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raça [race] au Brésil

I. Formation de l'économie et de la société brésiliennes : quelques rappels historiques

1.1. Esclavages et métissages (XVI ème siècle – 1850)

Après un échec relatif de la réduction en esclavage des populations indigènes, des esclaves sont importés d'Afrique16 afin de palier un manque substantiel de main d'œuvre. Le nombre d'hommes est beaucoup plus important que celui de femmes, ce qui favorise le métissage entre les trois groupes économiques et sociaux alors en présence, également caractérisés par leur couleur de peau.

1.1.1. Un système esclavagiste de production

Le Brésil est découvert à la suite d'explorations entreprises pour des motifs économiques. Le Portugal est, en effet, faiblement doté en bois, or cette matière est centrale pour la construction navale.17 Dépendant de l'approvisionnement par les Indes – rendu difficile par des guerres18 – le royaume recherche une autre voie en permettant l'acheminement19. Le Brésil que la production sucrière se développe. Cette évolution est telle au XVIIème siècle que, craignant un déboisement, le Portugal impose des mécanismes de régulation [F. Mauro (1977 : 40)].

15 Selon l'expression de B. Bennassar / R. Marin (2000 : 337).

16 Tous les chiffres concernant l'esclavage au Brésil sont approximatifs car les archives ont été détruites en 1890.

17 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 45). 18 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 27).

19 Initialement, il s'agit d'atteindre les Indes par l'Ouest. Le Portugal suspend ses importations en provenance des Indes dès que l'exploitation du bois est mise en place au Brésil, notamment parce que le coût de revient du bois brésilien est plus faible [F. Mauro (1973 : 14)].

est riche en bois de teinture, le pau-brasil [bois brésil], dont il tire son nom. L'exploitation du bois se base initialement sur un système de troc. La population indigène accepte de l'abattre en échange de divers objets européens, dont des outils : ces derniers ont une valeur symbolique pour les Indiens, tandis que les colons y voient un moyen d'augmenter in fine la productivité de cette main d'œuvre. Le projet colonial du Portugal par rapport au Brésil reste alors encore limité à l'univers sylvicole.

Le projet colonial change d'échelle dans les années 1530 avec la mise en place de la production sucrière. L'un des postulats majeurs de cette colonisation réside dans la mise en place d'un système esclavagiste de production. Selon Gilberto Freyre les circonstances exigèrent (sic) ce mode de production20. La main d'œuvre servile est posée comme étant l'unique moyen de produire des richesses dans ce pays.21 De ce fait, et le système de troc étant extensif et intermittent, les Indiens sont réduits en esclavage afin d'intensifier et de régulariser la production. Dans la mesure où des guerres opposent les tribus entre elles, ce projet est, dans un premier temps, facilité.22 Les Indiens livrent leurs prisonniers aux Portugais, dans lesquels ils voient des alliés contre les autres tribus. Ainsi, dès 1548, il y a environ 3000 esclaves indiens dans les moulins à sucre de São Vicente.23 Rapidement, cette coopération prend fin car les Indiens comprennent que les portugais ne sont pas les alliés attendus. A cela s'ajoutent des fuites et des révoltes de la part de ceux étant déjà esclaves, ainsi qu'une mortalité élevée, notamment en raison des maladies importées d'Europe. Constatant, de leur point de vue, l'inadéquation de la main d'œuvre indigène à la bonne marche de leurs moulins, les colons se tournent vers l'importation d'esclaves africains24, réputés plus robustes et ayant une productivité supérieure à celle des Indiens.

Ce système esclavagiste de production est tellement ancré que l'adage qui affirme : « pas de Noir, pas de sucre, pas de Brésil »25 peut être reformulé jusqu'à l'abolition, qu'il s'agisse de l'exploitation de l'or ou de la culture du café. L'économie et l'organisation sociale reposent sur l'esclavage. L'indépendance du Brésil (en 1822) n'y change rien.

20 G. Freyre (1933/2005 : 237).

21 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 59, 157). 22 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 13 – 14). 23 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 16).

24 cf. B. Bennassar / R. Marin (2000 : 67 – 68) par rapport à la substitution des Indiens par les Africains pour la constitution de la main d'œuvre servile. Le premier esclave africain est importé en 1538, puis ce commerce est facilité à partir de 1559 [B. Bennassar / R. Marin (2000 : 592)].

