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SOLO CONSENSU

T RAVAUX PRÉPARATOIRES DU C ODE CIVIL

A. La quasi-absence de la question de la règle res perit domino

162. Deux hypothèses. On relève deux hypothèses dans lesquelles la règle res perit domino est

évoquée dans les travaux préparatoires du Code civil. Elle est ainsi mentionnée, d’une part, dans deux discours de présentation des projets de lois au corps législatif (1), et, d’autre part, dans les débats entre les jurisconsultes sur le projet de l’article 1585 (2).

593 M. PLANIOL et G. RIPERT, Traité pratique de droit civil français, tome 6, 2e

éd., LGDJ, 1930, n° 414, p. 564.

1. La règle res perit domino dans deux discours de présentation des projets de

lois

163. La logique. S’il existait, dans le système du Code civil, un rapport de dépendance entre la

charge des risques et le transfert de la propriété, ce serait évidemment une grande innovation 594. L’attribution des risques à l’acquéreur comme conséquence du transfert de la propriété n’existait pas en effet dans les précédents historiques de ce Code. Les risques étaient mis à la charge de l’acquéreur dès la formation du contrat 595. En revanche, on ne se souciait guère du transfert abstrait de la propriété, sans doute parce qu’il ne nuit pas à la jouissance de la chose par l’acquéreur. Étant ainsi une innovation, la question ne serait pas passée sous silence. Elle serait sans doute aussi vivement débattue que celle du transfert solo

consensu de la propriété 596. Et partout où il s’agit du transfert consensuel de la propriété, il

serait aussi évoqué la question de la charge des risques comme sa conséquence ou son enjeu majeur.

164. Mention incidente de la règle res perit domino. Tel n’est cependant pas le cas dans les

discussions sur le projet du Code civil. La question n’y apparaît qu’incidemment, encore moins en vue d’illustrer la conséquence du transfert consensuel de propriété. Le Conseil d’État adopte le projet de l’ancien article 1138 sans aucun débat 597. Certes certains tribuns chargés de présenter les projets au Tribunat ou au corps législatif ont mentionné dans leurs discours ou rapport la règle res perit domino ; ainsi, Bigot de Préameneu l’a rappelée dans son discours de présentation au corps législatif du projet de loi sur les obligations en général 598.

594 M. PLANIOL et G. RIPERT, Traité pratique de droit civil français, tome 6, 2e

éd., LGDJ, 1930, n° 414, p. 564 : « Si l’article 1138 met les risques à la charge de l’acheteur, c’est en conséquence de l’adoption

par le Code de la règle nouvelle du transfert de la propriété par le seul consentement, rapprochée de la maxime res perit domino, consacrée par notre ancien droit. »

595 H. GROTIUS, op. cit., tome 1er

, p. 428 : « Quand donc on dit, que le contrat de vente consiste en ce que le

vendeur s’engage à faire en sorte que l’acheteur puisse avoir la chose vendue, et à la garantir de toute éviction ; que la chose est aux risques et périls de l’acheteur, et les fruits lui appartiennent, avant qu’il acquière la propriété de la chose : ce sont toutes maximes purement de Droit civil, lesquelles même ne s’observent pas partout. »

596 Dans sa présentation du projet de loi sur les obligations en général, Bigot DE PRÉAMENEU insistait particulièrement sur le transfert consensuel de propriété comme l’innovation lors de la présentation de l’article 1138 du Code civil : P. A. FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, tome 13, p. 230 : « C’est le consentement des contractants qui rend parfaite l’obligation de livrer la

chose. Il n’est pas besoin de tradition réelle pour que le créancier doive être considéré comme propriétaire aussitôt que l’instant où la livraison doit se faire est arrivé. Ce n’est plus alors un simple droit à la chose qu’a le créancier, c’est un droit de propriété jus in re. », PORTALIS n’a nulle part

mentionné l’attribution des risques à l’acquéreur comme conséquence du transfert de la propriété lorsqu’il présente le projet de loi sur la vente ; il justifie le mécanisme du transfert solo consensu de propriété plutôt par sa vertu de conférer tous les droits à l’acquéreur en vue de forcer la délivrance et de jouir pleinement de la chose : P. A. FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, tome 14, p. 112 et suiv.

