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Présentation générale du terrain de recherche et de l’étude de cas

CHAPITRE 3 – ORIENTATIONS METHODOLOGIQUES

3.1 Présentation générale du terrain de recherche et de l’étude de cas

Le terrain retenu pour la présente étude est la ville de Rimouski, située dans la région du Bas-Saint- Laurent. Le regard est porté plus particulièrement sur le cas d’étudiants d’origine étrangère poursuivant des études dans un établissement d’enseignement collégial technique de la région, soit l’Institut maritime du Québec (IMQ). Une description détaillée des différentes sphères du terrain de recherche (régionale, municipale et institutionnelle) sera présentée dans le prochain chapitre puisque les aléas méthodologiques sont l’objet central du présent chapitre.

3.1.1 Population à l’étude

La population étudiée est ici définie par l’entremise de l’expression étudiant d’origine étrangère. Cette

appellation est préférée à celles d’étudiant étranger ou d’étudiant international puisque celles-cifont

davantage référence aux étudiants avec permis d’études ayant un statut d’immigration temporaire. Or, les étudiants migrants rencontrés sont soit étudiants étrangers, résidents permanents ou canadiens naturalisés. Ils sont tous de première génération, c’est-à-dire nés à l’étranger, mais sont parfois au Canada depuis plusieurs années ; leur attribuer le titre d’étudiant étranger ou international ne colle pas nécessairement à leur expérience, à l’image qu’ils peuvent avoir d’eux-mêmes, pas plus

qu’à la définition donnée par les différentes instances québécoises, canadiennes ou internationales22.

Le pays de naissance autre que le Canada, soit l’origine étrangère, constitue le point commun des étudiants rencontrés. Malgré la connotation négative pouvant être attribuée au terme étranger et à ses dérivés, l’appellation étudiant d’origine étrangère est ici retenue puisqu’elle est la plus juste et fidèle représentation de l’ensemble des personnes interviewées. Nous utiliserons également l’expression étudiants issus de l’immigration, qui réfère de la même façon aux personnes nées hors- Canada, qu’elles aient immigré sous un statut temporaire ou permanent.

22 Pour une distinction des concepts d’étudiant étranger et d’étudiant international, voir l’annexe 7 de l’avis sur l’internationalisation des formations collégiales du Conseil supérieur de l’éducation (2013 : 118).

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3.1.2 Position de la chercheure et entrée sur le terrain

Puisque « nous n’observons jamais les comportements d’un groupe tels qu’ils auraient lieu si nous n’étions pas là ou si les sujets de l’observation étaient d’autres que nous » (Laplantine, 1996 : 23), il convient non pas de neutraliser l’impact de la présence du chercheur dans le milieu étudié, mais de l’inclure en tant que source épistémologique de connaissance. Il s’avère dès lors nécessaire de poser des repères concrets quant aux rôles portés par l’étudiante-chercheure dans la présente étude. Dans le contexte, il apparait incontournable de prendre position en tant que je, ce je social et subjectif indissociable « de l’objet scientifique que nous cherchons à construire, ainsi que du mode de connaissance caractéristique du métier d’ethnologue. » (Laplantine, 1996 : 24)

Georges Lapassade (2006 : 20) apporte une distinction des rôles d’observateur axée sur l’accès au

terrain, soit l’observateur participant externe et l’observateur participant interne. Je faisais partie de

cette dernière catégorie selon laquelle le chercheur, avant d’arborer ce statut, est d’abord acteur sur un terrain où il exerce une fonction. « C’est notamment la condition des enseignants [...] qui travaillent en institution [...], et qui décident de mener une recherche à partir de leur travail » (Lapassade, 2006 : 21). Cette description représente bien ma position, puisque je suis professeure à l’Institut maritime et que j’y suis responsable d’un projet lié à l’encadrement des étudiants immigrants et à l’animation interculturelle depuis 2006. Ce mémoire s’appuie ainsi sur un travail d’enquête orale et sur dix ans d’expérience dans l’accompagnement des étudiants d’origine étrangère en tant que personne- ressource de cette population, professeure, tuteure d’aide à la réussite ainsi qu’au travers d’autres fonctions remplies au fil des années au sein de cette institution.

