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SOLO CONSENSU

T RAVAUX PRÉPARATOIRES DU C ODE CIVIL

B. Droits réels en faveur de l ’acquéreur

155. Doctrine du droit naturel et lieu de naissance des actions. Conférer les actions de

nature réelle à l’acquéreur dès la formation du contrat constitue aussi une consécration de la doctrine du droit naturel (1) ; il est en effet du souhait de celle-ci que la formation du contrat soit ainsi présentée comme le seul lieu de naissance de toutes les actions en justice (2) destinées à réaliser de façon obligatoire les engagements contractuellement pris.

1. Rappel de l’opinion de la doctrine du droit naturel

156. Transfer solo consensu de propriété. Le transfert solo consensu du droit de propriété

constitue l’aboutissement d’une évolution qui a traversé des siècles. Il est ainsi particulier au Code civil de 1804, et inspiré aussi de la doctrine du droit naturel 580. Il ne constitue pas néanmoins l’opinion générale de cette doctrine. Le transfert de la propriété par le même consentement qui a formé le contrat ne fait pas l’unanimité en son sein. Une partie de cette doctrine, dont DOMAT et POTHIER, rejette le principe du transfert de la propriété par le seul consentement ; elle soutient l’association du transfert du droit de propriété à la délivrance, sauf à accorder l’action au créancier en vue de forcer la transmission matérielle de la chose. Les rédacteurs du Code civil de 1804 sont allés au-delà de cette opinion des jurisconsultes réputés de l’Ancien droit français.

faut distinguer dans le contrat de vente, et dans tous les autres qui s’accomplissent par le seul consentement, deux sortes ou deux degrés d’accomplissement. Le premier est celui dont il est parlé dans cet art. 2 de la Section I., et le second est celui dont il est parlé ici dans cet art. 10. Leur différence consiste en ce que le simple consentement ne forme que l’engagement des contractants à exécuter réciproquement ce qu’ils se promettent ; ainsi le vendeur est obligé à la délivrance de la chose vendue, et l’acheteur au paiement du prix ; et c’est en ce sens que le contrat de vente est accompli par le seul consentement ; […]. ». Abondant dans le même sens, POTHIER disait : op. cit., n° 150 : « Les effets de

l’obligation par apport au créancier, sont 1°) le droit qu’elle lui donne de poursuivre en justice le débiteur, pour le paiement de ce qui est contenu dans l’obligation. »

580 M. L. LAROMBIÈRE, Théorie et pratique des obligations, tome 1, éd. A. DURAND, 1857, art. 1138, n° 3 : « Ce n’est sans doute pas une petite et stérile innovation que le principe posé dans l’article 1138. Le

Code Napoléon n’a même introduit nulle part de changement aussi grave, aussi fécond en conséquences, que lorsqu’il a attribué à l’obligation de donner la force de transférer la propriété immédiatement, sans le secours de la tradition. »

Suivant en effet leur vœu d’ouvrir les voies de toute nature à l’acquéreur en vue de l’accomplissement de la vente, les auteurs de ce Code aperçoivent dans toute la doctrine du droit naturel, la règle appropriée 581. Les seuls droits personnels qu’une partie de cette doctrine propose de conférer à l’acquéreur dès la formation du contrat, sont limités quant à leur domaine d’exercice ; ils permettent seulement de forcer le débiteur à remettre la chose aliénée. Ainsi, seuls, les droits personnels ne suffisent pas à effacer complètement le défaut du contrat de vente issu du droit romain et de l’Ancien droit français. L’effet obligatoire tant souhaité de la vente demeurerait restreint.

Or, les systèmes juridiques antérieurs rattachent un effet particulier au droit de propriété. Il est permis à celui qui se prétend propriétaire de faire prévaloir son droit par l’exercice d’une action spécifique. L’action en justice qui accompagne le droit de propriété peut être exercée à l’encontre de tout détenteur, autrement dit, aussi bien contre l’aliénateur qu’à l’égard d’un tiers 582 ; elle est incarnée dans la revendication en justice de la chose que seul celui qui se prétend propriétaire peut exercer 583. La prétention d’être propriétaire autorise par elle-même déjà son auteur à exercer une action rattachée à la nature réelle du droit : l’action en revendication 584. Celle-ci conjuguée à celles qui résultent de l’effet obligationnel du contrat, autrement dit, à des droits personnels, rend l’acquéreur tout

