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raça [race] au Brésil

III. Différents regards et sensibilité des mesures d'inégalités et de discriminations : alter-déclarations versus auto-déclarations

3.2. Une sensibilité de la représentation des faits selon le mode de déclaration choisi?

Afin d'éclairer notre choix entre l'auto-déclaration et l'alter-déclaration, nous comparons les représentations qu'elles permettent à travers la description de la mosaïque de couleurs de peau et l'analyse des inégalités183. Puis, nous discutons une troisième mesure possible pour la variable statistique 'couleur de peau'. Récente, elle peut également être perçue comme la résurgence d'autres modes de collecte essentiellement utilisés lors d'enquêtes de terrain en sociologie et en anthropologie.

3.2.1. Comparer les représentations selon l'auto- et l'alter-déclarations

L'auto- et l'alter-déclarations de la variable statistique 'couleur de peau' ne sont pas systématiquement collectées dans une même base de données. Nous décrivons celles portées à notre connaissance dans le Tableau 2.17.

179 J. L. Petruccelli (2000 : 11). E. Piza / F. Rosemberg (2002/2003 : 106).

180 « Il ne s'agit pas d'une question située purement sur le plan heuristique, mais qui doit avoir des répercussions dans la dynamique des relations interpersonnelles et dans l'interaction avec les institutions » [E. Piza / F. Rosemberg (2002, 2003 : 106)].

181 P. Miranda-Ribeiro / A. J. Caetano (2005 : 9 – 10). 182 M. E. Hill (2002 : 104).

183 Nous ne comparons pas l'auto- et l'alter-déclaration sur la base des mesures de discrimination telles que définies supra car nous n'avons pas rencontré d'ouvrage ou d'article le permettant.

Tableau 2.17 : Bases de données où figurent auto- et alter-déclarations (liste non exhaustive)

année nom

taille de l'échantillon

(individus) stratégie d'échantillonnage population créateur

articles / ouvrages (non exhaustif) remarques 1986 As eleições de 1986 em São Paulo1

573 échantillon probabiliste personnes de plus de 18 ans à São Paulo IDESP2 / IUPERJ3 / GALLUP4 C. Hasenbalg / N. do V. Silva / M. Lima (1999) sans objet

1992 sans objet 505 recensement de la population de

Rio de Contas (Salvador) sans objet

M. Harris / J. G. Consorte / J. Lang / B. Byrne (1993)

1) auto-déclaration libre puis dans une classification 2) alter-déclaration par deux enquêteurs qui s'accordent

1995

Racismo Cordial

Datafolha5 5081

pour chaque région, sélection aléatoire de municipalités selon leur situation géographique et leur niveau socioéconomique, puis stratification par le genre et l'âge population urbaine brésilienne adulte (plus de 16 ans) Datafolha5 C. Turri / G. Venturini (1995) N. Lim / E. E. Telles (1998) sans objet

1996 PNDS6 53463 échantillon probabiliste de 842 secteurs censitaires puis de ménages (16838) tous les ménages BENFAM7 nombreux étant donné la disponibilité de la base de données 1) auto-déclaration 2) immédiatement après, alter- déclaration 2002 Pesquisa SRSR8 tirage systématique de 70 secteurs censitaires puis tirage dans une liste mise à jour de 29 ménages à Belo Horizonte et 26 ménages à Recife femmes de 15 à 49 ans de Belo Horizonte et Recife UFMG9 / Cedeplar10 P. Miranda- Ribeiro / A. J. Caetano (2003 et 2005) collecte de l'alter- déclaration puis de l 'auto-déclaration 2005 sans objet 3353 tirage systématique de 120 secteurs censitaires parmi 404 classés selon la moyenne du revenu des chefs de ménage, puis sélection d'une moyenne de 13 ménages, soit 1597 ménages au total personnes de plus de 20 ans dans la zone urbaine de Pelotas (État de Rio de Janeiro) J. L. Bastos / M. A. Peres / K. G. Peres / S. C. Dumith / D. P. Gigante (2008) questionnaires réalisés en face à face alter-déclaration (catégories de l'IBGE) en début de questionnaire puis auto-déclaration (catégories de l'IBGE) 1 : Les élections de 1986 à São Paulo.

