66

5.2 Les points saillants des entrevues ... 68

5.2.1 La pauvreté au Brésil ... 69

5.2.2 La pauvreté en général ... 73

5.2.3 Identité, histoire ... 78

5.3 Les représentations de la pauvreté chez les répondants ... 79

5.3.1 Les représentations des répondants ayant un éthos de classe sociale ouvrière ... 80

5.3.2 Les représentations des répondants ayant un éthos de classe sociale moyenne-élevée ... 81

5.3.3 Les représentations des répondants inspirés par la Théologie de la libération ... 82

(8)

CONCLUSION ... 85

Bibliographie ... 92

Annexe A Tableau 1- Distribution des travailleurs de 10 ans et plus, par pourcentages en tranches d’âge, par Région. ... 96

Annexe B Tableau 2- Indice de Gini d’après le revenu mensuel des travailleurs de 10 ans et plus, selon le sexe et les grandes Régions et Unités Fédératives du Brésil ... 97

Annexe C Tableau 3- Classement des Unités Fédératives du Brésil par taux d’homicides, dans la population totale de 15 à 24 ans ... 98

Annexe D Tableau 4- Tableau de l’engagement des répondants selon les groupes... 99

Annexe E Tableau 5- Tableau des répondants selon les éthos ... 100

Annexe F Tableau 6- Tableau des répondants selon les groupes religieux ... 101

Annexe G Tableau 7- Tableau d’analyse selon les éthos ... 103

Annexe H Tableau 8- Tableau d’analyse selon les groupes religieux ... 104

Annexe I Graphique 1- Taux de chômage en pourcentage pour les régions métropolitaines de Recife, Salvador, Belo Horizonte, Rio de Janeiro, São Paulo et Porto Alegre (Total) ... 105

Annexe J Graphique 2- Indice de Gini d’après le revenu mensuel des travailleurs de 15 ans et plus, selon les grandes Régions du Brésil (2004-2013)... 106

Annexe L Graphique 3- Nombre d’homicides au Brésil (1993-2002) ... 107

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Liste des tableaux

Tableau 1- Distribution des travailleurs de 10 ans et plus, par pourcentages en tranches d’âge, par Région Tableau 2- Indice de Gini d’après le revenu mensuel des travailleurs de 10 ans et plus, selon le sexe et les grandes Régions et Unités Fédératives du Brésil

Tableau 3- Classement des Unités Fédératives du Brésil par taux d’homicides Tableau 4- Tableau de l’engagement des répondants selon les groupes Tableau 5- Tableau des répondants selon les éthos

Tableau 6- Tableau des répondants selon les groupes religieux Tableau 7- Tableau d’analyse selon les éthos

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Liste des graphiques

Graphique 1- Taux de chômage en pourcentage pour les régions métropolitaines de Recife, Salvador, Belo Horizonte, Rio de Janeiro, São Paulo et Porto Alegre (Total)

Graphique 2- Indice de Gini d’après le revenu mensuel des travailleurs de 15 ans et plus, selon les grandes Régions du Brésil (2004-2013)

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Liste des sigles

ABI: Associação Brasileira de Imprensa, Association de la Presse Brésilienne AC: Action Catholique

Anatel: Agência Nacional de Telecomunicações, Agence Nationale des Télécommunications ANPB: Associação Nacional dos Presbíteros do Brasil, Association Nationale des Clercs du Brésil ARENA: Aliança Renovadora Nacional, Alliance Renovatrice Nationale

CBAs: Comitês Brasileiros pela Anistia, Comités Brésiliens pour l’Amnistie CEBs: Communautés Ecclésiales de Base

CEBRAP: Centro Brasileiro de Análise e Planejamento, Centre brésilien d’analyse et planification

CGT : Comando Geral dos Trabalhadores, Comando Général des Travailleurs. S’appelle maintenent la CUT, Central Única dos Trabalhadores

CIMI: Conselho Indigenista Missionario, Centre Indigéniste Missionnaire

CNBB: Conferência Nacional dos Bispos do Brasil, Conférence Nationale des Évêques du Brésil CPI: Comissão Parlamentar de Inquérito, Commission Parlementaire d’Enquête

CPT: Commission Pastorale de la Terre

CSp: Centro Socio-político, Centre Socio-politique

DOI-Codi: Destacamento de Operações de Informações - Centro de Operações de Defesa Interna, Département d'Opérations d'Informations - Centre d'Opérations de Défense Interne

FMI: Fonds Monétaire International

IBGE: Instituto Brasileiro de Geografia e Estatísticas, Institut brésilien de géographie et de statistiques IPES : Instituto de Pesquisa e Estudos Sociais, Institut de Recherche et d’Études Sociales

IBAD : Instituto Brasileiro de Ação Democrática, Institut Brésilien d’Action Démocratique JOC: Jeunesse Ouvrière Catholique

MDB : Movimento Democratico Brasileiro, Mouvement Démocratique Brésilien MG: Mato Grosso

MIC: Movimento de Integração Comunitária, Mouvement d’Intégration Communautaire

MPD: Movimento do Ministério Público Democrático (MPD), Mouvement du Ministère Public Démocratique MTD: Movimento dos Trabalhadores Desempregados, Mouvement des travailleurs sans emploi

OAB: Ordem dos Advogados do Brasil, L’Ordre des Avocats du Brésil OMC: Organisation Mondiale du Commerce

OPEP: Organisation des pays exportateurs de pétrole OSBL: Organisme Sans But Lucratif

PACs: Projetos Alternativos Comunitários, Projets Alternatifs Communautaires PC do B: Partido Comunista do Brasil, Parti Communiste du Brésil

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PDT: Partido Democrático Trabalhista, Parti Démocratique Travailliste

PFL: Partido da Frente Liberal, Parti du Front Libéral. S’appelle “Democratas” depuis 2007 PHS: Partido Humanista da Solidariedade, Parti Humaniste de la Solidarité

PL: Partido Liberal, Parti Libéral

PMDB: Partido do Movimento Democrático Brasileiro, Parti Démocratique Brésilien. S’appelle “Movimento Democratico Brasileiro” depuis 2017

PMN: Partido da Mobilização Nacional, Parti de la Mobilisation Nationale

PDN : Programa Nacional De Desestatisação, Programme National de Privatisation PO: Pastorale Ouvrière

PP: Partido Progressista, Parti Progressiste. S’appelle “Progressistas” depuis 2017

PPS: Partido Popular Socialista, Parti Populaire Socialiste. S’appelle “Cidadania” depuis 2019 PT: Partido dos Trabalhadores, Parti des Travailleurs

PT do B: Partido Trabalhista do Brasil, Parti Travailliste du Brésil. S’appelle “Avante” depuis 2017 PTN: Partido Trabalhista Nacional, Parti travailliste national. S’appelle “Podemos” depuis 2016 PRONA: Partido de Reedificação da Ordem Nacional, Parti pour la reconstruction de l'ordre national Pronasci: Programa Nacional de Segurança com Cidadania, Programme National de Sécurité avec Citoyenneté

PRP: Partido Republicano Progressista, Parti Républicain Progressiste

PRTB: Partido Renovador Trabalhista Brasileiro, Parti Rénovateur Travailliste Brésilien PSB: Partido Socialista Brasileiro, Parti Socialiste Brésilien

PSC: Partido Social Cristão, Parti Social Chrétien

PSDB: Partido da Social Democracia Brasileira, Parti de la Social-Démocratie Brésilienne

PSDC: Partido Social Democrata Cristão, Parti social-démocrate chrétien. S’appelle Democracia Cristã depuis 2017

PSL: Partido Social Liberal, Parti Social Liberal

PSOL: Partido Socialismo e Liberdade, Parti Socialisme et Liberté PV: Partido Verde, Parti Vert

RCC: Renouveau Charismatique Catholique RJ: Rio de Janeiro

SP: São Paulo

USAID: United States Agency for International Development, Agence des États-Unis pour le développement international

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Parce qu’on peut être et anthropologue et croyante ; et scientifique, et militante ;

et poussière de l’univers, et membre d’une famille…

Aux Corps du Christ, dans le temps et l’espace ; À ma mère ; À Jean Ménard.

