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Chapitre 5 LES ETHOS EN QUESTIONS ET EN ACTIONS

5.1 Les catégories sociales des répondants retenus

J'ai 14 répondants, dont deux ayant terminé des études pré-universitaires (tous deux ayant des éthos de classe ouvrière et étant inspirés par la Théologie de la Libération) et 12 autres ayant terminé au moins des études universitaires de premier cycle (j'ignore toutefois le nombre exact d’années d’études accomplies à l’université).

De ces 14 personnes, cinq ont un éthos de classe sociale moyenne-élevée et neuf, un éthos de classe sociale ouvrière. Parmi ces neuf personnes, huit d’entre elles sont inspirées par la Théologie de la libération (dont deux prêtres et un diacre), et l’une d’elles participe aussi à un groupe de prière « Légion de Marie ». Une seule personne ayant un éthos de classe ouvrière ne semblait pas être inspirée par la Théologie de la libération et était membre d’un groupe de prière du Renouveau Charismatique.

Des cinq personnes portant un éthos de classe moyenne-élevée, une seule était inspirée par la Théologie de la libération, une autre était spiritiste, deux étaient membres de groupes de prière Charismatique

et une dernière, qui était membre du Club Rotary, n’avait cependant fourni aucune précision quant à son orientation religieuse.

Malgré ce qu’on aurait pu croire en ce qui concerne le capital social des répondants, ceux ayant un éthos de classe sociale plus modeste ne semblent pas, selon eux, disposer de moins d’influence que ceux ayant un éthos de classe sociale élevée46. Ceux-ci considèrent qu’en cas de besoin, ils pourraient faire appel à

quelqu’un d’influent pour les aider dans des situations « délicates ».

J’ai pu dégager, à partir des réponses récoltées dans les entrevues, certaines caractéristiques des engagements des répondants, elles me sont utiles pour les situer dans le champ religieux : engagement avec la participation de pauvres (tous les répondants participent à au moins un groupe rencontrant cette caractéristique); engagement envers les pauvres mais sans leur présence dans le groupe (comme dans le cas, par exemple, de conseils d’administration de certaines fondations ou organismes divers de bienfaisance ou autres. Tous les membres du clergé, entre autres, se trouvaient dans cette situation) ; groupes ayant un modèle de leadership pyramidal (principal modèle dans des sociétés comme le Brésil, tous les répondants se trouvaient dans au moins un groupe possédant cette caractéristique) ; groupes ayant un modèle de leadership « en roue » (comme certaines coopératives de production ou autres, par exemple. Tous les participants à ce type de groupe étaient à la fois inspirés par la Théologie de la libération et porteurs d’un éthos de classe ouvrière) ; des groupes voués en grande partie à de l’assistentialisme (presque tous les répondants participaient à au moins un groupe ayant quelque activité en ce sens) ; des groupes promoteurs de transformation sociale (comme certains groupes d’éducation populaire ou des partis politiques. Les participants à ce type de groupe étaient tous inspirés par la Théologie de la libération et, à l’exception de Guilherme, étaient tous d’un éthos de classe ouvrière) ; et autres types d’engagement (comme des groupes de prière, par exemple). Ce dernier type d’engagement a été reconnu pour toutes les personnes faisant partie d’un groupe de prières, ainsi que pour tous les membres du clergé. Pour les membres du clergé, on note que le spectre des formes d’engagement est beaucoup plus large que pour les laïcs. Cela s’explique par le fait qu’ils assument un rôle de direction dans leur communauté qui les amène, d’une façon ou d’une autre, à être impliqués dans énormément de groupes et comités aux formes, buts et sensibilités les plus diverses. Ce sont évidemment eux aussi qui ont le plus insisté sur le thème du « sacré » dans les entrevues. Notons aussi que la presque totalité de ceux qui ont (spontanément) mentionné un certain optimisme en ce qui concerne le problème de la pauvreté au Brésil étaient des répondants inspirés par la Théologie de la libération (la seule exception étant Sr. Lucas, dont la spiritualité n’a pas été identifiée).

