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Risque de confusion entre la vente romaine et celle du Code civil

SOLO CONSENSU

P RÉCÉDENTS HISTORIQUES DU C ODE CIVIL

B. Doute sur l ’effet obligatoire de l’ emptio-venditio

1. Risque de confusion entre la vente romaine et celle du Code civil

114. Conception répandue de la vente romaine. Le droit romain connaît aussi plusieurs types

d’opérations conventionnelles 435 de transfert de la propriété ou du droit réel en général, dont l’emptio-venditio, c’est-à-dire le contrat de vente 436. Cependant celle-ci constitue depuis son apparition, comme de nos jours, le mode le plus usuel et représentatif. Elle est présentée en général comme non translative de propriété 437. Elle semble en revanche considérée comme créatrice d’obligations 438. Elle est, en cela, habituellement opposée aux

435 P. F. GIRARD, op. cit., p. 317 : « La tradition est une opération à triple face qui transfère tantôt la

détention, tantôt la possession, tantôt la propriété. Cela dépend du fait juridique qui la motive et qui est appelé, quand il doit justifier un transfert de propriété, la justa causa. Il semblerait même, en partant de là, que la justa causa exigée devrait être rigoureusement ce fait concret lui-même, vente, donation, convention d’échange, de prêt, etc. » ; J. GAUDEMET et E. CHEVREAU, op. cit., p. 238 ; R. MONIER,

Manuel élémentaire de droit romain, tome 1, Paris, Les Éditions Domat-Montchrestien, F. Loviton & Cie, 1935, n° 293.

436 G. HUBRECHT, Manuel de droit romain, tome 2, Les obligations, LGDJ, 1943, p. 112 et suiv.

437 R. MONIER, Manuel élémentaire de droit romain, tome 1, Paris, Les Éditions Domat-Montchrestien, F. Loviton & Cie, 1935, n° 293, p. 483 : « Le principe qui domine notre matière, c’est qu’à Rome, la volonté

des parties est impuissante, à elle seule, à faire passer une chose du patrimoine de l’aliénateur dans le patrimoine de l’acquéreur : il faut nécessairement que cette volonté se manifeste extérieurement par un acte solennel ou matériel qui consiste dans l’emploi de l’un des trois procédés mis à la disposition des intéressés. » ; J.-F. BRÉGI, Droit romain : les biens et la propriété, « Universités-Droit », ellipses, 2009, n° 367 et suiv.

438 P. F. GIRARD, Manuel élémentaire de droit romain, réédition présentée par J.-P. Lévy, Dalloz, 2003, p. 578 et suiv. ; M. BUSSMANN, L’obligation de délivrance du vendeur en droit romain classique, thèse de doctorat présentée à la Faculté de droit de l’Université de Lausanne, Lausanne imprimerie C. Risold & Fils, 1933, p. 7 : « […], il paraît certain qu’il y a une obligation du vendeur à faire un acte de transfert

de propriété, notamment, à faire mancipation de la res mancipi vendue. » ; G. HUBRECHT, Manuel de

droit romain, tome 2, Les obligations, LGDJ, 1943, p. 112 et suiv. ; A. M. DEMANTE, Cours analytique

de Code Napoléon, Continué depuis l’article 980 par E. COLMET DE SANTERRE, tome 5, Parsi Henri Plon, 1865, n° 55 bis ; P. OURLIAC et J. de MALAFOSSE, Histoire du droit privé, tome 1, Les obligations, « Thémis », Puf, 1961, n° 243 ; M. PLANIOL et G. RIPERT, Traité pratique de droit civil français, tome 3,

