• Aucun résultat trouvé

raça [race] au Brésil

II. Les discriminations : une cause des inégalités au Brésil ?

2.2. Les multiples facettes de la discrimination selon la couleur de la peau

Dans les années 1950, la société brésilienne a été mise face à l'évidence de l'existence en son sein de préjugés, stéréotypes et discrimination envers les personnes à la peau foncée. Depuis lors, le discours officiel – qui est repris par l'ensemble de la société –, reconnaît, bien que difficilement, les limites de l'idéologie de la démocratie raciale. Cela n'a néanmoins pas permis de battre en brèche la discrimination, qui continue à être mise en œuvre tout au long du cycle de vie.

2.2.1. Un paradoxe brésilien : la simultanéité de la présence et de l'absence de discrimination

En 1995, Datafolha réalise une enquête sur le 'racisme cordial'103. Parmi les résultats, un 98 Le biais de variables omises implique une sous estimation des coefficients et donc une sous explication de

la variabilité du résultat.

99 J.L. Arcand / B. D'Hombres (2004).

100 Autrement dit, la méthode de décomposition d'Oaxaca ne permet pas, au sein de la parti 'justifiée' de distinguer les inégalités acceptées totalement de celles qui seraient acceptées ou rejetées de manière partielle.

101 Parmi les techniques disponibles, citons les régressions par quantiles [J.L. Arcand / B. D'Hombres (2004)]. 102 cf. L. Lobato (2000) pour les variables d'infrastructures du lieu d'habitation pendant l'enfance. cf. F.

Bourguignon / F. H. G. Ferreira / M. Menéndez (2003) pour la prise en compte du milieu familial pendant l'enfance. cf. S. Karlsen / J.Nazroo (2002) pour l'hétérogénéité en terme de santé et dans l'exposition à la violence. cf. J.L. Arcand / B. D'Hombres (2004) pour la prise en compte du secteur informel. cf. O. Arias / G. Yamada / L. Tejerina (2004), G. Mwabu / P. Schultz (1996), J. DiNardo / N. Fortin / T. Lemieux (1996), D. Bonjour / M. Gerfin (2001) et F. Bourguignon / F. H. G. Ferreira / P. G. Leite (2002) pour la prise en compte de la distribution des revenus.

103 Expression pour qualifier le racisme tel qu'il existe au Brésil, créée par analogie sur la base de celle de S. B. de Holanda 'o homem cordial' [l'homme cordial].

paradoxe apparaît. Il ressort en effet que entre 87,2 % et 88,7 % des enquêtés104 affirment ne pas avoir de préjugé envers les negros [noirs]105, que 89 % affirment que les brancos ont des préjugés envers les negros et que 61,4 % affirment que les negros ont des préjugés envers les

brancos.106 Il y aurait donc simultanément présence et absence de préjugés. Trois possibilités s'offrent à nous.107 Premièrement, les enquêtés mentiraient en affirmant ne pas avoir de préjugé, mais ils seraient les transcripteurs fidèles des situations observées où un préjugé est appliqué. Deuxièmement, les enquêtés ne mentent pas et ils ne décriraient pas des situations réellement observées en affirmant connaître des personnes ayant des préjugés, mais ils manifesteraient leur intégration du rejet de l'idéologie de la démocratie raciale. Troisièmement, les enquêtés ne mentent pas, ni dans la description de leurs croyances, ni dans celles des situations dont ils sont témoins.

De nombreux témoignages vont dans le sens de la première possibilité :

« J'ai écrit des sketches et je les ai présentés aux directeurs de cirque. Ils m'ont répondu : dommage que vous soyez noire »108

« D. Maria travaille pour moi. Quand je reçois des visites elle devient mécontente et triste et murmure :

- Mon Dieu du ciel, c'est la fin du monde! Dieu me punit. Le monde est à l'envers. Moi une Blanche, avoir une patronne noire... »109

« No Brasil não são poucas vezes que motoristas de táxi e ônibus interurbanos deixam de atender aos acenos de negros, tarde da noite ou não »110.