581 H. GROTIUS, Le droit de la guerre et de la paix, Nouvelle traduction par J. BARBEYRAC, tome 1er

, 1733, p. 427 : « […], il faut remarquer que la propriété de la chose vendue peut être transférée dès le moment

du contrat fait et passé, et avant la délivrance. C’est même la manière la plus simple de vendre ou d’acheter. » ; S. PUFENDORF, Le droit de la nature et des gens, op. cit., tome 1er, p. 561 : « Cela posé, il

est clair, que les conventions toutes seules suffisent pour faire passer d’une personne à l’autre la propriété considérée purement et simplement comme une qualité morale, détachée de la possession. » ;

C. WOLFF, Principes du droit de la nature et des gens, par J.-H.-S. FORMEY, Edition d’Amsterdam, 1758,

Collection « Centre de Philosophie politique et juridique, URA-CNRS, Université de Caen », 1990, tome 1, Livre 3, chapitre 4, n° 12.

582 Surtout le pouvoir exclusif qui en résulte pour le propriétaire. F. TERRÉ et Ph. SIMLER, op. cit., n° 143 et suiv. ; le droit réel est conçu par certains auteurs sous rapport obligatoire : M. PLANIOL, Traité

élémentaire de droit civil, tome 1, refondu et complété par G. RIPERT et J. BOULANGER, LGDJ, 1950, n° 2603 : « Le dernier terme du rapport, le sujet passif, est facile à découvrir : c’est toutes les autres

personnes qui sont tenues d’une obligation purement négative : cette obligation consiste à s’abstenir de tout ce qui pourrait troubler la possession paisible que la loi veut assurer au titulaire du droit. Le droit réel doit donc être conçu sous la forme d’un rapport obligatoire, dans lequel le sujet actif est simple et représenté par une seule personne, tandis que le sujet passif est illimité en nombre et comprend toutes les personnes qui entrent en relation avec le sujet actif. »

583 F. ZENATI-CASTAING et Th. REVET, op. cit., n° 192 : « L’acquisition d’un bien donne des pouvoirs à celui

qui en bénéficie. Ces pouvoirs ne doivent pas être perçus comme une manière de définir la propriété mais simplement de décrire ses effets. La définition de la propriété a été donnée au début de ce titre ; elle est le caractère de ce qui est propre ainsi que le pouvoir de celui auquel une chose est propre. Les prérogatives du propriétaire donnent un contenu à ce pouvoir ; elles ne sont rien d’autre qu’une manière subjective d’appréhender son statut. »

584 M. L. LAROMBIÈRE, Théorie et pratique des obligations, tome 1, éd. A. DURAND, 1857, art. 1138, n° 2, p. 421 ; F. TERRÉ et Ph. SIMLER, op. cit., n° 521 : « Action pétitoire par excellence, l’action en

revendication est celle qu’exerce le propriétaire, en cette qualité, contre le tiers qui détient indûment son bien et refuse de le restituer en contestant son droit. Elle tend à la reconnaissance du droit de propriété et à la restitution du bien. »

puissant 585. S’opérant toujours de façon automatique et étant l’effet légal du contrat, le transfert de propriété est désormais rattaché à la formation de celui-ci, en vue de conférer à l’acquéreur la faculté d’exercer toutes les actions. Le vendeur ne remplit aucun autre acte à titre de transfert de propriété. La seule validité de la formation du contrat emporte l’effectivité du transfert de la propriété. Et son invalidité entraîne l’absence de ce transfert, et inversement la restitution des prestations fournies.

