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SOLO CONSENSU

P RÉCÉDENTS HISTORIQUES DU C ODE CIVIL

B. Doute sur l ’effet obligatoire de l’ emptio-venditio

2. Les conceptions romaines de l’obligation

117. Deux conceptions. Il semble que les romains ont deux conceptions de l’obligation. La

première qui paraît relever du droit civil identifie l’obligation à l’action en justice (a) ; la seconde se dégageant du droit des gens sépare l’obligation de l’action en justice (b).

a. Identification de l’obligation à l’action en justice

118. Obligation civile. La première conception de l’obligation en droit romain fait dépendre

celle-ci de l’existence d’une action en justice 448. Il paraît s’agir là de ce qu’on appelle « obligation civile » sanctionnée par une action civile 449 ; l’obligation suppose une action en justice préexistante dans les lois civiles pour sa sanction. L’action décrit l’acte pour la

446 G. HUBRECHT, Manuel de droit romain, tome 2, Les obligations, LGDJ, 1943, p. 66 : « […], le Droit

romain exige, en principe tout au moins, pour la formation d’une obligation contractuelle normale, une certaine formalité ou un certain élément extérieur. Le consentement ne constitue en effet qu’un pacte nu et, comme le précise Ulpien dans un passage célèbre : le pacte n’engendre pas d’obligation : “Nuda

pactio obligationem non parit” (D. 2. 14. 7. 4.). N’engendrant pas d’obligation, il n’est, bien entendu, pas

sanctionné par une action “Ex nudo pacto actio non nascitur” (Sent. de Paul, 2. 14. I). Les actes extérieurs destinés à transformer le pacte nu en contrat muni d’action varient selon les cas. » ;

P. VASSART, Manuel de droit romain, Bruylant, 2015, p. 226 : « […] la simple convention est, pour les

Romains, un accord qui ne les engage juridiquement — donc n’est sanctionné par la possibilité d’une mise en œuvre judiciaire — qu’à la condition d’être revêtu des formes exigées par le droit civil, ou d’être assorti de la tradition de la chose qui en fait l’objet, ou encore d’avoir été reconnu, dans l’édit du préteur, comme ayant force obligatoire : ainsi contrat et convention ne sont-ils donc pas synonymes pour les Romains et un défendeur ne peut-il être attrait en justice que s’il y a contractus et non simple

conventio ou pactum ; ».

447 P. VASSART, Manuel de droit romain, Bruylant, 2015, p. 227 : « […] à l’origine, les seuls actes

juridiques portant sur des biens consistent sans doute en transferts de propriété au comptant (ventes ou donations par mancipatio ou in iure cessio) tandis que seuls des faits juridiques (délits) peuvent générer des obligations (peine, réparation du dommage) dont l’exécution est, par la force des choses, différée dans le temps. » ; R. MONIER, Manuel élémentaire de droit romain, tome 1, Paris, Les Éditions Domat- Montchrestien, F. Loviton & Cie, 1935, n° 104 : « La vente est, à la fin de la République et sous l’Empire,

un contrat faisant naître des obligations à la charge de chacune des parties : mais cette vente génératrice d’obligations qui doivent être ensuite exécutées, n’a toujours pas existé à Rome. » En ce qui concerne la

période de l’ancien droit romain : E. CHEVREAU, Y. MAUSEN et C. BOUGLÉ, Histoire du droit des

obligations, 2e éd., LexisNexis, 2011, p. 3 : « Il s’agit de la période qui va de la fondation légendaire de

Rome (753 av. J.-C.) jusqu’au milieu du IIe siècle avant notre ère. »

448 G. HUBRECHT, Manuel de droit romain, tome 2, Les obligations, LGDJ, 1943, p. 13 : « […] en droit

romain c’est la sanction qui conditionne l’existence et l’ampleur même du droit. »