597 Lors des discussions, le projet de l’article 1138 du Code civil porte successivement les numéros 36 et 39. 598 P. A. FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, tome 13, p. 230 : « […] : si donc

elle [la chose vendue] périt par force majeure ou par cas fortuit depuis l’époque où elle a dû être livrée,

Mais il ne l’a pas ainsi mentionnée à titre illustratif de l’objectif recherché par le transfert

solo consensu de la propriété 599. De même, le tribun Grenier l’a mentionnée dans la

présentation faite au corps législatif du projet de loi sur le contrat de vente 600, mais sans aucune démonstration pouvant anéantir toute conception contraire.

Ces discours dans lesquels la règle res perit domino est mentionnée semblent revêtir un caractère tactique. Ils visent plus à emporter l’approbation du corps visé qu’une démonstration purement technique. La mention de la règle res perit domino permet simplement aux auteurs de ces discours d’éviter la difficulté à trouver un terme adéquat pour faire comprendre l’explication à la fois techniques et subtile de l’attribution des risques à l’acquéreur. On verra ci-dessus que l’attribution de la charge des risques y est assez bien séparée de la question du transfert de la propriété. Le caractère tactique de la mention de la règle res perit domino s’observe aussi dans les débats sur le projet de l’article 1585 du Code civil.

2. Débats sur le projet de l’article 1585

165. À l’égard de l’inquiétude exprimée par le consul Cambacérès. Lors des débats sur le

futur article 1585 du Code civil, le consul CAMBACÉRÈS exprime son inquiétude sur le risque de confusion, en ce qui concerne la charge des risques, entre la disposition de celui- ci et celle de l’article 1583. Il voit dans l’article 1583 du Code civil, l’application de la règle

res perit domino 601. Il exprime par conséquent le vœu que l’article 1585 ne s’applique pas de

la même façon. La réponse du consul TRONCHET vient dissiper cette inquiétude. Celui-ci dit clairement que l’article 1583 explique uniquement la façon dont une vente devient

la perte est pour le créancier, suivant la règle res perit domino. Mais si le débiteur manque à son engagement, la juste peine est que la chose qu’il n’a pas livrée au terme convenu reste à ses risques. Il faut seulement qu’il soit certain que le débiteur est en faute de ne pas l’avoir livrée ; il faut qu’il ait été constitué en demeure. »

599 BIGOT DE PRÉAMENEU dit que si la chose périt « depuis l’époque où elle a dû être livrée », il n’a pas dit : « depuis l’époque où la chose est due », laquelle expression pourrait renvoyer sans doute à l’époque de la formation du contrat. Mais tel qu’il s’est exprimé, l’orateur suggère l’hypothèse où le contrat est conclu, mais que la prise de livraison ne dépend pas que de l’acheteur. Car, la chose peut être un corps certain, mais sa livraison peut dépendre de certaines circonstances qui sont indépendantes de l’acheteur. D’ailleurs, l’orateur précise dans son discours que la perte est pour le créancier, mais non pour le propriétaire. Ce qui s’entend sans conteste que la perte est pour le créancier de la délivrance, duquel, dans la vente pure et simple, dépend, dès l’instant que le contrat est conclu, la prise de livraison. C’est à propos de cette dernière hypothèse que l’adage res perit domino est mentionné dans cette présentation. L’imputation de la charge des risques se fait donc en considération de l’état de la chose après la formation du contrat : si elle est livrable ou non, autrement dit, si elle peut être retirée par l’acquéreur.

600 GRENIER, « Discussions devant le corps législatif », in P. A. FENET, Recueil complet des travaux

préparatoires du Code civil, tome 14, Paris, 1827, p. 180, spéc. 184.

601 P. A. FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, tome 14, p. 21 et suiv. : le Consul Cambacérès dit de : « […] ne pas soumettre le cas de l’article 4 [art. 1585 du Code civil] à la disposition

de l’article 2 [art. 1583 du Code civil], qui, suivant l’axiome res perit domino, met la chose aux risques de l’acheteur du moment que la vente est parfaite. »

parfaite, mais qu’il ne porte pas sur celle de l’attribution de la charge des risques 602. Il s’agit bien là de deux opinions divergentes. L’une prétend que le moment du transfert de la propriété est automatiquement celui où la charge des risques pèse sur l’acquéreur ; l’autre objecte que le moment auquel la vente est parfaite n’est pas celui où les risques sont à la tête de l’acquéreur. Ce qui laisse entendre que la question de la charge des risques est bien séparée de celle du transfert de la propriété. Par ailleurs, en évoquant, dans ce débat, la règle res perit domino, le consul CAMBACÉRÈS semble manifester son souvenir sur ses avant- projets élaborés seul ; on peut donc comprendre sa préoccupation. C’est en effet la règle res