Un autre résultat de l'enquête réalisée par Datafolha confirme, après analyse des représentations collectées, que seuls 13 % des enquêtés seraient exempts de préjugé. Cette première possibilité est aussi validée par les conclusions de Roger Bastide et Florestan

104 La question est posée séparément aux individus qui ne s'auto-déclarent pas comme preto [noir] puis à ceux s'auto-déclarant comme tel.

105 Le contenu sémantique de negros n'est pas précisé au moment de la question. Les organisateurs de l'enquête font cependant l'hypothèse implicite que negros suit la définition de l'IBGE.

106 Opinião Pública (2005).

107 La coexistence d'un mensonge – donc que les enquêtés aient des préjugés – et de l'absence de préjugé dans les situations observées nous semble en effet impossible.

108 M. C. de Jesus (1962 : 80). 109 M. C. de Jesus (1964 : 125).

110 « Au Brésil, il n'est pas rare que les conducteurs de taxi ou de car interurbains cessent de s'arrêter lorsque des noirs leur font un signe, que ce soit tard la nuit ou non » [I. Carone dans I. Carone / M. A. S. Bento (2002/2003 : 23)].

Fernandes111 ainsi que par celles d'Octavio Ianni112. Enfin pour plusieurs auteurs113 cette possibilité est cohérente avec la nécessité, pour les élites, de défendre les avantages économiques, sociaux et symboliques hérités de la période esclavagiste.

Cependant, de nombreux éléments existent également en faveur de la deuxième possibilité. Comme le souligne Octavio Ianni, « no Brasil, é proibido ter preconceito »114. Autrement dit, il est interdit de remettre en cause l'idéologie de la démocratie raciale. Cela implique un certain aveuglement des acteurs115 lorsqu'ils sont en présence de préjugés et de discrimination, notamment du fait de l'existence d'opportunités individuelles d'ascension sociale pour les personnes n'ayant pas une couleur blanche :

« É verdade que alguns indivíduos que sobem 'sentem' menos intensamente a discriminação dos brancos. Mas isso provavelmente não decorre da diminuição das barreiras : Deve-se ao aumento da capacidade de ajustamento do mulato às situações raciais em que se encontram também brancos, o que lhe dá a impressão de que o preconceito diminuiu »116.

Enfin, cette non perception est confortée par la situation des États-Unis117 où la discrimination s'effectue de manière plus frontale. Il est alors par exemple possible à Maria Carolina de Jesus d'énoncer des propos a priori contradictoires, soulignant à la fois l'existence et l'absence de préjugés et de discrimination au Brésil :

« En 1925, les écoles recevaient les élèves noirs. Mais quand les élèves noirs rentraient de l'école, ils pleuraient et disaient qu'ils ne voulaient plus y retourner parce que les Blancs soutenaient que les Noirs puaient et ils ne voulaient pas jouer avec les Noirs aux récréations »118

« - Ils sont américains. 111 R. Bastide / F. Fernandes (1959).

112 La majorité de ses enquêtés démontrent avoir des préjugés, quelle que soit leur couleur de peau [O. Ianni (1966/2004 : 54 – 56)]. cf. O. Ianni (1966/2004 : 56 – 58, 60 – 62, 65, 70) pour une présentation des préjugés des personnes de couleur blanche. cf. O. Ianni (1966/2004 : 58 – 59, 61) pour une présentation des préjugés des personnes métisses et de couleur noire. Cet auteur souligne également l'existence de préjugés positifs où les hommes 'negros' [noirs] sont loués pour le travail physique et les femmes 'mulatas' [mûlatres] pour leur séduction [O. Ianni (1966/ 2004 : 85, 91)].

113 O. Nogueira (1985 : 23 – 24) et T. de Queiroz Júnior (1975, 1982 : 26). 114 « Au Brésil, il est interdit d'avoir des préjugés » [O. Ianni (1966/2004 : 114)]. 115 Contre lequel ils luttent néanmoins lorsqu'ils affirment que les préjugés existent.

