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CHAPITRE 4 – PRÉSENTATION DU TERRAIN ET ANALYSE DES DONNÉES

4.5 Les premiers pas : arriver, s’installer et s’intégrer

4.5.6 Sentiment d’intégration

D’après l’expérience vécue autour de la création de liens, les participants ont eu à s’exprimer sur leur sentiment d’être intégré, de se sentir chez soi, ou à l’opposé, de se sentir étranger. Il est possible de constater ici que ce sentiment découle d’une part de l’expérience des individus, mais qui plus est, de l’idée qu’ils se font de ce que signifie être intégré. Pour certains, l’intégration passe par l’aspect relationnel, par le fait d’entrer en relation avec les gens. C’est le cas de Didier et de Souleiman, qui se considèrent intégrés grâce aux gens rencontrés ; ceux-ci présentent d’ailleurs un réseau social élargi et diversifié. Le sentiment de Lissa par rapport à l’intégration s’appuie également sur une logique relationnelle, mais l’issue est toutefois différente : « je ne me sentais pas intégrée à cause de

ce que j’ai vécu. Parce que […] je me suis sentie étrangère, or qu’à la Réunion, je n’ai jamais vécu ça. Mais là, j’ai vraiment vécu… j’ai l’impression d’avoir vécu le racisme, la discrimination, donc c’est pour ça que je dirais « non, je n’ai pas été intégrée » ». Dans la dernière expression de cette citation,

Lissa utilise le verbe être à la voix passive (avoir été), ce qui renvoie l’impression que son intégration dépendait plus des autres que d’elle-même. Enfin, il est possible de voir que l’expérience négative vécue en relation a fait en sorte que Lissa ne se sente pas intégrée, mais plutôt « étrangère ». À cela, elle ajoute le fait de fréquenter peu de lieux en dehors de l’école et d’avoir peu d’amis. Enfin, pour avoir passé un été à Montréal, Lissa constate que la diversité culturelle présente dans la population

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nous ». Au contraire, Dario ne se sent pas étranger à Rimouski, « pas comme en France en tout cas », mais se sent-il intégré ? Dario est un peu tergiversant sur la question. Il répond sans grande

conviction que « ça va » parce qu’il arrive à faire ce qu’il a à faire. Il a une routine, un « beat » : « résidences-Institut, Institut-résidences, les cours, les devoirs… ». Le sentiment d’intégration de Dario passe par son occupation du temps, par le fait qu’il tienne la cadence des études.

Pour un des étudiants d’origine étrangère en provenance d’une grande ville canadienne, cette routine majoritairement limitée entre l’école et la maison ne suffit pas pour se sentir intégré : « Là-bas, tu es

un étudiant en même temps que tu vis ta vie, tu vois ? Ici, […] c’est juste les études, sinon, il n’y a

rien d’autre à faire ». En fait, celui-ci associe son sentiment de ne pas être intégré, « comme vraiment appartenir », au « fait de ne pas connaître beaucoup de gens [et] d’aller à des endroits assez limités » : « ce n’est pas comme si je pouvais dire « ah ! je vais aller à…» je ne sais pas, « voir mes amis à la mosquée » ». Ce qui lui manque, ce sont ses lieux de socialisation habituels (mosquée,

centres commerciaux), une variété de lieux en dehors de la « routine » de l’école et permettant un ancrage social significatif. Même s’il a des amis dans cet espace, des amis de sa ville de résidence avec qui il est venu, et d’autres, il ne se sent pas intégré ; il se sent « de l’extérieur ». L’intégration passe ici par la création d’un réseau social à travers des lieux variés : un réseau qui va au-delà de la sphère académique à l’intérieur duquel il peut se mouvoir comme il veut et faire des activités qui lui plaisent. Un autre étudiant canadien ne se sent pas non plus intégré à Rimouski : il n’a pas « de