157. L’incarnation de la réponse à l’attente des parties contractantes. La motivation des

parties, en concluant la vente, c’est d’opérer le déplacement du droit de propriété du vendeur à l’acheteur. Le transfert de la propriété relève de l’effet légal de la vente et se produit désormais concomitamment avec sa formation. Il n’est plus besoin d’alourdir le processus de ce transfert de formalités inutiles 586. La dénomination en elle-même de l’opération engagée suffit à révéler ce dont il s’agit. Comme il a été dit, pas plus que d’effet personnel, la vente ne produisait pas d’effet réel, sous l’empire du droit romain et de l’Ancien droit français. Par conséquent, la qualité de propriétaire de l’aliénateur n’avait aucune incidence sur la validité du contrat ; cette qualité est érigée de nos jours en une condition de formation du contrat 587. Ce qui importait c’est d’effectuer le transfert de la possession, c’est-à-dire de la maîtrise matérielle et de la jouissance de la chose vendue. Une fois ce transfert opéré, celui du droit de propriété s’ensuivait de façon automatique lorsque le vendeur était lui-même propriétaire de la chose : le transfert de propriété, effet lointain de la vente, était immédiat de la délivrance. Sous l’empire du Code civil de 1804 le transfert

solo consensu de propriété vise à marquer le lieu de naissance de l’effet obligatoire du contrat.

2. Lieu de naissance de toutes les actions en justice

158. La simultanéité entre la formation de la vente et le moment du transfert de propriété. Le Code civil réduit cette distance ne devant naturellement pas exister entre la vente et le moment du transfert de la propriété. Au lieu que ce transfert s’effectue à la suite de la tradition, il est désormais contemporain de la formation du contrat. Il en résulte que le consentement à la base de la formation du contrat engendre tous les droits attachés à la

585 M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, tome 1, refondu et complété par G. RIPERT et J. BOULANGER, LGDJ, 1950, n° 2611 : « Le propriétaire d’une chose ayant un droit opposable à tous

peut revendiquer sa chose entre les mains d’un détenteur quelconque. Il peut poursuivre le voleur ou tout autre possesseur de la chose pour lui réclamer son bien. Celui qui n’en est que créancier a seulement une action en restitution ou en indemnité contre la personne qui le lui devait ; il n’a pas d’action réelle, mais une simple action personnelle contre le débiteur, qui seul est tenu envers lui. On exprime cette différence en disant que le droit réel confère un droit de suite qui manque au droit de créance : le propriétaire suit sa chose en quelques mains qu’elle passe : le créancier ne peut attaquer que son débiteur. »

586 S. PUFENDORF, Le droit de la nature et des gens, op. cit., tome 1er

, p. 563 : « Il faut remarquer encore,

qu’il y a une délivrance réelle ou effective ; et une délivrance feinte, ou, comme on parle autrement, faite par main brève, c’est-à-dire, pour éviter des circuits inutiles. »

nature du contrat. Le premier né de ces droits est la propriété. Son transfert s’accomplit par principe avant celui des droits personnels, lesquels s’exercent comme ses conséquences, mais pas comme actes d’acheminement vers sa réalisation. Ce transfert par le seul consentement ajoute ainsi à la vente d’autres conséquences indéniables ; les effets personnels se trouvent renforcés. L’acquéreur devient titulaire du pouvoir que ne suffisent à lui conférer les seuls effets obligationnels de la vente. À l’inverse le vendeur est réduit, avant la prise de possession, ou la délivrance, à un simple détenteur de la chose 588.

159. Toute sorte d’actions résultant de la vente en faveur de l’acquéreur. Le domaine

d’action de l’acquéreur, dans le cadre de la délivrance, en ressort étendu 589. Large possibilité lui est offerte en vue de l’accomplissement du transfert physique de la chose vendue 590. Outre les actions personnelles que celui-ci tient du contrat, le droit de propriété l’autorise à exercer une action extracontractuelle 591. Celle-ci permet à l’acquéreur de revendiquer la chose entre les mains d’un tiers détenteur. Ce qui constitue une neutralisation d’une éventuelle mauvaise foi de la part du vendeur. Il est ôté à celui-ci toute tentative de contourner son obligation de délivrance, qui consisterait à confier la chose vendue à un tiers 592. Sous l’empire notamment du droit romain, aucune possibilité n’est offerte à l’acquéreur de revendiquer la chose vendue et détenue par un tiers ; sans l’effectivité de la délivrance, il ne peut se prétendre propriétaire de la chose. Il dispose désormais de tous les moyens possibles : les actions personnelles qui résultent du contrat de vente d’une part et celles réelles rattachées à la prétention d’être titulaire d’un droit de propriété d’autre part. Le vœu des rédacteurs du Code civil est ainsi réalisé. Dès la