116 « Il est vrai que certains individus qui connaissent une ascension sociale 'sentent' moins intensément la discrimination de la part des blancs. Mais cela ne découle probablement pas de la diminution des barrières : cela est du à l'augmentation de la capacité d'ajustement du mulâtre aux situations raciales dans lesquelles ils rencontrent aussi des blancs, ce qui leur donne l'impression que le préjugé a diminué » [O. Ianni (1966/ 2004 : 62)].

117 De la comparaison entre le Brésil et les États-Unis découle la célèbre distinction faite par Oracy Nogueira entre 'preconceito de marca' [préjugé de marque] (au Brésil où c'est l'apparence qui l'emporte) et 'preconceito de origem' [préjugé d'origine] (aux États-Unis où prévaut la règle de l'hypodescence) [O. Nogueira (1998 : 243 – 244)].

[...] Je me suis mise à transpirer. J'ai compris qu'un Noir en présence d'un Américain du Nord se sent toujours mal à l'aise. Il me semblent qu'ils regardent le Noir avec répugnance. Comme les Noirs doivent souffrir aux États-Unis! »119

« Je crois que je dois être contente d'être née au Brésil, où il n'y a pas de haines raciales. Ce sont les Blancs qui dominent. Mais ils sont humains, et la loi est la même pour tous. Si nous comparons les Blancs du monde entier, les Blancs du Brésil sont supérieurs »120.

Maria Carolina de Jesus a été sociabilisée dans un Brésil où le mythe de la démocratie raciale était fortement ancré et diffusé. Elle a donc intériorisé qu'il n'y a pas de préjugé et de discrimination selon la couleur de la peau au Brésil, ce qu'elle affirme ['il n'y a pas de haines raciales'] en dépit de ce qu'elle observe [les préjugés : 'les Noirs puaient' – la discrimination : le refus des enfants de couleur blanche de jouer avec ceux de couleur noire]. Elle ne voit pas que ce qu'elle décrit est une manifestation de préjugé et de discrimination. En revanche, dans la mesure où elle a également appris que les États-Unis sont un pays raciste, elle voit tous ses ressortissants comme tel.

La troisième possibilité se situe dans le prolongement de la deuxième, où la volonté de défendre la démocratie raciale n'abolit pas l'existence de préjugés et de discrimination. Même s'il y a un souhait que la démocratie raciale soit réelle – ce qui entraîne une non perception de certains phénomènes –, les individus ont conscience de l'existence de ces préjugés : « os brasileiros sabem haver, negam ter, mas demonstram, em sua imensa maioria, preconceito contra negros »121. Ils sont notamment révélés à travers l'éducation reçue pendant l'enfance, où sont intériorisés de nombreux préjugés122. Une fois à l'âge adulte, l'autocensure et la cordialité disciplinent et masquent ces préjugés intériorisés123 :

« O racismo, a despeito de todas as leis antidiscriminatórias e da norma politicamente correta da indesejabilidade do preconceito na convivência social, 119 M. C. de Jesus (1964 : 119).

120 M. C. de Jesus (1964 : 173).

121 Les Brésiliens savent avoir, nient avoir, mais démontrent, en leur grande majorité, un préjugé contre les noirs » [C. Turra / G. Venturini (1995 : 11)]. Les verbes 'haver' et 'ter', tous deux traduits ici par le verbe avoir, sont clairement distincts en portugais. Le verbe 'haver' fait référence à l'existence d'une chose : il a pour synonymes les verbes 'entender' [comprendre], 'existir' [exister], 'acontecer' [survenir] ou 'realizar-se' [se réaliser] [Dictionnaire Michaelis (2001/2007 : 437)]. Le verbe 'ter' comporte une dimension d'utilisation de cette chose : il a pour synonymes les verbes 'gozar' [jouir de], 'agüentar' [tolérer], 'obter' [obtenir] ou 'adotar' [adopter] [Dictionnaire Michaelis (2001/2007 : 853 – 854)].