449 Ibid., p. 13 : « Les obligations civiles sont sanctionnées par une action, fondée sur une loi, un plébiscite,

sanction duquel elle est prévue 450. Les jurisconsultes romains expriment en général l’obligation par les termes d’action en justice. Ainsi, un acte ne revêt un caractère obligatoire que lorsqu’il offre à son bénéficiaire le moyen préexistant d’obtenir par force sa réalisation 451. La force obligatoire du contrat se manifeste alors par ses effets permettant au créancier d’une obligation d’exiger son exécution d’une façon ou d’une autre, contre le gré du débiteur 452. Au départ, les romains ne conçoivent pas d’obligation, sans action préexistante en justice à la base 453. L’action permet de contraindre à la réalisation de la prestation convenue. Une dépendance étroite existait entre l’action en justice et l’obligation, si bien que celle-ci était considérée comme résultant de celle-là. De ce point de vue, le contrat ne crée d’obligation que lorsqu’une action en justice en résulte pour l’exécution forcée de ses prévisions 454. En d’autres termes, l’obligation ainsi que l’action pour sa concrétisation sont nées du contrat au même moment, c’est-à-dire du consentement qui se trouve à la base de la formation du contrat. Tel ne semble pas le cas, même dans l’autre conception où l’obligation est séparée de l’action.

450 D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2007, p. 14 : « […] ce qui est au cœur du

procès romain, au moins à l’époque classique, c’est la formule de l’action plus que le droit matériel auquel elle se réfère. »

451 G. HUBRECHT, Manuel de droit romain, tome 2, Les obligations, LGDJ, 1943, p. 4 : « Normalement, il

n’ya d’obligation que là où il y a une action astreignant à l’exécution. […]. En l’absence de toute sanction juridique, il n’y a pas d’obligation […]. » ; D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2007, p. 14 : « Si l’obligation est un lien, c’est qu’elle s’accompagne au profit de son

bénéficiaire d’un moyen de pression visant à contraindre : l’exercice d’une action en justice, parfaitement mis en valeur […]. S’obliger, c’est offrir à un autre un moyen juridique de nous contraindre en vue de quelque chose. » ; P. F. GIRARD, Manuel élémentaire de droit romain, réédition présentée par J.-P. Lévy, Dalloz, 2003, p. 415 : « Le droit personnel, obligatio, appelé créance du côté actif, dette du

côté passif, l’obligation est, dit-on en résumant deux définitions données par Justinien et par Paul, le droit d’une personne (créancier, creditor, reus credendi) en face d’une autre (débiteur, debitor, reus

debendi) à un acte ou à une abstention, sanctionné par une action […]. », Ibid., p. 679 : « Celui qui a une

créance peut en général contraindre judiciairement son débiteur à l’exécuter. Il peut pour cela lui faire un procès, obtenir un jugement en vertu duquel il procédera à une exécution, dont le caractère a d’ailleurs beaucoup varié. »

452 C. AUBRY et C. RAU, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariæ, tome 4, 6e

éd., par E. BARTIN, éditons techniques, 1920, p. 8 : « On entend par obligations civiles, toutes celles qui se

trouvent sanctionnées, d’une manière complète, par le Droit positif, au moyen d’une action, c’est-à-dire du droit accordé au créancier d’en poursuivre l’accomplissement à son profit, par les voies légales et sous la protection de l’État. »

453 G. HUBRECHT, Manuel de droit romain, tome 2, Les obligations, LGDJ, 1943, p. 4 : « Comme le droit se

caractérise surtout chez les romains par sa sanction, toute obligation au sens juridique de ce mot aura une sanction. Normalement ce sera une sanction directe, c’est-à-dire une action. » ; G. FOREST, Essai sur

la notion d’obligation en droit privé, « Nouvelles bibliothèque de Thèses, vol. 116 », préf. F. LEDUC, Dalloz, 2012, n° 184.

454 E. CHEVREAU, Y. MAUSEN et C. BOUGLÉ, Histoire du droit des obligations, 2e

éd., LexisNexis, 2011, p. 10, n° 6 ; D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2007, p. 14 : « Dans la

conception romaine, le droit (ius) est […] inséparable de l’action en justice. L’action est le moyen de la sanction du droit et il n’y a de droit que s’il y a une action permettant de faire émerger, sur le plan du droit une situation. Ce qui est au cœur du procès romain, au moins à l’époque classique, c’est la formule de l’action plus que le droit matériel auquel elle se réfère. »