1.1.2. Le problème récurrent du manque de main d'œuvre

Les colons portugais sont toujours confrontés à un manque de main d'œuvre servile. Divers facteurs permettent de l'expliquer. Concernant les Indiens, principale vivier jusqu'en 1650, il est possible d'identifier trois explications principales : la forte mortalité, les révoltes et les fuites, et l'opposition de l'Église et du Portugal à leur esclavage. Premièrement, le taux de mortalité parmi les Indiens est élevé car ils ne sont pas immunisés contre les maladies que les colons apportent d'Europe. Deuxièmement, étant autochtones, ils ont une probabilité plus importante de fuir de manière définitive car ils connaissent le terrain – ils savent donc où se cacher – et ils ont une destination claire : leur tribu d'origine. Enfin, il y a une volonté politique et religieuse afin de limiter (en 1570), puis d'interdire (en 1680) leur esclavage, car ils sont considérés comme pourvus d'une âme « à l'égal des autres êtres humains »26. Les colons font de nombreuses entorses aux diverses réglementations. Ils changent, selon les circonstances, la définition du concept de 'juste guerre'27, au terme de laquelle la réduction en esclavage est autorisée. Pour eux, les Indiens représentent avant tout une main d'œuvre indispensable. Ils les appellent d'ailleurs les negros da terra [nègres de la terre]. Elle est cependant trop peu sûre et insuffisante en nombre. L'importation d'esclaves africains apparaît comme une solution. 28

Concernant les Africains, l'offre de travail se révèle également insuffisante. La mortalité et les révoltes et fuites figurent parmi les quatre facteurs explicatifs que nous identifions ; s'y ajoutent la faiblesse de la natalité ainsi que les affranchissements. La mortalité des esclaves africains est élevée du fait de la dureté des conditions de vie et d'exploitation29. L'achat d'esclaves est pensé comme un investissement à court terme.30. Les révoltes sont nombreuses31 malgré deux handicaps majeurs. Premièrement, contrairement aux Indiens, les esclaves africains ne connaissent pas le terrain, ce qui rend leur fuite plus aléatoire. Deuxièmement, les propriétaires varient à dessein les origines géographiques et ethniques de leurs esclaves lors 26 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 62).

27 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 42 – 43). Selon P. Haggenmacher (1983 : 49), la 'juste guerre' « constitue [...] une tentative de justifier au plan de la morale chrétienne la pratique quasi-endémique de la guerre [...], tout en lui imposant des bornes aussi étroites que possible ».

28 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 34).

29 D. M. Leite (1969/1983 : 312). cf. K. M. de Q. Mattoso (1979 : 134 - 138) pour une présentation du débat hagiographique concernant les conditions alimentaires des esclaves par rapport aux autres éléments de la société brésilienne.

30 Leur espérance de vie une fois au Brésil est de cinq à huit ans [B. Bennassar / R. Marin (2000 : 72)]. Pour F. Mauro (1973 : 22) cela se limite sans doute au travail agricole, d'autres sources évoquant une durée de 15 années [Mauro (1991 : 60)]

31 Parmi ces révoltes, citons Palmares, le quilombo – « communauté libre d'esclaves en fuite » [B. Bennassar / R. Marin (2000 : 610)] – le plus célèbre en raison de de sa longévité. cf. E. Carneiro (1946/1988) pour une présentation détaillée de ce quilombo.

de leur achat afin de freiner, voire d'empêcher, toute coalition.32 A cela s'ajoute la faiblesse de la natalité33, faisant peser l'évolution du nombre d'esclaves sur leur importation34. Enfin, l'affranchissement est possible, par le biais de rachat35 et pour des raisons économiques36. Le manque de main d'œuvre ne cesse de s'accentuer car la demande ne se limite pas à la sphère domestique et au secteur agricole.37 De plus, les importations massives en prévision de l'arrêt de la traite38 ne permettent pas de constituer un stock suffisant de main d'œuvre à long terme. Lors du cycle de l'or, un ajustement se fait grâce aux migrations internes39, ce qui ne peut durer. L'immigration prend le relais.

