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CHAPITRE 2 – ORIENTATIONS CONCEPTUELLES ET CADRE THÉORIQUE OPÉRATOIRE

2.1 Posture épistémologique

2.2.3 Projet

Les étudiants internationaux sont tous pour le moins impliquer dans un même projet, celui de formation. On a vu cependant que projet d’étude se conjugue souvent avec projet d’immigration. Il apparaît également que le projet de formation est directement rattaché au projet de vie puisqu’il se veut en quelque sorte l’étape d’un processus participant à l’élaboration d’une vie en emploi, en famille, en solitaire ou encore même, d’une vie coulée dans la mobilité. Lors des entretiens réalisés pour la présente recherche, certains participants se trouvaient au cœur de la réalisation du projet d’étude alors que d’autres en arrivaient au terme. Ils sont ainsi en phase d’évaluation du projet initial ou d’élaboration de nouveaux projets. Mais qu’est-ce qu’un projet au juste ? Et qu’est-ce que ce concept nous permet de cerner ?

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Le terme projet est le dérivé du mot latin projectum (de projicere) qui signifie « jeter quelque chose vers l'avant ». Le projet est, selon le nouveau Petit Robert (2003), « l’image d’une situation, d’un état que l’on pense atteindre ». Il renvoie à l’intention de l’individu de faire quelque chose, de concrétiser une idée et de mener à terme une entreprise par des moyens quelconques. Cette notion retrouve des perspectives diverses selon les disciplines qui l’utilisent. Elle peut autant être abordée dans son caractère existentiel, par la philosophie par exemple, que dans son aspect technique et concret avec la gestion de projet et autres approches opératoires. Il est à noter que le projet est toujours associé à un auteur, qu’il soit individuel ou collectif. Il concerne autant les institutions que les individus et se concrétise sous toutes sortes de formes : projet de loi, projet éducatif, projet de famille, projet de voyage, projet professionnel, projet de mémoire, etc. Le projet a normalement un début et une fin, mais il n’est surtout pas immuable. Il s’accorde plutôt avec fluctuation, évolution, variabilité, humanité. Les projets sont ainsi des séquences ou matières composites superposables, juxtaposables et

agençables, soutenues par le volontarisme d’un acteur en quête de sens, d’efficience, de résultat.

À travers son regard anthropologique, Boutinet (1996, 2010, 2014) met en lumière diverses facettes de ce large concept et l’aborde en tant que « révélateur à expliciter de ce que vivent aujourd’hui aussi bien les individus que les organisations sociales » (2014 : 23). Selon Guilbert (2009 : 80), « l’approche anthropologique du projet, de Jean-Pierre Boutinet (1990), incite à identifier la diversité des situations, « à comprendre comment fonctionne le projet dans différents ensembles culturels, à s’interroger sur la façon dont les individus, les groupes, les cultures construisent et vivent leur rapport au temps » et leur façonnement du temps à travers des projets. » Sur le plan culturel, semble que notre ère technologique et individualisée a fait du projet une mode, voire même un impératif, un

modus vivendi : « le sujet individuel, pendant longtemps considéré comme un assujetti à l’ordre

dominant, devient dans notre environnement actuel, avec toute l’ambiguïté que cela représente, un acteur doué d’intentions » (Boutinet, 2014 : 17). Le projet serait ainsi passé d’opportunité à obligation

culturelle dans une société dominée par le culte de l’immédiat et du changement « nous enjoignant de chercher sans cesse à expérimenter de nouvelles solutions, de nouvelles stratégies en vue de nous adapter à ce changement aux contours précaires [et d’]éviter les risques d’une possible marginalisation » (Boutinet, 2014 : 32-33). Enfin, en l’absence de repères – notamment ceux liés à l’âge de vie, comme nous l’avons vu – le projet devient un agent structurant, sommant l’individu en transition – voir même en perpétuelle adaptation – de poser lui-même des repères tout au long de son parcours de vie… Il se veut donc davantage qu’une manière d’anticiper et de réguler l’action ; il est un mode d’adaptation, un régulateur culturel, la chair et l’accessoire d’une nouvelle culture : « la culture à projet » (Boutinet, 1996).

