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Conclusion du Chapitre

A RGUMENT ISSU DE LA CORRÉLATION ENTRE LE RISQUE ET LA PLUS VALUE DE LA CHOSE VENDUE

A. S ’agissant de la nature de la tradition de la chose

182. La plus-value dans la doctrine du droit naturel. Il convient de reprendre brièvement ici

la doctrine du naturel à l’égard de l’effet de la tradition issue du droit romain (1). Ce qui permettra de percevoir aisément le nœud de la critique de cette doctrine (2), qui n’a proposé qu’à titre d’alternative que l’accroissement survenu à la chose ainsi que les risques soient attribués au vendeur, autrement dit, au propriétaire.

1. La doctrine du droit naturel à l’égard de la tradition issue du droit romain

183. Tradition de la chose, acte non obligatoire en droit romain. La justification de la règle

res perit domino par l’attribution à l’acquéreur d’éventuels accroissements survenus à la chose,

s’appuie tout d’abord sur la critique de la doctrine du droit naturel à l’égard du droit romain 631. Or, le système du Code civil ne se prête pas à un tel argument. Certes, les auteurs du droit naturel préconisent que l’accroissement survenu à la chose, ainsi que les risques soient attribués au propriétaire. Mais, que les risques soient pour l’acheteur dès la formation du contrat, cela paraît inéquitable particulièrement dans la vente du droit romain. Car, le vendeur demeure propriétaire de la chose aussi longtemps que la tradition de celle-ci n’est effectuée. Cependant la logique de la doctrine du droit naturel, laquelle se retrouve incontestablement dans le Code civil de 1804, exclut son explication par la règle res perit

631 H. et L. MAZEAUD et J. MAZEAUD, Leçons de droit civil, tome 2, 3e

éd., Éditions Montchrestien, 1966, n° 1117 : « La règle romaine fut très vivement critiquée par les juristes de l’école du droit naturel. Ils

montrèrent qu’il n’y avait aucune commune mesure entre le profit provenant des fruits ou d’une plus- value, et la perte totale de la chose, et ils proposèrent de renverser la règle en faisant supporter les risques par le vendeur ; n’est-il pas normal et équitable que, quand une chose périt par cas fortuit, la perte soit pour le propriétaire ? Or, le vendeur demeurait propriétaire jusqu’à la livraison : res perit

domino. Ce qui est en réalité décrié par cette doctrine, ce n’est pas la qualité, en soi, de

propriétaire dont la vente n’est pas apte à dépouiller le vendeur, mais plutôt les prérogatives qui découlent en général de la vente pour les parties contractantes.

En effet, le droit de propriété considéré par l’école du droit naturel comme un « pouvoir

moral ou un simple droit » 632 se déplace automatiquement, à la suite de la tradition, à condition toutefois que l’aliénateur soit lui-même propriétaire de la chose vendue 633. Il est précédemment rappelé que la tradition dont dépend dans certaine mesure le transfert de la propriété ne constitue pas, à la différence du droit français 634, une obligation 635. L’exécution de la tradition engendre des obligations 636. Elle s’effectue aussi symboliquement. Il en est ainsi lorsque l’objet de la tradition ne peut être déplacé au lieu de la mancipation ou de l’in jure cessio. En ce cas, l’actio empti permet à l’acquéreur de forcer plus tard la remise matérielle de la chose. Cette action découle, autrement dit, de la tradition, mais non de la vente 637. Celle-ci, comme il a été démontré, ne crée pas d’obligation 638. La vente au comptant, c’est-à-dire celle dans laquelle la tradition de la chose et la formation du contrat sont concomitantes, ne laisse pas apercevoir ce défaut de la vente issue du droit romain 639. Mais celle dont les prestations caractéristiques doivent être exécutées plus tard,

