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80. Incertitude générée par l’équivocité de l’abstention. L’incertitude est une conséquence directe de l’équivocité de l’abstention. Ceci s’explique effectivement par le fait que l’incertitude est liée à ce qui est indéterminé, inconnu, ambigu ou complexe, or, tous ces qualificatifs renvoient parfaitement au caractère équivoque de l’abstention. Mieux, ils le justifient.

Les attitudes découlent en général d’une interaction, c’est-à-dire d’un comportement individuel en relation avec celui d’une autre personne, et supposent une réciprocité, or l’abstention brise cette interaction. Le dénouement de

251 Art. R. 322-40 CPCE. 252 Art. R. 322-41 CPCE.

253 P. HÉBRAUD, « Observation sur la notion du temps dans le Droit civil », Études offertes à

Pierre KAYSER, t. II, 1979, n° 5 p. 7, « De par sa nature, la durée est une donnée que les

contractants ont à subir, mais dont ils peuvent également se servir ». Cité par O. LITTY, L’inégalité

des parties et durée du contrat. Étude de quatre contrats d’adhésion usuels, LGDJ, Bibl. dr. privé, t.

322, 1999, p. 8.

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l’opération est alors hypothétique255. En effet, « L’incertitude est par nature mal connue, et prête au doute ; elle ménage les hypothèses, les supputations et les conjectures »256. De fait, elle engendre souvent une sensation d’inconfort257. Il est vrai que l’homme ressent alors le besoin de clarification et voudrait pouvoir lever le doute258. C’est donc parce que l’abstention crée une situation confuse qu’elle engendre de l’incertitude.

81. Définition de l’incertitude. L’incertitude est définie de deux manières259. Il s’agit dans un premier sens de l’état d’attente d’une chose incertaine sur laquelle la personne n’a, de fait, aucun contrôle. Le second sens, quant à lui, renvoie à l’état de quelqu’un qui ne sait pas quel parti prendre. Parfois, et c’est souvent le cas en matière d’abstention, les deux sens vont se cumuler. Ainsi, autrui est face à quelque chose dont le contrôle, appartenant au titulaire de la prérogative, lui échappe. C’est la raison pour laquelle il risque de ne pas savoir quelle décision prendre pour protéger ses intérêts. Dès lors, non seulement le destinataire de l’abstention subit des pertes de différentes natures, mais il se voit en plus confronter à une importante incertitude, source d’hésitations rendant a priori sa position encore plus délicate. Dès lors, il est digne d’intérêt de se demander comment l’abstention atteint directement les certitudes de ses destinataires directs ou indirects sur la situation en cause.

82. Difficultés posées au travers de l’abstention d’invoquer la nullité du contrat. Le fait que l’abstention génère de l’incertitude est problématique à deux niveaux comme le démontre l’exemple de la nullité relative, même s’il est vrai que l’ordonnance du 10 février 2016 permet l’interpellation interrogatoire en la

255 S. VALORY, La potestativité dans les relations contractuelles, avant-propos I. NAJJAR, préf. J.

MESTRE, PUAM, 1999, p. 54, n° 60.

256 Cass. 1ère civ. 22 mars 2012, n° 11-10935, note M. REZGUI, Dalloz actu. 18 avril 2012, « Perte

de chance : la causalité s’induit nécessairement du caractère fautif de l’omission constatée » ; D. 2012, p. 877 ; RTD civ. 2012, p. 529, note P. JOURDAIN ; RDC, 2012, n° 3, p. 813, note N. CARVAL ; Cass. 1ère civ. 22 mars 2012, n° 11-11.237, RLDC 2012, n° 93, p. 22, note G.

NESTOUR DRELON ; adde M.H. « Le rappel des conditions de la réparabilité de la perte de chance », Dalloz actualités 5 avril 2012, http://actu.dalloz-etudiant.fr/

257 « Ah ! Qu’il m’explique un silence si rude ; je ne respire point dans cette incertitude » (Racine,

Bérénice, acte II, scène 5).