rattachement » comme dans sa ville canadienne de résidence, où il serait plus « dans la société même ». Ce qui lui manque pour se sentir intégré, ce sont des activités (comme l’arbitrage auprès

des jeunes) qui permettent de se « rattacher » à la ville. Selon son vécu, le sentiment d’intégration passe par la variété d’activités offertes, mais aussi par la participation à la vie communautaire. Par contre, s’il aborde l’intégration sous l’angle social, il soutient s’être « bien intégré » puisqu’il s’est « fait

des amis ». Par ailleurs, il semble que la proximité ou l’accessibilité du lieu de provenance puisse

affecter la volonté de s’intégrer et de s’ouvrir au nouveau milieu. C’est le cas de jeunes hommes provenant de grands centres canadiens qui retournent souvent dans leur ville de résidence lors des périodes de congé et de longs weekend.

Pour sa part, Fouad se sent intégré puisqu’il a trouvé sa voie ; il sait où il s’en va et les choses vont bon train. Le sentiment d’intégration passe par le fait que son projet d’études fasse sens et qu’il soit bien dans sa poursuite… Enfin, pour d’autres, l’intégration est en cours. Bastien conjugue sa réponse au présent : « je pense que je, je m’intègre en fait […] Déjà le début est difficile, mais là ça va

mieux » ; Marc-Antoine pense qu’il est « encore trop tôt pour dire », mais avoue tout de même que

« les premiers pas sont faits. » Il affirme certes ne pas se sentir chez lui encore puisqu’il porte toujours la peur d’être inapproprié dans ses comportements : « on est toujours en train de se demander

« Comment je vais me comporter ? », « Est-ce que je dois faire comme ça ? » […] Le jour peut-être je n’aurai pas à me poser ces questions-là, je pourrai dire « oui, je suis chez moi ici » ». L’intégration

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repose ici sur la connaissance des codes culturels. Aussi, en parlant de son sentiment d’intégration,

Marc-Antoine conjugue au futur : « Je n’aurai pas de mal à m’intégrer à la société du Québec et peut-

être aux autres provinces du Canada aussi » ; Bastien, qui n’a pas développé un sentiment de chez soi encore, en fait de même : « Peut-être si je travaille, je commence à construire par exemple ici, je pense que là je vais me sentir chez moi, mais actuellement, pas vraiment ». Dario affirme aussi que

c’est lorsqu’il travaillera qu’il « commencer[a] vraiment à rentrer dans la société ici ». Ces participants voient l’intégration à plus long terme, dans un sens plus large et comme un processus dans lequel ils sont encore en cheminement.

On peut ainsi constater que le sentiment d’intégration dépend d’une foule de facteurs et se traduit différemment d’un individu à l’autre. Chez les participants rencontrés, être intégré ou se sentir intégré s’affirme et s’exprime en lien avec les relations, le vécu relationnel, le sentiment d’appartenance à un groupe ou à un milieu de vie, l’occupation du temps, les lieux fréquentés, les activités quotidiennes, la participation citoyenne, le sentiment de confiance face à ses projets, la connaissance des codes culturels, l’entrée dans la vie professionnelle après les études, etc… Il est indéniable, à l’écoute et à la lecture des vécus, que la perception, la personnalité et l’attitude des individus influencent considérablement l’expérience d’intégration. Nous pouvons le constater d’ailleurs chez des participants ayant plusieurs points en commun tels que l’origine, la génération, le contexte d’immigration, le nouveau milieu, le programme d’études, etc, et qui vivent pourtant une expérience complètement différente. Le concept d’intégration n’est pas perçu de la même manière d’un individu à l’autre ; se sentir intégré ne dépend pas des mêmes facteurs et les stratégies ne sont pas les mêmes non plus. En définitive, il apparait que le moment des études n’est pas une période où l’on s’installe comme chez soi, mais plutôt une période transitoire, une vie temporaire, un tremplin vers autre chose, le temps des études…