2 : Instituto de Estudos Econômicos, Sociais, e Políticas de São Paulo [Institut d'Études Économiques, Sociales et Politiques de São Paulo]. 3 : Instituto Universitários de Pesquisas [Institut Universitaire d'Enquêtes].

4 : GALLUP [www.gallup.com.br – entreprise de conseil et de réalisation d'enquête].

5 : Racisme cordial Datafolha. Datafolha est un institut de sondage [http://datafolha.folha.uol.com.br/].

6 : Pesquisa Nacional de Demografía e Saúde [Enquête Nationale de Démographie et de Santé]. Elle est aussi connue sous le nom de DHS [Demographic and Health Survey – Enquête Démographique et de Santé].

7 : BENFAM [Bem-Estar Familiar no Brasil – Bien-être familial au Brésil].

8 : Enquête Saúde Reprodutiva, Sexualidade e Raça / Cor [Santé Reproductive, Sexualité et Race / Couleur]. 9 : UFMG [Universidade Federal de Minas Gerais – Université fédérale du Minas Gerais].

10 : Cedeplar [Centro de Desenvolvimento e Planejamento Regional de Minas Gerais – Centre de Développement et de Planification Régionale du Minas Gerais]

Elles sont majoritairement difficiles à obtenir184, surtout les enquêtes n'étant pas réalisées par 184 Outre notre expérience personnelle, cette difficulté est également soulignée par M. Paixão / L. M. Carvano

une institution car leur diffusion est généralement limitée aux proches collaborateurs des chercheurs ayant collectées ces données. Il existe une seule exception : la PNDS 1996 [Tableau 2.17] est accessible sur Internet185.

Nous nous basons ici sur des ouvrages et articles dont les auteurs ont eu accès de manière complète à l'une ou l'autre de ces enquêtes. Concernant la description de la mosaïque brésilienne des couleurs de peau, il y a majoritairement, concernant les enquêtes institutionnelles, une correspondance entre l'auto- et l'alter-déclaration [plus de 70 % en 1986, 1995 et 1996186]. Pour les moins de 30 % restant, la conclusion diffère selon l'enquête. Pour Carlos Hasenbalg, Nelson do Valle Silva et Márcia Lima, qui utilisent les bases de données de 1986 et 1995 [Tableau 2.17]187, l'auto-déclaration mène à une distribution plus claire de la population que par l'alter-déclaration. Pour Rafael Guerreiro Osório, qui commente les résultats entre autres de ces auteurs, c'est l'alter-déclaration qui mène à une distribution plus claire de la population188. Dans ces deux cas, notons que les auteurs donnent raison au mode de déclaration menant à la distribution la plus foncée de la mosaïque de couleurs de peau. De plus, ils concluent que la déclaration la plus claire émane de l'intériorisation de l'idéologie du blanchiment.189 Il y a donc un rejet unanime de l'idéologie du blanchiment par les chercheurs travaillant sur la déclaration de la couleur de la peau.

Nous pouvons cependant nous demander dans quelle mesure le regard porté a priori sur l'objet de recherche – le positionnement choisi [Tableau 2.1 – page 102] – voile certaines dimensions. A travers la comparaison entre l'auto- et l'alter-déclaration, les chercheurs confortent le choix qu'ils ont fait en amont du mode de collecte. Ainsi, Carlos Hasenbalg, Nelson do Valle Silva et Márcia Lima (1999), qui présentent l'alter-déclaration comme le mode de collecte le plus objectif, voient dans la distribution plus claire émanant de l'auto- déclaration la preuve que cette dernière intègre l'idéologie du blanchiment. C'est le même mécanisme qui est à l'œuvre pour Rafael Guerreiro Osório (2003) où la distribution plus claire qui résulte de l'alter-déclaration est interprétée comme l'intériorisation par l'enquêteur – et non par l'enquêté – de l'idéologie du blanchiment. La question d'un possible assombrissement est 185 cf. le site www.measuredhs.com/

186 M. Paixão / L. M. Carvano (2007 : 42). cf. les Tableaux A.2.1 à A.2.5 dans le volume annexe [Annexe 2.6 pages 10 à 11]pour visualiser le croisement des auto- et des alter-déclarations selon différentes bases de données.