3.1.3 Approche privilégiée : l’enquête ethnographique de terrain

Le thème des migrations et de l’interculturel touche diverses sphères de la société et c’est pourquoi plusieurs disciplines s’y intéressent et en étudient les phénomènes. Bien que soient partagés les mêmes paradigmes scientifiques, chaque domaine appréhende cette question sous un angle particulier. Aussi, chaque discipline possède-t-elle ses propres méthodes de recherche et modes d’investigation qui font en sorte qu’un même phénomène puisse être observé de multiples façons. Certes, c’est par le biais de l’ethnologie et de ses méthodes d’investigation que nous abordons ici le phénomène étudié. L’enquête ethnographique de terrain, basée sur le paradigme interactionniste, permet de saisir la manière dont les individus vivent, perçoivent et interprètent la situation sociale dans laquelle ils sont impliqués ; elle constitue ainsi l’approche pratique désignée afin de poser un regard sur l’expérience des étudiants d’origine étrangère en région. Les modes d’enquête de prédilection de l’ethnologie sont l’observation, l’entretien ethnographique et l’analyse de matériaux publics et personnels. Or, l’usage des différentes techniques n’est pas immuablement institué, pas plus que leur agencement n’est formellement séquencé. Tout comme la discipline elle-même, que

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l’on dit plurielle, sa composition méthodologique est plutôt polymorphique. Jean Copans (2005) la présente à travers la métaphore du kaléidoscope, cylindre à l’intérieur duquel se trouvent des fragments de verre et de miroirs dont les effets morphiques et visuels combinés sont constamment renouvelés dépendamment des conditions de lumière et de mouvement du moment. Il en est de même pour l’appareil ethnographique qui se « construit par l’articulation de plusieurs techniques d’investigation » (Berger, 2004 : 87) dont l’agencement par le chercheur, en fonction des dynamiques prévisibles et imprévues du terrain, débouche chaque fois sur une production inédite. Tel que le souligne Christian Ghasarian (2002 : 5), « le « travail de terrain » peut prendre autant de formes qu’il y a d’anthropologues, de projets et de circonstances ». Il ajoute qu’« il n’y a ni consensus méthodologique, ni ethnographie idéale » ; que sa pratique, « toujours empirique et expérimentale, ne connaît aucune recette », et que le travail de l’ethnographe repose plutôt sur une continuelle adaptation aux circonstances. Ce travail exige ainsi de se plier « aux aspérités du terrain, à sa singularité et à ses contingences, de s’en imprégner sans s’y noyer, d’y « flâner » sans s’y perdre. » (Morrissette, Demazière et Pepin, 2014 : 10)

La tâche du chercheur qui doit adopter une posture interactive et s’adapter continuellement à la nature de son terrain en est une qui dépasse les habiletés scientifiques. La pratique ethnographique fait effectivement appel à « la personne sensible du chercheur » (Arborio et Fournier, 2005 : 48) ainsi qu’à son intelligence émotionnelle et relationnelle, voire même artistique. C’est d’ailleurs dans ces termes que Peter Woods (1986) présente l’ethnographie, comme un mélange d’art et de science où l’ethnographe se doit de cultiver des aptitudes – toutes aussi scientifiques que shakespeariennes – telles que l’acuité dans l’observation, la finesse de l’écoute, la sensibilité émotionnelle, etc. Bien qu’il n’y ait pas de mode d’emploi dans l’application de l’enquête ethnographique et dans l’agencement de ses techniques, et qu’un certain « flou artistique » lui soit attribué (Ghasarian, 2002 : 8), « ce mode d’exposition aux phénomènes et d’interférence avec les événements » (Berger, 2004 : 88) engage le chercheur dans un travail de terrain dont certaines règles en gouvernent l’usage. D’une part, le travail relationnel doit s’accompagner d’une attitude empathique et d’une posture éthique impliquant honnêteté, entente réciproque sur la nature de la participation à la recherche, confidentialité, etc.

D’autre part, en réponse à la subjectivité intégrée à la pratique,le chercheur doit se plier à l’exercice

de retour sur soi à travers la réflexivité ; procédé que Pierre Bourdieu (2003) a appelé objectivation

participante23 et que Joëlle Morrissette, Didier Demazière et Matthias Pepin (2014) ont pour leur part

associé au concept de vigilance ethnographique. Enfin, dans un registre plus pragmatique, Laurent Berger (2004) parle de la politique du terrain de Jean-Pierre Olivier de Sardan (1995) qui est la nécessité de « pratiquer à la fois la triangulation (le recoupement des informations et la multiplication des perspectives sur un phénomène), la circonscription des sites et des interlocuteurs, et l’itération

23 Démarche qui « consiste à ne pas être naïf dans sa recherche et à garder une démarche réflexive qui prend en compte les structures cognitives du chercheur, son rapport subjectif à l’objet d’étude et le processus d’objectivation de la réalité (la connaissance scientifique). » (Ghasarian, 2002 : 12)

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(le va-et-vient permanent entre les différents types de données, leurs différentes sources, et les

différentes problématiques successivement ainsi esquissées). » (p.87) Ainsi donc, l’enquête

ethnographique de terrain est un moyen d’appréhender de l’intérieur un phénomène ou un fait social à travers une démarche à la fois systématique, personnelle, originale et artisanale par l’utilisation, adaptée au terrain, d’outils de recherche, et ce, dans le respect des règles de l’art (politique du terrain, respect du code d’éthique, attitude empathique, réflexivité, etc.). À la lumière de ces considérations plus épistémologiques concernant le dispositif d’enquête ethnographique, voyons comment la présente recherche en a fait concrètement usage.