• Aucun résultat trouvé

raça [race] au Brésil

COR RAÇA

sanctionne le fait que la matérialité physique de la personne noire ne correspond pas à l'idéal de blancheur et qu'elle ne peut pas l'atteindre. La couleur de la personne noire est évaluée comme une caractéristique fixe : elle ne peut pas en changer. En revanche, deuxièmement, la triangulation positive implique que le sujet peut se considérer comme pouvant atteindre la blancheur sociale, autrement dit il lui est possible d'utiliser le cálculo racial, qui relève plutôt du concept de cor. La possibilité d'une telle mobilité par le calcul racial permet d'anticiper un avantage futur de la pourvoyance. En effet, si le pourvoyeur parvient à mettre en acte une fluidité en termes de cor, il pourra à son tour mettre en œuvre une dépendance chromatique car il ne sera plus le plus sombre. Mais pour pouvoir bénéficier des avantages de la blancheur à laquelle il aspire, il doit jouer le jeu de la dépendance en assurant la pourvoyance.

individu

significations des couleurs de peau imaginaire raciste

COR RAÇA personne noire personne blanche situation relative personne blanche personne blanche négritude blancheur sociale imite im ite sig ne désig ne atten d satis fait fournit désire satis fait attend fournit LEGENDE : dépendance : triangulation

Lorsque les autorités brésiliennes firent le choix de la cor, elles firent également le choix d'un type particulier de ciment social. Rappelons que leur but était de maintenir autant que possible une cohésion nationale et que la dépendance chromatique empêche une mise en évidence directe d'un rapport social de raça. Cela ne signifie pas que des voix ne se sont pas élevées pour faire cesser toute pourvoyance vis-à-vis de la dépendance chromatique, mais elles étaient marginales eu égard à d'autres discours. La rhétorique en termes de raça n'a donc jamais disparu au Brésil, mais elle ne pouvait pas forcément être rendue publique.

2.2.3. Une révélation par le conflit ?

A la suite du coup d'État de 1964, les mouvements visant la défense d'une plus grande autonomie et démocratisation sont étouffés car ils sont interprétés comme une atteinte à l'unité nationale. Les rapports de domination existants n'étaient ainsi pas portés sur la scène publique. Lorsque cela fut à nouveau possible, leur dénonciation se fit sur le mode du conflit politique. Il s'agit alors de dénonciation et non de révélation car ces phénomènes sont connus de tous, quoique ignorés par les autorités.

Concernant les couleurs de peau, le terme de révélation peut cependant s'avérer adéquat dans la mesure où, du fait de la relation de dépendance chromatique, la dénonciation réalisée par le

Movimento Negro Unificado [MNU – Mouvement Noir Unifié] n'est pas entendue par une

partie de la population, alors qu'elle est considérée comme faisant partie des dominés du fait de sa couleur intermédiaire. L'enjeu pour le MNU est alors de révéler à ces personnes, métisses, qu'elles s'inscrivent dans un rapport binaire blanc / noir, ce que sert une rhétorique en termes de raça71. Cette révélation s'opère par le conflit dans la mesure où il s'agit de sommer ces personnes de choisir entre leurs origines blanches ou noires, le premier choix étant stigmatisé comme révélant un préjugé envers les origines noires, donc envers une partie de soi-même. Pour le MNU, toute personne métisse est en effet negra. Si nous prenons la personne noire située au centre du Schéma 3.6 comme un groupe, ce dernier serait alors scindé en deux parties : une première faisant face à la triangulation négative et une seconde s'inscrivant dans la triangulation positive. Dans la première, les membres et créateurs du MNU se situent et dénoncent un rapport de domination car ils ont conscience de l'incompatibilité existant entre la triangulation négative que leur renvoie l'imaginaire brésilien 71 La polarisation d'une société mène plus sûrement à un conflit que l'existence d'inégalités, dans la mesure où dans le premier cas deux groupes homogènes séparés s'opposent [cf. F. A. Cowell (2003) pour une collection d'articles sur le sujet]. Nous remercions Jean-Louis Arcand pour avoir attiré notre attention sur ce point.

et l'acceptation du rôle de pourvoyeur. Inversement, dans la seconde, les personnes jugées noires par le MNU se perçoivent potentiellement en mobilité du fait de la triangulation positive et acceptent donc d'assurer le rôle de pourvoyeur. Tant qu'une partie du groupe des personnes noires assure la pourvoyance, le dépendant continue à se situer dans une relation de dépendance chromatique et non dans un rapport de domination. Ce dernier lui sera révélé – ou du moins il ne pourra plus l'ignorer – lorsque la dépendance chromatique aura laissé place à un rapport de domination, dénoncé par le MNU. Car au-delà de la seconde partie du groupe des personnes noires, c'est au dépendant qu'il faut révéler le rapport de domination, or il ne consentira à la voir qu'en situation de conflit : une abolition de la pourvoyance.