Pour une définition du concept, nous nous référons encore à Boutinet (1996, 2014) qui, tout en défendant le caractère flou du projet et son aptitude à gérer la complexité, l’associe à création,

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marginalisation et improvisation. Selon lui, les conduites à projet sont plurielles, mais elles « ont toutes pour point commun d’exprimer le volontarisme d’un acteur, de rechercher un espace de consensus, de se préoccuper d’une certaine forme d’efficience, d’être en quête de sens. » (Boutinet, 2014 : 55) Ce même auteur (2014) présente une taxonomie des conduites à projet. En se collant à cette forme de classification empirique des diverses figures du projet, les aléas de la présente étude nous situent dans la catégorie des projets individuels liés aux âges de la vie et plus particulièrement, ceux du jeune et de l’adulte. Ces deux périodes du cycle de la vie qui s’entremêlent et se superposent donnent lieu à des espaces de transition similaires, donc à des formes de mise en projet similaires ayant trait au style de vie souhaité et aux valeurs préconisées. Dans cette catégorie se trouve le projet du jeune, lequel se divise en trois : projet d’orientation, projet d’insertion et projet de vie. Le projet du jeune qui définit de façon la plus juste notre échantillon est le projet de vie (ainsi que sa réplique du côté adulte, le projet personnel) : « Le projet de vie cherche à esquisser pour la longue durée un certain style de vie dans lequel l’individu espère se réaliser en y puisant une identité personnelle et des chances d’être en capacité d’autonomie ; ce style de vie est lié à une certaine conception de l’existence, donc à certaines valeurs qui feront privilégier une vie solitaire, une vie en couple dans ou hors l’institution du mariage, une vie altruiste, une vie militante, un déracinement

culturel… »(p.39-40)

En s’appuyant sur les travaux de Guilbert (2009a), qui se penche sur l’expérience de femmes immigrantes et réfugiées d’origines diverses, il est possible d’analyser la posture du migrant pour études en lien avec son projet de formation. Selon le cadre d’analyse de l’auteure, le projet d’études peut constituer un projet opératoire, dès lors qu’il est le motif capital de départ. C’est surtout le cas des étudiants internationaux avec permis d’études qui immigrent au Canada dans cette optique. En d’autres circonstances, le projet d’études se veut adaptatif dans le sens où la reprise des études se fait après la migration en tant que stratégie d’insertion professionnelle ou sociale. Cette posture fait plutôt référence aux étudiants d’origine étrangère possédant la résidence permanente canadienne (et qui ont déjà un bagage migratoire).

Par ailleurs, il s’avère incontournable de faire une lecture du phénomène de migration pour études au regard du concept de projet migratoire. Dans une étude sur les migrations circulaires, Florence Boyer (2005) démontre comment l’utilisation de cette notion permet de sortir d’une vision déterministe de la migration (pourquoi migre-t-on) pour adopter une vision dynamique (comment la migration se poursuit-elle), qui met en lumière les diverses logiques individuelles et sociales à l’œuvre. Selon Boyer (2005), la notion de projet migratoire, qui articule les diverses échelles sociales, spatiales et temporelles, permet de saisir la migration en tant que processus, en tant que projet en perpétuelle redéfinition selon les éléments de contexte : « En tant que projection dans l’avenir, le projet […] s’inscrit dans un continuum temporel qui participe de sa redéfinition constante […] en fonction du contexte et des stratégies sociales et/ou individuelles. Si nous ramenons cette remarque à l’analyse

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du projet migratoire, cela revient à dire qu’il se construit certes au départ, mais tout au long de l’histoire migratoire, lors des séjours à l’étranger, comme lors des retours. » (p.52)

En résumé, l’acteur individuel d’un projet se trouve doté d’intentions qu’il cherche à concrétiser en composant avec les contraintes et opportunités extérieures. Selon Le Breton (2008 : 70), les projets sont orientés par « une trame mouvante de valeurs, de représentations, de modèles, de rôles [et] d’affects ». Aborder l’univers des étudiants internationaux par l’entremise de leurs projets permet de confronter attentes et réalité, de mettre en exergue représentations et stratégies, et surtout, de cerner les logiques qui sous-tendent leur mobilité… En ce sens, nous avons créé le terme projectoire pour rendre compte de la trajectoire d’individus en transition qui se dessine au regard des multiples projets qui la composent.