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Conclusion du Chapitre

A RGUMENT ISSU DU CARACTÈRE OBLIGATIONNEL DU TRANSFERT DE PROPRIÉTÉ SOLO CONSENSU

B. Sens élargi du terme donner dans le droit romain

211. Calqué sur le sens large du terme dare. Suivant l’opinion minoritaire, le terme donner

en droit romain désigne le transfert de tout droit (1). Cette analyse qui demeure également limitée (2) présente toutefois une certaine proximité avec le système du Code civil de 1804.

1. Transférer tout droit

212. Le terme dare en droit romain. Cette opinion conteste le sens restreint du terme dare 716, soutenu par la doctrine précédente. Il ne désigne pas seulement le transfert du droit de propriété. Dare consisterait aussi, en droit romain, dans le transfert de l’usage, ou de la détention de la chose 717. Par conséquent le terme donner devrait s’entendre plutôt largement dans le système du Code civil. Ainsi, pour DEMANTE, peu importe le titre ; il pourrait s’agir de livrer une chose en vertu d’un contrat translatif de propriété, ou à titre de restitution 718. Le terme donner traduit ainsi la transmission de tout droit. Cette analyse semble entendue par le législateur moderne. À la suite de la réforme de 2016, le transfert de tout droit s’opère par principe solo consensu 719.

l’obligation une fois qu’elle est née, reste subordonnée à la réalisation de la fin poursuivie, car si cette fin ne se réalise pas, il n’est pas admissible que l’obligation garde sa force obligatoire. »

716 C. BRUNETTI-PONS, L’obligation de conservation dans les conventions, « Institut de droit des affaires de l’Université de droit, d’économie et des sciences d’Aix-Marseille », préf. Ph. MALINVAUD, PUAM, 2003, n° 8 : « Dare vient de do, qui signifie confier, remettre, transférer. Or, en droit romain, la propriété se

confondant avec la chose et le droit subjectif de propriété n’existant pas, le mot dare ne pouvait pas viser le transfert du droit. Le sens du dare était assez obscur à l’origine. »

717 C. DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon : Traité des contrats ou des conventions en général, tome 1, vol. 24, éd., Durand et Pedone Lauriel, Hachette et Libraires, 1877, n° 396, p. 378 : « Il n’est pas, comme

on vient de le voir, exact de dire que le mot dare, chez les Romains, exprimait exclusivement l’obligation de transférer la propriété ; il exprimait, aussi, dans une acception plus large, l’obligation de transférer l’usage ; et cette acception s’est conservée dans le style de nos lois et dans les habitudes de notre langage ; ajoutons qu’elle est, en effet, plus complète que l’autre, qui est insuffisante. »; A. M. DEMANTE,

Cours analytique de Code Napoléon, Continué depuis l’article 980 par E. COLMET DE SANTERRE, tome 5, Parsi Henri Plon, 1865, n° 52 et suiv. ; C. BUFNOIR, Propriété et contrat, « Coll. de la Faculté de droit et des sciences sociales de l’Université de Poitiers », LGDJ, 2005, p. 38 ; C. BRUNETTI-PONS, L’obligation

de conservation dans les conventions, « Institut de droit des affaires de l’Université de droit, d’économie

et des sciences d’Aix-Marseille », préf. Ph. MALINVAUD, PUAM, 2003, n° 8 : « Le mot dare

recouvre […], dans le Code civil, le transfert de la chose, lato sensu, transfert du droit associé à la chose comme dans la vente ou transfert de la simple détention dans d’autres cas. Ces précisions rendent compte de l’articulation des articles 1136 et 1137 du Code civil et en particulier de la généralité du deuxième texte, dont le champ d’application dépasse très manifestement la vente. »

718 A. M. DEMANTE, Cours analytique de Code Napoléon, Continué depuis l’article 980 par E. COLMET DE SANTERRE, tome 5, Parsi Henri Plon, 1865, n° 52 : « La loi prend le mot donner dans son acception la

plus générale. Ainsi l’obligation de donner comprend celle de restituer la chose à son propriétaire, comme celle de transférer à une personne, soit la propriété, soit le simple usage ou la simple possession (v. art. 1127). Dans un sens plus restreint, on n’entend par l’obligation de donner une chose, que celle d’en transférer la propriété. »

Cette opinion paraît refléter le sens de l’obligation de donner mentionnée dans les dispositions du Code civil. Cependant, il faudrait observer d’emblée qu’elle n’est pas assez claire. En effet, d’une part, une certaine contradiction peut être relevée dans la démarche de DEMOLOMBE. Celui-ci définit d’abord le terme dare comme consistant à transférer la propriété à titre onéreux 720. Et, il estime ensuite que ce mot ne signifie pas seulement transférer la propriété, mais aussi transmettre l’usage de la chose. Or, il semble opposer

dare, transférer la propriété, à transférer l’usage. Cet auteur voulait sans doute faire observer

que l’obligation de donner consiste à transférer aussi bien la propriété que l’usage de la chose. D’autre part, on voit que cette opinion se réfère aussi, en vue d’illustrer l’obligation de donner, au terme dare, utilisé en droit romain, ou au droit en général 721. Ce qui établit sa distance ou limite à l’égard du système du Code civil.