Les biens, avec le concours de M. PICARD, LGDJ, 1926, n° 618 : « Le droit français a abandoné l’antique

principe qui rendait la tradition nécessaire pour le transfert. Le contrat est, dans nos lois, non seulement productif d’obligations, comme il l’était déjà en droit romain, mais translatif de propriété. » ; R. JUAN- BONHOMME, Le transfert des risques dans la vente de meubles corporels, thèse Montpellier, 1978, n°8 ; F. COLLART DUTILLEUL et Ph. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, 7e éd., Dalloz, 2004, n° 186 ; E. CHEVREAU, Y. MAUSEN et C. BOUGLÉ, op. cit., n° 42, p. 77 ; R. ROBAYE, op. cit., p. 114 : « Le droit romain a dès le départ établi et toujours maintenu le principe selon lequel la vente, étant un

contrat, donc un simple accord de volontés, ne peut transférer de droits réels. Tout au plus crée-t-elle des obligations dans le chef des parties. Le vendeur a l’obligation de livrer la chose, l’acheteur celle de payer le prix. Par contre, le transfert de propriété s’effectue par un acte distinct, par un mode approprié. » ; B. GROSS et Ph. BIHR, Contrats, ventes civiles et commerciales, baux d’habitation, baux

commerciaux, 2e éd., Puf, 2002, n°254 ; P.-H. ANTONMATTEI et J. RAYNARD, Droit civil, Contrat

spéciaux, 7e éd., par J. RAYNARD, LexisNexis, 2013, n° 155 : « Dans le droit romain, le contrat d’achat

vente (emptio-vendito) faisait naître des obligations mais n’emportait aucun effet translatif. Le transfert de propriété supposait la réalisation d’un acte autonome, différent selon les choses et les époques : la

mancipatio (solennités), l’injure cessio (procès factice), la traditio (remise de la chose) ; cette dernière

supplantant les précédentes dès l’époque classique. L’exigence de la tradition contrariait cependant le développement du commerce qui appelait rapidité. » ; D. MAINGUY, Contrats spéciaux, 9e éd., Dalloz, 2014, n° 125 ; Ph. SIMLER, Les biens, 3e éd., PUG, 2006, n° 102 ; F. TERRÉ et Ph. SIMLER, Droit civil, Les … / …

contrats innommés seuls reconnus comme inaptes à produire des effets obligatoires 439. Toutefois, cette dernière vertu prétendument perçue dans la vente romaine ne paraît pas vérifiable.

115. La subtilité pouvant camoufler l’effet non obligatoire de la vente romaine. En effet,

un regard moins attentif peut considérer que la vente romaine diffère de celle issue du Code civil de 1804 seulement en ce qu’elle n’est pas apte à transférer la propriété 440. Car cette différence ne peut être camouflée, elle est nettement perceptible. En revanche, l’autre différence consistant dans son inaptitude à créer des obligations semble revêtir une grande subtilité 441. Les prestations caractéristiques sont les mêmes dans les deux ventes depuis le droit romain : délivrer la chose vendue et payer le prix de celle-ci. D’autre part, la vente romaine est réputée consensuelle 442 au même titre que celle du Code civil français. Certains

biens, 8e éd., Dalloz, 2010, n° 396 ; Ph. MALAURIE, L. AYNÈS et P.-Y. GAUTIER, Droit des contrats

spéciaux, 8e éd., LGDJ, 2016, n° 61 : « Puisqu’elle donnait naissance à des actions en justice, la vente

était obligatoire ; mais le transfert de propriété n’était pas réalisé par le contrat, car il supposait l’accomplissement d’un acte distinct, la mancipatio (un acte rituel), l’in jure cessio (un procès fictif) ou, surtout, la traditio (la remise de la chose à l’acheteur). » ; J.-F. BRÉGI, Droit romain : les biens et la

propriété, « Universités-Droit », ellipses, 2009, n° 367.

