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Sexualité et hygiène

Les dimensions physiologiques, morales et sociales sont alors étroitement liées. Comme le souligne Irène Théry, « être une vraie femme, c’est non seulement avoir un corps désirable et beau, avoir un corps sain, accueillant et prolifique, mais c’est aussi avoir un corps qui soit un bien rare sur le plan sexuel » (Théry, 1999, p. 116). Comme de nombreuses recherches l’ont déjà souligné, les choses ont changé depuis le début de l’épidémie de SIDA. Le SIDA n’est plus associé à une représentation de la mort, ni à la peur de celle-ci. C’était pourtant la motivation pour faire adopter des comportements préventifs. Les représentations ont beaucoup changé, notamment avec l’arrivée des multithérapies et avec le fait que l’on puisse aujourd’hui vieillir avec le VIH/SIDA. Il reste néanmoins la seule infection sexuellement transmissible connue, et dans une certaine mesure redoutée, par tous les jeunes rencontrés. Dans les points qui précèdent, nous avons montré l’importance que revêt le contexte amoureux dans le choix de la protection/contraception et donc d’insérer la question de la sexualité dans une dynamique relationnelle. Il paraît opportun de préciser à présent dans quelles conditions cela peut avoir une incidence sur l’utilisation du préservatif pour les garçons que nous avons rencontrés. Constatant dans une enquête antérieure que tous les rapports sexuels non ou mal protégés ne donnent pas lieu à la prise d’une contraception d’urgence par les jeunes femmes, ce qui nous avait permis de mettre en évidence les critères du rapport potentiellement fécondant (Amsellem-Mainguy, 2007, p. 315), il semblerait qu’il existe chez les garçons rencontrés des critères du rapport potentiellement risqué d’un point de vue sanitaire. Ici, c’est bien que les jeunes opèrent une classification ou, au moins, qu’ils différencient les rapports sexuels selon leur « dangerosité », c’est-à-dire selon un seuil d’exposition à une grossesse non prévue mais surtout à une infection sexuellement transmissible incarnée par le « SIDA ». Les entretiens nous ont permis de constater que les jeunes cherchent à estimer le risque d’IST selon leur investissement et celui de leur partenaire dans la relation, tout en prenant en compte leurs histoires sentimentales, sexuelles, contraceptives passées. On comprend donc que le recours à une protection n’a rien de systématique dès lors que s’instaure, entre autres, un sentiment de sécurité ou de confiance entre deux personnes. Dans son étude sur la confiance, Sharman Levinson (2003) montre que les individus tirent des leçons de ce qu’ils ont vécu, à partir desquelles ils reconstruisent l’avant pour mieux construire l’après, c’est-à-dire le maintenant. Nous observons un schéma identique ici. Les récits des jeunes montrent une tendance à la hiérarchisation de l’exposition au risque d’IST et de grossesse (« Une fille qui a les cheveux gras, ça se voit, elle a le SIDA ! » – Jessy, 16 ans).

À travers l’exemple des cheveux gras, on peut comprendre que les critères de Jessy sont relatifs à l’hygiène plutôt qu’à la santé : une fille propre est ainsi une fille qui n’est pas malade (en réalité, il faudrait comprendre qui en apparence n’a pas l’air malade), et les garçons tentent, autant qu’ils peuvent, de se tenir à l’écart du risque d’IST en

n’ayant pas de rapports avec des filles dont l’apparence relèverait d’un manque d’hygiène (nous avons par ailleurs souligné au début de ce rapport la question de l’hygiène pour ces jeunes pris en charge avec la PJJ). On comprend ainsi combien l’apparence est importante sur le marché des échanges amoureux. « Si, pour l’épidémiologie, une telle tactique peut sembler irrationnelle parce qu’inefficace, elle est tout à fait logique pour l’individu. En réalité, mais à sa manière, il ne fait qu’utiliser un des principaux ”commandements” préventifs : éviter d’avoir des contacts non protégés avec une personne contaminée » (Mendes-Leite, 1995, p. 93). Ils mettent donc en place une forme de sélection selon des indicateurs subjectifs d’exposition éventuelle au VIH, qui peut être valorisée même si les indicateurs sont inefficaces sur le volet sanitaire. Dans le même temps, s’imposer un préservatif, refuser d’avoir un rapport sexuel sans préservatif, lorsque l’on est un garçon, attire l’attention sur le fait d’être un garçon un peu moins sérieux qu’on ne le prétend :

« Laisse tomber, genre si je dis ”on nique pas, vu que j’ai pas de capote”, la meuf elle va trouver ça chelou, direct elle va se dire que j’ai un truc. Je suis malade, j’ai le SIDA ou je sais pas moi […] Elle va se dire que je suis crade ! » (Laurent, 17 ans.)

En résumé

Les rapports sexuels sont rarement prévus, anticipés, et exposent les jeunes à devoir faire « avec les moyens du bord », c'est-à-dire (pour les garçons) avec préservatif, ou en pratiquant le retrait avant éjaculation, sinon sans moyen. Si nous partons du postulat que les jeunes pris en charge par la PJJ n’ont pas des comportements spécifiques en matière de protection/contraception, exposition aux IST dont VIH, il importe malgré tout de ne pas faire abstraction des rapports sociaux dans lesquels ils sont inscrits. Cela nous a amenées à nous interroger sur les conséquences éventuelles des stigmatisations et discriminations dont ils font l’objet26 (en tant que jeunes, garçons, issus pour la grande majorité de milieu populaire, en situation de vulnérabilité, ayant l’étiquette de cas sociaux, décrocheurs…) sur les comportements affectifs et sexuels, et tout particulièrement sur les enjeux liés à la protection/contraception.

Si les garçons rencontrés ont des connaissances variables sur les IST, ils savent tous que le préservatif protège du SIDA. Ce n’est pas pour autant qu’ils en utilisent, loin de là. Le lien de corrélation entre information/usages n’est donc pas satisfaisant ici puisque bien d’autres éléments entrent en ligne de compte.

Les jeunes garçons – pourtant non pris en charge pour des raisons liées à des violences sexuelles – sont bien souvent rapidement présentés comme des caricatures d’hommes machistes et dominants, avec des tendances violentes en raison de leur force physique réelle ou supposée. Ils montrent une tendance à l’exacerbation du nombre de partenaires qui est malgré tout à relativiser à la lumière de leur propre récit. Dans un contexte où la sexualité masculine est survalorisée, la question de l’absence de relations sexuelles dans le cadre d’une relation affective reste un impensé pour la plupart des garçons que nous avons rencontrés. Les termes employés par les jeunes interpellent : la virginité est construite comme une problématique spécifiquement féminine, tout comme la contraception.

26 On notera que si nous avons une forte représentation de jeunes garçons dans cette enquête, force est de constater l’effet de territoire sur lequel s’est déroulé le terrain, qui fait que nous n’avons que très peu de jeunes issus de l’immigration ou d’origine étrangère. Si une minorité d’entre eux a fait référence à des parents ou grands-parents qui ne sont pas nés en France ou qui partent au bled pour des vacances, les autres viennent des zones d’habitat social de petites ou moyennes villes de province, ou de milieu rural. La question raciale n’est donc que peu

CONCLUSIONS – LES « JEUNES PJJ » : DES JEUNES COMME LES