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CHAPITRE 4 – PRÉSENTATION DU TERRAIN ET ANALYSE DES DONNÉES

4.4 Partir et choisir

Des motivations diverses poussent au départ vers un Ailleurs inconnu. Il s’agit souvent d’échapper à une situation insatisfaisante ou d’améliorer sa condition. En effet, la plupart des participants vivaient de l’incertitude et de l’insatisfaction sur les plans académique, professionnel – voire même culturel – avant de partir. À ce titre, Fouad affirme être venu au Québec, et plus précisément en région, pour

« changer la mentalité, améliorer la situation, les conditions de vie… » Certains étaient aux études,

mais insatisfaits de leur choix de formation. D’autres avaient pour leur part fait un bout de chemin sur le marché du travail, sans pour autant avoir trouvé posture qui leur convienne. Cet état d’insatisfaction constitue un terreau fertile pour la graine du projet migratoire, certes, mais le terreau seul ne suffit pas à l’éclosion de la vie ; d’autres éléments, d’autres interventions, d’autres facteurs sont nécessaires. En ce sens, les histoires de vie révèlent inévitablement d’autres motivations, plus personnelles, d’autres agents catalyseurs, aussi singuliers, comme le fait de vivre un deuil. Certains ont fait le choix de se déplacer par influence d’un ami, sans trop savoir où ils s’en allaient, alors que d’autres avaient un projet précis en tête. Leur projet d’études s’inscrivait ainsi plus largement dans un projet de vie planifié, dans une voie qui menait à un but précis. Aussi, l’existence du dispositif de mobilité et la rencontre de représentants québécois a constitué un catalyseur important vers la migration pour tous les Réunionnais rencontrés. Tous ont été touchés par la publicité faite sur le Québec (soit par les personnes responsables de la promotion en mission ou à travers les médias), laquelle semble avoir nourri l’imaginaire. D’ailleurs, dans la brochure Étudier et vivre au Québec de

la Fédération des cégeps57, où l’on présente le projet de mobilité vers le Québec, on mentionne la

chance pour les jeunes de « découvrir le style de vie nord-américain », renvoyant ainsi au symbole du rêve américain, celui-ci repris par Olivier qui voit le Québec comme étant le lieu par excellence pour réussir. Certains participants étaient motivés par le goût de l’aventure, le désir de découvrir autre chose ou de s’ouvrir l’esprit. D’autres abordaient la migration comme une occasion d’évoluer, consciemment inscrite dans le programme de leur chemin de vie. De manière générale, il est possible d’associer l’élan de migration des participants aux différents types de migrateurs définis dans la typologie métaphorique de Guilbert et Prévost (2009 : 90) : les planificateurs stratégiques, les

explorateurs, les Alchimistes et les types brin d’herbe soufflé par le vent. Ainsi, selon la manière dont

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l’étudiant se lance dans le projet de mobilité académique internationale ou interrégionale, nous avons noté deux grandes tendances dans l’attitude des participants face à leur projet de migration pour études et à sa poursuite dans le temps : ceux dont le projet est plutôt aléatoire et ceux pour qui le projet est plus déterminé.

4.4.1 Choisir le Québec

Nous ne prenons ici en considération que les étudiants ayant migré au Québec dans un projet individuel, sans leurs parents : six participants répondent à ce critère. Il a été possible de constater qu’on peut choisir le Québec de par son caractère francophone ou en raison du dispositif de mobilité qui y finance les études. Par ailleurs, il est intéressant de noter qu’au-delà de ces considérations plus pragmatiques, les participants avaient une image positive du Québec : une société avec une mentalité différente58, où il y a plus de liberté et d’ouverture face à la diversité ; un lieu caractérisé

par les grands espaces ; une société plus paisible socialement ; un endroit où « on nous permet

d’avoir un avenir » (Bastien) ; un « pays jeune » (Olivier) où tout est possible, où il est plus facile de

faire bouger les choses, de créer son emploi et de réussir : « Moi, le rêve américain, je crois que […]

c’est au Québec. Ce n’est pas aux Etats-Unis, c’est au Québec. Quelqu’un qui me dit demain : « Je veux ouvrir une entreprise, je veux développer, je veux devenir riche », je lui dis : « Mais viens au Québec ! … » » (Olivier) Choisir d’aller au Québec prend ainsi source dans l’imaginaire et s’inspire

d’une vision quelque peu idyllique, comme en témoigne l’expression utilisée par Dario pour qualifier l’idée qu’il avait du Québec avant de partir : « c’est comme LA société parfaite ». Bastien affirme avoir l’image du Québec dans sa tête « depuis étant jeune », tout comme Fouad qui s’intéresse au Québec et au Canada depuis longtemps. Dans son cas toutefois, sa décision d’y émigrer a aussi été encouragée par la culture de la mobilité présente dans sa famille, ses deux sœurs s’étant installées au Québec avant lui.

