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Éléments d’influence dans le processus d’adaptation et d’intégration sociale

CHAPITRE 5 – INTERPRÉTATION ET DISCUSSION DES RESULTATS

5.2 Constats entourant l’expérience de transition interculturelle en région

5.2.2 Éléments d’influence dans le processus d’adaptation et d’intégration sociale

Plusieurs recherches menées sous la loupe du concept de transition (Guilbert, 2009, 2010; Matas et Pfefferkorn, 1997; Nadeau-Cossette, 2013; Perret-Clermont et Zittoun, 2002) ont mentionné l’importance des relations dans les processus de construction identitaire, d’adaptation et d’intégration. Guilbert et Prévost (2009 : 56) affirment que « les relations interpersonnelles jouent un rôle crucial dans l’espace-temps de la transition engendrée par les projets d’immigration et d’études » en ce sens où c’est à travers celles-ci « que se négocient concrètement l’intégration et l’adaptation de chacun ». La présente recherche converge dans le même sens alors que le sentiment d’être intégré des participants repose pour la majorité sur la valeur des relations créées et entretenues. Pour les étudiants issus de l’immigration, la création de liens semble beaucoup plus aisée avec les gens qui vivent la migration pour études, qu’ils soient d’origine étrangère ou non. Source d’un maillage de solidarité, ces relations entre étudiants migrants nationaux ou internationaux ont été hautement significatives et aidantes pour plusieurs. On voit ainsi apparaitre des communautés d’expérience plus que des regroupements basés sur l’ethnicité. Selon Guilbert et Prévost (2009), ces relations empathiques constituent pour les uns et pour les autres un support à la résilience puisqu’elles offrent des repères d’identification en plus de donner signification aux difficultés vécues. Or, des études comme celles de Berry et Sabatier (2010) et de Nadeau-Cossette (2013) démontrent aussi l’importance des liens entretenus avec des membres de la société d’accueil dans le processus d’intégration qui se veut une sorte de « continuum […] au travers duquel le réseau se transforme et se diversifie […], avec le temps ». (Nadeau-Cossette, 2013 : 93) Entretenir des amitiés avec des natifs serait donc aussi favorable à l’intégration sociale. Le récit des participants confirme ce constat alors que d’une part, les participants qui affirment être intégrés ont des amis variés, tant d’origine étrangère que québécoise, entretiennent des relations intimes avec des natifs et sont de surcroit dans le milieu depuis plus longtemps (2 ou 3 ans). Le contact avec les locaux importe, mais le temps aussi, et comme le soulèvent Vatz Laaroussi et Guilbert (2013), percer les réseaux locaux n’est souvent pas une tâche aisée. D’ailleurs, Marc-Antoine, qui a des liens avec des Québécois et qui a même passé des fêtes avec une famille québécoise, ne se considère tout de même pas intégré puisqu’il n’est pas ici depuis suffisamment de temps pour décoder avec aisance, dans l’interaction sociale, les codes culturels québécois.

Enfin, l’analyse des témoignages recueillis montre que la teneur de l’expérience relationnelle varie d’un participant à l’autre, passant de très positive à négative, et que celle-ci influence et affecte considérablement le parcours d’insertion ainsi que la poursuite même du projet d’études à Rimouski. Les étudiants migrants ayant vécu des écueils dans cet espace ne se sentent pas intégrés et souhaitent quitter leur milieu d’accueil.

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Par ailleurs, notre recherche a montré que l’enjeu des appartenances pouvait également interférer dans le processus d’intégration des étudiants en situation de mobilité. Certains auteurs, dont Manço, Gerstnerova, Vatz Laaroussi et Bolzman (2012), ont fait des liens entre sentiment d’appartenance,

réseaux et intégration, montrant que les relations constituent un étayage au développement d’un

sentiment d’appartenance, qui lui stimule et favorise l’intégration. Dans le même sens, Gallant et Friche (2010) soutiennent que le fait de se sentir appartenir serait à la fois tributaire des liens entretenus et gage d’intégration. Patrick Moquay (1997) parle de la plasticité du sentiment d’appartenance qui peut tempérer l’éloignement et favoriser l’adaptation à un environnement nouveau ; elle permet au jeune migrant de faire face aux diverses ruptures qui marquent son itinéraire et participe de cette façon à la réussite de l’insertion sociale. Il est vrai que les relations et les appartenances sont des facteurs d’influence : Souleiman a développé de bons rapports avec des gens de diverses origines, un réseau diversifié ; il se sentait appartenir à l’IMQ et fortement attaché à Rimouski, mais il n’était pas non plus en rupture avec son appartenance d’origine. Après les nombreuses confrontations de valeurs vécues, Souleiman a trouvé un équilibre entre son identité/appartenance d’origine et son ouverture à l’Autre et à de nouvelles manières d’être, de voir les choses… Le chemin parcouru par Souleiman pour atteindre cette ouverture, en quelque sorte symbole de l’intégration, correspond tout à fait à la description qu’en ont donnée Legault et Fronteau (2008) par l’entremise du concept de choc culturel. C’est grâce aux chocs et au bricolage culturel résultant qu’il a développé une aisance interculturelle : le sentiment d’être intégré et d’appartenir à son nouveau milieu tout en conservant son appartenance à son pays et à sa culture d’origine. Cette saine dialectique entre culture d’origine et culture d’accueil fait d’ailleurs partie de la définition de l’intégration de Berry et Sabatier (2010).