187 C. Hasenbalg / N. do V. Silva / M. Lima (1999). Les articles rassemblés dans cet ouvrage ont tous été rédigés avant la diffusion de la PNDS 1996.

188 R. G. Osório (2003 : 17).

peu évoquée.190 Ainsi, la majorité des auteurs poseraient implicitement qu'une déclaration, quelle qu'elle soit, choisirait la 'vraie'191 couleur de peau ou un éclaircissement. Or en toute rigueur il ne nous est pas possible d'exclure l'éventualité d'un assombrissement lors de la déclaration. Cette possibilité fait en fait référence au questionnement plus fondamental de l'étalon de mesure de la couleur de la peau, autrement dit à remettre en cause l'hypothèse implicite de l'appariement entre l'auto-déclaration (ou l'alter-déclaration) et la 'vraie' couleur de peau.192

Si la description de la mosaïque de couleurs de peau est sensible au mode de déclaration, cela est a priori moins le cas pour l'analyse des inégalités. En effet, concernant le niveau d'éducation, il y a toujours une très forte corrélation entre les hauts niveaux scolaires et la catégorie branca, qu'elle soit définie par l'auto- ou l'alter-déclaration193. Les inégalités selon la couleur de la peau existent quelle que soit le mode de collecte de cette variable statistique et les catégories de couleurs de peau sont ordonnées de la même manière, les individus brancos étant toujours plus avantagés que les autres194.

Il y a cependant des différences d'ampleur de ces inégalités qui, sans remettre en cause la conclusion centrale où le mode de déclaration importe peu, renforcent à travers leur interprétation notre interrogation concernant l'influence du positionnement a priori du chercheur sur sa manière d'appréhender les phénomènes qu'il étudie. En effet, de la même manière que la distribution de couleurs de peau la plus foncée est préférée, c'est celle qui mène à l'observation d'une plus grande différence entre les groupes selon leur couleur qui est souvent mise en exergue. Ainsi, Nelson Lim et Edward E. Telles soulignent que l'alter- déclaration est plus adaptée car elle permet de montrer une plus grande ampleur des inégalités dans la mesure où elle traduit mieux les catégories de revenu195. Nelson do Valle Silva ne partage pas les motivations de cet avis196. Constatant que c'est l'auto-déclaration qui permet de 190 Nous notons quelques exceptions. C. Hasenbalg (1979/2005 : 78 – 79) cite l'adage « negro rico é branco, branco pobre é negro » [noir riche est blanc, blanc pauvre est noir], J. Amado (1938/1981 : 325) fait affirmer à l'un se ses personnages « tout ce qui est pauvre est devenu nègre » (notons l'emploi de 'ce'), N. do V. Silva (1999 : 124) affirment : « No Brasil, não só o dinheiro embranquece, como, inversamente, a pobreza também escurece » [Au Brésil, non seulement l'argent blanchit, mais aussi, inversement, la pauvreté assombrit] et enfin W. B. Coelho (2006 : 147) rapporte ce dicton « preto rico no Brasil é branco, assim como branco pobre é preto » [noir riche au Brésil est blanc, tout comme blanc pauvre est noir ]. 191 Nous discutons dans le cinquième chapitre pages 384 à 384 la possibilité de l'existence de cette 'vraie'

couleur de peau ainsi que sa signification.

