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Jeux de pouvoirs : être un jeune homme et parler à une éducatrice

S’il est communément admis qu’une femme préfère s’adresser à une femme parce qu’elle est une femme (Ferrand, 1993), c’est l’inverse pour les hommes : un homme ne parle pas de lui parce qu’il est un homme, et lorsqu’il le doit, il s’adresse à une femme. Nous l’avons dit, les équipes rencontrées sont mixtes, ce qui permet de jouer des effets du sexe sur la relation entre jeune et professionnel. Car si d’un côté les jeunes sont essentiellement des garçons, le fait est que le sexe de l’interlocuteur-éducateur n’est pas sans conséquence sur la relation qu’ils pourront avoir et les liens qu’ils pourront tisser. Or, ce n’est pas parce que les équipes sont mixtes que les jeunes peuvent avoir réellement le choix de leur interlocuteur, ni que l’arbitrage de celui-ci est toujours fait en fonction du sexe, loin de là.

Les jeunes que nous avons rencontrés ont bien pris conscience de l’impact de leur sexe et des attributs sociaux qui lui sont associés sur les représentations et appréhensions des éducateurs-trices. Cela s’exprime particulièrement bien chez les jeunes garçons qui sont grands physiquement et qui se considèrent comme plus costauds que la moyenne :

« Moi, vu comment je suis… je peux faire peur à une meuf ! Genre la petite éducatrice et tout ben direct si je veux, je peux la faire craquer. […] y a des moments où si je pars en vrille je peux plus trop me contrôler, alors là je déconseille à l’éducatrice de venir me dire nanani nanana parce que je vais la tarter ! Une fois ça a failli arriver… heureusement y avait X [éducateur] qui est venu calmer le truc ! Nous on est des oufs, madame, sérieux, faut pas nous mettre des petites meufs pour s’occuper de nous [rires]. » (Garçon, entretien informel au moment du café collectif, 15 ans.)

Par ailleurs, l’enquête de terrain a été l’occasion de montrer combien finalement pour les jeunes hommes rencontrés il était important de pouvoir avoir des référents masculins, notamment dans la sphère professionnelle (professeurs techniques exerçant des métiers d’hommes). Lorsque les jeunes hommes sont satisfaits de leur relation avec leur éducateur homme, la proximité de genre est vue comme un atout et les critères mobilisés font le plus souvent référence à la virilité, « entre mecs on se comprend », résume un jeune rencontré. En revanche, plus fréquemment, lorsque cette proximité entre jeunes hommes et éducateurs hommes n’est pas satisfaisante (bien souvent parce qu’il y a une inadéquation entre le genre et la pratique éducative), les éducateurs sont mis à l’écart et ne peuvent être sollicités pour discuter. En effet, tout ce qui a trait à la conversation, la discussion ou l’écoute étant une compétence féminine par excellence, nous l’avons déjà souligné, il leur semble plus évident de s’adresser aux femmes. L’interaction mixte qui se déroule est alors soumise à des jeux de séduction et de manipulation où les jeunes hommes ont l’impression qu’ils peuvent mener la danse et avoir l’ascendant sur les éducatrices femmes. Cette impression de toute puissance s’est exprimée à plusieurs reprises dans les entretiens et va dans le sens d’une adéquation des comportements des jeunes aux appréhensions des équipes, notamment dans les préconisations spéciales qui sont faites aux femmes éducatrices. Si les garçons rencontrés laissent pour certains entendre leur préférence de parler à un

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Bozon M., « Sexualité et conjugalité », in Bloss T., La dialectique des rapports hommes-femmes, PUF, coll. « Sociologie d’aujourd’hui », Paris, 2001, pp. 239-259 (DOI : 10.3917/puf.bloss.2001.02.0239).

ou une professionnel le, en s’appuyant sur des expériences vécues bien souvent à l’extérieur (relation à la mère, au père, et plus largement aux femmes et aux hommes et aux adultes), les stéréotypes de genre sont mobilisés pour décrire les professionnels et l’on voit combien il est complexe de détacher la question du professionnel de la catégorie de genre à laquelle il est renvoyé et à laquelle il se renvoie.

En résumé

Le contexte marqué par un recentrage de la PJJ au pénal et l’importance accordée à l’insertion socio- professionnelle contribuent à expliquer la place secondaire de la question de la sexualité dans la prise en charge pour des jeunes qui ne sont pas concernés par des infractions sexuelles. La santé et la sexualité se trouvent alors prises au cœur d’un difficile équilibre entre pratiques éducatives, approche pénale et légaliste et pratiques de soins, trois approches entre lesquelles les professionnels jonglent dans le quotidien de la prise en charge.

Dans ce contexte, lorsqu’est abordée la question de l’intimité, du corps apparaît l’enjeu essentiel pour les professionnels de la bonne distance à établir entre eux et le jeune, mais également de la bonne distance à maintenir par le jeune avec son éducateur. Si pour le jeune il s’agit de préserver « son jardin secret », le travail invisible de « bonne » distance avec les jeunes comprend pour les éducateurs et professeurs techniques un devoir de neutralité émotionnelle intrinsèque à toute activité professionnelle basée sur les relations et les questions sociales.

C’est alors que des modes d’intervention multiples sont déployés, en fonction de l’autonomie plus ou moins grande que les professionnels souhaitent accorder au jeune dans son parcours de soins : informer, « faire avec » ou « faire à sa place », les pratiques sont hétérogènes et témoignent de la difficulté pour les professionnels de gérer cette relation asymétrique éducateur/adulte versus jeune à laquelle ils sont confrontés au quotidien. À cela s’ajoute une répartition relativement genrée des missions et compétences dans les structures, comme si la question de la santé et de la sexualité était le domaine réservé des femmes professionnelles dans les équipes, par nature.