258 Ce n’est toutefois pas toujours le cas notamment lorsque l’abstention, cet état intermédiaire

l’arrange et qu’il espère pouvoir s’en prévaloir. Cf infra.

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matière260. Un contrat est en effet susceptible d’être atteint d’une nullité relative à cause de l’inobservation d’une règle au stade de sa formation. Si le contractant victime du vice, seul titulaire du droit d’agir en nullité261 n’y renonce pas262 en ayant conscience des vices affectant le contrat, n’intente pas d’action en justice263 ou ne se rapproche pas de son cocontractant pour que la nullité soit constatée d’un commun accord264, il s’abstient. Aussi, en premier lieu, des craintes peuvent-elles naître, puisque le cocontractant qui n’a pas seul la capacité de confirmer le contrat risque de voir ce dernier annulé et de ne pas pouvoir profiter de la contrepartie de son obligation. De plus, un créancier confronté à une inexécution, peut hésiter avant d’agir en justice contre son débiteur, par crainte qu’il lui oppose en défense l’exception de nullité265 qui est perpétuelle266. En second lieu, de l’insécurité juridique néfaste aux contractants voire aux tiers, véritable épée de Damoclès, est générée. Cette insécurité concerne certes le contrat présent mais aussi ceux que ce dernier aurait éventuellement initiés267. Plus largement, l’insécurité juridique nuit au crédit qui, pour être, a besoin de confiance, elle-même dépendante de certitudes.

83. Paradoxe. Néanmoins, le destinataire de l’abstention extrait plus souvent des espoirs et des croyances que des craintes de son incertitude. C’est pourquoi l’incertitude est trompeuse (§1) en ce qu’elle est propre à décevoir le destinataire de l’abstention lorsque les attentes et les espérances qu’elle a fait naître chez lui ne se réalisent pas. Pourtant, l’incertitude comme conséquence de l’équivocité de

260 Cf Infra n° 203.

261 Cas de nullité relative. De plus, elle doit être prononcée par le juge. 262 Art. 1182 C. civ.

263 « Il n’y a pas de nullité automatique », C. RENAULT-BRAHINSKY, op. cit. p. 99.

264 Art. 1178 C. civ. Nouveauté ord. 10 fév. 2016. Madame RENAULT-BRAHINSKY (op. cit. p.

99) nous invite cependant à relativiser cette nouveauté qui se réduit à la simple affirmation explicite de ce qui était déjà possible. Rien n’empêchait les parties auparavant de constater la nullité et de corriger le contrat ou de le réduire à néant d’un commun accord.

265 Sur les conditions de la recevabilité de l’exception de nullité, v. not. Cass. 1ère civ. 15 janv. 2015,

n° 13-25512 et 13-25513, Gaz. Pal. 21 fév. 2015, p. 18, note L. LAUVERGNAT ; JCP G. 2015, p. 306 ; Defrénois, 15 juin 2015, note H. LÉCUYER ; RTD civ. 2015, p. 609, note H. BARBIER

266 Art. 1185 C. civ.A contrario, le débiteur peut s’abstenir d’agir en nullité parce qu’il sait qu’au

besoin, l’exception de nullité échappe à la prescription (B. FAGES, Droit des obligations, LGDJ, Manuel, 6ème éd. 2016, p. 181, n° 198.), Contr. l’idée d’une exception de nullité perpétuelle V.

MAZEAUD, « Proposition de modification de l’article 1185 C. civ : l’exception de nullité. », RDC, mars 2017, n° 1, p. 184.

267 Ici sont notamment visés le cas d’une série de contrats avec un même partenaire économique et

le cas de contrats qui seraient nés de la réputation de l’exécution du premier avec d’autres partenaires.

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l’abstention est justifiée (§2). Ce constat laisse de nouveau entrevoir le paradoxe de l’abstention.

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