2. Limite de l’analyse

213. Référence au droit. Cette analyse commet la même erreur que l’opinion précédente. En

effet, elle n’a pas pu s’empêcher de considérer le but de la délivrance, au lieu de l’objet de celle-ci. Le terme dare ne peut toujours pas traduire l’obligation de donner, même s’il consiste à transférer non seulement la propriété, mais aussi d’autres droits réels ou personnels. Le transfert de l’usage, par exemple, n’est autre chose que la délivrance. De même, la restitution est la délivrance effectuée dans le sens inverse. Elle consiste à rendre la chose détenue au propriétaire 722. Ce qui n’est pas différent de l’exécution de l’obligation de livraison 723. L’obligation de restitution tient simplement sa dénomination spéciale du titre dont elle découle. Elle exprime ainsi l’objet de l’obligation, et renvoie en même temps au titre en vertu duquel elle s’effectue ; les fonctions que les concepts dare et donare ne peuvent

720 C. DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon : Traité des contrats ou des conventions en général, tome 1, vol. 24, éd., Durand et Pedone Lauriel, Hachette et Libraires, 1877, n° 396 : « Et d’abord, de quelle

obligation s’agit-il ? En d’autres termes, quelle est l’acception du mot : donner, que le législateur emploie ? Nous avons dit déjà que ce mot comporte, dans la langue juridique, trois acceptions différentes, et qu’il signifie : 1° Transférer la propriété à titre gratuit…donare, id est dono dare ; 2° Transférer la propriété, en vertu d’une autre cause…dare, id est rem accipientis facere ; 3° Enfin, plus généralement, transférer à une personne l’usage ou la possession d’une possession (art. 1127) ; c’est ainsi que l’on dit : donner en gage…donner à bail…cum res utenda datur […]. »

721 C. AUBRY et C. RAU, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariæ, tome 4, 6e

éd., par E. BARTIN, éditions techniques, 1920, p. 58 : « Les obligations de donner sont celles qui ont pour objet,

soit le paiement de sommes d’argent ou d’autres choses ayant, d’après la convention, le caractère de choses fongibles, soit la livraison d’une chose dont le créancier est autorisé à demander la mise en possession, en vertu d’un titre qui lui a conféré un droit réel sur cette chose, ou d’après lequel il doit en devenir propriétaire. »

722 Art. 1875 du Code civil : « Le prêt à usage est un contrat par lequel l’une des parties livre une chose à

l’autre pour s’en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s’en être servi. »

723 C. DEMOLOMBE, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, tome 1, vol. 24, éd., Auguste Durand et L. Hachette, 1868, n° 396, p. 373 : « […], le mot livrer s’applique à toutes les

obligations, dont la prestation consiste dans la tradition d’une chose, que le stipulant est autorisé à réclamer contre le promettant. »

remplir. Ceux-ci renvoient uniquement au titre, c’est-à-dire à l’intention des parties derrière l’opération ; ils ne traduisent proprement ni l’obligation ni l’action découlant de celle-ci. Les contrats de vente et de donation constituent leurs équivalents dans le système du Code civil. Autrement dit, les codificateurs n’entendent nullement caractériser l’obligation par le but de sa réalisation, mais plutôt par la prestation à effectuer par le débiteur. Raisonner en termes de dare ou de donare, c’est parler de vente ou de donation, mais non d’un objet de l’obligation 724.

214. L’objet de l’obligation. L’objet de l’obligation consiste dans la prestation à fournir à une

personne, qui a la qualité de créancier. Il se distingue ainsi de l’obligation, qui est un lien de contrainte en vertu duquel la prestation est fournie 725. Seule la remise de la chose représente, en l’occurrence, cette prestation, et donc l’objet de l’obligation 726. Quant à savoir le but de la remise, ou la nature du droit en vertu duquel celle-ci s’effectue, il faut se référer au titre, en d’autres termes, au contrat 727. La nature du droit sur la chose remise résulte du titre ; ce n’est pas de la remise que procède la nature du droit. Autrement dit, la remise de la chose ne peut révéler par elle-même avoir porté sur l’usufruit ou sur la propriété. Contrairement à certaine opinion 728, la nature de l’obligation résulte, dans le système du Code civil, par principe du contrat, c’est-à-dire de son titre, mais pas l’inverse, ni de son but ; l’objet de l’obligation ne peut renseigner sur la nature du contrat que par défaut de l’intention claire des parties. C’est aussi là l’un des points de rupture du droit français avec le droit romain.