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Remerciements

On ne réalise pas un mémoire de maîtrise toute seule, à plus forte raison lorsqu’il dure 15 ans. Des gens rencontrés sur le terrain m’ont dit que « seuls, on va plus vite, mais ensemble, on va plus loin ». Dans mon cas précis, je dirais que « ensemble, on finit par y arriver » ….

Tout d’abord, j’aimerais remercier ma directrice, Francine Saillant, qui depuis le tout début et pendant toutes ces années, à maintes reprises et de maintes façons, a su m’inspirer confiance en moi-même et en ce projet, et ce, bien mieux et avant que je n’y crois moi-même. Elle est un modèle pour moi à bien des égards, sur le plan de la recherche bien sûr, mais aussi celui de la beauté et, tout spécialement, pour sa grande humanité et sensibilité, son souci de justice, de partage et du travail d’équipe, et cette confiance communicative dans le fait qu’ensemble et de façon non-hégémonique nous pouvons construire un lendemain meilleur, parce que nous avons les outils et l’intelligence pour le faire. Merci pour votre généreuse patience et disponibilité, et surtout, merci de votre volonté et capacité à faire advenir ce qui n’a l’apparence que d’un rêve. Je crois que c’est en nous surestimant toujours un peu dès le départ, que vous finissez par donner sens au mot « élèves »…

Merci également à M. Martin Hébert et Mme Marie-Christine Doran qui ont accepté de lire et d’évaluer mon travail : connaissant vos travaux, votre contribution m’honore particulièrement. Merci aussi à Valérie Berthiaume, ma première anthropologue passionnée m’ayant fait découvrir la bonne nouvelle : l’anthropologie existe !

Mes remerciements chaleureux à Georges-Éric Michaud qui a eu l’endurance et la patience de me lire (moi et toutes mes parenthèses), en plus de m’aider avec la mise en page, de m’encourager et me permettre de reprendre mon souffle dans les derniers milles de ce marathon, et ce de bien de manières.

Beaucoup d’amis ont aidé à financer un projet d’aussi longue haleine. Vous avez tous contribué non seulement financièrement, mais sans exception vous m’avez apporté un soutien émotionnel, affectif et intellectuel sans failles. Je n’aurais jamais pu terminer ce projet sans vous. Votre entêtement, votre constance et votre persévérance ont nourri la mienne. Merci de tout cœur.

Ce mémoire ne pouvait avoir de sens qu’à travers le terrain. Ceux qui m’y ont aidée sont trop nombreux pour que je puisse être à la fois juste et respectueuse des normes du présent exercice, mais sachez que si en 15 ans je n’ai jamais songé à abandonner le projet, c’est d’abord à cause de vous, qui m’avez accueillie, reçue, vous qui m’avez ouvert vos maisons, réunions, vos agendas et vos cœurs. Ce texte, indépendamment de ses résultats, je vous le devais à vous, à qui je voulais par-dessus-tout dire merci, et vous dire aussi que je crois avoir fait de mon mieux, mais que je ne vous ai ni oubliés ni délaissés, malgré, parfois, les apparences. Merci particulièrement à feu Pe. Agostinho, « graande Pe. Agostinho », toujours présent…. Merci de m’avoir accueillie dans votre, notre famille, et de m’en avoir ouvert toutes les portes. Merci à Fatinha, à Flávio, à feu Pe. Geraldo, et à tous les prophètes et prophétesses de Nova Iguaçu, aux gens du MTS, de la Pastoral do Menor, merci à Gracinda et à tous ceux de Novo Maná, merci chaleureusement à Silvia qui m’a permis de garder une stabilité sur ma petite barque. Merci tout particulièrement à tous ceux qui ont bien voulu m’accorder de leur temps, merci aux gens du CEDAC, du Centro Socio-político, aux gens de la JOC et de la Pastorale Ouvrière, et de façon plus générale, à tous ceux de la Diocèse de Nova Iguaçu. Je suis déchirée entre le désir de vous nommer et remercier individuellement et de manière précise, et la nécessité de rester plus vague afin de respecter le souci de confidentialité.

Il y a beaucoup de gens qui ont eu la bonté, la générosité et la persévérance de croire en moi à travers toutes ces années et malgré tous les écueils (si ce n’est pas un miracle, c’est au minimum de l’amour, ce qui revient presqu’au même). Leur soutien et leur persévérance ont pris toutes les formes qui puissent exister: je

(15)

vous dois bien plus qu’un mémoire de maîtrise, je vous dois ce que je suis aujourd’hui : ma mère Lilian Cordero, mon « papi » Jean Ménard, Christiane Lemaire, Carmen Duplain, l’abbé Réal Grenier, Alexandre.

Merci à mon mari, Roberto Benvenuto, qui m’a fait découvrir que le bonheur ce n’est pas une quête, mais avant tout de savourer et d’apprécier ce que l’on est et ce que l’on a déjà. Merci d’avoir accepté avec le sourire cette période où tu me partageais davantage avec ce mémoire, et merci de me rendre si heureuse.

(16)

Introduction

La persistance d’une question

Ayant vécu une bonne partie de mon enfance et de mon adolescence au Brésil, je me suis souvent demandé comment, dans un pays aussi riche et ayant d’aussi fortes disparités socio-économiques, où des centres d'achat très luxueux sont bordés de bidonvilles, les gens pouvaient expliquer voire légitimer une telle réalité sociale, de façon à être relativement en paix avec eux-mêmes. Ayant depuis l’enfance posé cette question à tout-un-chacun, j’ai fini par comprendre qu’il n’était pas possible pour tous de vivre en paix avec cette réalité, mais qu’il s’imposait toutefois à chacun la nécessité de lui donner du sens, et qu’il n’était pas le même pour tous.

Pour approcher les représentations et interprétations de la pauvreté dans un pays comme le Brésil, il me semblait fondamental de visiter le champ religieux dans toute son étendue et profondeur. Une opportunité s’est présentée à moi par l’intermédiaire de contacts du prêtre ouvrier Jean Ménard1, que j’ai eu le privilège

d’avoir pour père spirituel. Plusieurs de ses amis étaient et sont encore très connus dans le monde communautaire, syndical et de la solidarité internationale, et il avait cette habilité de percevoir les forces de chacun et de les réseauter. C’est ainsi qu’il m’a mis en contact avec des amis du milieu catholique de la ville de Nova Iguaçu, des gens qui, comme lui, étaient majoritairement inspirés par la « Théologie de la libération », qui a poussé (et continue à le faire) plusieurs Chrétiens, au Brésil comme ailleurs, à s’engager pour un monde plus équitable, juste et humain au nom de leur foi. Des gens qui étaient très sensibles au fait que, comme le dit Bourdieu,

« Le champ est le lieu de rapports de force – et pas seulement de sens – et de luttes visant à les transformer et, par conséquent, le lieu d’un changement permanent » (Bourdieu : 1992, p.79). Cette vision dynamique du problème me semble prometteuse, c’est donc avec le cadre théorique de Bourdieu que je vais l’explorer.