Concernant les motivations à l’engagement des répondants, je peux dire qu’elles relèvent généralement d’une référence au collectif (10 répondants sur 14), à Dieu (5 répondants sur 14), ou encore, d’un sentiment plus personnel, comme la gratitude pour ce que l’on a reçu dans la vie, le désir d’épargner à d’autres des épreuves que l’on a soi-même vécues ou le désir de laisser sa contribution (5 répondants sur 14). Les différences entre les répondants ne semblent pas marquées selon les groupes. De plus, sur 5 personnes portant des éthos de classe sociale moyenne-élevée, je ne dispose pas de précisions que pour trois d’entre elles sur ce sujet, soit parce que la question ne leur a pas été posée, soit parce que leur réponse s’est avérée inaudible. Face à la pauvreté, et parmi les répondants de classe ouvrière (9 au total), presque tous, à part Sandra, expriment des sentiments que je qualifierais « d’apathiques » : tristesse, honte, impuissance, découragement. Sandra se démarque toutefois pour être l’une des trois personnes qui ont manifesté ce que je considère comme des « sentiments passionnels » : révolte, indignation (dans son cas précis), colère. Mais notons que Sandra est l’une de ces répondantes que je considère un peu « hybride », notamment parce qu’elle participe à un groupe

46 Cependant, restons alertes au fait que ce sont des réponses subjectives à une question qui ne mesure ni l’étendue ni la profondeur

de l’influence que ces répondants peuvent détenir. Rien ne permet d’assumer que les répondants d’un milieu social modeste pourraient avoir un capital social aussi puissant que ceux de classes sociales plus élevées.

de prière (la Légion de Marie), ce qui la ramène à proximité spirituellement du Renouveau Charismatique, d’une part, et que d’autre part je l’ai rencontrée dans l’École de Formation Politique organisée par le Centro Socio- político (inspiré par la Théologie de la libération).

Deux autres « hybrides » (cette fois, sur le plan de l’éthos) ont attiré mon attention. D’abord, mentionnons Pe. Carlos, qui, étant né dans une grande pauvreté en Haïti, a eu l’occasion, de bénéficier de bourses d’études et de fréquenter les élites qui, au lieu de l’exclure, l’ont « adopté » parce qu’il était le seul Noir de l’école et qu’il avait de l’entregent (« J’étais leur chouchou »).

Son expérience de proximité avec la classe bourgeoise semble avoir été nettement plus positive que celle, par exemple, de João, l’autre répondant ayant un éthos qui me semble « hybride », et qui a, lui, vécu un cheminement pratiquement inverse en ce qui concerne son intégration sociale. João qui est d’ailleurs le seul parmi les 14 répondants à affirmer que les riches n’ont aucun sentiment et que la misère des pauvres ne touchera jamais le cœur des plus fortunés. Tout comme José, clairement de la classe moyenne-élevée, qui est le seul à affirmer que les pauvres n’ont aucun sentiment, (un peu comme s’il fallait un certain degré d’éloignement social pour affirmer que tel groupe ou telle catégorie sociale n’a pas de sentiment).

Notons que, sur cinq personnes de classe sociale élevée, trois (José, Sra. Ana et Guilherme) affirment ne ressentir aucun sentiment concernant la pauvreté, alors que sur neuf personnes ayant un éthos de classe sociale ouvrière, seul Mateus se trouve dans ce cas. On peut raisonnablement penser que plus la réalité de la pauvreté est proche du vécu personnel d’un répondant, plus il est vraisemblable qu’il ressente des sentiments à propos de ce sujet, et plus ces sentiments peuvent être de types passionnels. D’ailleurs, plus d’une fois des répondants ont affirmé que si cette réalité (la pauvreté) les touche autant lorsqu’ils la perçoivent, c’est parce qu’ils l’ont eux-mêmes vécue.