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Les représentations des jeunes sur les préservatifs

Si les garçons rencontrés ont des connaissances variables sur les IST, ils savent tous que le préservatif protège du SIDA. Ce n’est pas pour autant qu’ils en utilisent, loin de là. Le lien de corrélation entre information/usages n’est donc pas satisfaisant ici puisque bien d’autres éléments entrent en ligne de compte. La prévention du SIDA a montré qu’il n’y avait pas de lien direct entre la connaissance qu’une personne peut avoir du danger de la contamination et les comportements qu’elle va ou peut mettre en œuvre face à ce risque (CRIPS, 1998). Ainsi, Rommel Mendes-Leite explique que « les personnes connaissent en majorité la nécessité de la gestion des risques et mettent en œuvre certaines pratiques préventives. Cependant, elles procèdent parfois à une réappropriation des "consignes de prévention", en les rendant plus proches de leur cadre cognitif socioculturel, ce qui leur donne l'impression de ne pas prendre de risques. Une telle stratégie a pour la personne une certaine logique. Ainsi, une personne peut faire la différence entre fidélité physique et fidélité émotionnelle ; curieusement, cette dernière, considérée comme plus précieuse, ne s’accompagne pas nécessairement d’exclusivité sexuelle. Ces stratégies de "protection imaginaire et symbolique" ne signifient pas que les personnes concernées ignorent la prévention ou ne croient pas en son efficacité. Au but principal de se protéger de la contamination, elles ajoutent naturellement celui d'amoindrir les contraintes représentées par les restrictions qu'impose la prévention » (Mendes-Leite, 1996). La préservation de la santé est bien plus secondaire dans les propos des garçons rencontrés que la nécessité d’affirmer sa masculinité et l’opportunité d’avoir des rapports sexuels. Dans le cadre d’une relation amoureuse, avoir recours au préservatif (ou se poser la question d’en avoir un, d’en mettre un), c’est prendre le risque de mettre en cause explicitement sa contraception/protection et/ou celle de son partenaire. C’est aussi risquer une remise en cause plus générale de la relation, et de la confiance en l’autre par exemple. Douter et expliciter ce doute est d’autant plus difficile qu’on envisage « de faire un bout de sa vie » avec la personne. Ainsi un garçon explique dans l’entretien qu’il compte s’adapter à sa copine à laquelle il se dit « très attaché », « presque amoureux, même si je

sais pas ce que c’est l’amour ! », si elle demande le préservatif, il en mettra un (ce qu’il n’a fait que 2 ou 3 fois pour le

moment, tandis qu’il a eu 4 partenaires). Les « risques sanitaires » (Levinson, 2003), c’est-à-dire les infections sexuellement transmissibles et les grossesses non prévues, doivent être envisagés en lien avec les risques « affectifs » liés à la relation à l’autre. Les risques de rejet, de rupture, de trahison mais aussi d’indifférence de la part de la petite copine, de la partenaire, apparaissent en filigrane dans les biographies sexuelles des jeunes interrogés :

« La première fois que tu as couché avec une fille, est-ce que vous vous êtes protégés ou pas ? – Non. Moi, je me suis jamais protégé.

– Jamais protégé.

– Tu n’as jamais mis de capotes ?

– Si, j’ai peut-être essayé une fois. […] J’ai jamais accroché avec le truc de merde. […] Ça change rien. Bon, même si je sais qu’il y a des maladies, on va dire les maladies, ça se soigne, pas toutes. Je trouve que sans la capote, si ça se trouve, le membre… Et la capote, c’est pas ce qui va t’avoir une queue de cheval. Tu vois ce que je veux dire ? On va dire c’est plus naturel sans capote qu’avec une capote. Enfin moi, je trouve. Moi, j’ai jamais mis de capotes pour avoir une relation avec une fille, donc...

– Et est-ce qu’une fille t’a déjà demandé de mettre une capote ou pas ? – Ouais, une.

– Et alors ?

– Ça m’est arrivé que des filles ils étaient encore vierges. Bah normal, y a le respect aussi. Y a une fille, une de mes ex qui m’a demandé de mettre une capote comme c’était sa première fois. Beh oui, j’ai dit : “Ok, y a pas de problème.” Une fois, et après, j’ai plus jamais mis après.

– Et ça t’est déjà arrivé de dire non parce qu’une fille t’a demandé de mettre une capote ?

– Ouais, j’ai déjà répliqué. Mais après, c’est pour elle. […] Beh ouais parce que moi, si je suis avec une fille et que je change de fille et que la fille, elle avait des trucs et que je le sais pas, après, c’est sûr qu’elle a raison. » (Ryan, 16 ans.)

