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CHAPITRE 4 – PRÉSENTATION DU TERRAIN ET ANALYSE DES DONNÉES

4.9 Appartenances et mobilité

4.9.2 Appartenances

Il appert de mentionner de prime à bord que l’appartenance est un attachement pouvant se transformer et se conjuguer au fil du temps. Pour les étudiants, impliqués qu’ils sont dans une situation transitoire, temporaire, hors de leur milieu d’origine, familial ou de résidence, les contours de l’appartenance sont tributaires d’une existence transfrontalière et transculturelle et donc, en phase de mutation. Qu’en est-il du sentiment développé par les étudiants d’origine étrangère à l’égard de Rimouski, après un an, deux ou trois ans de résidence ? Voyons comment les participants perçoivent cette question à partir de leur vécu et de leur parcours de vie.

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De manière générale, il apparait que peu de participants ont développé un sentiment d’appartenance à Rimouski. Par exemple, François a beaucoup apprécié la ville, mais n’y a pas développé de sentiment d’appartenance : « autant je me suis trouvé des liens d’amitié ici, je n’ai pas l’impression

qu’il y a quelque chose, je ne suis pas attaché en tant que tel. J’ai bien aimé, mais pour moi c’est juste, ça fait partie de mon parcours et puis de toute façon, moi, moi, c’est l’histoire de ma vie, je ne suis pas capable de tenir en place ». Il gardera de bons « souvenirs » de Rimouski et compte y

revenir « en passage », sans plus. Il est possible de saisir sa réalité de migrant aguerri – voire sa mentalité de nomade – alors qu’il parle d’attache et d’appartenance : « Moi, mon problème avec moi,

c’est que je n’ai aucune attache. […] Oui, je suis patriotique. Je suis citoyen canadien, donc je suis aussi patriotique Canada que France68. Même, j’ai même des sentiments d’appartenance aux Etats-

Unis du fait que j’ai habité là-bas et j’ai même de la famille là-bas, mais c’est ça, niveau attache, je n’ai pas d’attache, j’ai toujours envie de bouger… » Dans son récit, les termes appartenance, point

d’attache et patriotisme s’entremêlent et révèlent en somme que François n’a pas d’appartenance à Rimouski, ni à aucun autre lieu spécifique, au point de vouloir s’y installer. Certes, il ressent et porte une appartenance liée à sa famille ainsi qu’une appartenance plus symbolique associée à la nationalité ou la citoyenneté. Cette dernière n’étant toutefois pas immuable :

J’aimerais pouvoir dire : « Je suis fier d’être un Français, je suis fier d’être un Canadien ». Oui, je suis fier, mais autant que je serais peut-être fier d’être Australien si j’allais en Australie, tu comprends ? Et pourtant je suis de ceux qui sont patriotiques dans les Olympiques et tout, je, j’adore ça moi ceux qui lèvent leur drapeau, ils sont patriotiques, terre, famille, patrie, tout ça j’adore, j’adore entendre ce genre de truc là. Malheureusement, je n’ai rien de tout ça, enfin, famille oui, mais voilà…enfin, disons que je vis pour moi et ma famille.

Insa ne ressent pas non plus d’appartenance à Rimouski : « Je ne me sens pas d’ici, tu vois ? C’est

comme, je ne connais carrément rien sur Rimouski ». Selon son témoignage, le développement du

sentiment d’appartenance à un lieu dépendrait du facteur temps et serait aussi tributaire du référent identitaire culturel (d’origine) présent dans l’entourage. Or, le deuxième élément semble nettement

plus déterminant : « ça fait 6 ans que j’étais au Canada ; il n’y a aucun moment que je me suis senti

vraiment à l’extérieur ; et la première fois que je me suis vraiment senti comme pas dans un pays étranger, mais comme si j’étais vraiment au Canada, c’était quand je suis venu à Rimouski ». « [À

Ottawa,] j’oublie carrément que je suis au Canada. Je suis au Canada, je sais, mais c’est comme…je

vois mon cousin, je vois ma famille, je vois mes amis puis, tu vois ? Je ne me sens pas à l’étranger, mais [quand] je viens à Rimouski, ça change ». Son appartenance est à Ottawa, puisque c’est là

qu’est sa famille, sa communauté d’attache et c’est là aussi que se vivent les traditions auxquelles il appartient et s’identifie :

68 Il convient ici de se rappeler qu’au cœur de cette appartenance à deux nations se cache également un dilemme identitaire clairement exprimé : « je ne sais plus où..à qui appartenir ».

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Ottawa c’est comme, c’est comme un chez toi, même si ce n’est pas chez toi, tu vois ? Je ne sens pas le fait d’être à l’étranger même si je suis à l’étranger parce qu’il y a […] la communauté musulmane, il y a tout, la fête de l’Aïd, le Ramadan, tu le sens ça, comparé à Rimouski, je le sens pas, tu vois, c’est comme je suis vraiment comme perdu dans un endroit comme… Ce n’est pas que je suis perdu, tu vois, j’aime bien être à Rimouski, mais c’est comme…je ne me sens pas appartenir.

Sans la présence et le partage des rituels quotidiens et cycliques propres à son appartenance culturelle et religieuse, Insa n’a pas développé d’appartenance à Rimouski :

… là-bas il y a, tu partais à l’école, tu revenais, déjà il y a maman qui faisait les samoussas et tout, et tu te sentais encore chez toi. Comme si c’était en plein Ramadan on va dire, ici c’est comme, c’est toi qui doit faire tout, et moi je ne sais pas faire les samoussas, tu vois, donc je devais déjeuner comme ça et c’est difficile, parce que les gens ici ne savent pas c’est quoi le Ramadan la plupart du temps. Juste ça, des fois, c’est bizarre, mais il suffit que je retourne à Ottawa et je sens que je suis vraiment chez moi.