632 S. PUFENDORF, op. cit., tome 2, p. 56.

633 C. DEMOLOMBE, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, tome 1, vol. 24, éd., Auguste Durand et L. Hachette, 1868, n° 416, p. 395 : « Argou dans ses Institutions au droit français, est,

sur ce point fort explicite. “Comme, parmi nous, dit-il, on met toujours une clause, dans les contrats de vente, par laquelle le vendeur se dépouille et se démet de la propriété et de la possession de la chose vendue pour en saisir l’acquéreur, ce qu’on appelle tradition feinte, dès le moment que le contrat est parfait et accompli, tous les droits, qui appartiennent au vendeur, passent en la personne de l’acquéreur ; de sorte que, si le vendeur était propriétaire, l’acquéreur devient aussi propriétaire.” »

634 J.-P. CHAZAL et S. VINCENT, loc. cit., n° 40 : « “Le transport du droit” dont il (Portalis) parle ne vise pas

le transfert de la propriété pleine et entière, mais le simple droit permettant, par l’action ex empto, à l’acheteur qui offre de payer le prix, de forcer la remise de la chose, la tradition réelle. »

635 GROTIUS critique vivement FRANÇOIS DE CONNAN qui soutenait que, selon le droit naturel, les simples conventions ne créent pas d’obligation et qu’il est loisible au promettant de tenir sa parole : H. GROTIUS,

op. cit., tome 1er, p. 398.

636 FRANÇOIS DE CONNAN est aussi critiqué par GROTIUS lorsqu’il estime, en défendant par là le droit romain, que les actions en justices pour l’exécution des conventions doivent naître de la délivrance : H. GROTIUS, op. cit., tome 1er, p. 398.

637 D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, 2e

éd., Economica, 2012, p. 221 : « Ensuite seulement

cette opération (mancipation) se fait à crédit : l’acheteur ne verse pas immédiatement le prix mais s’oblige à le payer et le vendeur ne procède plus au transfert immédiat de la chose mais s’engage seulement à la livrer à une certaine date. Alors cette opération économique prend vraiment l’allure d’un contrat, son accomplissement s’étalant dans le temps et faisant naître des obligations. »

638 S. PUFENDORF, op. cit., tome 2, p. 55 : « Et il ne sert de rien d’alléguer ici quelques lois, qui disent, que

quand, on a promis une certaine chose particulière et distinctement désignée, ou une chose en espèce, comme on parle, on n’est point garant au cas qu’on la perde. Car il s’agit de promesses gratuites : et en matière de ces sortes d’engagements il serait certainement absurde et injuste, que l’on fut tenu de donner ou la chose, ou la valeur ; la nature même de l’affaire ne souffrant pas une interprétation si étendue. »

639 D. DEROUSSIN, op. cit., p. 221 : « […], cette phase de la vente au comptant correspond à l’époque des

Douze Tables. La vente n’y est pas pratiquée sous la forme d’un contrat mais par le moyen de la

n’oblige pas le vendeur à trader ; tandis que les risques sont pour l’acheteur dès sa formation. C’est là ce qui a suscité la critique formulée par la doctrine du droit naturel.

2. Le nœud de la critique

184. Liberté dans l’exécution de la délivrance. La faculté qui résulte de la vente pour le

vendeur de trader la chose, alors qu’en même temps les risques sont mis à la charge de l’acheteur dès la formation du contrat, constitue la source d’incohérence dénoncée par la doctrine du droit naturel 640. Le vendeur demeure maître non seulement de la chose vendue, mais aussi de sa délivrance 641. L’iniquité est donc si grave qu’elle ne peut évidemment pas être corrigée par la perspective de l’appartenance à l’acheteur d’éventuels accroissements susceptibles de survenir à la chose. On ne comprend d’ailleurs pas que cette augmentation accidentelle appartienne à l’acquéreur, dans la mesure où il demeure incertain que la partie principale de la chose vendue lui sera transmise. La survenance du profit peut amener le vendeur à se rétracter du contrat, puisqu’il lui est loisible de l’exécuter. Son importance peut le dissuader de trader la chose vendue.