122 cf. R. Sanjek (1971) pour une analyse des différentes étapes d'intériorisation des préjugés pendant l'enfance. cf. W. B. Coelho (2006) pour une revue critique de la littérature pour enfants ainsi qu'une analyse détaillée de la transmission des préjugés dans le cadre scolaire.

123 Ces stratégies sont notamment diffusées par des dictons populaires tels que « em casa de enforcado, não se fala em corda » pour l'euphémisme [« dans la maison du pendu, on ne parle pas de corde »] et « basta bater na cangalho, para o burro entender » pour la cordialité [« il suffit de battre sur le joug pour que l'âne comprenne »] [O. Nogueira (1998 : 198)]. O. Ianni (1966/2004 : 93 – 94) précise que les stratégies de dissimulation sont d'autant plus élaborées que le positionnement social est élevé.

apenas sofreu transformações formais de expressão »124

« Grande parde das manifestações racistas cotidianas são clandestinas e mal dimensionadas. Os legados cumulativos da discriminação, privilégios para uns, déficits para outros, bem como as desigualdades raciais que soltam aos olhos, são explicadas e, o que é pior, freqüentement 'aceitas', através de chavões que nenhuma lógica sustentaria, mas que possibilitam o não enfrentamento dos conflitos a manutenção do sistema de privilégios »125

Ils affleurent néanmoins régulièrement, notamment au travers d'une valorisation excessive des parcours ascensionnels des personnes à la peau foncée126.

2.2.2. Synergie des discriminations tout au long du cycle de vie

Des études quantitatives et qualitatives soulignent qu'il existe de la discrimination selon la couleur de la peau tout au long du cycle de vie. Autrement dit, nous nous retrouvons a priori face à la première ou à la troisième possibilité présentée supra. Le niveau d'éducation des enfants est traditionnellement fortement corrélé à celui des parents. Cela est moins le cas pour les individus negros127 [noirs] : le patrimoine scolaire acquis par leur père leur est difficilement transmis. En effet, ils doivent prouver leur valeur scolaire 'de zéro', contrairement aux individus brancos [blancs] pour lesquels le niveau d'éducation du père est une sorte de caution.128 A cela s'ajoute une moindre incitation à acquérir cet élément de capital humain, quel que soit le niveau d'enseignement. Pour Livio Sansone, l'arbitrage usuel existant entre travail et école n'est pas opératoire ici du fait d'un manque d'opportunités en termes d'emplois. De ce fait, les abandons scolaires doivent plutôt être interprétés selon lui comme un manque de confiance en l'éducation plutôt que comme une nécessité d'entrer sur le marché du travail.129 Il en est de même pour les études supérieures, dont les personnes negras se détournent car les bénéfices anticipés sur le marché du travail sont faibles.130

124 « Le racisme, en dépit de toutes les lois antidiscriminatoires et de la norme politiquement correcte d'indéséjabilité du préjugé dans l'intimité sociale, a seulement subit des transformations formelles d'expression » [I. Carone in I. Carone / M. A. S. Bento (2002/2003 : 23)].

125 « Une grande partie des manifestations racistes quotidiennes sont clandestines et mal mesurées. Les legs cumulatifs de la discrimination, privilèges pour les uns, déficits pour les autres, tout comme les inégalités raciales qui sautent aux yeux, sont expliquées et, ce qui est pire, fréquemment 'acceptées', à travers des modèles qu'aucune logique ne soutiendrait, mais qui rendent possible le non-affrontement des conflits et le maintien du système des privilèges » [M. A. S. Bento in I. Carone / M. A. S. Bento (2002/2003 : 147)]. 126 O. Nogueira (1998 : 201) cite plusieurs dictons effectuant une telle valorisation, à double tranchant car

continuant à véhiculer les préjugés. Il ne s'agit pas d'une valorisation sincère des efforts, effectivement plus importants dans certains cas, qu'il aura fallu fournir pour connaître une ascension socio-économique. 127 Tout au long de l'analyse de la synergie des discriminations, nous utilisons sauf mention contraire le terme

negros au sens de l'IBGE, c'est-à-dire qu'il correspond à l'agrégation des catégories preta [noire] et parda [brune].