724 M. FABRE-MAGNAN, « Le mythe de l’obligation de donner » RTD civ. 1996, p. 86, n° 26 : « […], la

division tripartie retenue pour classer les contrats spéciaux entre dare, le praestare et le facere n’est pas effectuée au sein des obligations mais réellement au sein des types de contrats. »

725 Ph. MALAURIE, L. AYNÈS et Ph. STOOFFEL-MUNCK, Les obligations, 6e

éd., LGDJ, lextenso éditions, 2013, n° 1 : « L’obligation de donner est le lien de droit unissant le créancier au débiteur. » ; F. TERRÉ, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, 11e éd., Dalloz, 2013, n° 2 : « La notion

d’obligation ne saurait être entendue efficacement de manière aussi diluée. C’est un sens plus étroit qui est couramment utilisé : l’obligation est un lien de droit, non pas entre une personne et une chose comme le droit de propriété, mais entre deux personnes en vertu duquel l’une d’elles, le créancier, peut exiger de l’autre, le débiteur, une prestation ou une abstention. »

726 J. CARBONIER, Droit civil, 4. Les obligations, 6e

éd., « Thémis droit », Puf, 1969, p. 7 : « Dans sa notion

la plus dépouillée, l’obligation apparaît comme un lien de droit existant spécialement entre deux personnes, en vertu duquel l’une doit faire quelque chose pour l’autre. »

727 C. AUBRY et C. RAU, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariæ, 6e

éd., par É. BARTIN, tome 4, Éditions techniques, 1951, p. 58 : « Les obligations de donner sont celles qui ont pour

objet, soit le paiement de sommes d’argent ou d’autres choses ayant, d’après la convention, le caractère de choses fongibles, soit la livraison d’une chose dont le créancier est autorisé à demander la mise en possession, en vertu d’un titre qui lui a conféré un droit réel sur cette chose, ou d’après lequel il doit en devenir propriétaire. »

728 J. HUET, « Des différentes sortes d’obligations et, plus particulièrement, de l’obligation de donner, la mal nommée, la mal aimée », in Études offertes à Jacques Ghestin, LGDJ, 2001, p. 425, n° 5 : « Un des

intérêts de l’obligation de donner, en dépit de la maladresse des mots, est de caractériser l’originalité des contrats ayant pour objet premier de transférer la propriété, de créer cette situation particulière. Ce n’est pas le moindre. »

215. Conclusion. En définitive, la conception du dare ne s’apparente pas à celle de l’obligation

de donner qui résulte des termes du Code civil de 1804. Dare ne correspond en réalité à aucune obligation. Il était opposé à donare en droit romain, mais, dans le droit français 729, ces termes sont réduits par la doctrine à un seul concept en faveur de dare, consistant ainsi à transférer la propriété à titre aussi bien onéreux que gratuit 730. L’on ne s’interroge pas sur ce qui a rendu possible cette réduction. La simplification repose exclusivement sur le droit de propriété, c’est-à-dire sur le but de la remise de la chose ; elle fait abstraction de l’élément important qui était à la base de l’analyse séparée de ces deux concepts : le titre. Ce qui fondait en effet l’opposition entre dare et donare, c’est la remise de la chose motivée par l’intention, de recevoir une contreprestation dans le premier cas, et de consentir une libéralité dans le second. Les deux concepts demeuraient identiques dans leur matérialité. Ils ne traduisaient aucune obligation, encore moins l’obligation de donner. Celle-ci ne s’incarne nullement dans le transfert de propriété.

§ 2.N

ATURE DU TRANSFERT DE PROPRIÉTÉ

216. Une autre controverse. Comme conséquence de la dénaturation du concept dare et de sa

transposition par la doctrine dans l’illustration du sens de l’obligation de donner, un autre débat porte sur la nature juridique du mécanisme de transfert solo consensu de propriété. Les discussions précédentes avaient pour objet de préciser le sens de l’obligation de donner, et semblent closes, avant la réforme de 2016, en faveur de l’acception restreinte, qui consiste dans le transfert du droit de propriété. Cependant, la façon dont le droit de propriété, ou tout droit se transmet dans le Code civil conduit à remettre en cause l’existence même de l’obligation de donner ainsi conçue. Ce qui aurait amené le législateur à la supprimer, du moins en théorie, par la réforme intervenue en 2016. On voit là à quel point la référence au concept dare issu du droit romain est bouleversante à l’égard du système du Code civil de 1804. Des auteurs rejettent la nature obligationnelle (A) prêtée au mécanisme de transfert de propriété résultant du Code civil ; ils considèrent à juste titre ce mécanisme comme relevant plutôt de l’effet légal du contrat (B).

729 Ch. LARROUMET (Sous la dir.), Droit civil, Les obligations, Le contrat, tome 3, 5e

éd., par Ch. LARROUMET, Economica, 2003, n° 56.

730 Ph. MALAURIE, L. AYNÈS et Ph. STOOFFEL-MUNCK, op. cit., n° 2 : « L’obligation de donner consiste à

transférer la propriété d’un bien. Si on la cantonne au transfert de la qualité de propriétaire, elle s’exécute en général d’elle-même, puisque en droit français, sauf exception, le transfert conventionnel de la propriété s’opère solo consensu (par le seul effet du consentement) (art. 938, 1138, 1583). » ;

Ph. DELEBECQUE et F.-J. PANSIER, Droit des obligations, Contrats et quasi-contrat, 6e éd., LexisNexis, 2013, n° 6.

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