Le noyau social joue le rôle de reconstitution, de maintien et de continuité des habitudes culturelles connues ; il nourrit l’appartenance et conforte le sentiment identitaire d’origine. Ça lui fait tout de même un petit quelque chose de quitter Rimouski. Son filon d’appartenance à la ville se rattache surtout aux amitiés créées. L’imminence du départ lui fait apprécier davantage ce qu’il a trouvé ici, et prendre conscience de l’empreinte de son passage sur la composition de son être : « Je peux partir

à n’importe quel moment, mais je ne sais pas pourquoi, d’un côté c’est comme, c’est un peu difficile de partir encore. Ouais, je sais qu’une fois que je serai parti, ça va bien se passer, mais c’est comme… c’est le départ là… et puis comme j’ai fait DEUX ans ici aussi […] Ouais, il faudra que je revienne, j’ai quand même vécu deux ans ici. Ça fait partie de moi ! »

Avec Marc-Antoine, la question de l’appartenance n’a pas été directement abordée, la terminologie utilisée référant plutôt au sentiment d’être chez soi. À savoir donc s’il se sent chez lui à Rimouski, Marc-Antoine répond non, car il doit constamment se poser des questions quant au comportement à

adopter : « Chez moi non… voilà… hum… chez moi, non, parce que… chez moi il y a des questions

que je ne me pose jamais, et qu’ici je me poserai toujours. [… O]n est toujours en train de se demander : « Comment je vais me comporter ? », « Est-ce que je dois faire comme ça ? », « Ça, c’est accepté, c’est pas accepté… » Tu vois, il y a toujours tiktiktik (comme le cerveau qui se

questionne), en permanence. » Son sentiment de chez soi et d’appartenance viendra lorsque son

rapport à la nouvelle culture et à l’Autre sera plus naturel, plus fluide : « Le jour peut-être [où] je

n’aurai pas à me poser ces questions-là, je pourrai dire « Oui, je suis chez moi ici ». [Si ç]a devient un automatisme et puis [que] je suis accepté comme je suis, [que] j’ai déjà pris les coutumes du pays… »

Souleiman affirme de son côté avoir développé un sentiment d’appartenance à Rimouski en raison de la proximité de tout et de l’approche familière des gens : « ici tout est proche et les gens sont…les

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gens amènent un aspect unique à Rimouski, qu’il y a juste à Rimouski […] déjà là, tu te fais un sentiment d’appartenance et les gens te disent « Ah ! Maintenant tu es un Rimouskois » ». À savoir

s’il se sent chez lui à Rimouski, Souleiman répond à l’affirmative. Il parle du fait que les gens de Rimouski le traitaient comme un Rimouskois, avec la même attitude, le même humour, le même genre de rigolade, et non comme un étranger ou une personne d’une autre culture. Cette familiarité l’a d’abord choqué et bousculé dans ses schèmes culturels, mais ces confrontations de valeurs et l’attitude d’ouverture adoptée face à celles-ci l’ont mené à comprendre et à éprouver le sentiment d’être intégré et d’appartenir ; un sentiment d’appartenance qu’il justifie d’ailleurs par le fait qu’il défendrait Rimouski si quelqu’un en parlait en mal. Enfin, Souleiman a développé un sentiment d’appartenance à Rimouski, oui, mais surtout à toute la conjoncture, à l’environnement social, au petit univers qu’il s’était créé. Lors de l’entretien, il affirme : « J’avais un chez moi à Rimouski ». Il est intéressant de noter qu’il s’exprime déjà au passé. On pourrait ainsi parler d’une appartenance à un moment, à un espace-temps, à une séquence de vie ; appartenance éphémère qui ne durera probablement que le temps que la réalité sociale reste celle qu’il a connu durant son passage. On pourrait ainsi davantage parler d’une valeur affective et sentimentale, ou d’un « sentiment

d’attachement » pour reprendre ses dires : « … maintenant j’ai comme, l’attache est là, et je me suis fait des bons amis et c’est juste la fraternité, le contact entre amis et le fait que je me suis battu et j’ai, tu sais, j’ai fait ma place ici… »

En somme, quelques-uns se sentent attachés à Rimouski ou à l’expérience qu’ils y ont vécue, aux gens qu’ils y ont côtoyés, aux paysages qu’ils y ont contemplés, au temps qu’ils y ont passé, mais peu affirment avoir développé une réelle appartenance. Les appartenances soulevées par les migrants sont diverses : appartenance à une culture, à la famille, à une religion, à une nation, etc. Enfin, cette question complexe n’a pas été traitée en profondeur, mais on illustre tout de même, par cette brève exploration, un pan de la réalité des migrants pour études dans un contexte transitoire et transnational : les appartenances sont multiples et sont difficiles à définir. Et surtout, le temps des études n’est ni propice à la fixation des identités ou des appartenances, ni à l’enracinement. Nous allons donc explorer la question de la mobilité, centrale dans l’expérience de migration pour études en région, en relevant la position des participants sur l’idée de rester ou de partir de Rimouski, de cesser ou de poursuivre le projet d’études (ou de départ), et ce, au moment de la tenue des entretiens.