Même si la Théologie de la libération est le courant dominant chez les gens que j’ai rencontré à Nova Iguaçu, mon terrain m’a aussi amenée à côtoyer régulièrement des membres du Renouveau Charismatique Catholique (RCC), très influent au sein de l’Église Catholique au Brésil et qui coexiste dans une certaine aspérité avec la Théologie de la libération. J’ai aussi eu l’occasion de prendre conscience de la place de plus en plus importante qu’occupaient déjà à cette époque les religions néo-pentecôtistes, dont notamment l’Église Universelle. Je dois mentionner aussi que, même si la spécificité de mon terrain (j’étais accueillie dans une maison paroissiale catholique) ne m’a pas amenée à rencontrer beaucoup de personnes se déclarant de confession de quelque religion afro-brésilienne ou spiritiste, il est clair que cela ne sous-entend en rien que

1 Andragogue ayant combattu les injustices, l’exploitation et les structures néolibérales les engendrant, aussi bien à Cuba, au Chili, au

Nicaragua qu'au Québec. Partout, il a choisi de partager les conditions de vie et les luttes des appauvris, des opprimés, des exploités. Gérald Larose, lors de l’hommage qu’il lui a rendu à ses funérailles en janvier 2020, dit de lui que Jean Ménard était « un intellectuel non classique, hétérodoxe, organique du mouvement ouvrier », « un théologien organique de l’Église des pauvres », un « militant à ras le sol », « enraciné », « réseauté » et « mobilisateur », « comme éveilleur de conscience » et « comme porte-voix de celles et ceux qui n’en avaient pas ». Reconnu pour ses qualités de vulgarisateur, d’écoute et de motivation, il a démarré et/ou participé à des nombreux groupes de formation, de solidarité et de lutte pour les droits sociaux (Comité Québec-Chili, Solidarité Québec Amérique Latine, Centre International de Solidarité Ouvrière, Centre de Pastorale en Milieu Ouvrier, Amnistie Internationale, Alternatives, Développement et Paix, Fonds Solidarité Sud, Entraide Missionnaire, Organisation Populaire des Droits Sociaux, Réseau des Missionnaires Laïcs, Alerte Centre-Sud, Attac-Québec, Groupe de Théologie Contextuelle Québécoise).

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l’importance de ces religions au sein du champ religieux brésilien soit négligeable. J’ai cependant choisi de me concentrer, pour l’exercice de ce mémoire, sur les deux groupes le plus souvent rencontrés lors de mon terrain (la Théologie de la libération et le Renouveau Charismatique), et d’explorer les représentations qu’ils ont de la pauvreté ainsi que les actions sur le plan social et politique que ces représentations pourraient les amener à poser.

J’ai cependant dû interrompre mes études pour des raisons de santé, peu de temps après mon terrain, et une chose en amenant une autre, cette interruption s’est prolongée bien plus longtemps que prévu. Ayant retrouvé des conditions plus favorables, j’ai décidé de reprendre ce projet qui ne m’a en fait jamais quitté.

Il va sans dire que de conclure ainsi un projet de mémoire 15 ans après le terrain comporte certains défis. Par exemple la validation de certains éléments est aujourd’hui impossible à faire auprès de certains répondants, dont j’ai perdu la trace ou qui sont décédés. Cela dit, cet éloignement dans le temps permet une appréciation différente de l’époque en question, et de l’évolution de certaines tendances. Notamment, certains changements se sont produits dans les champs religieux et politique brésiliens, et avec le recul aujourd’hui je peux apprécier, avec un surprenant mélange de fascination intellectuelle et d’horripilation citoyenne, que j’assistais et m’intéressais, sans le savoir, à leur genèse. Nous y reviendrons à la fin du mémoire, mais dans un premier temps, présentons ce mémoire comme une étude sur ce que je croyais être une bataille entre la droite et la gauche du christianisme brésilien.

Les sections du mémoire

Ce mémoire de maîtrise porte sur des agents brésiliens de la Baixada Fluminense au Rio de Janeiro, plus spécifiquement de la ville de Nova Iguaçu, située elle-même dans la région métropolitaine de Rio de Janeiro au Rio de Janeiro, au Brésil.

Il soulève la question suivante: « Quelles sont les actions des agents inspirés par la Théologie de la libération et par le Renouveau Charismatique face à la pauvreté? »

Le terrain a eu lieu du 19 mai au 15 septembre 2004, dans la ville de Nova Iguaçu. J’ai été accueillie dans une maison paroissiale de la ville de Nova Iguaçu.

Dans le chapitre 1, je ferai la mise en contexte du terrain : j’exposerai les aspects sociologiques, économiques, politiques et historiques du Brésil qui me semblent les plus pertinents pour cette étude. Je présenterai aussi le champ religieux brésilien et son évolution ces dernières décennies dans un univers à dominance catholique, puis les agents de la Théologie de la libération et ceux du Renouveau Charismatique Catholique, qui sont ceux que j’ai pu y côtoyer davantage pendant mon terrain.

Dans le chapitre 2, je présenterai le cadre de référence de Pierre Bourdieu ainsi que ses principaux concepts : agent, habitus, éthos, capital social et champ, tout en m’attardant davantage au concept de champ religieux.

Le chapitre 3 traitera de la méthodologie: la question de recherche et les sous-questions qui me guident, l’orientation méthodologique, l’importance de la méthode ethnographique. J’évoquerai les lieux de la recherche et de ses particularités, de même que ses impacts sur la recherche, les techniques de collecte de données, et les techniques d’analyse de ces données. Je m’y arrêterai également sur quelques considérations d’ordre éthique et je ferai la présentation des agents religieux rencontrés.

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Le chapitre 4 fera la présentation des agents que sont la Théologie de la libération et le Renouveau Charismatique dans les champs religieux et politique de la Baixada Fluminense: d’abord en informant sur le contexte social et économique de la Baixada, puis sur le champ religieux tel qu’il s’y présente, l’enracinement progressif des deux groupes en question et les enjeux politiques dans lesquels ils semblent se confronter.

Dans le chapitre 5, je procéderai à l’analyse des données obtenues. D’abord en faisant ressortir les points saillants des entrevues retenues, qui seront ensuite classés par thèmes autour desquels les répondants filent leurs représentations de la pauvreté. Je classerai, également, les répondants selon quatre catégories différentes: ceux ayant un éthos de classe sociale ouvrière, ceux ayant un éthos de classe sociale moyenne-élevée, ceux étant inspirés par la Théologie de la libération, et ceux participant à des groupes de prière. Ensuite, je croiserai ces données, afin de vérifier sur quels thèmes les réponses des répondants semblent significativement différenciées selon ces catégories sociales. Finalement, je synthétiserai ces résultats afin de vérifier dans quelle mesure, à l’éclairage du cadre théorique de Bourdieu, j’aurai pu répondre à ma question de recherche.

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Chapitre 1 VIOLENCES ÉCONOMIQUES, POLITIQUES ET

SYMBOLIQUES AU BRÉSIL

Introduction

Ce chapitre présente le Brésil sous deux aspects majeurs: sa réalité sociale, économique et politique, et son paysage religieux. Dans un premier temps, j’aborderai, dans le sous-chapitre 1.1, les grandes disparités socio-économiques qui ont longtemps accablé le pays, de même que la violence urbaine qui les accompagnaient. Cette violence économique a été soutenue par une violence politique qui a, en 1964, pris la forme d’une dictature militaire, du cœur de laquelle est ressorti un leader parmi les enfants les plus meurtris de ce pays et qui, 21 ans plus tard, en deviendrait le président. Afin de mieux apprécier cette période de l’histoire brésilienne (qui était aussi celle de mon terrain), et tout ce qu’elle pouvait comporter pour les agents en termes d’espoirs, illusions, tensions et déceptions, j’examinerai la construction historique de ce contexte politique particulier, à travers la période précédant immédiatement la dictature de 1964, la période dictatoriale elle-même, et toute celle située entre la fin de la dictature et les premières années du gouvernement Lula, lors de mon terrain.