128 L. Sansone (2003).

129 C. Hasenbalg / N. do V. Silva / L. C. Barcelos (1999 : 197).

130 L. Sansone (2003 : 33). Dans les faits, il existe un rendement très élevé sur le marché du travail du fait, pour les personnes negras [noires – sens de l'IBGE], d'avoir réussi l'examen d'entrée à l'université [B. D'Hombres (2004)]. En amont, ce rendement peut malgré tout apparaître comme trop faible étant donné

Sur le marché du travail131, la discrimination contre les individus negros est importante132 dans l'accès à l'emploi et la fixation du salaire et du revenu. Si le niveau d'éducation explique 48,52 % du moindre accès à un emploi pour les individus de couleur preta [noire]133, le reste peut être considéré comme de la discrimination à l'embauche. Concernant les inégalités de salaires entre les individus brancos [blancs] et negros, la discrimination est importante.134 Elle compte pour 16,76 % des écarts de salaires entre individus brancos et pardos [bruns] et 26,8 % de ces écarts lui sont attribuées entre les individus brancos et de couleur preta.135 Les conclusions en termes de salaires se retrouvent pour le revenu.136 Globalement, le capital humain des personnes negras n'est pas rémunéré à sa juste valeur137, ce qui conforte les anticipations réalisées en amont et qui déterminent l'ampleur de leur investissement éducatif. Concernant l'occupation exercée, la discrimination contre les individus negros, si elle existe, est faible.138 En revanche, il est possible de constater une auto-exclusion de certains emplois. Cette observation concerne plus les jeunes générations139, qui ont bénéficié d'un contexte moins marqué par les préjugés pendant leur enfance que leurs parents140 : le mythe de la démocratie raciale est dénoncé depuis les années 1950. Les jeunes negros sont donc moins enclin à accepter certains emplois auxquels ils préfèrent le chômage.141

Hors du marché du travail, il y a une coexistence entre une discrimination faible et forte selon que l'endroit soit doux ou dur.142 Parmi les endroits doux, citons les loisirs.143 Pour Livio Sansone, certains, comme la capoeira ou le candomblé, ne sont pas seulement des endroits doux mais ils apportent un avantage car les individus negros soit y sont majoritaires

l'investissement à fournir pour tenter ce concours et le risque d'échec. 131 cf. N. Lim / E. E. Telles (1998 : 465) et N. do V. Silva (1985).

132 L. Sansone (2003 : 52 – 53) fait une distinction entre les hard areas [endroits durs] et les soft areas [endroits doux]. Les endroits durs sont ceux où la discrimination contre les individus negros est importante, tandis qu'elle est faible ou inexistante dans les endroits doux. Le marché du travail fait partie des endroits durs.

133 J. L. Arcand / B. D'Hombres (2004) sur la base de la PNAD 1998. 134 P. A. Lovell (1999b : 149 – 150).

135 J. L. Arcand / B. D'Hombres (2004) sur la base de la PNAD 1998. Ces auteurs constatent également que la discrimination augmente lorsque les individus sont situés dans le haut de la distribution.

136 C. Hasenbalg / N. do V. Silva / L. C. Barcelos (1999 : 189 – 191) sur la base de la PNAD 1988. 137 C. Hasenbalg / N. do V. Silva / L. C. Barcelos (1999 : 197).

138 Elle est en effet de 3,8 % pour les individus pardos et 5,93 % pour les individus de couleur preta [J. L. Arcand / B. D'Hombres (2004) sur la base de la PNAD 1998].

139 L. Sansone (2003 : 32 – 37).

140 O. Nogueira (1998 : 241) constate déjà une telle rupture au moment de l'abolition. Celles des années 1950 en est donc un approfondissement.

