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Des locaux peu propices aux confidences en matière de santé

La déclinaison de la prise en charge des questions de santé dans les structures varie selon les lieux et les personnes. Force est de constater qu’il n’existe cependant pas, dans toutes les structures visitées, de lieu dédié à la santé (infirmerie, point santé, etc.). Pendant longtemps, ce lieu était clairement identifié comme l’infirmerie, le bureau de l’infirmier présent dans la structure de milieu ouvert, d’insertion ou d’hébergement. C’était vers lui qu’étaient envoyés les jeunes nécessitant une prise en charge particulière en matière de santé. Avec la nouvelle organisation administrative qui place les infirmiers à un échelon d’intervention départemental, ces bureaux ont laissé place à un grand vide dans les structures : il n’y a pas de « pôle santé », ni même d’infirmerie. Largement regretté voire critiqué par les professionnels rencontrés, nous l’avons rappelé, cet éloignement géographique n’est pas sans conséquence sur la manière dont les structures de la PJJ prévoient de traiter des questions de santé. L’ancienne infirmerie est aujourd’hui remplacée par une trousse à pharmacie, par des boîtes pour les préservatifs – majoritairement masculins – dans les lieux d’accueil ou, au mieux, par le bureau du psychologue. Le bureau de l’éducateur demeure également le substitut du lieu de santé, même s’il n’est pas toujours propice à la confidence, nous y reviendrons. Le bureau de l’infirmier a également été remplacé par les espaces d’accueil qui deviennent le substitut pour renseigner et informer. Dans les structures, pas de signalétique particulière, aussi discrète soit-elle, pour informer les jeunes qu’une étagère ou un tiroir contient des préservatifs. C’est lors d’un échange avec l’éducateur – pour préserver un minimum de discrétion – ou plus régulièrement par le bouche à oreille qu’ils apprendront leur présence. À leurs côtés bien souvent, des présentoirs avec des flyers et des brochures officiels de prévention sur les risques liés aux addictions, aux MST, etc. Il faut donc se rendre à l’extérieur de la structure pour résoudre une question de santé (ce qui s’explique par le positionnement même de la PJJ dans les parcours de prise en charge institutionnelle des jeunes et l’objectif associé d’orienter les jeunes vers les structures et dispositifs de droit commun), renvoyant directement vers les professionnels dédiés et structures spécialisées et externalisant

ainsi le traitement des problèmes de santé (même s’il est dans les missions de la PJJ de faire appel à un panel élargi de professionnels pour mettre en place un accompagnement global des jeunes).

Ainsi, au sein des structures, on parle de la santé avec son éducateur, son professeur, c’est-à-dire avec celui/celle qui suit les jeunes au quotidien, qui les connaît le mieux dans le quotidien, et parfois avec le psychologue. Si les jeunes ne font pas des démarches par eux-mêmes, à l’extérieur, sur Internet, etc., ou s’ils ne se tournent pas vers leurs pairs, c’est potentiellement au professionnel de la PJJ qu’ils peuvent s’adresser. Mais c’est ce qu’ils font dans certains cas seulement, selon s’ils considèrent ou non qu’ils sont légitimes pour les accompagner dans leur questionnement, leur difficulté, etc. Ainsi, parler de sexualité est bien souvent vu comme ne faisant pas partie de la sphère PJJ à laquelle l’éducateur ou le professeur technique appartient :

« Quand on va sortir, tu penses qu’on peut aller parler à l’éducateur pour lui demander où est le centre de dépistage ou tu ne veux pas trop lui en parler ?

– Non, je veux pas parler de ça moi. – Pas avec les gens d’ici ?

– Pas ici. – Parce que ?

– Parce que vas-y, j’aime pas quand les gens ils entendent ça ! – Les gens, ici, ils sont proches de toi ou pas trop encore ?

– C’est pas qu’ils sont proches de moi, c’est que moi, je suis pas un gars qui montre. Je reste discret moi. – Et au CER, c’est pareil, ils savaient rien sur toi les éducs et tout ça ?

– Non. Même ils me demandaient ceci cela, mais non. Y a pas de ça. Moi, je te dis pas de qui je suis. T’as pas à savoir cousin. C’est ma vie.

– Donc tu ne te verrais pas, si tu as un problème, en parler avec l’éducateur d’ici ?

– Non. Moi, je parle pas. Je règle mes problèmes solo. Je suis tout seul. Je suis très bien comme je suis. Je suis clair dans ma tête. » (Jessy, 16 ans.)

L’adulte de la PJJ peut cependant être amené à jouer le rôle d’intermédiaire pour parler de santé et de sexualité. Se tourner vers l’éducateur ou le professeur technique n’est pas chose facile lorsque l’on considère qu’il s’agit de son intimité et de son corps. Il faut donc créer les conditions propices à la confidence, ce qui est loin d’être toujours le cas dans des locaux qui posent clairement la question de la confidentialité des échanges : insonorité quasi nulle dans les bureaux, visibilité du jeune et du professionnel lorsqu’une partie des murs du bureau est vitrée et visible de tous ceux présents dans le service, proximité du bureau avec le hall d’accueil, etc. Comment également être prêt à se confier lorsque le bureau est parfois partagé avec un autre éducateur (même si ce dernier est invité à sortir lorsque l’éducateur estime qu’une entrevue en face-à-face est nécessaire) ? L’ensemble de ces observations questionne nécessairement l’opportunité pour le jeune de se tourner vers un professionnel de la PJJ pour parler de ces sujets qui relèvent de l’intime.

L’enjeu des locaux questionne également la manière dont les professionnels peuvent aborder la question de la santé et de la sexualité. Les structures de la PJJ sont bien souvent reléguées dans des quartiers éloignés des centres urbains, voire même à la périphérie des villes, dans des zones d’activités commerciales dénuées d’attractivité et de services utiles à la fois pour les jeunes comme pour les professionnels. Elles sont hébergées dans des hangars

industriels (c’est le cas des UEAJ par nécessité technique) ou des immeubles peu visibles et difficilement identifiables (c’est le cas des UEMO), bâtiments qui envoient un premier signal plutôt négatif et stigmatisant : en direction de la société d’une manière générale, mais aussi et avant tout en direction du public qu’elles accueillent, les jeunes eux-mêmes. Les locaux ne sont donc pas nécessairement proches des lieux de santé et cet éloignement peut rendre plus difficile le travail d’identification avec les jeunes des professionnels de santé compétents pouvant les prendre en charge. L’éloignement géographique entre les structures de placement/prise en charge et leur lieu de vie constitue également un frein à l’appropriation par les jeunes des ressources du territoire en matière de santé. On les renseigne sur des professionnels et des structures qui ne se trouvent pas nécessairement à proximité de leur lieu de vie, sur un territoire local auquel ils ne s’identifient pas. Se tourner vers un médecin inconnu, avec lequel la relation de confiance est à construire, et qui plus est éloigné de leur lieu de résidence sont autant d’éléments ne facilitant pas la mobilisation et l’implication des jeunes dans leur parcours de santé. Les travaux en éducation pour la santé tendent à montrer que l’efficacité de la démarche de prévention est maximale lorsqu’elle a lieu sur les lieux de vie de ceux auxquels elle est destinée. En outre, les conditions d’accueil et d’hygiène à l’intérieur des structures constituent un discours autrement plus prégnant qu’une incitation bienveillante à pratiquer un bon équilibre de vie… Comment en appeler à l’entretien du corps, au respect de soi, à la prise en charge de sa santé si l’état des toilettes (et dans les foyers des douches) ou encore des parties communes laisse à désirer ?...