4.4.2 Choisir Rimouski

Pourquoi choisir de migrer à Rimouski, dans une ville éloignée des grands centres urbains québécois ? Un étudiant marocain a délibérément choisi la ville de Rimouski ; il l’a fait au terme d’une démarche lors de laquelle il a visité différentes villes59 afin de faire un choix éclairé. Il voulait étudier

et vivre dans un milieu régional pour éviter le phénomène métropolitain de repli sur la communauté d’origine ainsi que la cristallisation des mentalités et des habitudes d’origine qu’il engendre ; il souhaitait plutôt s’installer dans un milieu lui permettant de s’ouvrir et de s’intégrer à la culture québécoise. Il a opté pour Rimouski, puisque c’est une petite ville tranquille près du fleuve : ayant habité plusieurs villes côtières marocaines, ce paysage lui était familier. Il est le seul à avoir choisi la

58 Société sans pressions religieuses ou politiques, égalité homme-femme… 59 Rivière-du-Loup, Trois-Pistoles, Montréal, Québec, Amqui, Matane, Rimouski.

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ville en tant que tel. Pour les autres, le choix peut s’être fait de manière aléatoire60 ou en fonction

d’un projet précis qui menait nécessairement à Rimouski, puisque c’est là que se trouvait l’établissement d’enseignement ou le programme d’études choisi. À ce titre, Marc-Antoine affirme que pour les Réunionnais, « le lieu importe peu ». Il est intéressant d’observer chez lui la prévalence du programme sur le lieu, l’importance du but au détriment du chemin pour s’y rendre. Ce qui importe, c’est où cette étape transitoire des études pourra le mener ensuite. Puisque les aspirations de Marc- Antoine tendent vers l’espace international, et qu’il n’avait d’autre choix que de s’inscrire dans les institutions d’enseignement situées dans les régions ciblées par les instances québécoises, une ville d’études ou une autre n’a pas d’importance pour lui. Enfin, bien que Marc-Antoine attribue cette vision à tous les Réunionnais, tel n’est pas le cas : certains Réunionnais que j’ai côtoyés manifestaient un attachement important à l’idée d’être hors-métropole, puisqu’ils souhaitaient en faire un milieu de vie au terme de leurs études. Or il apparait que leur intérêt allait pour le milieu régional en général et non pas pour Rimouski ou le Bas-Saint-Laurent en particulier. En somme, il en ressort que dans la majorité des cas, ce n’est pas la ville que l’on choisit, mais plutôt le programme d’études.

4.4.3 Choisir l’Institut maritime du Québec

L’Institut maritime est le seul établissement en Amérique à offrir en français les grandes formations maritimes que sont Navigation, Mécanique de marine et Architecture navale. Cet état de fait explique d’une part pourquoi certains participants ont choisi l’IMQ pour étudier. D’autre part, il est important de rappeler que les Réunionnais ont accès à une liste restreinte d’institutions et de programmes techniques. Pour certains d’entre eux, le choix de l’établissement a ainsi été influencé par la rencontre du représentant institutionnel ou par la lecture de documents promotionnels ; pour d’autres, ce choix faisait sens avec leur bagage expérientiel personnel, académique ou professionnel. Par ailleurs, pour faire écho aux migrants dont le projet est plutôt aléatoire et aussi pour montrer l’importance des réseaux, il convient de mentionner que certains participants ont choisi l’IMQ, et plus précisément le

programme de Logistique, qui s’offre ailleurs dans la province, puisque des personnes qu’ils

connaissent y avaient étudié ou y étudiaient toujours.

Enfin, il importe de mettre en exergue le fait que le projet de migration pour études va bien au-delà du projet de formation et s’inscrit dans un désir plus grand d’évoluer, de découvrir de nouveaux horizons, d’améliorer ses conditions, soit en se formant pour augmenter l’employabilité, soit pour s’installer au Québec, ou pour s’ouvrir des portes à l’international. Le projet de formation est ainsi un tremplin vers la concrétisation de rêves et d’aspirations, vers la réponse à d’autres besoins, d’autres espoirs…

60 Comme un Réunionnais ayant choisi la ville « au hasard » parmi les choix offerts, ou d’autres venus sous l’influence d’amis, sans savoir que le programme s’offrait ailleurs.

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4.5 Les premiers pas : arriver, s’installer et s’intégrer