perit domino qu’il avait reprise dans l’un de ses avant-projets 603 ; il était sans doute de son vœu de voir cette règle définitivement consacrée. Il pourrait croire alors que le nouveau projet ne s’en est pas écarté, d’autant plus que la formulation du texte de l’ancien article 1138 est réputée subtile.

Le manque d’écho, dans les travaux préparatoires du Code civil, de l’association de la charge des risques au transfert de la propriété, n’est pas fortuit. Il en résulte que les codificateurs n’entendent pas lier ces deux questions. Certes l’on peut être porté à y voir, en ce qui concerne l’attribution de la charge des risques à l’acquéreur, la consécration de la règle res perit creditori issue du droit romain. L’on serait conduit à évoquer, à l’appui d’une telle conception, la doctrine du droit naturel en ce que celle-ci, en critiquant le droit romain, veut que les risques ainsi que les accroissements survenus à la chose après la formation du contrat, soient pour le propriétaire, en l’occurrence le vendeur, jusqu’à la délivrance de la chose 604.

166. La substance de la critique de la doctrine du droit naturel à l’endroit du droit romain. Toutefois, la critique de cette doctrine présente en substance un autre sens. Même si certaine opinion de la doctrine du droit naturel peut paraître peu claire 605, d’autres sont très explicites à cet égard. Elle procède essentiellement de l’inadmissibilité, en droit romain, du transfert du droit de propriété sans la tradition, laquelle était en général le transfert physique de la chose vendue. Pour l’école du droit naturel, seule la maîtrise matérielle de la chose permet sa jouissance effective par l’acquéreur. Or, on a vu que la vente romaine ne confère pas d’action à l’acquéreur en vue de forcer la tradition ; alors que celui-ci supporte

602 Idem., « Tronchet dit qu’il est inutile de changer la rédaction, parce que l’article 2 (1583) explique

comment une vente devient parfaite. »

603 P. A. FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, tome 1, p. 76, n° 15 et suiv. : « Du

moment que le contrat est formé, la propriété passe à l’acheteur ; jusqu’au temps de la livraison, le vendeur doit la lui conserver ; si elle périt dans l’intervalle, sans qu’il y ait faute de ce dernier, la perte en est toute entière pour l’acheteur. Si l’acheteur est en retard d’enlever, le soin de conserver la chose n’appartient plus au vendeur ; et si elle périt par défaut de soins, la perte n’en est moins pour l’acheteur. »

604 H. GROTIUS, op. cit., tome 1er

, p. 427 : « Si néanmoins on est convenu, que l’acheteur ne deviendrait pas

propriétaire aussitôt après le marché conclu ; le vendeur sera tenu en ce cas-là de transférer en son temps la propriété, et cependant la chose vendue sera à ses risques et périls, aussi bien qu’à son profit. »

les risques dès la formation du contrat 606, sous prétexte que lui appartiendrait une éventuelle plus-value survenue à la chose. Cette doctrine exprime à juste titre le vœu d’attribuer cette augmentation hypothétique de la chose ainsi que les risques au vendeur qui profite par ailleurs de la chose en sa possession jusqu’à la délivrance 607. Les éventuels fruits que représentent cet accroissement ne suffisent pas à dissimuler le déséquilibre contractuel en défaveur de l’acquéreur, dans la mesure où celui-ci demeure privé de pouvoir permettant de forcer la délivrance. Aussi longtemps que le vendeur possède la chose indépendamment de l’acquéreur, les risques doivent être à sa charge 608.

167. Le but recherché par la doctrine du droit naturel. L’équité s’instaure évidemment ainsi

dans les relations contractuelles entre le vendeur et l’acquéreur. Le vendeur se voit obliger tacitement de réaliser la délivrance. Notamment la perspective de ne pas pouvoir obtenir le paiement du prix en cas de perte de la chose peut conduire le vendeur à effectuer la délivrance. En revanche, celui-ci serait peu enclin à le faire lorsqu’il ne perdait rien en cas de destruction fortuite de la chose, alors qu’il ne subissait aucune contrainte externe.