b. Séparation de l’obligation de l’action en justice

119. Obligation prétorienne. La deuxième conception romaine de l’obligation sépare

l’obligation, droit substantiel, de l’action en justice. L’obligation constitue la causa de l’action 455, autrement dit, elle fonde l’existence ou l’exercice de l’action en justice. Cette conception semble se trouver à la base de l’hypothèse des « obligations prétoriennes ou

honoraires » 456, dont la sanction résulte de l’édit ou du bon vouloir du magistrat 457. La sanction d’un acte, autrement dit, le caractère obligatoire de celui-ci dépend de l’appréciation du magistrat : l’action qui permet de sanctionner un acte, est édictale ou décrétale selon qu’elle est promise d’avance dans l’édit ou décrétée par un préteur 458 pour un cas particulier 459. À cette hypothèse, on peut assimiler les actes sanctionnés par les actions découlant des stipulations particulières des contractants ; l’action est stipulée par ceux-ci en vue de sanctionner un comportement bien prévu et déterminé. Ainsi, le caractère contraignant de l’obligation n’est nullement modifié. L’action en justice découle de la prestation contractée. C’est dire que cette action ne naît pas directement du contrat, mais constitue la conséquence spécifique de la prestation créée par le contrat, en vue de l’exécution forcée de celle-ci.

120. Conclusion. Aucune de ces deux conceptions ne se retrouve dans la vente romaine, en ce

qui concerne les prestations consistant dans la délivrance de la chose vendue et dans le payement du prix. Certains jurisconsultes romains laissent entendre de façon vague que leur vente crée d’obligations 460. Certes, quelques actions existent, cependant on verra que

455 D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2007, p. 15 : « Le droit savant commence à

séparer le droit et l’action. Il identifie le ius au droit matériel et voit simplement dans l’action le droit au procès. S’agissant du droit des obligations, cette évolution se manifeste par l’insistance avec laquelle, dès les commentaires pré-accursiens […], l’obligation est présentée comme la causa de l’action. La primauté est désormais donnée à l’obligation, au droit matériel, l’action étant censée découler de ce droit. »

456 G. HUBRECHT, Manuel de droit romain, tome 2, Les obligations, LGDJ, 1943, p. 13 : « […] on

oppose […] les obligations civiles aux obligations prétoriennes ou honoraires. »

457 Ibid., p. 13.

458 E. CHEVREAU, Y. MAUSEN et C. BOUGLÉ, Histoire du droit des obligations, 2e

éd., LexisNexis, 2011, p. 5 : « Il s’agit d’un magistrat chargé de régler les litiges entre Romains et pérégrins (les étrangers qui

n’ont pas la citoyenneté romaine), et entre pérégrins résidant à Rome. »

459 G. HUBRECHT, op. cit., p. 13 : « Les obligations prétoriennes ou honoraires sont sanctionnées par une

formule fondée sur l’initiative du magistrat : l’action qui la sanctionne peut être édictale, c’est-à-dire promise d’avance dans l’édit, ou décrétale, c’est-à-dire accordée pour un cas particulier, par un décret du préteur, rendu après examen de la cause. »

460 Corps de droit civil romain en Latin et en Français, tome 3, Digeste, Livre XIX, Titre I, p. 5 : « Si le

vendeur refuse de faire la délivrance de la chose, l’acheteur a action contre lui pour se faire payer de l’intérêt qu’il avait qu’elle lui fût livrée. Et cet intérêt peut quelquefois en excéder la valeur réelle, si celui qu’a l’acheteur surpasse la valeur ou le prix qu’il a donné de la chose. », Ibid., p. 11 : Ulpien écrit

ceci : « […], le vendeur doit faire à l’acheteur la délivrance de la chose elle-même : d’où il s’ensuit que

la propriété de la chose passe à l’acheteur, si le vendeur en est le maître. Si le vendeur n’en est pas le maître, il est obligé envers l’acheteur, dans le cas où la chose lui sera évincée, pourvu toutefois que le

celles-ci découlent plutôt de l’exécution de la prestation, soit de la délivrance, soit du payement du prix. Une telle action ne peut viser que la suite de la prestation fournie. Ce sont ces actions qui sont appelées en général « actions de la vente », dont il convient de vérifier l’exercice à l’égard des prestations caractéristiques.

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