185. De simples expectatives pour l’acquéreur. La vente romaine ne crée que des

expectatives surtout pour l’acquéreur ; l’abus est ainsi permis au vendeur. Il n’y a par conséquent pas d’équilibre à mettre en balance les risques d’une part et l’espoir de plus- value d’autre part 642. La plus-value suit le principal ; elle appartient toujours au vendeur auquel il est loisible de se dessaisir de la chose. Il n’est pas du tout normal que les risques ne demeurent à la charge du vendeur, l’acquéreur ne pouvant obtenir la délivrance contre le gré de celui-ci. Les parties sont dans une situation identique, du point de vue du vendeur, à celle où elles se trouvaient avant la formation du contrat. Le refus d’appliquer ici la règle res

perit domino ne peut alors s’expliquer d’aucune façon 643. Ce n’est pas la prétendue plus-value

mancipation, acte translatif de propriété. Tout se termine entre les parties dès lors que, simultanément, la chose est livrée et le prix payé. »

640 Sont explicites à cet égard, les termes suivants employés par GROTIUS dans ses critiques contre FRANÇOIS DE CONNAN : H. GROTIUS, op. cit., tome 1er, p. 400 : « […] le Jurisconsulte Paul traitait-là de l’Action

personnelle pour répétition d’une chose non-due, qu’on a payée : or cette action cesse, lors qu’on a payé en conséquence d’une Convention, quelle qu’elle soit, parce qu’avant le paiement, et par conséquent lors que la chose était encore en son entier, on était tenu, par le Droit de la Nature et des Gens, de donner ce que l’on avait promis ; quoi qu’alors on n’eût point action en Justice par les Lois Civiles, qui, pour diminuer les occasions de procès, ne prêtent pas leur secours à ceux à qui il est dû quelque chose en vertu d’une simple Convention. »

641 S. PUFENDORF, op. cit., tome 2, p. 54.

642 B. STARCK, H. ROLAND et L. BOYER, Droit civil, Les obligations, 2. Contrat, 6e

éd., Litec, 1998, n° 2011. 643 A. COLIN, H. CAPITANT et L. JULLIOT DE LA MORANDIÈRE, Traité de droit civil, tome 2, Librairie Dalloz, 1959, n° 877 : « Comment expliquer, alors, que la règle romaine ait cependant subsisté, malgré

son injustice et les critiques qu’elle suscitait de la part de nos anciens auteurs […], et qu’elle soit même étendue à toutes les obligations de donner un corps certain ? »

qui peut justifier l’application de la règle res perit domino ; elle n’a aucune signification qui puisse lui conférer un statut particulier dans les effets du contrat 644.

186. La place de la plus-value dans la vente. L’éventualité de l’augmentation de la chose,

postérieurement à la formation du contrat, ne revêt d’ailleurs aucun caractère spécial. Elle se trouve même implicitement dans l’intention des parties lors de la conclusion du contrat. L’on acquiert toujours un bien en vue d’en tirer un profit, de le mettre en valeur. La vente suppose que la chose en elle-même n’est davantage utile à l’aliénateur que par sa disposition 645. Le vendeur doit supporter les risques, moins en tant que propriétaire, qu’en ce qu’il ne dépend pas de l’acheteur de prendre livraison. Certes, le transfert du droit de propriété emporte transfert des actions réelles, mais dans l’hypothèse du droit romain, outre celles-ci, les actions personnelles ne sont pas transférées. L’acheteur ne dispose d’aucun moyen pour forcer la délivrance.

A contrario, les risques ne doivent être pour l’acquéreur que lorsqu’il n’incombe qu’à

celui-ci de retirer la chose. Or, suivant la doctrine du droit naturel, au lieu que les actions naissent de la délivrance, il est plutôt de bon sens de conférer celles-ci à l’acquéreur en vue de forcer la remise matérielle de la chose. Le droit de propriété renfermant de puissantes prérogatives à cet égard, il est adéquat de rattacher son transfert au consentement qui se trouve à la base de la formation du contrat 646. Les actions de toute nature en résulteront en faveur du créancier de la délivrance. La nature de la délivrance, de même que le moment du transfert de propriété, est tout à fait différente de celle de la tradition du droit romain.

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