192 Nous traitons ce questionnement dans le cinquième chapitre pages 385 à 388. 193 N. Lim / E. E. Telles (1998 : 467 – 470).

194 N. do V. Silva (1999 : 123).

195 N. Lim / E. E. Telles (1998 : 467 – 472). 196 N. do V. Silva (1999 : 123).

souligner une plus grande ampleur des inégalités, ils y voient une preuve de la subjectivité attachée à l'auto-déclaration et concluent que l'alter-déclaration est plus adaptée à l'étude des inégalités au Brésil. Ce schéma argumentatif nous semble plus intuitif dans la mesure où l'appariement entre la couleur de peau déclarée et les caractéristiques individuelles conduit à plus d'inégalités, les individus mieux dotés s'éclaircissant – ou étant éclaircis – systématiquement, et inversement.

3.2.2. De la possibilité d'une troisième mesure de la couleur de la peau

L'auto- et l'alter-déclarations sont deux mesures subjectives de la couleur de la peau. Les débats entre chercheurs les concernant se cristallisent sur le fait de savoir laquelle serait la moins subjective des deux ou, de manière symétrique, laquelle serait la plus objective des deux. L'enjeu est de taille car il s'agit de donner une base solide aux conclusions en termes d'inégalités et de discrimination. L'idéal serait de disposer d'une mesure réellement objective de la couleur de la peau. Le Tableau 2.18 présente les utilisations de supports visuels dont nous avons eu connaissance afin de disposer d'une telle mesure au Brésil.

Il est actuellement possible de recourir au skinreflectometers [réflecteur de lumière cutanée]. Cet appareil permet de mesurer le pourcentage de lumière absorbée par la peau, ce qui dépend de la quantité de mélanine197. La mesure qui en résulte ne traduit donc aucune subjectivité. Cet avantage est contrebalancé par de nombreux inconvénients : son coût, la difficulté de l'introduire dans une situation de questionnaire ou d'entretien198, la signification d'une telle mesure. Le premier élément peut être négligeable pour les instituts nationaux de statistiques bien dotés mais il est un réel frein à l'utilisation du skinreflectometer lors d'enquêtes plus réduites. Le second élément touche toute enquête. L'introduction de cet appareil peut être interprétée comme un manque de confiance de l'enquêteur par rapport à la déclaration de l'enquêté, ce qui est à la fois vrai et faux. Il s'agit en effet de s'affranchir de la subjectivité contenue dans la déclaration mais sans affirmer que la personne qui répond manipule consciemment sa réponse. Cependant, il est difficile d'empêcher l'enquêté de recevoir l'introduction du skinreflectometer comme une remise en cause de sa parole. Dans le cas du Brésil, un autre élément renforce la difficulté d'utilisation de cet appareil. En effet, dans la mesure où l'intériorisation de l'idéologie du blanchiment est amplement dénoncée et stigmatisée, un mouvement inverse semble s'être amorcé où il convient de ne surtout pas 197 Les peaux plus foncées absorbent moins la lumière que les peaux claires. cf. N. G. Jablonski (2006) pour

une histoire de la peau et N. G. Jablonski / G. Chaplin (2000) pour une présentation plus biologique. 198 M. E. Hill (2002 : 104).

s'éclaircir199. Dans un tel contexte, le recours au skinreflectometer pourrait être perçu comme un soupçon direct envers la déclaration de l'enquêté, qui intégrerait obligatoirement les mécanismes de l'idéologie du blanchiment et donc ne déclarerait pas sa 'vraie' couleur de peau.

Tableau 2.18 : Utilisation de supports visuels et déclarations de couleurs de peau (liste non exhaustive)

article de référence caractéristiques du support visuel utilisation du support Les déclarations obtenus avec le support sont comparées à E. S. Mark (1943) étudiants présents dans la salle les étudiants s'observent les uns les autres : alter-

déclaration

appariement avec d'autres caractéristiques (énergie, beauté, etc.)

