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SEXUALITE, PROTECTION, CONTRACEPTION

La seconde moitié des années 1980 a été marquée par l’apparition de l’épidémie du SIDA et la connaissance progressive de ses modes de transmission. La sexualité des jeunes devient alors un objet sociologique étudiable et à étudier. « Du contexte dit de “libération sexuelle”, […] nous sommes passés à un contexte de “sexualité à risque” qui, lui, impose que l’on sorte de l’état de méconnaissance dans lequel nous sommes à l’égard de l’activité sexuelle de nos contemporains », souligne Didier Le Gall (2001, p. 66). Dans un temps un peu plus long, la médicalisation de la contraception a marqué les dernières décennies, et a eu pour conséquence une diversification des lieux de gestion de la sexualité et de la planification familiale23.

La prise de risque est une construction sociale qui résulte de l’interaction de plusieurs logiques, en particulier des logiques d’appartenances sociales, relationnelles et de médicalisation de la sexualité (Bajos, Ludwig, 1995). Les approches comportementalistes traditionnelles sur les prises de risque partent du postulat que l’individu est rationnel et ne retiennent que la définition médicale du risque qui s’attache à comprendre pourquoi les individus s’écartent d’une rationalité individuelle et sanitaire supposée première (Augé, Herzlich, 1984). Cette orientation semble réductrice et peu satisfaisante dans la perspective d’une analyse compréhensive des pratiques et représentations des jeunes en matière de sexualité. « Le discours contemporain sur la jeunesse affirme que celle-ci est en souffrance : les adolescents n’ont plus de sens moral, s’abandonnent à des conduites “destructrices et autodestructrices” et cumulent des conduites à risque comme la consommation de drogues licites ou illicites, ou se protègent peu lors de leurs rapports sexuels » (Loriol, 2004, p. 110). Diagnostic qui traduit « les fantasmes récurrents d’une société adulte qui s’inquiète pour son avenir et tente de raffermir son contrôle de la jeunesse, toujours supposée en perdition. Aujourd’hui population à risque, les jeunes constituaient déjà dans la France d’après-guerre un problème social, voire une classe dangereuse » rappelle Patrick Peretti-Watel (2002).

Les jeunes suivis par l’institution judicaire en particulier ont été parfois plus que d’autres sujets d’inquiétude pour la société, leurs comportements violents, de remise en cause de l’autorité ne venant qu’alimenter un sentiment d’insécurité croissant. Ils ont à ce titre historiquement également fait l’objet de préoccupations publiques particulières et de mise à l’agenda public (Mucchielli, 2010). Ces discours se révèlent contre-productifs comme l’explique Charlotte Le Van : « tenir des discours alarmistes sur la grossesse précoce et l’assimiler à un drame n’est pas sans conséquences. On peut même se demander si l’intérêt probablement démesuré qu’on lui porte ne favorise pas le passage à l’acte d’adolescentes désirant solliciter l’attention de leurs proches. L’IVG en particulier est vécue aujourd’hui en dominante sur le mode de la tragédie par les adultes » (Le Van, 2002, p. 405). Patrick Peretti- Watel rappelle que « les conduites à risque adolescentes restent souvent interprétées comme le symptôme d’une souffrance psychique ou comme le signe d’un manque » (2005, p. 7), analyse qui va avec l’obsession contemporaine de la normalité « qui recouvre à la fois l’appréciation portée sur les conduites d’un individu, ainsi que le projet de les corriger si elles sont jugées non conformes » (2005, p. 8). Une approche exclusivement fondée

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Aujourd’hui les numéros de téléphone et sites internet sont entièrement dédiés à l’information sur la contraception, la sexualité, le SIDA ou d’autres thèmes concernant la santé (alcoolisme, tabagisme, toxicomanie…).