439 M. DURANTON, Traité des obligations conventionnelles en général suivant le Code civil, tome 1, 3e

éd., Toussaint, Libraire-éditeur, 1846, n° 418, note de bas de page n° 1 : « Et nous pouvons ajouter, dans les

échanges, en droit français. En d’autres termes, la convention d’échange est obligatoire comme la convention de vente, quoiqu’il n’y ait eu encore aucune tradition de part ni d’autre ; à la différence du droit romain, où la convention d’échange, dabo rem meam, ut des mihi rem tuam, n’eût été qu’un simple pacte, non obligatoire tant qu’il n’y aurait pas eu d’exécution de la part de l’une des parties. » ;

F. TERRÉ, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, 10e éd., Dalloz, 2009, n° 31 : « […],

le droit romain avait une vision très concrète du contrat. Droit essentiellement procédural, il considérait qu’un contrat n’était pleinement obligatoire que s’il faisait partie d’une catégorie à laquelle une action avait été accordée. Seuls les contrats nommés étaient efficaces. Toute différente est la conception du Code civil. » ; P. F. GIRARD, Manuel élémentaire de droit romain, réédition présentée par J.-P. Lévy, Dalloz, 2003, p. 624 ; G. HUBRECHT, Manuel de droit romain, tome 2, Les obligations, LGDJ, 1943, p. 8 : « […], peu à peu, on s’était efforcé de sanctionner d’abord en droit prétorien, puis en droit civil, les

conventions bilatérales lorsqu’elles avaient été exécutées par l’un des participants : ces conventions formeront au Bas-Empire la nouvelle catégorie des contrats dits “innommés”. »

440 R. MONIER, Manuel élémentaire de droit romain, tome 1, Paris, Les Éditions Domat-Montchrestien, F. Loviton & Cie, 1935, n° 112 : « La vente étant un contrat et les contrats étant, en droit romain, distincts

des modes d’acquisition de la propriété, la conclusion définitive de la vente n’aura pour effet que de faire naître des obligations à la charge des deux parties : c’est là une importante différence avec notre droit moderne qui admet que dans la vente, la simple convention a normalement pour effet de transférer immédiatement à l’acheteur la propriété de la chose vendue. » ; G. HUBRECHT, Manuel de droit romain, tome 2, Les obligations, LGDJ, 1943, p. 112 : « La vente romaine est uniquement génératrice

d’obligations, de droits personnels, et non pas translative de droits réels. Elle s’oppose en cela à la vente française, qui, lorsqu’elle porte sur un objet déterminé, est automatiquement translative de propriété (art. 1138 et 1583, C. civ.). »

441 En outre, il semble que la notion d’obligation est relativement plus récente que celle de la propriété : G. HUBRECHT, Manuel de droit romain, tome 2, Les obligations, LGDJ, 1943, p. 4 : « L’obligation est

une notion plus récente que la propriété ; elle suppose en effet le crédit, c’est-à-dire une certaine confiance en l’avenir. »

442 Corps de droit civil romain en Latin et en Français, tome 12, Les Institutes, Livre III, Titre XXIV, p. 180 : « Les obligations se contractent par le seul consentement dans les ventes, les loyers, les sociétés, les … / …

termes employés dans la description de la vente romaine sont de nature à entraîner une confusion entre celle-ci et la vente issue du Code civil français. Les jurisconsultes romains emploient ainsi souvent des termes tels que « l’action de la vente » ou « l’action de l’achat » 443 en vue de les distinguer de l’action qui résulte d’une stipulation expresse en faveur d’une partie contractante. L’on peut alors être porté à jeter le même regard sur les prestations caractéristiques identiques de ces deux ventes 444, autrement dit, à prêter à la vente romaine la vertu de la vente réglementée par le Code civil de 1804.