J’aborderai ensuite, dans le sous-chapitre 1.2, le paysage religieux brésilien, sa construction et son évolution dans un univers à dominance catholique. Je m’arrêterai aux transformations qui l’ont traversé depuis la colonisation, transformations particulièrement marquées depuis la deuxième moitié du XXème siècle. Je présenterai, enfin, au sous-chapitre 1.3, les agents que j’ai pu y côtoyer de façon plus soutenue pendant mon terrain, à savoir, surtout, ceux de la Théologie de la libération et ceux du Renouveau Charismatique Catholique.

1.1. Le Brésil: réalité sociale, politique et économique

Le Brésil est un pays riche et puissant : 5ème pays en termes de superficie et de population, 7ème puissance économique au monde (tout juste avant la Russie), il est un des plus grands exportateurs agricoles au monde, possède d’énormes réserves minérales et pétrolières (ces dernières, régulièrement réévaluées à la hausse, lui donnent même l’espoir de rejoindre l’OPEP), ainsi qu’un réseau hydrique très étendu et une biodiversité largement inexplorée2.

Cependant, il est depuis longtemps un champion des inégalités sociales, et en 2004 nous savions, d’après les statistiques d’alors, qu’il existait au pays 44 millions de personnes très pauvres, vivant avec un revenu mensuel de 180 R$ (soit environ 61 $US), et que le Brésil se classait au 1er rang mondial pour les inégalités sociales, avec un coefficient de Gini3 qui se situait à 0,547, avec 10% des plus riches détenant 44,6%

des revenus, alors que les 10% les plus pauvres détenaient à peine 1,0% des revenus4.

2 Daudelin, Jean (2010) : « Le Brésil comme puissance : portée et paradoxes », in : Problèmes d’Amérique latine, 4 No78.

3 Le coefficient de Gini est une mesure permettant d’évaluer le degré d’inégalité existant dans une population donnée, variant entre 0

(aucune inégalité) et 1 (un maximum d’inégalité).

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La pauvreté et les inégalités sociales qui y régnaient s’accompagnaient également de graves problèmes de violence urbaine. Cette violence a d’ailleurs été très présente pendant mon terrain, que ce soit dans les coupures de journaux quotidiens, dans les récits des gens que je côtoyais ou même dans les réticences concernant ce qui devrait m’être permis ou non, par ceux et celles qui, d’une manière ou d’une autre, se sentaient responsables de ma sécurité.

L’État de Rio détient d’ailleurs le taux d’homicide le plus élevé en 2002 (56,5 par 100.000 habitants), suivi de près par les États de Pernambuco (54,5 par 100.000 hab.) et Espírito Santo (51,2 par 100.000 hab.)5,

et cette réalité touche surtout les jeunes.

Alors que cette pauvreté, ces inégalités sociales et cette violence attiraient mon regard en 2004, sur le sens que les gens leur donnaient, certains aspects de cette réalité d’alors ont commencé à changer, sous le gouvernement Lula. On observe, par exemple, l’évolution du coefficient de Gini dans la région du Sudeste, entre 2004 et 2013, dans le tableau 5.2 de l’IBGE 2014, lequel passe de 0,531 en 2004 à 0,483 en 2013 (voir annexe). Cependant, ces changements ne faisaient encore que s’amorcer et n’apparaissaient pas encore dans les statistiques dont nous disposions à l’époque de mon terrain. Au plan politique, bien qu'ayant connu une ascension constante au nombre de voix au cours des trois élections présidentielles précédentes, Luis Inácio « Lula » da Silva a dû faire, pour être élu, des concessions très importantes. Ainsi, pour se donner de la crédibilité dans le domaine économique dans un contexte de globalisation des marchés, il a insisté sur sa promesse de respecter les paiements de remboursement de la dette extérieure, de même que les accords avec le FMI. Il a aussi imposé au Parti des Travailleurs (PT) des alliances politiques bien plus larges, notamment avec le Parti Libéral (PL), afin de prouver que le PT n'était pas un parti sectaire. Cela lui a permis de se procurer l'appui des électeurs protestants et néo-pentecôtistes (de plus en plus nombreux au Brésil), chez qui le PL a beaucoup de sympathisants.

Mais si en nombre de voix le PT se situait à la première place parmi tous les partis lors de mon terrain en 2004, sa situation était cependant très fragilisée en termes de nombre de sièges, rendant sa gouvernance délicate... Le PT était le premier parti à la chambre des députés, mais n’y détenait que 18% des sièges, dont le quart aux mains de son aile la plus « radicale », qui reproche au président sa modération conciliatrice… Au Sénat, le PT n'avait que 17% des sièges. Étant donné qu'il n'avait que trois gouverneurs sur 27 (qui étaient, en plus, gouverneurs des états les plus petits), il pouvait difficilement amener ces gouverneurs à faire pression sur le Congrès pour y faire adopter ses réformes. De plus, une affaire de corruption ayant éclaté à la mi-février 2004 et concernant l’ex-assesseur d’un des principaux ministres du président a encore plus fragilisé la position du PT dans l’échiquier politique, qui a dû, à la veille des élections municipales, céder davantage de concessions à ses alliés d’autres partis au Congrès. Cela signifiait donc perdre davantage d’influence dans les décisions, et libérer davantage de ressources financières pour des œuvres publiques à saveur électoralistes.

En outre, les réalités économiques liaient le gouvernement et l'obligeaient à maintenir les politiques d'austérité de son prédécesseur. La dévaluation du real vis-à-vis du dollar américain à la suite des élections présidentielles (30% en trois mois) a fait grimper les montants nécessaires au remboursement de la dette, obligeant le gouvernement à accepter une intervention du FMI. Avec un nouveau prêt de 30 milliards de dollars, le FMI a imposé un nouveau relèvement de l'excédent budgétaire, ce qui a attaché le gouvernement pétiste à des politiques économiques très austères. Le budget dans les politiques sociales (y compris dans le programme Faim Zéro, mais aussi en santé, éducation, habitation et traitement d’égouts) a été drastiquement réduit. L’économie nationale a décru et le taux de chômage a augmenté entre décembre 2003 (10,9%6) et avril 2004

5Waiselfisz, J.J. (2004) : Mapa da violência IV : os jovens do Brasil, Brasília: UNESCO, Instituto Ayrton Senna, SEDH, pp. 29, 36 6 Pour les régions métropolitaines de Recife, Salvador, Belo Horizonte, Rio de Janeiro, São Paulo et Porto Alegre, soit les plus grands

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(13,1%), pour ensuite diminuer et revenir à 10,9% au mois de septembre 2004. Il reste que, selon le IBGE, le taux de chômage annuel moyen en 2003 (10,9%) a été le plus élevé observé depuis 1995.

Tout cela a rendu les politiques économiques et sociales du gouvernement pétiste très impopulaires, des sérieuses déceptions ont été encaissées par ses partidaires, et certains, ayant dénoncé cette « trahison » de la tradition progressiste du PT, ainsi que les alliances douteuses dans lesquelles il s’est engagé, ont même été expulsés du parti. Parmi ceux qui ont été expulsés, certains ont fondé un nouveau parti, le PSOL. Ayant vécu pendant mon séjour dans un milieu où plusieurs membres (et ex-membres) du PT militaient, j’ai pu, à des nombreuses occasions, être témoin de cette amertume, y compris chez certains membres fondateurs du PT. En 2005, dans la marche initiale du Forum Social Mondial, à Porto Alegre, le nom du président Lula a été contesté aux cotés de celui de George W. Bush. C’est ce contexte politique que j’ai rencontré à Nova Iguaçu, en 2004, la période post-enthousiasme de la victoire et celle où les déceptions emplissaient le cœur de certains pétistes (dont plusieurs côtoyaient régulièrement mon quotidien), bien plus que celle des victoires à moyen terme, notables et célébrées par le Times Magasine ou autres observateurs internationaux.