sur le risque suppose un préalable essentiel qui fait de la protection/contraception la seule conduite rationnelle dans le cas de rapports sexuels lorsqu’une grossesse n’est pas désirée, mais elle serait réductrice. Cependant, les choses ne semblent pas être d’une telle simplicité, car bon nombre de recherches sur les jeunes font état d’un certain nombre de décalages entre connaissances sur la maladie et ses modes de transmission et comportements préventifs effectifs, quand on se réfère à ses propres pratiques sexuelles (Apostolidis, 1993, p. 39). Les recherches sur le SIDA ont déjà souligné le manque de pertinence des analyses uniquement centrées sur les risques, pourtant on le verra, c’est bien souvent l’approche retenue pour les ateliers de sensibilisation/information sur la sexualité. Contrairement à des idées largement véhiculées, les relations sexuelles des jeunes se caractérisent par des relations brèves et espacées par un temps assez long (Le Gall, Le Van, 2007), on est donc loin d’une sexualité hyperactive à laquelle les adultes font régulièrement référence. Les rapports sexuels sont rarement prévus, anticipés, et exposent les jeunes à devoir faire « avec les moyens du bord », c'est-à-dire (pour les garçons) avec préservatif, ou en pratiquant le retrait avant éjaculation, sinon sans moyen. Si nous partons du postulat que les jeunes pris en charge par la PJJ n’ont pas des comportements spécifiques en matière de protection/contraception, exposition aux IST dont VIH, il importe malgré tout de ne pas faire abstraction des rapports sociaux dans lesquels ils sont inscrits. Cela nous a amenées à nous interroger sur les conséquences éventuelles des stigmatisations et discriminations dont ils font l’objet24 (en tant que jeunes, garçons, issus pour la grande majorité de milieu

populaire, en situation de vulnérabilité, ayant l’étiquette de cas sociaux, décrocheurs…) sur les comportements affectifs et sexuels, et tout particulièrement sur les enjeux liés à la protection/contraception. En effet, les conséquences de la précarité sur la vie amoureuse et sexuelle sont importantes, elles se manifestent par exemple par un report de la mise en couple, par des difficultés pour les rencontres amoureuses (surtout pour les garçons) comme on le verra plus loin, à propos de l’impact de la stigmatisation sur l’estime de soi.

Dans ce contexte, il convient de rappeler que les travaux antérieurs montrent que la diffusion du préservatif a d’abord touché le haut de l’échelle sociale : lorsqu’on regarde l’usage selon le diplôme obtenu, la différence est flagrante. Dans l’enquête CSF de 2006 (Bajos, Bozon, 2008) parmi les individus ayant débuté leur sexualité à l’ère du SIDA, 65 % des femmes sans diplôme ont utilisé un préservatif lors de leur premier rapport sexuel contre 81 % des femmes les plus diplômées. C’est avec un écart moins marqué la même chose pour les hommes (70 et 82 %). La problématique des inégalités sociales est donc pertinente pour prendre en considération les actions de prévention et l’analyse des pratiques de santé, tout comme les enjeux des rapports de genre : les femmes les moins diplômées sont exposées à plus de risques sexuels que les autres. Le fait est qu’une grande partie du public de jeunes que nous avons rencontrés dans le cadre de cette enquête exploratoire sont des jeunes issus de milieu populaire, ayant pour une grande part d’entre eux eu de grosses difficultés avec l’école voire ayant arrêté leurs études de manière précoce (c'est-à-dire bien avant l’âge légal de la fin de la scolarité, 16 ans).

24 On notera que si nous avons une forte représentation de jeunes garçons dans cette enquête, force est de constater l’effet de territoire sur lequel s’est déroulé le terrain, qui fait que nous n’avons que très peu de jeunes issus de l’immigration ou d’origine étrangère. Si une minorité d’entre eux a fait référence à des parents ou grands-parents qui ne sont pas nés en France ou qui partent au bled pour des vacances, les autres viennent des zones d’habitat social de petites ou moyennes villes de province, ou de milieu rural. La question raciale n’est donc que peu présente dans les récits des jeunes rencontrés. Il paraîtrait à ce titre pertinent d’inclure cette dimension raciale dans de futurs travaux de

Information sur la sexualité : la légitimité de la PJJ et ses limites