116. Les observations de Portalis. Cependant, l’examen minutieux des caractères de ces

prestations principales confirme les observations de PORTALIS, qui semblent contraires à l’affirmation répandue selon laquelle la vente romaine engendre des obligations. Dans les travaux préparatoires du Code civil, celui-ci fait en effet observer très justement, à propos de la vente romaine, qu’il s’agit d’un acte non-créateur d’obligations 445. Cette opinion se rencontre aussi dans certains commentaires consacrés dans des termes généraux au droit

mandats. » ; P. VASSART, Manuel de droit romain, Bruylant, 2015, p. 249 ; J.-F. BRÉGI, Droit romain,

Les obligations, « Universités-Droit », ellipses, 2006, p. 186 : « Contrat purement consensuel, la vente n’a besoin d’aucune formalité pour se former. » ; G. HUBRECHT, Manuel de droit romain, tome 2, Les

obligations, LGDJ, 1943, p. 112.

443 Corps de droit civil romain en Latin et en Français, tome 12, Les Institutes, Livre III, Titre XXIV, p. 181 : « […] nous avons décidé dans notre constitution, que lorsqu’une vente serait faite de cette manière, au

prix que fixera un tel, la vente sera censée conditionnelle : en sorte que si celui qui a été nommé fixe un prix, l’acheteur sera obligé à payer ce prix sans rien rabattre, et le vendeur à livrer la chose ; de manière que la vente aura un plein effet, et donnera à l’acheteur l’action de l’achat, et au vendeur l’action de la vente. » ; Corps de droit civil romain en Latin et en Français, tome 3, Digeste, Livre XIX, Titre I, p. 25 :

Gaïus écrit ceci sur l’Edit du préteur : « Les anciens, en parlant de l’action qui naît de la vente et de

l’achat, l’appelaient indifféremment action en conséquence d’une vente, action en conséquence d’un achat. »

444 J.-F. BRÉGI, Droit romain, Les obligations, « Universités-Droit », ellipses, 2006, p. 185 : « La vente-

contrat, en tant que contrat consensuel, ne met à la charge des parties que des obligations, dont l’exécution n’est plus obligatoirement instantanée, et qui, au contraire, peuvent être différées dans le temps, payer le prix pour l’acheteur, livrer la chose pour le vendeur. »

445 M. PORTALIS, « Présentation au corps législatif et exposé des motifs », in P. A. FENET, Recueil complet

des travaux préparatoires du Code civil, t. 14, p. 113 : « Dans la vente, la délivrance de la chose vendue et le paiement du prix sont des actes qui viennent en exécution du contrat, qui en sont une conséquence nécessaire, qui en dérivent comme l’effet dérive de sa cause, et qui ne doivent pas être confondus avec le contrat. L’engagement est consommé dès que la foi est donnée. Il serait absurde que l’on fût autorisé à éluder ses obligations en ne les exécutant pas. Le système du droit français est donc plus raisonnable que celui du romain ; il a sa base dans les rapports de moralité qui doivent exister entre les hommes. » ; Voir

en général à propos des contrats des peuples primitifs : P. VIOLLET, Précis de l’histoire du droit français, Paris, L. Larose et Forcel, Libraires-Éditeurs, 1886, p. 505 : « Nous définissons aujourd’hui un contrat

l’accord de deux ou plusieurs volontés pour produire un effet juridique. Chez les peuples primitifs l’accord de deux volontés ou, si l’on veut, le simple consentement ne suffit pas pour constituer un contrat ; aussi ai-je défini le contrat des peuples primitifs l’accord sensible des volontés. Dans le vieux droit romain comme dans le droit germanique, l’accord de deux volontés ne produit un effet juridique qu’autant qu’il s’y joint une forme déterminée ou une prestation (res). En d’autres termes, il n’existe en droit germanique que des contrats formels (on dit aussi formalistes) ou réels ; pas de contrats consensuels. Aussi bien, c’est là un fait général : les contrats formalistes ou réels ont précédé partout les contrats purement consensuels. »

romain 446 ; néanmoins, l’on semble ici restreindre la période de la vente non obligatoire à l’ancien droit romain 447. Or, il paraît constant que la vente romaine, à la différence de celle issue du système du Code civil Napoléon, n’engendre que des promesses non obligatoires.

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