Dans ce contexte social, politique et économique, des agents provenant de classes sociales différentes et ayant des habitus différents ont également des éthos, des représentations du monde et des systèmes de légitimation ou de contestation de l'ordre établi qui diffèrent. Selon Bourdieu, « La définition de l'acceptabilité n'est pas dans la situation mais dans la relation entre un marché et un habitus qui est lui-même le produit de toute l'histoire de la relation avec des marchés » (Bourdieu : 2001, p.120). Il me semble donc opportun, dans cette étape, de procéder à la présentation de la réalité politique du Brésil et de son histoire. Et bien que l’histoire de la violence et de la répression sociale et politique du Brésil ait commencé avec la naissance du pays lui-même, je m’attarderai ici en particulier à celle du délicat passage entre la période dictatoriale (1964-1985), qui a fortement marqué plusieurs des agents rencontrés, leur subjectivité et leurs pratiques sociales et politiques, et la réalité des années 2000-2010, qui comprend la période du terrain.

1.1.1 La dictature de 1964

Jânio Quadros / João Goulart (1961-1964)

En août 1961, huit mois à peine après avoir été élu président, Jânio Quadros démissionne, pour des raisons qui restent encore aujourd’hui mystérieuses pour la plupart des historiens. Quadros évoquait alors des « forces obscures », ce que l’on sait cependant est que son prédécesseur Juscelino Kubitschek avait dès le début de son mandat dû affronter un putsch militaire (avorté), et qu’avant lui le président Getúlio Vargas, lorsqu’il s’est donné la mort dans le palais présidentiel à Rio en 1954, l’avait fait en dénonçant « la domination et [l’]exploitation [des] groupes économiques et financiers internationaux » et « la campagne souterraine des groupes internationaux [qui s’est jointe] celle des groupes nationaux révoltés contre un régime qui donnait des garanties aux travailleurs » (Lettre-testament à la nation7).

Quoiqu’il en soit, la démission de Jânio Quadros a ouvert la porte à la prise, progressive mais ferme, du pouvoir par les militaires. Le vice-président, João Belchior Marques Goulart, très ouvert aux organisations sociales et revendications grandissantes des étudiants, artistes, agriculteurs, ouvriers, et « groupes populaires »

7 « Depois de decênios de domínio e espoliação dos grupos econômicos e financeiros internacionais, fiz-me chefe de uma revolução e

venci. (…) A campanha subterrânea dos grupos internacionais aliou-se à dos grupos nacionais revoltados contra o regime degarantia do trabalho. » (Vargas, Getúlio (1954), Carta-testamento à Nação).

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divers, a été considéré comme un radical par les militaires, et identifié sans ambages au péril communiste en Amérique Latine, en pleine Guerre Froide. Les États-Unis envoyaient au Brésil, à cette époque, du financement à des institutions d’édition de droite (comme certains journaux et institutions de recherche : l’IPES, Instituto de Pesquisa e Estudos Sociais et l’IBAD, Instituto Brasileiro de Ação Democrática), à certains gouvernements d’états ouvertement opposés au gouvernement fédéral (en particulier à Rio de Janeiro avec Carlos Lacerda, à São Paulo avec Adhemar de Barros, et à Minas Gerais avec Magalhães Pinto), et à l’armée brésilienne (à qui la CIA fournissait également des armes). Ils y envoyaient aussi des missionnaires protestants pentecôtistes, et l’Église Catholique envoyait également, à partir des États-Unis (mais aussi du Canada), des missionnaires dont certains ont apporté au Brésil (mais aussi ailleurs en Amérique Latine) le Renouveau Charismatique.

João Goulart se trouvait à Pékin au moment de la démission de Quadros, et portait des toasts au régime. Rentré au pays de toute hâte, il trouve une armée divisée entre une faction qui voulait l’empêcher d’assumer la présidence, et une faction qui lui était alliée. Afin d’éviter une guerre civile, on a réglé la situation « à la brésilienne », avec un « jeitinho », un compromis : Goulart assumerait la présidence, mais pas avec les mêmes pouvoirs que ses prédécesseurs (i.e. avec un mode de gouvernement présidentiel à l’américaine), il le ferait plutôt sous un mode de gouvernement parlementaire. Il proposera toutefois des « réformes de base » qui visent à donner plus de pouvoirs aux travailleurs, et qui comprennent, entre autres, un plan de réforme agraire. Après un référendum, en 1963, aux résultats incontestables et qui a ramené au Brésil le régime présidentiel, commence alors un bras de fer entre ceux qui sont pour les « réformes de base » et ceux qui les combattent. Dans les villes, les syndicats s’organisent et forment une grande centrale syndicale (la CGT, Comando Geral dos Trabalhadores, qui deviendra plus tard la CUT, Central Única dos Trabalhadores). Dans le milieu rural les grands propriétaires terriens sont terrorisés devant la création de nombreuses « ligues paysannes » (2181 en 1964) et surtout devant la menace d’expropriation des terres non productives en bordure des routes nationales, des voies ferrées et des grands barrages sur une profondeur de 10 kilomètres : des leaders paysans sont fusillés au Paraíba et à Goiás. Le 13 mars 1964, une grande manifestation d’appui aux réformes de base rassemble 250 000 personnes à Rio. Six jours plus tard, des milliers de personnes se rassemblent à São Paulo à la « Marche de la Famille avec Dieu pour la Liberté » , dénonçant les mesures annoncées par Goulart comme autant de menaces communistes. Le 31 mars 1964, des troupes prennent d’assaut les rues de Minas Gerais et de São Paulo : c’est le coup d’état militaire. João Goulart se réfugie en Uruguay et le 9 avril est décrété l’Acte Institutionnel n°1 (le premier d’une série de 5), qui casse les mandats politiques des opposants à la « révolution » (environ 400 élus) et limoge 10 000 fonctionnaires. Peu après, 24 évêques brésiliens ont déclaré publiquement que « la patrie avait été sauvée de l’abîme tout proche » (Niedergang, 1969 : 128).

La dictature : le maréchal Castelo Branco (1964-1967)

Le maréchal Humberto de Alencar Castelo Branco a été « élu » par le Congrès National le 15 avril 1964. Il a ensuite édité l’Acte Institutionnel n°2, qui dissout tous les partis politiques (dans la pratique, cela a pris la forme du bipartisme : l’ARENA, Aliança Renovadora Nacional représentant le gouvernement, et le MPD, Movimento Democrático Brasileiro, représentant l’opposition contrôlée8), permis à l’Exécutif de fermer le

Congrès à son gré, rendu les élections présidentielles indirectes et étendu le pouvoir de la Justice Militaire aux civils. Dès le début du régime, cependant, on voyait que les militaires étaient divisés entre une faction de la ‘‘ligne dure’’ et une autre plus modérée. En janvier 1967, une nouvelle Constitution vient institutionnaliser le régime militaire et ses lois. Le Brésil est, définitivement, un pays maître dans l’art de la cordialité: on est sous

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une dictature, mais tout est légal, selon les normes, et d’un « commun accord » … Pendant son mandat, Castelo Branco aura ouvert le plus possible les portes aux investisseurs étrangers : crédits d’impôts pour encourager les multinationales à s’installer au pays, aplatissement du salaire minimum, autorisation à l’achat de terres brésiliennes par des étrangers (en mars 1968 le ministre de la Justice déclarait que le cinquième du territoire brésilien, soit 160 milliards de mètres carrés, avait été vendu à des étrangers). La table était mise pour l’avènement du « miracle brésilien ».