Des auteurs établissent des liens entre les relations et l’appartenance au pays d’origine et celles développées dans le pays d’accueil. Assogba, Fréchette et Desmarais (2000 : 67) soutiennent que « les réponses données aux liens affectifs et sociaux attachés au milieu qu’on a quitté font aussi partie de l’intégration sociale au lieu d’accueil » alors que Gallant et Friche (2010) affirment que se sentir appartenir au pays d’origine prédisposerait au développement d’un sentiment d’appartenance au pays d’accueil. Nous ne pouvons nous prononcer de manière univoque sur cette question, puisque nous n’avons pas abordé la question de l’appartenance de manière directe et uniforme auprès de chaque participant. De plus, les récits entendus confirment autant qu’ils infirment la corrélation entre appartenances d’origine et appartenances nouvelles, entre appartenances et intégration… Par exemple, un participant ayant migré de nombreuses fois depuis son tout jeune âge affirme ne pas se sentir appartenir à un lieu ou à une nation en particulier ; il n’a pas davantage développé de sentiment d’appartenance à son milieu d’études, mais il affirme y être intégré. Les témoignages d’autres participants démontrent qu’un sentiment d’appartenance fortement assimilé au sein du noyau familial et culturel peut aussi nuire à l’intégration dans un nouveau milieu lorsque celui-ci est exempt des repères et ancrages culturels nécessaires au maintien et à la survie de cette appartenance sans

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laquelle le migrant vit une rupture et se sent « perdu », comme le dit lui-même un des participants musulmans. Moquay (1997) soutient d’ailleurs que les appartenances nouvellement développées par les migrants n’atteignent pas « la profondeur, ou l’épaisseur, d’un sentiment d’appartenance hérité, assimilé lors de la socialisation primaire. » (p.253) Un jeune homme musulman de notre étude affirme ne pas se sentir appartenir à Rimouski puisque les pertes de repère au quotidien sont trop nombreuses sans la présence de sa famille, ou plus largement, de membres de sa communauté d’appartenance. Cet étudiant identifie également l’absence de mosquée comme étant un frein à son intégration et au développement d’un sentiment d’appartenance.

Assogba, Fréchette et Desmarais (2000) établissent des liens entre la trajectoire d’insertion des migrants et les lieux qu’ils fréquentent et habitent. La présence de lieux de socialisation habituels et significatifs, comme les lieux de culte, constitue en effet un élément de continuité important pour certains étudiants en transition qui y trouvent repères identitaires et réconfort dans un parcours semé de chocs culturels. Selon ces auteurs, c’est dans des lieux significatifs de vie, comme les institutions d’enseignement et la résidence pour étudiants, que la création de nouveaux réseaux sociaux s’opère. Nous avons pu constater que les principaux lieux de contact sont en effet les résidences et l’établissement d’enseignement, et que ces petits milieux favorisent la proximité et la création de liens. Certains chercheurs soutiennent d’ailleurs que « l’interconnaissance entre les personnes de différentes origines serait facilitée par la taille du milieu et [que] le rapport à l’autre s’en trouverait amélioré. » (Vatz Laaroussi, Bezzi, Manço et Tadlaoui, 2012 : 215) Cette affirmation prend tout son sens dans le cas présent. Toutefois, puisque les contacts sont plus rapprochés et fréquents dans cet environnement, la qualité des relations qui y sont développées est déterminante dans le dénouement du projet. Dans un petit milieu où tout le monde se connait et se côtoie sur une base quotidienne, il est difficile d’éviter les sources de malaise relationnel, et le départ constitue parfois la seule issue envisagée.

En faisant l’analyse transversale des données, il a été possible de constater que divers facteurs, tels que les relations interpersonnelles, les lieux fréquentés et le bagage migratoire influencent l’expérience d’adaptation et d’intégration au nouveau milieu, certes, mais il apparait qu’au-delà de tout constat se trouvent des personnalités, des individus uniques avec leur histoire de vie singulière. Différentes études, dont celles de Gyurakovics (2014) et de Nadeau-Cossette (2013), ont fait ressortir

cet aspect. Dans le cadre de la présente recherche, l’analyse du parcours de deux participants

montre des expériences d’intégration complètement différentes malgré le fait qu’ils partagent le même pays d’origine, le même parcours migratoire, la même génération, le même sexe, la même allégeance religieuse, le même programme d’études, le même lieu de résidence… Il est possible de faire l’exercice avec deux couples de participants, sur dix participants. Il apparait donc incontournable de mentionner que l’expérience subjective du sujet et la posture qu’il adopte face à sa situation sont des facteurs d’importance à considérer dans l’accompagnement des étudiants d’origine étrangère.

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Dans le cadre de mes activités professionnelles auprès de ce groupe, il m’a d’ailleurs été possible de constater que chacun mène de manière unique son projet d’études et d’intégration. Par exemple, certains se présentent à toutes les activités proposées et viennent même en rencontre individuelle alors que d’autres ne répondent jamais aux propositions d’activités qui pourtant favoriseraient sans conteste leur intégration et leur réussite scolaire. La typologie métaphorique esquissée par Guilbert et Prévost (2009) autour des stratégies et comportements adoptés par les personnes immigrantes au fil de leurs trajectoires de vie et de migration présente quatre profils : le planificateur stratégique, l’explorateur, l’Alchimiste et le brin d’herbe soufflé par le vent. Les chercheures montrent que ces postures, loin d’être figées, évoluent et se conjuguent au fil des contingences et qu’« un accompagnement efficace des nouveaux arrivants et des étudiants internationaux doit se fonder sur une fine compréhension des attentes et des projets de chacun. » (p.91)