La révélation par le conflit du rapport de domination en termes de couleurs de peau intervient également lorsque le racismo disfarçado [racisme camouflé] devient un racismo aberto [racisme ouvert]. En toute rigueur, ces deux degrés de racisme coexistent et s'alimentent l'un l'autre72. Cependant, face à une apparence de démocratie raciale du fait de l'absence de conflit, il est souligné que la particularité du racisme au Brésil est d'être surtout un racismo

disfarçado73. D'une part, cette expression fait référence au fait que ce racisme concerne les petits actes quotidiens. D'autre part, la loi punit tout flagrant délit de préjugé ou de racisme, ce qui implique une plus grande sophistication dans une telle pratique, notamment dans la verbalisation d'opinions. Autrement dit, le racisme existe, mais du fait de l'intériorisation des interdits sa pratique ne serait pas ouverte. Soulignons d'une part qu'une législation spécifique est généralement mise en place lorsque le racisme est ouvert74. D'autre part, le racisme ouvert ressurgit lorsque les individus en présence se retrouvent dans une situation de conflit. Cela se produit globalement lorsque la personne noire est jugée comme n'étant pas à sa place75, autrement dit lorsque, par son comportement, elle est perçue comme ne jouant pas son rôle de pourvoyeur au moment où le dépendant en a besoin. Aucune substitution n'étant possible, le conflit éclate car la relation de dépendance chromatique est immédiatement remplacée par un rapport de domination, ce qui permet simultanément de la révéler. Si le dépendant veut que l'objet de pourvoyance lui soit remis par la personne qu'il identifie comme son pourvoyeur en ce moment, mais qui refuse de l'être, il est en effet obligé de le contraindre, autrement dit à le 72 Nous remercions Juan Matas pour la nuance apportée.

73 Notons que l'éclatement d'un conflit, comme cela fut le cas en Angola, peut contribuer à un assainissement des relations raciales. Nous remercions Jean-Louis Arcand pour avoir attiré notre attention sur ce point. 74 Nous remercions Juan Matas pour avoir attiré notre attention sur ce point.

75 Nous pensons notamment à toutes les agressions s'étant produites suite à l'emprunt de l'ascenseur principal (dit ascenseur 'social', car réservé aux habitants et à leurs invités, par opposition à l'ascenseur de service, réservé aux domestiques) par une personne noire ou métisse, et qui s'est faite agresser pour cette raison, étant considérée comme n'étant alors pas à sa juste place (autrement dit pas dans l'ascenseur de service).

traiter en dominé.

Cette première application du concept de dépendance dans un cadre chromatique binaire nous permet de dresser le cadre global de la dépendance chromatique. Sans métissage, ou du moins sans catégorie intermédiaire, la puissance conflictuelle de cette dépendance peut rapidement se mettre en acte par son abolition au profit d'un rapport de domination. La présence de catégories intermédiaires modifie considérablement cette facilité d'articulation entre dépendance et domination.

2.3. Une chaîne de dépendances chromatiques

Face à la mosaïque brésilienne des couleurs de peau, la dépendance chromatique n'est plus une relation triangulaire isolée. Tout pourvoyeur est également dépendant pour un même besoin et un même objet de pourvoyance.76 La chaîne de dépendances chromatiques qui en résulte, toujours conflictuelle, implique une plus grande résilience face à l'éclatement d'un conflit, d'autant plus que les déclarations de couleurs de peau peuvent faire coexister plusieurs chaînes.

2.3.1. Métissage et dépendance chromatique

Dans un premier temps, nous considérerons les couleurs de peau dans leur matérialité et non en termes de déclarations. L'important métissage au sein de la société brésilienne permet la mise en place d'une chaîne de dépendances chromatiques [Schéma 3.7]. A l'exception des personnes situées aux extrêmes du spectre des couleurs de peau, chaque individu est à la fois dépendant (d'une personne plus foncée) et pourvoyeur (d'une personne plus claire).

Schéma 3.7 : Une chaîne de dépendances chromatiques

76 Cela ne peut être pris pour une dépendance réciproque, définie par A. Memmi comme « une association où [...] chacun est, à la fois, dépendant et pourvoyeur de l'autre » [A. Memmi (1979/2005 : 43)].

LEGENDE

: personne blanche : personne métisse : personne noire : dépendance

Selon son emplacement dans le spectre des couleurs de peau, un individu peut également avoir plus de choix en termes de pourvoyeur [Schéma 3.8]. La chaîne des dépendances chromatiques est donc d'autant plus renforcée qu'il existe de couleurs de peau différentes et donc de possibilités de se différencier sur ce point.

Schéma 3.8 : Métissage et pourvoyeurs potentiels d'une personne blanche

Face au besoin de distinction en termes de couleurs de peau, la seule position directement inconfortable est celle de la personne noire qui, étant la plus foncée, n'a aucun pourvoyeur potentiel. Elle peut donc être amenée à rejeter la relation de dépendance au profit d'une relation de sujétion permettant de faire émerger un conflit, voué à l'abolition de la dépendance chromatique et donc au fait d'être cantonné par les autres au rôle de pourvoyeur [Schéma 3.9].

Schéma 3.9 : Chaîne de dépendances chromatiques et domination

LEGENDE