Costa e Silva (1967-1969)

En mars 1967 était élu indirectement, par le Congrès National, le maréchal Arthur da Costa e Silva. Il représentait la « ligne dure » des forces armées, mais aussi une réaction de la part des factions plus nationalistes de l’armée et de la bourgeoisie industrielle et financière du Brésil. La trop grande dépendance vis-à-vis de l’étranger, et notamment vis-vis-à-vis des États-Unis, devenait pour eux inquiétante. À Rio, comme dans d’autres états (notamment le Rio Grande do Sul, São Paulo, Minas Gerais), cette période a été fortement marquée par la résistance et aussi par sa répression. L’ingérence américaine indisposait bien sûr aussi les intellectuels et les artistes, et cela a été visible lors de la mise en route d’un projet de réforme universitaire, approuvé par le ministère de l’éducation du Brésil et financé par l’United States Agency for International Development (USAID). Le projet visait la réforme de l’enseignement supérieur au Brésil de façon à ce qu’il s’oriente dans un sens favorable aux systèmes politique et économique préconisés par les États-Unis. Les universitaires s’en sont insurgés et cela a eu comme résultat des nombreuses et turbulentes manifestations étudiantes qui se sont soldées en juin 1968 par l’assassinat, par des policiers, de l’étudiant Édson Luis. Sa mort a donné lieu à des manifestations de protestation dans tout le pays, dont la « Marche des Cent Mill », alors que plus de 100 000 manifestants ont marché dans les rues du centre-ville de Rio pour dénoncer son assassinat et pour clamer le retour à la démocratie. Cette marche a été une page marquante de l’histoire du Brésil, et certainement un point tournant du renforcement des contestations. Cette manifestation monstre, qui s’est déroulée dans l’ordre le plus absolu, a réuni des gens de toutes catégories sociales et était organisée conjointement par des étudiants, des artistes, des prêtres, des communautés de base, et notamment par des gens appartenant au milieu de la Pastorale Ouvrière.

Dans le milieu ouvrier également, les protestations se font plus ouvertement. À Contagem (MG) et à Osaco (SP), des grèves paralysent des usines, en protestation au régime militaire. La guérrilha urbaine fait aussi son apparition, menée entre autres par l’ancien député communiste Carlos Mariguella, assassiné par la police le 6 novembre. Les guérilleros procèdent à des attaques de banques, à des vols d’armes et à des enlèvements de diplomates (dont, le 5 septembre, celui de l’ambassadeur des États-Unis, M. Burke Elbrick, échangé contre la libération de 15 prisonniers politiques) afin de financer leurs rangs. Au parlement, la Chambre des Députés a refusé de lever l’immunité d’un député de l’opposition, qui avait osé critiquer le régime, et une centaine de députés du parti gouvernemental ont voté avec l’opposition à cette occasion. Tout cela a eu comme réponse un durcissement de la répression. Le 13 décembre 1968, Costa e Silva décrète l’Acte Institutionnel n° 5, le plus rude de la dictature, qui a non seulement permis d’autres cassations (dont celle des principaux leaders civils de la dictature, comme l’ancien gouverneur de Rio, Carlos Lacerda), mais a également éliminé la garantie de l’habeas-corpus et a donné beaucoup plus de force à la répression militaire. L’opposition ne dispose désormais d’autre voie que celle de la clandestinité.

Avec le remplacement, en 1968, de Costa e Silva, dont la santé s’était dégradée, par le gouvernement d’une junte militaire composée des chefs des trois corps de l’armée, la « spirale de violence »9 dont parlait Dom

9 Dom Helder Câmara, figure iconique de la Théologie de la libération au Brésil, a amené dans son livre Spirale de la violence (1970)

une perspective d sur la violence. Il affirme que « la violence numéro un », la « mère de toutes les violences », est l’injustice, la violence institutionnelle. Puis vient la « violence numéro deux »,qui est la violence révolutionnaire et qui vise à répondre à la première. Finalement,

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Helder Câmara s’approfondit : aux enlèvements de plus en plus nombreux, la junte répond par le décret de Lois de Sécurité Nationale qui instaurent la peine de mort, ainsi qu’une nouvelle Constitution encore plus autoritaire.

La répression à son apogée : Médeci (1969-1974)

En 1969 le général Emílio Garrastazu Médici est choisi par la junte. Il incarnera la période la plus violente et répressive de la dictature, aussi connue sous le nom « les années de plomb ». La résistance armée est écrasée et une très forte censure est imposée, autant à la presse écrite qu’à la télévision, à la radio, aux publications, au théâtre, à la musique, aux films, et à toute forme artistique qui soit. Des professeurs, des artistes, des politiciens, des écrivains, des musiciens sont enquêtés, doivent s’exiler, plusieurs sont emprisonnés et torturés. Une agence est créée, le DOI-Codi (Destacamento de Operações e Informações e ao Centro de Operações de Defesa Interna), qui a comme fonction d’être l’agence d’intelligence et de répression du gouvernement militaire. Dans la région rurale de l’Araguaia, la guérilla s’élargit, mais est aussi fortement réprimée par les militaires.

À Rio, comme ailleurs, l’Église et en particulier l’Action Catholique et la Pastorale Ouvrière a subi au début des années 70 un traitement très rude : ses bureaux ont été fermés, ses membres persécutés, emprisonnés, torturés, assassinés, ou forcés à l’exile. À Nova Iguaçu (à une heure de Rio), lieu fort de la Pastorale Ouvrière, l’évêque Dom Adriano Hypólito a été capturé, torturé pendant des heures, et abandonné dans une décharge publique, attaché, nu, le corps peint en rouge et couvert de blessures. Pendant ce temps, son automobile était détruite avec des fortes charges d’explosifs, devant les locaux de la CNBB (Conférence Nationale des Évêques du Brésil).

Un tel engagement de l’Église peut surprendre lorsqu’on sait qu’en 1964 elle a participé, ne serait-ce qu’indirectement mais de manière influente, aux événements ayant mené au coup d’état, et que peu après celui-ci, plusieurs évêques ont signé une déclaration qui accepte la « Révolution » et qui remercie les militaires pour avoir « sauvé le pays du communisme »10. Ce qu’il faut comprendre c’est que l’Église Catholique est hétérogène,

avec des groupes ayant des voix dissonantes voire parfois carrément incompatibles entre elles. Il n’y a jamais dans le concret des cultures et de la vie quotidienne une seule façon, univoque, d’être « l’Église » mais bien des manières différentes et parfois divergentes de lire et de vivre l’Évangile et ce, à l’intérieur de la même Église Catholique Apostolique Romaine, y compris à l’intérieur d’une même société nationale.

Bien que le très haut clergé ait préféré appuyer la dictature à ses débuts et pendant plusieurs années, dans le combat de ce qu’ils percevaient comme étant le « danger communiste », il reste qu’avec l’augmentation de la répression dans ses propres rangs, même les autorités les plus conservatrices de l’Église n’ont pu s’empêcher de changer le ton de leur discours avec l’État, et en 1976 la Conférence des Évêques du Brésil (CNBB) lançait, pour une première fois, une lettre ouverte et très offensive contre le régime11. Cela a eu un fort

impact dans la « prise de conscience » nationale, tout comme, plus tôt, son discours anti-communiste avait eu un impact important dans l’acceptation du coup d’état en 1964.

Le leitmotiv du gouvernement Médici était « Sécurité et développement ». Il a cherché à imposer la « sécurité » par un endurcissement inouï des forces répressives, et à instaurer le « développement » par des projets infra-structuraux pharaoniques, financés par des investissements internes et des prêts de l’extérieur. Il

il y a « celle qui tue », qui est la violence répressive, complice de la première et qui vise à écraser la seconde. Pour Dom Helder, c’est une terrible hypocrisie que de ne dénoncer que la seconde forme de violence.

10 Un des principaux responsables de cette déclaration, Dom Sigaud, légitimait même la torture en prétextant que « l’on n’arrache pas

des informations avec des sucreries ».