M. Harris (1956)

1) deux jeux (hommes / femmes) de 36 dessins selon 3 couleurs de peau, 3 types de cheveux, 2 tailles de nez et 2 types de lèvres

2) photographie de chaque répondant

1) auto-déclaration sur la base des dessins

2) définition de la couleur objective* sur la base des photographies

comparaison des auto- déclarations aux couleurs objectives

M. Harris / J. G. Consorte / J. Lang / B. Byrne (1993)

deux jeux (hommes / femmes) de 36 dessins selon 3 couleurs de peau, 3 types de cheveux, 2 tailles de nez et 2 types de lèvres**

1) l'enquêté choisit le dessin qui lui ressemble le plus (auto-déclaration) 2) les deux enquêteurs font de même en s'accordant sur le dessin qui ressemble le plus à l'enquêté (alter- déclaration)

comparaison

D. M. Queiroz (2002)

photographies d'identité des étudiants données lors de leur inscription à l'université

alter-déclaration de la part de la chercheuse

auto-déclarations des étudiants (classification libre et classification de l'IBGE)

J. Hersch (2008)

un nuancier représentant une série de mains avec différentes couleurs [D. S. Massey / J. A. Martin (2003)]

les enquêteurs mémorisent visuellement la couleur de l'enquêté puis choisissent dans la nuancier la couleur qui y correspond (couleur objective*)

utilisation d'une mesure objective pour étudier des phénomènes où la couleur peut être une variable clef * : par la mention 'couleur objective', nous reportons ce que les auteurs affirment avoir collecté.

** : ces dessins sont obtenus de la même manière que ceux employés par M. Harris (1956) mais il s'agit néanmoins d'un nouvel ensemble créé pour l'occasion de cette nouvelle enquête réalisée en 1992.

Enfin, le troisième inconvénient réside dans la difficulté de donner une signification claire à la variable qui résulterait d'une telle mesure. En effet, une mesure objective de la couleur de la peau est par définition impossible car cette dernière est liée à une catégorisation qui repose sur

199 cf. le quatrième et le cinquième chapitre, respectivement pages 293 à 299 et 325 à 325 pour une analyse détaillée.

des évolutions économiques, sociales et symboliques200 ayant eu lieu en amont et se poursuivant dans le temps présent. Une mesure objective de la couleur de la peau en tant que construction sociale et symbolique serait donc impossible et toute mesure objective réalisée serait sans signification par rapport aux phénomènes étudiés (inégalités, discrimination). Cela nous renverrait donc vers l'arbitrage ou l'utilisation conjointe de l'auto- et de l'alter- déclarations. Il nous semble cependant pertinent de limiter en partie201 cette critique majeure aux études projetant d'utiliser une telle mesure à l'exclusion de toute autre. Elle peut en effet enrichir l'analyse si elle est employée comme une catégorie complémentaire à l'auto- déclaration et / ou l'alter-déclaration. L'utilisation d'une telle mesure peut permettre de déceler la mobilité chromatique réalisée de manière subjective dans les déclarations. Elle peut aussi guider d'autres pistes de réflexion par rapport à la comparaison entre auto- et alter- déclaration : la mesure objective se situe-t-elle entre les deux déclarations ? Est-elle au contraire toujours plus sombre – plus claire – que les deux déclarations ? L'articulation entre les mesures subjectives et cette mesure objective s'effectue-t-elle toujours de la même manière quelle que soit la portion du spectre de couleurs appréhendée ? Elle peut également permettre d'analyser de manière plus fine la signification sociale de la déclaration de la couleur de la peau, en comparant par exemple les différentes déclarations possibles d'une même catégorie objective.