141 L. Sansone (2003 : 34 – 35). Cela est notamment le cas pour l'occupation d'employé de maison. Soulignons que ce mécanisme s'atténue au fur et à mesure qu'ils sont plus âgés.

142 cf. la note de bas de page 132 supra.

143 J. d'Adesky (2001 : 85 – 96) et L. Sansone (2003 : 53). Il s'agit entre autres du café, des lieux où l'on danse la samba ou le forró, de carnaval, de l'église.

[capoeira] soit occupent une position hiérarchiquement supérieure [antériorité de l'initiation dans le candomblé].144 Quant aux relations amoureuses, elles font partie des endroits doux tant qu'elles ne sont pas sérieuses145. Lorsque le mariage est envisagé, elles deviennent des endroits durs, à tel point que Valérie Ribeiro Corossacz parle de colo-gamie (endogamie selon la couleur de la peau).146

Face à cette discrimination, les individus negros ne sont pas passifs. Si une dénonciation directe en faisant appel à la justice est rarement envisagée147, d'autres stratégies sont mises en œuvre. Elles sont toujours individuelles148 et peuvent être de deux ordres : s'auto-limiter et viser l'excellence. L'auto-limitation fait écho aux mécanismes de détermination de l'investissement scolaire soulignés supra : il s'agit de privilégier les petits projets afin d'éviter toute situation d'échec149. Viser l'excellence renverse complètement cet arbitrage : s'il y a de la discrimination sur le marché du travail, la stratégie devient d'acquérir le plus possible de capital humain pour atteindre la meilleure position possible150. Dans les deux cas cependant, ces stratégies contribuent à maintenir un contexte de préjugé car la première renforce l'image sociale négative des individus negros et la seconde n'empêche pas d'être sanctionné durement au premier faux pas.

Il existe donc au Brésil de la discrimination selon la couleur de la peau. Elle possède de multiples facettes, que ce soit dans les domaines qu'elle touche (éducation, marché du travail, relations amoureuses) ou dans ses mécanismes d'application. Elle peut en effet provenir de l'extérieur ou être exercée par les individus negros à leur propre encontre : ces derniers se retrouvent dans le bas de la hiérarchie économique, sociale, et symbolique. Il est alors possible d'affirmer que la discrimination selon la couleur de la peau est une cause des inégalités au Brésil.151 Mais cela n'implique pas qu'elle soit considérée comme une cause 144 L. Sansone (2003 : 52). Nous remercions particulièrement ici Jean Louis Arcand pour nous avoir précisé

cette dimension du candomblé. 145 V. Ribeiro Corossacz (2004).

146 La colo-gamie atteint 80 % [V. Ribeiro Corossacz (2004)]. J. L. Petruccelli (2001) fait les mêmes conclusions. O. Ianni (1966/2004 : 67 – 73) observait déjà dans une étude que les hommes brancos fréquentaient les bals mulatos [mulâtres] et negros [noirs au sens de pretos, ici] pour la bagatelle et les bals brancos pour trouver une fiancée.

147 M. Hanchard (1999 : 59) évoque une anecdote éclairante où une plainte n'a pu aboutir que parce que le père de l'individu negros discriminé occupait une position politique élevée.

148 O. Nogueira (1998 : 182) et O. Ianni (1966/2004 : 100 – 102). 149 O. Nogueira (1998 : 201).

150 O. Nogueira (1998 : 200) et O. Ianni (1966/2004 : 99 – 100).

151 Ce fait a d'ailleurs été publiquement reconnu en 1996 par Fernando Henrique Cardoso, alors président du Brésil [V. Ribeiro Corossacz (2004 : 7)].

majeure.152 La récente mise en place de politiques de discrimination positive a ravivé l'opposition traditionnelle entre les auteurs qui affirment que les inégalités découlent de l'histoire du Brésil – dont l'esclavage – et ceux qui identifient la discrimination comme étant le mécanisme majeur de production des inégalités. Les premiers s'opposent aux politiques de discrimination positive tandis que les seconds les défendent.153

III. Différents regards et sensibilité des mesures d'inégalités et de