• Aucun résultat trouvé

raça [race] au Brésil

II. Attributions : construction de l'identité nationale brésilienne

2.2. Métissage et triangulation négative

A partir du moment où les autorités ne peuvent plus nier que les citoyens brésiliens composent 171 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 18). 172 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 474 – 475). 173 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 474). EUROPE INDIENS REELS citoyens brésiliens

(principalement de couleur blanche)

identité nationale = Indien originel co nstru ction d e la n ation Triangle A Triangle B ne c orre spon d pl us

une mosaïque de couleurs de peau, elles sont obligées d'intégrer le métissage à la construction de l'identité nationale. Dans la mesure où ce processus ainsi que son résultat sont perçus de manière négative, notamment par les élites universitaires, le métissage conduit premièrement à une dévalorisation de cette identité.

2.2.1. La perception négative du métissage

A l'abolition de l'esclavage, il n'est plus possible pour les autorités brésiliennes d'éluder la question du métissage et de la composante noire de la société174. Dans un premier temps, la République (instaurée en 1889) cherche à circonscrire l'ampleur de cette part de sa population en sélectionnant les immigrants sur la base de la couleur de leur peau : « mue par une véritable obsession d'identification à l'Europe, [elle] en vient à adopter des mesures de discrimination ethnique »175 afin de préserver les « caractéristiques ethniques traditionnelles de la population »176. Parallèlement, il s'agit de penser l'inconcevable réalité du métissage, qui contredit de manière flagrante le postulat initial de la stérilité des métis.177

L'étude du métissage devient l'un des sujets centraux traités par les universitaires, notamment en médecine, en psychologie et en droit178. Étant donné l'affirmation faite par les tenants des théories évolutionnistes d'une hiérarchisation des 'races'179, l'un des enjeux majeurs de ces études est de situer les métis, considérés comme 'racialement impurs', par rapport aux autres 'races', dites 'pures'. Dans ce contexte, le métissage est considéré comme un processus de dégradation, ce que Raimundo Nina Rodrigues résume en affirmant que le métissage mène à la 'dégénérescence de l'espèce humaine' (sic)180. Cet avis est partagé par de nombreux auteurs, dont l'écrivain Euclides da Cunha qui affirme que tout métis est déséquilibré, quel que soit le métissage.181 En médecine182, il est posé comme directement lié au développement d'épidémies. En psychologie183, le constat de cas de folie parmi les métis est associé à la partie

174 P. Nolasco (1997 : 118).

175 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 476). cf. supra pour une présentation de certaines de ces mesures pages 55 à 58.

176 F. Mauro (1975 : 26). Il s'agit plutôt de préserver l'idée et les souhaits que les autorités ont de ces caractéristiques.

177 J-Y. Mérian (2003 : 194).

178 cf. B. Bennassar / R. Marin (2000 : 476 – 478) pour une présentation détaillé de ce courant de pensée tel qu'il s'est développé au Brésil.

179 cf. B. Bennassar / R. Marin (2000 : 477) pour une liste des auteurs s'étant faits les chantres de cette théorie. 180 D. M. Leite (1969/1983 : 235 – 241).

181 E. da Cunha (1902/1990 : 61 – 62). cf. A. Lipschütz (1937/1944 : 251 – 305) pour une critique rigoureuse de ce point de vue.

182 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 477). 183 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 477).

non-européenne de leurs gènes. En droit184, enfin, Raimundo Nina Rodrigues propose une refonte du code pénal : les métis doivent être jugés au cas par cas185 car le même niveau de responsabilité pénale ne peut être exigé pour des personnes n'étant pas égales186.

2.2.2. La dévalorisation d'une identité brésilienne par le métissage

Dans un tel contexte de perception négative du métissage, les citoyens brésiliens – sujet – ne peuvent l'accepter comme étant l'essence de leur identité nationale [Schéma 1.4 – Triangle A]. Ce refus n'implique pas que la société brésilienne, marquée par le métissage, n'apparaisse pas avant tout comme métisse aux yeux du monde. C'est en effet à travers ce constat que le Brésil est perçu. Sous cet angle, il est posé comme étant un pays 'inférieur' aux autres car ses composantes – métisses et noires – sont situées au bas de l'échelle 'raciale' : il a donc vocation à être dominé par les autres puissances nationales.187 La triangulation négative ne cesse de se renforcer car le métissage est présenté comme un lourd handicap pour la société brésilienne. Au sein des défenseurs d'une telle conception, une rare exception est à souligner. Pour Manuel Bomfim l'infériorité du Brésil ne découle pas de sa composition 'raciale' mais du « parasitisme colonial » et de la trahison des élites qui ne pensent qu'à s'enrichir188.

Autrement dit, sous cet éclairage, le métissage jouerait un rôle de bouc émissaire face au

hiatus séparant le Brésil de l'Europe, au mode de vie de laquelle les citoyens brésiliens

aspirent. Cette lecture est cependant unique à cette époque.

Dans la mesure où l'identité nationale brésilienne ne peut se cristalliser dans le cadre d'une triangulation négative, sa construction se poursuit. Il s'agit d'un défi conséquent, d'autant plus que des incohérences sont observées par rapport aux affirmations évolutionnistes concernant les métis. En effet, tandis que leur dégénérescence est postulée, beaucoup s'illustrent dans leur art189 ; Raimundo Nina Rodrigues, mulâtre selon les observateurs, est lui-même médecin émérite190. Parallèlement, il n'est plus possible au Brésil de nier le métissage, qui caractérise sa société.

184 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 478).

185 I. Carone in I. Carone / M. A. S. Bento (2002/2003 : 15). 186 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 478).

187 D. M. Leite (1969/1983 : 197, 241). 188 M. Bomfim (1905).

189 Parmi eux, citons le sculpteur Antonio Francisco Lisboa, dit Aleijadinho, fils d'une esclave et d'un architecte portugais.

190 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 478). Cette ambivalence de R. Nina Rodrigues – défini comme mulâtre tout en théorisant l'infériorité des métis – est intéressante à souligner dans la mesure où ce médecin, qui défend les théories évolutionnistes, a également collecté un imposant matériel ethnographique concernant les descendants des Africains.

Schéma 1.4 : Triangulation identitaire et métissage (1888 – années 1930)