1.1.3. Une colonie peuplée principalement d'hommes40

Conquérir un territoire implique de le peupler41 afin de faire acte de propriété et surtout de le défendre42. Dans cette optique, le Portugal a principalement envoyé des hommes43 au Brésil. Le peuplement est lent, car la nouvelle colonie manque d'attractivité44 malgré la concession de nombreux avantages. Les riches émigrants peuvent devenir les propriétaires de terres immenses : ils bénéficient d'un droit de propriété illimitée à l'intérieur des terres. Les émigrants plus pauvres ont, au Brésil, des perspectives d'ascension sociale et économique beaucoup plus importantes que dans le royaume.

Le manque d'attractivité du Brésil a des effets sur la composition sociale des colons : les 32 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 69).

33 M. Mörner (1967/1971 : 145). Ce n'est qu'à la fin de la traite que la natalité est encouragée et que plus de femmes esclaves sont achetées [F. Mauro (1973 : 72)].

34 Ce constat est a priori contre-intuitif. G. Freyre écrivait « la partie la plus productive de la propriété esclave, c'est le ventre » [cité par S. Monclaire (1997 : 300)]. Comme les arrivages d'esclaves étaient fréquents, il était moins cher pour les propriétaires de les acheter que de les élever [K. M. de Q. Mattoso (1979 : 135, 143)]. Les esclaves pratiquaient aussi l'avortement volontaire [K. M. de Q. Mattoso (1979 : 145)]. Entre 1451 et 1870, 3 647 000 Africains sont déportés au Brésil [P. D. Curtin (1969 : 88)].

35 Pendant l'exploitation aurifère, cela était possible grâce à la prime de découverte d'une grosse pépite par exemple [B. Bennassar / R. Marin (2000 : 106)]. Les maîtres pouvaient aussi affranchir leurs enfants illégitimes ; ils avaient par ailleurs une préemption sur leur achat [M. Mörner (1967/1971 : 55 – 56)]. 36 L'entretien des esclaves est un poste important de dépenses qui peut devenir trop pesant pour certaines

familles qui voit alors dans l'affranchissement un moyen d'équilibrer leur budget.

37 Face au manque d'artisans, les propriétaires d'esclaves leur font apprendre un métier afin de louer leurs services [B. Bennassar / R. Marin (2000 : 147)].

38 Cet arrêt est fixé en 1810 dans un traité anglo-portugais [B. Bennassar / R. Marin (2000 : 187 – 190)]. 39 cf. K. M. de Q. Mattoso (1979 : 69 – 72) par rapport aux transferts d'esclaves entre régions brésiliennes. 40 Nous omettons de parler des hommes indiens et africains pour nous concentrer sur la sphère domestique

des maîtres où s'est déroulée une étape cruciale de la formation de la société brésilienne : le métissage. Notons aussi que souligner un déséquilibre du ratio hommes / femmes ne signifie pas que la colonisation a été uniquement réalisée par des hommes seuls [M. Mörner (1967/1971 : 28)].

41 cf. C. Prado Júnior (1942/1989 : 33 – 116) pour une présentation des phases de peuplement du Brésil. 42 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 30, 35 – 36).

43 Avant 1549 ces hommes sont plus des détenus de droit commun [B. Bennassar / R. Marin (2000 : 38, 43)]. 44 C. Prado Júnior (1942/1989 : 87 – 88). Il s'agit en d'une terre inconnue, où tout investissement est incertain.

condamnés de droit commun sont bien plus nombreux que les nobles, les bourgeois ou les hommes d'Église. C'est aux nobles et aux bourgeois que sont destinées les capitaineries, places stratégiques permettant de défendre le nouveau territoire et d'exporter ce qu'il produit. Pour les quinze capitaineries disponibles, il n'y a que douze prétendants : certains renoncent avant le départ et d'autres échouent par manque de moyens45 et / ou du fait de l'opposition des Indiens.46 Les hommes d'Église sont chargés d'évangéliser le nouveau monde, mais ils ne sont que peu nombreux du fait d'une crise de vocations pour aller dans ce pays.47 La majorité des colons portugais sont donc – du moins au début – des condamnés de droit commun, qui émigrent car cela leur permet d'échapper à la prison. Ce n'est qu'à partir de 1549 que la proportion de colons provenant d'autres origines sociales croît, sans devenir pour autant dominante et tout en représentant un faible nombre de personnes. C'est avec l'exploitation de l'or que le Brésil se peuple plus massivement de Portugais. Victime de ce succès, le royaume promulgue une loi (en 1667) interdisant l'émigration afin d'endiguer le flux des départs.