Si une fille peut légitimement demander que le garçon mette un préservatif, en avoir à sa disposition la rend malgré tout suspecte d’avoir une sexualité active. Dans l’entretien de Steeven, on voit bien comment la fille dont il parle risque d’être catégorisée « salope » par ce qu’elle donne à voir de sa sexualité par les préservatifs dans son sac. S’il n’en a jamais fait l’inventaire, il cherche malgré tout à y déceler des preuves d’une sexualité active :

« Là, t’avais pas de préservatif sur toi ?

– Non, mais elle oui. Elle, elle en avait toujours dans sa sacoche. On sait jamais. D’ailleurs, c’était bizarre. – Pourquoi ?

– Parce qu’à chaque fois qu’elle ouvrait sa sacoche, tu voyais un ou deux préservatifs. Tu te disais “Bon…”. Si dans la journée, t’en voyais un seul, tu te disais : “Bon… elle a peut-être été voir un autre garçon…” Mais je m’en foutais d’elle. Enfin je l’aimais bien et voilà. Ça me faisait chier mais bon. En fait, j’ai appris par la suite que pendant qu’elle était avec moi, elle a jamais été voir ailleurs. Donc c’était plutôt rassurant. » (Steeven, 17 ans.)

La question de l’obtention des préservatifs est intéressante, car si plusieurs estiment que la structure PJJ qu’ils fréquentent pourrait en délivrer, ce n’est pas pour autant qu’ils en prendraient. Parmi ces garçons, un est d’ailleurs pris en charge dans une structure qui met à disposition des préservatifs gratuitement, ce qu’il semble ne pas savoir ou feint d’ignorer pour renforcer les reproches qu’il fait à l’institution tout au long de l’entretien.

Mais surtout, les jeunes rencontrés sont largement convaincus que les préservatifs gratuits sont de moindre qualité que les préservatifs payants, ce dont ils ne peuvent guère parler avec leurs éducateurs, tout d’abord parce que cela renvoie directement à la sexualité de leur éducateurs (dont ils ne veulent pas entendre parler et dont les éducateurs ne veulent pas parler), ensuite parce que ces mêmes éducateurs leur paraissent mal placés pour en parler (les jeunes les sachant en couple, mariés avec ou sans enfants, ils estiment bien souvent que leurs éducateurs n’en utilisent pas/plus). Pour comprendre cet argument concernant les écarts entre préservatifs payants/gratuits, il convient de souligner que les préservatifs gratuits sont standards, moins fins « sensation peau » ou « skin » et moins dessinés « pour

optimiser le plaisir » que les préservatifs payants qui valorisent tous ces aspects dans le marketing. À cela s’ajoute l’idée

que les préservatifs gratuits seraient de moins bonne qualité au sens strict, c'est-à-dire plus propices à craquer, exploser, des sous-produits que l’on donnerait aux pauvres, aux assistés, aux gens de la rue. En entretien, un jeune compare d’ailleurs ces préservatifs aux soupes populaires en soulignant que ce qui est moins bien est pour les cas sociaux, les produits défaillants seraient officiellement jetés à la poubelle et en réalité donnés aux pauvres :

« En fait, pour moi... c'est un peu les mauvais trucs qu'on donne aux pauvres, mes copains ils disent que même les trucs qu'on donne pour le sexe, c'est pas bien [il parle des préservatifs]. Aux gens qui sont dans la rue, comme moi quand j'étais dans la rue... pour vivre on mangeait les soupes, mais les gens disent que c'est avec choses pourries dedans. […] C'est un peu on donne mais c'est ce que les autres veulent pas ou ce qui est pas bon pour les autres. […] Donc c'est bien et c'est pas bien de donner. Moi je trouve ça pas très très juste, pourquoi les pauvres, nous, on a pas le droit de manger bien ou d'avoir des choses bien ? » (Mohamed, 17 ans.)

Il en va d’ailleurs de même pour les tests de grossesse, les « premiers prix » sont considérés par des filles comme par des garçons comme « peu fiables ». Tout se passe donc comme si la qualité était un prix à payer, la pauvreté impliquait d’en payer les conséquences par des produits bas de gamme, et moins efficaces. Se pose donc la question de l’achat de préservatif, et ils sont finalement nombreux à ne pas avoir franchi le cap.

L’analyse de Christelle Hamel apporte un éclairage intéressant sur le refus de préservatif de la part de certains jeunes hommes. « Le préservatif risque de faire obstacle à la performance, certains [garçons] préfèrent l’éviter. Outre qu’il diminue le plaisir, il est aussi perçu comme une contrainte qui réduit la “liberté”, et donc la “masculinité”, puisqu’un garçon se doit d’être libre et indépendant. Autant de facteurs qui font du port du préservatif une préoccupation lointaine, en contradiction avec l’affirmation de la “masculinité”, dans un contexte où la sexualité n’est pas si abondante qu’on veut bien le dire » (2002, p. 97), même si, pour certains, acheter des préservatifs permet d’afficher ouvertement une sexualité active.