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Le genre comme compétence pour canaliser les garçons

Les enjeux autour de la construction du genre comme compétence ne se limitent pas à la manière que les professionnel le s de la PJJ ont d’appréhender les femmes éducatrices. Plusieurs exemples ont en effet retenu notre attention sur le fait que, pour les garçons pris en charge, la petite amie peut être intégrée au processus d’insertion socioprofessionnelle mis en place. Si cela n’est pas institutionnellement écrit, il n’empêche que cela mérite d’être souligné. En effet, la rencontre et la prise en compte de la relation affective du jeune participent à la reconnaissance d’une vie du garçon hors de la PJJ et donc hors de son identité de « délinquant » ou « cas social ». Ainsi, les garçons qui ont eu l’occasion de présenter leur petite amie ont souligné cette possibilité d’être reconnus comme des jeunes normaux, ayant droit aussi à une vie affective reconnue (à défaut des parents, au moins des éducateurs ; ou dans d’autres cas des parents et des éducateurs) :

« Je me serais pas permis de ramener une fille que je sais que c’est bidon. Je vais pas la présenter à mon père, qu’elle fasse la bise à mon père. C’est pas possible. […] Sa bouche, elle a été partout. C’est comme si je salissais chez moi. […] Après, mon éducateur ici, c’est pas pareil. Ça fait trois ans que maintenant on se connaît. C’est même pas un éducateur, c’est… je sais pas… C’est pas un éducateur pour moi. C’est quelqu’un d’important. Il a toujours été là. Je sais qu’avec moi, il a pas fait de chichis, comme il a fait du chichi avec d’autres jeunes. […] Ouais, je suis à l’aise, enfin je lui fais confiance, il me fait confiance. Je suis à l’aise, c’est pas pareil. […] et c’est une fille bien avec qui je suis maintenant. Il l’a vue plein de fois ! » (Dylan, 19 ans.)

Pour être présentée, cette fille doit être « une fille bien », présentable à des adultes, qui soit « sérieuse » et engagée dans la relation du point de vue des garçons, on reviendra sur ces éléments ultérieurement mais il n’empêche que cela figure parmi les conditions d’une éventuelle rencontre.

Pour les éducateurs, cette manière de prendre en compte le jeune dans sa plus grande globalité participe de leur volonté de briser la glace entre éducateur et jeune pris en charge par la PJJ en offrant aux jeunes la possibilité de montrer une facette plus « positive » et « normale » d’eux-mêmes :

« Je lui ai quand même demandé de rencontrer sa copine, parce qu’en fait, ce gamin était particulier dans sa posture : c’était quelqu’un qui était victimisé souvent, et j’avais l’impression qu’au début, il avait honte un petit peu d’elle, physiquement et tout, et qu’il préférait dire aux autres que c’était pas sa copine. […] Voilà. Juste : “Bonjour. Je me présente. Je m’appelle Damien. Et toi ? J’ai entendu parler de toi”, deux-trois phrases qui mettent à l’aise. Et après, moi, ça s’arrête là. Pour faire voir aussi au jeune que si je suis son référent, qu’il me dit quelque chose, j’en fais quelque chose. Ça peut permettre aussi des fois de débloquer quelque chose.

Ça peut le soulager. Il peut se dire : “Tiens, il a eu de l’intérêt pour moi…” Là, il se trouve que finalement, non. Mais j’aurais pu. » (Damien éducateur.)

Mais cela se mérite, tous les jeunes n’ont pas eu l’occasion de présenter leur petite amie (et n’auraient pas voulu le faire). Inversement, tous les éducateurs n’ont pas proposé aux jeunes dont ils ont eu la charge de rencontrer leur petite amie. Pour les éducateurs, plusieurs conditions semblent s’imposer avant toute éventualité de rencontre : ce n’est qu’une fois la relation éducateur/jeune posée qu’elle peut être envisagée, et si le jeune est assidu (ou du moins qu’il tente de l’être) aux rendez-vous fixés par la PJJ, et ce n’est qu’une fois que la relation entre le jeune et sa petite amie paraît installée et stable dans le temps (ce qui est fortement variable, d’un mois à plusieurs années). Il faut également que le garçon parle positivement et régulièrement de sa copine (ce qui implique une relation de confiance minimale et des temps de parole au-delà de ceux prévus par le suivi de la mesure). Enfin et surtout, il faut que l’éducateur ait l’impression que la petite amie peut avoir un rôle positif dans le processus d’insertion socioprofessionnelle du garçon.

La rencontre de la petite amie, lorsqu’elle est évoquée, contribue à reconnaître le couple, et le jeune dans sa capacité à avoir et faire durer une relation de couple, mais aussi à valoriser les normes de la conjugalité (être en couple, dans le temps long, se projeter, s’inclure éventuellement dans un projet de parentalité). Cela a encore pour conséquence d’imposer le cadre hétéronormatif comme le seul admissible par l’institution (aucun partenaire de même sexe n’a été évoqué, l’homosexualité est quasiment toujours absente des discours, des professionnels comme des jeunes rencontrés, sur le couple et les formes de conjugalité). On notera d’ailleurs que seuls les garçons ont pu être conviés à présenter leur copine, et non l’inverse, pourtant une partie des filles suivies par la PJJ rencontrées avaient un petit copain depuis un certain temps (considéré bien souvent comme « trop court19 » par

les adultes présents).

C’est avant tout et surtout parce que si les filles sont socialement reconnues comme plus matures que les garçons, elles ont pour rôle de canaliser les garçons. Ainsi, en tant que filles, parce que filles, elles sont utilisées comme relais des professionnels de la PJJ pour faire penser aux rendez-vous chez le médecin, inciter à chercher du travail ou à se rendre à la mission locale etc. Il s’agit bien ici d’une autre forme de construction du genre comme compétence. Et ceci est d’autant plus appuyé que, dans le cadre de cette enquête exploratoire, aucune des filles rencontrées n’a été sollicitée (ou ne s’est vu proposer) pour présenter son petit ami à son éducateur.

Si la partenaire « petite amie » des garçons peut avoir un effet positif sur le temps de prise en charge, il n’empêche que nombre de professionnels nous ont déclaré redouter les ruptures amoureuses. Elles ne seraient en effet pas sans impact sur les autres pans de la vie du jeune, notamment sur son insertion socioprofessionnelle.

Cette reconnaissance supposée d’une compétence spécifique selon le genre n’est pas sans conséquence sur la manière que les jeunes garçons rencontrés ont d’appréhender les relations entre femmes et hommes, et plus spécifiquement la sexualité. « Parce qu’elle correspond à l’entrée dans la sexualité avec partenaire, l’initiation sexuelle et amoureuse est un des moments décisifs de la construction et de l’intériorisation des rapports entre les

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sexes » soulignait Michel Bozon (2001, p.24620). Parce qu’il s’agit des premières relations qui comptent, elles ne sont

pas sans effet sur la perception des jeunes quant à la vie affective et sexuelle et leurs représentations de l’autre sexe (puisqu’ici nous sommes uniquement dans des récits mettant en scène des scénarios hétérosexuels).