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CHAPITRE 3 – ORIENTATIONS METHODOLOGIQUES

3.4 Méthodes et outils de recherche

3.4.1 L’entretien-récit

Les entretiens ont été réalisés auprès de dix étudiants migrants d’origine étrangère afin de dégager le regard qu’ils posent sur leur expérience migratoire et de saisir les logiques qui sous-tendent l’articulation des projets et la mobilité. Robert Bogdan et Steven J. Taylor (1984 : 77) définissent l’entrevue en profondeur comme étant la rencontre en face-à-face d’un chercheur avec des informateurs visant la compréhension des perspectives qu’ils ont concernant leur vie, leurs expériences ou leurs situations, et exprimées dans leur propre langage. Donner la parole aux individus par l’entremise de l’entretien « reste une des méthodes les plus efficaces, privilégiées en ethnologie, pour comprendre comment les individus intériorisent et mettent en pratique les normes officielles » (Géraud, Leservoisier et Pottier, 2002 : 37). Cette méthode varie toutefois selon l’approche du chercheur qui en fera un entretien directif, non-directif ou semi-directif selon les fins de

sa recherche et la nature des informations recherchées. Dans L’entretien compréhensif, Jean-Claude

Kauffman (1996 : 7) affirme que « l’entretien semble résister à la formalisation méthodologique [et que] dans la pratique, il reste fondé sur un savoir-faire artisanal, un art discret du bricolage. » Soit, les entretiens effectués ici auprès des étudiants d’origine étrangère sont semi-directifs. Selon Lorraine Savoie-Zajc (2003 : 296), l’entrevue semi-dirigée « consiste en une interaction verbale animée de façon souple par le chercheur. Celui-ci se laissera guider par le rythme et le contenu

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unique de l’échange dans le but d’aborder, sur un mode qui ressemble à celui de la conversation, les thèmes généraux qu’il souhaite explorer avec le participant de recherche. Grâce à cette interaction, une compréhension riche du phénomène à l’étude sera construite conjointement avec l’interviewé. » Les entretiens réalisés s’accolent également à la pratique biographique en ce sens où ils reposent sur le témoignage d’étudiants faisant la narration de leur histoire migratoire et personnelle. Comme le dit Daniel Bertaux (2005 : 14), « il y a du récit de vie dès qu’il y a description sous forme narrative d’un fragment de l’expérience vécue. » La narration de l’individu n’a pas à couvrir l’ensemble de son histoire de vie – comme l’a fait Maurizio Catani avec Tante Suzanne – pour que l’on puisse parler de

récit de vie. Quand il ne s’agit pas d’un récit de vie biographique, on parle alors d’un récit de vie

thématique, qui « se limite à une période de la vie de l’individu » (Mayer et Deslauriers, 2000 : 181).

Guilbert (2009a) – qui s’intéresse au récit de personnes immigrantes ainsi qu’à la cooccurrence

existante entre récit et projet – montre également comment la technique d’entrevue semi-dirigée peut se conjuguer à la définition du récit de vie de par la teneur du discours tenu dans ce type d’entretien. Dans cette optique, la présente recherche se rattache à la méthode biographique, et c’est pourquoi on utilise ici le terme entretien-récit. Selon Le Breton (2004 : 28), « les récits de vie constituent […] des occasions de mettre à jour dans le détail les manières dont chacun a réagi au fil des circonstances, les connaissances et registres de justifications qui ont permis d’affronter des événements, les leçons tirées de l’action, les facultés revendiquées d’adaptation. » Ils permettent également de mettre en lumière « des situations chocs qui ont pu être décisives dans le passage d’une étape à une autre. L’autobiographie […] parait indispensable, ne serait-ce que dans les entretiens, pour apporter des informations sur les constructions subjectives qui s’intercalent entre la situation et la réponse. » (Malrieu, 1998 : 195) L’activité narrative présente également de multiples intérêts pour l’auteur, qui par celle-ci, peut effectuer un travail de réflexivité sur son expérience et sa personne en plus de stimuler sa force de résilience et sa créativité dans l’élaboration d’une nouvelle vie :

En se racontant, le sujet réactualise le passé, effectue un retour sur lui-même par un travail de réflexivité. Il construit sa réalité et se construit dans cette réalité sociale par l’activité narrative. […] Se raconter c’est aussi donner sens à son expérience et se fabriquer les ressources nécessaires de résilience pour faire face aux situations passées, présentes et à venir. […] Ces récits sont également le lieu où s’élabore une nouvelle configuration de l’identité du sujet et qui le rendent apte à devenir un acteur dans ses projets d’avenir. (Guilbert, 2004b : 237)

Le récit de vie est aussi vu comme un réel catalyseur pour l’action en ce qu’il permet à l’individu de

« prendre conscience des ressources construites tout au long de sa trajectoire, ressources qui deviennent alors mobilisables (ou « activables ») dans la réalisation de son projet. » (Chaxel, Fiorelli et Moity-Maïzi, 2014) La méthode biographique offre au chercheur la possibilité de faire « l’étude de la genèse des catégorisations et des tensions identitaires à l’œuvre» entre stratégies individuelles et familiales et logiques sociétales et institutionnelles (Gohard-Radenkovic et Rachédi, 2009 : 9) en plus

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de saisir les articulations complexes entre projets personnels et collectifs (Guilbert, 2009 : 77) ; ce qui colle à nos objectifs de recherche. Enfin, l’utilisation de la méthode biographique est préconisée dans l’appréhension et la reconstitution de trajectoires (Peneff, 1990). Le récit de vie occupe d’ailleurs une place importante dans l’étude des migrations. Les récits de migrations sont considérés comme « une sorte de pratique sociale par laquelle se créent et se transmettent les identités » (Meintel, 1998 : 56). Selon Guilbert (2004b : 238), ils « témoignent de la rupture vécue par les individus et par les groupes à travers cet événement « catastrophe » que constitue toute migration. » Dans ce contexte, la narration des évènements vécus se fait souvent, et presque naturellement, de manière chronologique autour d’un élément nodal, c’est-à-dire « l’événement migratoire, celui qui fait « tout basculer » [et] par rapport auquel on distinguera un avant et un après » (Deprez, 2002 : 42). Le guide d’entretien thématique est d’ailleurs bâtit en fonction de cette logique.