588 F. ZENATI-CASTAING et Th. REVET, op. cit., n° 181 : « […], dès que le transfert de la propriété s’est

produit, l’aliénateur devient détenteur précaire de la chose vendue : il la possède pour le compte de l’acquéreur […]. »

589 M. PORTALIS, loc. cit., p. 113 : « Ce système est encore plus favorable au commerce. Il rend possible ce

qui ne le serait souvent pas, si la tradition matérielle d’une chose vendue était nécessaire pour rendre la vente parfaite. Par la seule expression de notre volonté, nous acquérons pour nous-mêmes, et nous transportons à autrui toutes les choses qui peuvent être l’objet de nos conventions. Il s’opère par le contrat une sorte de tradition civile qui consomme le transport du droit, et qui nous donne action pour forcer la tradition réelle de la chose et le paiement du prix. Ainsi la volonté de l’homme, aidée de toute la puissance de la loi, franchit toutes les distances, surmonte tous les obstacles, et devient présente partout comme la loi même. »

590 H.et L. MAZEAUD et J. MAZEAUD, Leçons de droit civil, tome 2, 3e

éd., Éditions Montchrestien, 1966, n° 1118 : « Quelle que soit sa véritable explication juridique, la règle de l’article 1138 C. civ. trouve une

justification sur le plan de l’équité. L’acheteur, devenu propriétaire, pouvait, sauf convention contraire, prendre livraison dès la conclusion de la vente ; […]. »

591 F. ZENATI-CASTAING et Th. REVET, op. cit., n° 197 : « […], l’action fondée sur un contrat est de nature

personnelle en ce qu’elle repose sur un engagement personnel, alors que l’action en revendication ne repose sur aucun engagement et tend à la consécration d’une prérogative sur une chose. Elle est en cela une action réelle. »

592 L’ancien article 1141 (1198 nouveau) du Code civil résout le conflit entre deux acquéreurs successifs. Le vendeur peut confier la détention de la chose à un tiers. En ce cas, le transfert solo consensu de propriété permet à l’acquéreur d’exercer le droit de suite, c’est-à-dire de réclamer la chose à ce tiers.

conclusion du contrat, l’acquéreur bénéficie du droit de suite, l’action pouvant être exercée à l’égard d’un tiers par la personne se prétendant titulaire d’un droit de propriété.

160. Conclusion. Le seul but du mécanisme du transfert solo consensu de propriété, pour lequel

cette règle est reprise d’une partie de la doctrine du droit naturel, c’est de rendre l’acquéreur maître de la chose dès la conclusion du contrat. C’est par conséquent de conférer au contrat, de nature à transférer le droit de propriété, son plein effet. Ce contrat ne pourrait produire pleinement son effet obligatoire, si l’on lui reconnaissait seulement ses effets personnels. Car, dans les contrats de cette nature, les effets du contrat d’un côté, et ceux qui résultent de la prétention d’être propriétaire, de l’autre, se complètent afin de conférer au contrat sa force obligatoire. Et, à l’image du droit romain, ce n’est pas à l’égard de la question de la charge des risques, que le droit de propriété doit se transférer solo consensu.

§ 2. L

A CHARGE DES RISQUES ET LE TRANSFERT DE LA PROPRIÉTÉ

161. La charge des risques, la délivrance, le transfert de la propriété. Les termes de

l’ancien article 1138 étant réputés peu clairs, ses interprètes ont souvent fait recours aux travaux préparatoires du Code civil. Ceux-ci ont semblé déterminants dans le soutien de l’existence de la règle res perit domino dans le système du Code civil de 1804 ; ils sont en effet souvent évoqués 593 à l’appui de l’opinion en vigueur suivant laquelle l’acheteur supporte les risques dès la formation du contrat en raison de sa qualité de propriétaire acquise dès cet instant. Or, bien que la règle res perit domino y soit mentionnée, les travaux préparatoires du Code civil démontrent plutôt parfaitement le rattachement de la charge des risques à l’obligation de délivrance. Leur examen révèle la quasi-absence de la question de la l’association des risques au transfert de la propriété (A). On verra qu’il ressort en revanche bien des travaux d’élaboration du Code civil, que l’attribution des risques est associée à la délivrance de la chose vendue (B).

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