11 Comunicado Pastoral ao Povo de Deus, signé pela Comissão Representativa de la CNBB en octobre et suivie peu après par

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s’agit de projets tels que la construction du pont Rio-Niterói, ou encore la construction de la « Transamazônica », autoroute découpant tout le territoire amazonien et devant faciliter l’installation des intérêts américains. L’ouverture aux multinationales est maintenue et on assiste au « miracle économique brésilien », qui s’étend approximativement de 1968 à 1973. Pendant le « miracle brésilien », des millions d’emplois sont créés, le PIB s’accroît d’environ 12% par année, alors que l’inflation atteint 18%. Quoique le « miracle » ait été considéré pendant longtemps, par certains, comme une réussite admirable, force est de constater que la croissance de l’économie n’a pas bénéficié à tous de manière égale, et les prêts qui ont été contractés alors ont entraîné une dette externe parmi les plus élevées au monde - surtout après la crise du pétrole et la hausse des taux d’intérêts.

Le début d’une ouverture : Geisel (1974-1979)

Mais en 1974, le miracle commençait déjà à s’essouffler, pour finalement s’estomper vers 1976. La crise du pétrole et la récession mondiale ne favorisaient pas davantage l’économie brésilienne, et les prêts de l’extérieurs, carburant principal du « miracle », ont commencé à diminuer.

C’est dans ce contexte d’insatisfaction générale que le Général Ernesto Geisel a été élu le 15 mars 1974, indirectement, par le Congrès National, pour procéder au début d’une lente transition vers la démocratie. La répression s’est poursuivie, mais dans un aller-retour avec un certain assouplissement, dans un mouvement pendulaire visant à marquer clairement les limites de la nouvelle ouverture, et se faisait de manière plus clandestine. On tentait de réhabiliter le prestige du régime, et on procèdait à des ouvertures effectives sur le plan politique : on notait un certain assouplissement envers les opposants, de même qu’un certain relâchement de la censure.

Mais en 1977, l’Exécutif a tenté sans succès de faire passer au Congrès un projet de réforme du système judiciaire brésilien, lui permettant de majorer davantage ses pouvoirs. Cet échec de l’Exécutif se termine par la fermeture du Congrès et par le décret du « paquet d’avril », une série de modifications à la Constitution dans le but de perpétuer le régime et de neutraliser davantage l’opposition. Le « paquet d’avril » est donc venu montrer le caractère superficiel et tactique de ce relâchement de la répression sous Geisel, ce qui a eu pour effet de refroidir l’espoir de plusieurs militants qui s’étaient enthousiasmés avec l’atténuement de la censure.

La faction de la « ligne dure », chez les militaires, s’exprimait de plus en plus dans la clandestinité maintenant que l’on cherchait davantage à soigner l’image du Brésil (très entachée à l’international par les violences graves des droits humains). Elle l’a fait par l’action des escadrons de la mort : les « disparitions » augmentaient puisqu’on ne voulait plus avoir recours aux « suicides » ou aux « accidents pendant la fuite » pour expliquer le décès des prisonniers politiques morts sous la torture. Les attaques des escadrons de la mort se sont faites plus fréquentes, notamment avec des attaques à la bombe, comme cela a eu lieu à Rio le 30 avril 1981, alors que deux militaires de la DOI-CODI sont morts dans un accident lorsqu’ils se préparaient à faire un attentat à la bombe dans le Centro de Convenções Rio-Centro, où un spectacle de musique était offert à des milliers de personnes pour l’occasion de la fête du 1er mai (journée des travailleurs). Des attaques à la bombe (ou des « lettres-bombes », dans le cas de l’OAB et de certains lieux de la presse) ont également eu lieu dans les bureaux de certaines organisations considérées progressistes, telles que l’OAB (Ordem dos Advogados do Brasil, L’Ordre des Avocats du Brésil) et l’ABI (Associação Brasileira de Imprensa, Association de la Presse Brésilienne) en août 1976, et le CEBRAP (Centro Brasileiro de Análise e Planejamento, Centre brésilien d’analyse et planification), en septembre 1976.

On peut dire que la période sous Geisel a été une série de tentatives de perpétuer le régime, en essayant de récupérer un peu de légitimité (aux regards autant de l’extérieur du pays que de secteurs influents

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en son sein même) que ne pouvait plus lui apporter la prospérité du « miracle économique » et que devait donc compenser un certain assouplissement politique du régime.

Malgré que sous un couvert d’ouverture se cachait un contrôle réel de l’opposition, on note une augmentation des protestations (maintenant de plus en plus ouvertes, avec l’assouplissement de la censure dans les médias) et l’organisation plus ouverte de la résistance. En 1978, on voit un peu partout au pays des CBAs, Comitês Brasileiros pela Anistia, soit des regroupements de personnes réclamant une amnistie générale et sans restriction à tous, et qui défendaient les prisonniers politiques en dénonçant de manière systématique les tortures et leurs conditions de détention, parfois en menant des grèves de la faim massives. Ce qui arrive, en fait, c’est que la répression passe davantage du côté de la clandestinité, alors que la résistance en sort de plus en plus: c’est le début de la fin du régime. Peu à peu, l’opposition gagne du terrain, y compris dans les élections en 1978 : au Sénat, à la Chambre des Députés, et même à la mairie de plusieurs grandes villes du pays.

Le 1er janvier 1979, le Général Geisel abolit l’Acte Institutionnel n° 5 et ouvre considérablement la voie à la démocratie au Brésil. Dans la même année, le gouvernement approuve une loi qui rétablit le système pluripartite. Les deux seuls partis d’alors changent de nom (la ARENA deviendra le PDS et le MDB, le PMDB), et plusieurs autres partis sont créés, dont le Partido Democrático Trabalhista (PDT) et le Partido dos Trabalhadores (PT).

1.1.2 Vers la nouvelle Constitution de 1988

La fin de la dictature : Figueiredo (1979-1985)

Pendant son mandat, le Général João Baptista de Oliveira Figueiredo a suivi le mouvement vers la démocratie. Il décrète la loi d’amnistie le 23 août 1979, ce qui a permis le retour de milliers de Brésiliens au pays, de même que l’abandon de la clandestinité pour ceux qui, persécutés, devaient demeurer incognito. En 1984, un mouvement rejoignant des politiciens, des artistes, des joueurs de soccer et des millions de Brésiliens fait des pressions pour l’approbation d’un amendement visant à permettre la tenue d’élections présidentielles directes pour cette année. Le 25 janvier 1984, plus de 300 000 personnes criaient : « Diretas Já! » (Soit : « élections directes tout de suite », le nom du mouvement en question), au centre-ville de São Paulo. Le gouverneur de São Paulo, Franco Montoro, fait alors l’évaluation suivante de la signification de ce rassemblement :

« Me perguntaram se aqui estão 300 ou 400 mil pessoas. Mas a resposta é outra: aqui estão presentes as esperanças de 130 milhões de brasileiros.12 » (Leonelli : 2004).

Peu après, le geste est suivi dans tous les états du pays, et le 16 avril 1984, près d’un million et demi de personnes manifestaient au Vale do Anhangabaú pour réclamer des élections présidentielles directes. Malheureusement, l’amendement n’a pas été approuvé par la Chambre des Députés, mais le 15 janvier 1985, un collège électoral élit le premier président civil depuis 1964 : c’est dans les faits, la fin de la dictature. Tancredo Neves a cependant dû être hospitalisé pour des douleurs abdominales, à la veille de son assermentation, et après sept chirurgies en quelques jours, il est décédé en laissant le pays dans une totale consternation. Plus de

12 « On m’a demandé si nous sommes ici au nombre de 300 000 ou 400 000 personnes. Mais la réponse est d’un autre ordre : ici sont

présentes les espérances de 130 millions de Brésiliens » (traduction libre). Leonelli, Domingos et Oliveira, Dante de (2004) : Diretas já: 15 meses que abalaram a ditadura. Rio de Janeiro: Record.