De notre point de vue, le recours au skinreflectometer est une sorte de reformulation d'autres modes de collecte, utilisés lors d'enquête de terrain en sociologie et en anthropologie : la photographie et le nuancier. Pour les chercheurs202 les ayant employés, il s'agit de disposer d'une mesure objective afin de servir de point d'ancrage analytique à la fois pour l'auto- et l'alter-déclarations. Dans les deux cas, l'objectivité de la mesure peut ne pas être atteinte in

fine car une tierce personne et / ou l'enquêteur interviennent. Concernant la photographie, elle

sert en effet de support à des alter-déclarations, tandis que le choix parmi les couleurs du nuancier est fait par l'enquêteur. Si certains auteurs203 voient dans la multiplication des déclarations et l'application du nuancier par plusieurs enquêteurs pour un même enquêté un bon encadrement du risque de subjectivité encouru, rappelons qu'une moyenne de subjectivité reste quelque chose de subjectif a priori.204 En revanche, la fait qu'elles convergent souligne 200 M. E. Hill (2002 : 104).

201 La réserve que nous formulons ici fait l'hypothèse implicite que cette mesure objective est collectée avec bon sens. Rappelons que nous rejetons toujours toutes les mesures qui se baseraient sur une analyse génétique telle que celle décrite supra (la biogéographie).

202 cf. infra le Tableau 2.18. 203 cf. E. S. Marks (1943).

un mécanisme d'apprentissage social.

Il apparaît donc que la possibilité d'une telle troisième mesure ne doit pas être évacuée. Elle doit cependant être sévèrement guidée et encadrée du fait des biais qu'elle pourrait introduire dans l'analyse si elle était mal collectée et / ou employée seule. En toute rigueur, cette mesure est la moins efficace et la plus dangereuse de toutes.205

Les deux modes principaux et essentiels de collecte de la variable statistique 'couleur de peau' sont l'auto-déclaration et l'alter-déclaration. Ils sont les plus appropriés eu égard à la signification intrinsèque de la couleur de la peau, qui est une construction sociale et symbolique. Ils sont essentiels car un mode de collecte objectif ne peut être utilisé que de manière complémentaire, en dépit de l'imperfection a priori des déclarations qui ne peuvent pas s'affranchir complètement de leur subjectivité.

L'auto- et l'alter-déclarations représentent deux regards d'analyse différents car ne se plaçant du point de vue de la même subjectivité. Dans la mesure où in fine les conclusions en termes d'inégalités sont les mêmes, nous pouvons être tentés d'ignorer cette différence de subjectivité. Cela est cependant délicat car c'est le positionnement du chercheur qui est également en jeu. En effet, le débat, toujours actuel, entre les deux déclarations permet de les départager uniquement à partir du moment où l'objet et la méthodologie de recherche sont définis, conférant plus d'importance à la manière dont l'enquêté se voit ou à celle dont il est perçu. Une utilisation conjointe a été entreprise jusqu'ici, à notre connaissance, uniquement dans le cadre de ce débat – promouvoir l'une ou l'autre – et non mettre en exergue la résilience des inégalités au mode d'analyse.

Après avoir présenté les inégalités et les discriminations selon la couleur de la peau, il ressort qu'elles sont à la fois indépendantes et dépendantes du regard qui les appréhende. En effet, toutes les conclusions convergent indépendamment de la méthode d'analyse, des indicateurs, des mesures et du mode de déclaration de la couleur de la peau. Tout au long du cycle de vie, la couleur de la peau est corrélée avec une plus ou moins grande dotation en capital humain, ce qui a des répercussions sur les situations individuelles et collectives sur le marché du travail. Alors, être 'negro' [noir – au sens de l'IBGE] c'est devoir affronter chaque situation économique, sociale et / ou symbolique en position désavantagée. Inversement, être 'branco' 205 Nous remercions ici particulièrement Juan Matas.

[blanc] c'est bénéficier d'une synergie positive. Toutes les bases de données, sans exception, concernant le Brésil fournissent des statistiques soulignant la forte inertie des inégalités selon la couleur de la peau. Il en est de même concernant la discrimination, qu'elle émane de l'individu lui-même ou qu'elle soit exercée le l'extérieur sur cet individu. Elle est avérée sur le