Eu égard aux choix stratégiques du Portugal concernant le peuplement du Brésil, la structure démographique en terme de genre est très déséquilibrée. Les premières femmes occidentales arrivent seulement à partir de 1551. Jusqu'à cette date, la population féminine est donc exclusivement composées d'Indiennes et d'Africaines.48 Ainsi, la sphère domestique rassemble des maîtres, blancs, avec des femmes esclaves, non-blanches. Cette situation est amplement décrite par Gilberto Freyre dans Maître et esclaves (1933), où il se focalise notamment sur les relations sexuelles ayant lieu dans la sphère domestique à l'époque de la production sucrière. Une importante progéniture métisse et illégitime49 naît des concubinages, liaisons 45 D'importants capitaux sont en effet nécessaires pour mettre en place les moulins à sucre car il faut acheter

des machines et des esclaves.

46 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 31 – 32). 47 B. Bennassar / R. Marin (2000 : 114 – 117).

48 « La principale explication de la rapidité avec laquelle se réalisa le métissage après le premier contact réside sans aucun doute dans le manque de femmes blanches à l'époque des premières expéditions et dans les longs mois d'abstinence imposée par le voyage. » [M. Mörner (1967/1971 : 34)]. M. Mörner (1967/1971 : 91) souligne également que l'absence de femmes blanches fut plus longue au Brésil qu'en Amérique espagnole, ce qui a sans doute renforcé le phénomène du métissage dans ce pays.

49 Si le concubinage voire le mariage avec les femmes esclaves existent [B. Bennassar / R. Marin (2000 : 60)], ce dernier reste l'apanage de l'élite sociale [B. Bennassar / R. Marin (2000 : 135)]. Il s'agit également d'une obligation sociale pour les groupes dominants [K. M. de Q. Mattoso (1979 : 142)]. Cette institution était perçue comme contraire au bon développement économique du Brésil – il crée du lien social parmi les esclaves, il diminue la mobilité géographique des hommes dont le rôle est d'explorer le territoire et de le défendre. De nombreuses mesures visaient donc à en limiter la réalisation, dont le fait de devoir payer un tribut substantiel, ce qui réservait le mariage aux élites économiques. D'autres mesures – comme de fortes exigences administratives – visaient en revanche à lutter contre la bigamie. [B. Bennassar / R. Marin (2000 : 135 – 136)] Notons que cette image globale ne dois pas masquer que les politiques entourant le mariage furent très fluctuantes, puisqu'il fut, selon les périodes, encouragé pour s'allier aux élites indigènes locales et pour la moralité défendue par l'Église, et découragé pour les raisons sus-mentionnées.

occasionnelles et viols50.

L'émigration de femmes portugaises, blanches, reste faible, malgré son encouragement. Très tôt, et constatant avec effroi le nombre de couples mixtes et d'enfants métis51, Manoel de Nobrega demande au Portugal d'envoyer des femmes blanches au Brésil, quelles qu'elles soient, afin de palier leur manque52. La population féminine brésilienne reste cependant longtemps très majoritairement composée de femmes noires, métisses et indiennes ; le métissage se poursuit. Les rares femmes blanches présentes au Brésil sont ouvertement destinées au mariage et à la procréation. Le nombre d'enfants blancs est cependant restreint du fait du faible nombre de femmes portugaises53 et de taux de mortalité infanto-juvénile et maternelle élevés. Beaucoup de ces femmes sont en effet mariées très jeunes : elles meurent en couches. A cela s'ajoute la préférence sexuelle des maîtres pour les femmes mulâtres54. L'ampleur du métissage de la société brésilienne – l'extension de sa mosaïque de couleurs de peau – ne doit pas faire oublier la structure économique et sociale sous-jacente. La société brésilienne est « une société esclavagiste riche de nombreuses anomalies et contradictions apparentes »55. Seuls les enfants des femmes libres naissent libres, et l'absence de ségrégation dans le cadre des relations sexuelles n'implique pas son absence au-delà. Les confréries et les milices militaires56, par exemple, peuvent être organisées par couleur de peau.57