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deux millions de personnes ont suivi son cortège funèbre, à travers trois villes, et on lui a offert une des plus grandes funérailles de l’histoire du Brésil.

La Nouvelle République (1985-à nos jours) José Sarney

Le vice-président José Sarney n’a pas été élu directement par la population. Sa nomination par Tancredo Neves est le fruit d’une entente entre le PMDB (le parti de Tancredo Neves) et de politiciens de la Frente Liberal, une dissidence du PDS (le parti du régime militaire, qui deviendrait plus tard le PFL). Cet accord, aussi connu sous le nom de « Aliança Democrática », était perçu comme une transition progressive vers la démocratie. Car en réalité Sarney avait été président consécutivement de l’Arena et du PDS, les deux partis qu’avaient représenté officiellement la dictature militaire.

Malgré cela, il assume la présidence en 1985 et en 1988 le Brésil se dote d’une nouvelle Constitution. Celle-ci rétablit tous les principes démocratiques et les droits et libertés qui avaient été reniés pendant vingt ans de dictature militaire. Dans le domaine économique, Sarney a essayé de combattre une inflation titanesque par le Plano Cruzado, changeant pour cela la monnaie (1000 cruzeiros, avec lesquels on ne pouvait s’acheter qu’un petit bonbon à la menthe, devenaient 1 cruzado, et un peu plus tard, 1000 cruzados devenaient 1 cruzado novo) et gelant les prix à la consommation. Cela a eu pour conséquences, entre autres, la disparition des produits de base sur les tablettes et le développement du marché noir, mais n’a pas résolu le problème de l’hyperinflation.

Fernando Collor de Melo

Le mécontentement généré par l’échec du Plano Cruzado ainsi que par la corruption omniprésente appelait l’arrivée d’un sauveur, et en 1989, le charismatique Fernando Collor de Melo, qui se présentait lui-même comme « le chasseur de marajás13 », est devenu le premier président élu de manière directe par les

Brésiliens depuis 1960. Sur le plan économique, Collor a cherché à combattre l’hyperinflation. Il a congelé les salaires et les prix des produits et services, a augmenté les impôts et des taxes publiques, a imposé un prêt au gouvernement sur tout montant dépassant 50000,00 Cr$ à la banque, et créé un programme national de privatisations, le PDN (appliquant en cela des directives du FMI et de la Banque Mondiale formulées à la fin de 1989). Ces mesures ont non seulement été impopulaires mais inefficaces pour contrer l’hyperinflation.

Sur le plan politique, Collor s’est écroulé sur les mêmes critères qu’il avait vendu à ses électeurs. Avant la fin de sa première année de mandat, son gouvernement étouffait déjà sous des accusations de corruption et de trafic d’influence. Suite à la dénonciation par son propre frère de l’ex-trésorier de sa campagne électorale, César Farias, les dénonciations se sont succédées à un rythme tel que le Congrès National a créé une Commission Parlementaire d’Enquête (CPI) concernant des allégations envers le président lui-même. Le 13 août 1992, Collor fait un discours télévisé à la nation, l’enjoignant à manifester massivement le dimanche suivant (le 16), habillée des couleurs nationales, le vert et le jaune, en signe d’appui à son gouvernement. Le 16 août est resté dans l’histoire du pays comme étant le « dimanche noir », car ce jour-là des dizaines de milliers de personnes sont effectivement sorties dans les rues des grandes villes du pays pour manifester, mais habillées en noir, en signe de deuil de la démocratie à cause de la corruption. Le 29 septembre 1992, la Chambre des Députés a voté massivement pour un « impeachment », l’interdiction au président de continuer à exercer son mandat, puisqu’accusé d’avoir commis un crime de responsabilité dans l’exercice de ses fonctions.

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Itamar Franco

Le vice-président d’alors, Itamar Franco, qui avait critiqué ouvertement Collor (surtout vers la fin de son mandat), assume la présidence dès octobre 1992. Après un plébiscite prévu par la constitution sur le système de gouvernement au Brésil (qui a confirmé la république présidentielle), il travaillé avec le sociologue, plus connu sous le sobriquet de « Betinho », à élaborer des programmes pour combattre la faim. Il a aussi changé de ministre des finances à plusieurs reprises avant d’arrêter son choix sur Fernando Henrique Cardoso. Avec lui, il a mis en place le « Plano Real », qui a finalement résolu la crise d’hyperinflation. Ce plan comprenait encore un changement de la monnaie, mais cette fois-ci il s’agissait d’une « Unité de Mesure Real », réajustée quotidiennement. Le plan comprenait aussi une désindexation de l’économie (ce qui se ferait dorénavant annuellement seulement), une série de privatisations et une baisse progressive et contrôlée des taxes d’importation, entre autres, tout ça dans le but d’atteindre un meilleur équilibre fiscal et de combattre ainsi l’inflation. Le succès économique de ce plan a été si frappant et stable qu’il en est devenu un politique : Itamar Franco a ainsi lancé la campagne de son successeur à la présidence, son ministre des finances, Fernando Henrique Cardoso, qui a très facilement remporté les élections en 1995.

Fernando Henrique Cardoso

Dès le début de son mandat, Fernando Henrique Cardoso a dû faire face à plusieurs crises économiques internationales, qui ont eu pour répercussion, au Brésil, l’augmentation de la dette extérieure. Il a marqué l’histoire pour avoir créé, sous grande controverse, la plus grosse vague de privatisations de l’histoire du pays (notamment dans le domaine des communications, de l’énergie et de la sidérurgie), avoir mis fin au monopole d’État du pétrole, et avoir augmenté les importations et la sous-traitance de services publics. Sur le plan social, il faut reconnaître à Fernando Henrique Cardoso la création de certains programmes de redistribution fiscale, notamment le « Bolsa Escola », qui visait à encourager financièrement les familles dont les enfants fréquentaient régulièrement l’école. C’est une des mesures d’un programme plus vaste appelé Rede de Proteção Social qui visait à soutenir les familles les plus démunies du pays, et dont certaines mesures ont inspiré le gouvernement suivant.

Luis Inácio « Lula » da Silva

Le 1er janvier 2003, l’ancien ouvrier et syndicaliste, natif du Nordeste, Luis Inácio « Lula » da Silva, du Parti des Travailleurs (PT), devient président de la République, après trois tentatives en 1989, 1994 et 1998. Son gouvernement s’est étalé sur deux mandats jusqu’en 2010, il a donc couvert la période de mon terrain.

Il a été marqué par la mise en place de plusieurs mesures et programmes sociaux visant à réduire la misère et les inégalités, dont le « Programme Faim Zéro », qui a été son premier geste en tant que président. On peut aussi mentionner le programme « Bolsa Família » (qui a été considéré pour plusieurs comme une amélioration du « Bolsa Escola »), le programme « Premier Emploi », le « Plan de Développement de l’Éducation » (dont l’objectif était d’améliorer le niveau de l’éducation au Brésil en le nivelant avec celui des pays développés), le « Programme Université pour Tous » (le plus grand programme de bourses d’étude de l’histoire de l’éducation au Brésil), de même que son combat contre l’esclavage et le travail dégradant. En ce qui a trait à l’environnement, soulignons que diverses mesures gouvernementales ont contribué à offrir à l’Amazonie son plus bas taux de coupes à blanc de puis 21 ans.

Sur le plan économique, Lula a contribué au maintien de la stabilité financière, à l’augmentation constante du PIB, à la diminution du chômage et à la croissance économique, notamment avec des résultats très satisfaisant au niveau de la balance commerciale, et tout en maintenant un bas taux d’inflation. La croissance économique a été nourrie entre autres par une amélioration dans le commerce agricole, due principalement à

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