Le plaidoyer de la doctrine du droit naturel en faveur de la prise en charge des risques par le propriétaire, ne renferme nullement le vœu de voir l’acquéreur supporter de façon systématique les risques dès qu’il est déclaré propriétaire de la chose vendue 609. Il est

606 S. PUFENDORF, op. cit., tome 2, p. 54 : « On sait que le Droit Romain met cette perte sur le compte de

l’acheteur, quoique, selon ces mêmes Lois, le Vendeur soit Maître de la chose vendue tant qu’il ne l’a pas encore délivrée. Mais d’où vient donc que partout ailleurs c’est tant pis pour le Maître, si ce qui lui appartient périt ou est endommagé sans la faute de celui entre les mains de qui il se trouve ? ». La

dernière phrase fait référence à la règle res perit domino lorsque la chose déposée entre les mains d’un dépositaire perd sans la faute de celui-ci. Le propriétaire, qui est aussi créancier de l’obligation de restitution supporte cette perte. En réalité, donc, il s’agit de la règle res perit creditori, mais pas de la règle res perit domino. Traduire la règle par référence au droit de propriété au lieu de l’obligation de restitution n’a aucune logique.

607 H. GROTIUS, op. cit., tome 1er

, p. 428 « Quand donc on dit, que le contrat de vente consiste en ce que le

vendeur s’engage à faire en sorte que l’acheteur puisse avoir la chose vendue, et à la garantir de toute éviction ; que la chose est aux risques et périls de l’acheteur, et que les fruits lui appartiennent, avant qu’il acquière la propriété de la chose : ce sont toutes maximes purement de Droit civil, lesquelles même ne s’observent pas partout. Bien plus : la plupart des anciens législateurs ont jugé à propos d’établir, que, jusqu’à la délivrance, la perte ou les profits d’une chose vendue seraient pour le compte du vendeur. C’est ce que Theopraste remarque, dans un passage que Stobée nous a conservé, et où l’on trouvera plusieurs autres coutumes touchant les formalités des ventes, sur les Erres, sur la faculté de se dédire ; le tout fort différent de ce qui est établi par le Droit Romain. »

608 S. PUFENDORF, op. cit., tome 2, p. 55 : « Mais d’où vient que dans un contrat intéressé de part et d’autre,

comme la vente, lorsque le vendeur n’a pas encore exécuté ce à quoi il est tenu par le contrat, l’acheteur doit se résoudre à perdre la marchandise, et à la payer pourtant ? Pour moi, il me semble, que le meilleur moyen pour découvrir ici les règles de l’Équité Naturelle, c’est de distinguer si le retardement de la délivrance vient de ce que la marchandise ne pouvait être transportée qu’en un certain temps au lieu où elle devait être livrée, ou de ce que le vendeur est en demeure de la délivrer ; ou bien s’il n’a tenu qu’à l’acheteur d’en prendre possession. Dans les deux premiers cas, il n’y a point de doute que la perte soit pour le compte du vendeur. »

609 H. GROTIUS, op. cit., tome 1er

, p. 429 : « Il faut savoir encore, que, si une même chose a été vendue deux

fois, celui des acheteurs à qui l’on aura transféré d’abord la propriété de la chose, soit par la délivrance, ou autrement, sera celui dont l’achat subsistera. Car le transport présent de propriété a fait passer à cet

restreint à la dénonciation de la latitude dont bénéficie le vendeur notamment dans l’exécution de l’obligation de délivrance. L’absence de contrainte offre en effet à celui-ci la possibilité d’être indifférent à l’égard de la vente ; il peut ne pas s’exécuter ou traîner en longueur la délivrance, alors que son cocontractant se trouve déjà investi de la charge des risques. L’on peut, avec la doctrine, se demander pourquoi ne pas appliquer dans un tel rapport la règle res perit domino qui s’appliquait déjà dans les contrats de dépôt et de gage.

168. Conclusion. La motivation de cette doctrine est bien suivie par la majorité des rédacteurs

du Code civil. C’est ce qui explique non seulement la quasi-absence, dans les travaux préparatoires de ce Code, de débat sur la dépendance entre la charge des risques et le transfert du droit de propriété, mais aussi le manque de mention expresse de la l’association de ce transfert à la délivrance.

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