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Hypothèse Durant le temps imparti, après s’être abstenu, peut-être pour profiter d’une période de réflexion sur la conduite à adopter 303 , le titulaire du droit peut

§1) Une incertitude trompeuse

99. Hypothèse Durant le temps imparti, après s’être abstenu, peut-être pour profiter d’une période de réflexion sur la conduite à adopter 303 , le titulaire du droit peut

décider d’agir. Ceci signifie qu’il exerce positivement son droit tel que prévu ou bien qu’il y renonce. En conséquence, les personnes intéressées par le choix du titulaire du droit sont fixées et leur incertitude prend fin. Après tout, par exemple, le but de la mise en demeure est justement de faire cesser l’incertitude du débiteur sur la volonté du créancier de recouvrer sa créance304.

301 Cf Infra n° 96 et 103.

302 M. BANDRAC, La nature juridique de la prescription extinctive en matière civile, préf. P.

RAYNAUD, Economica, coll. Dr. Civ. Etudes et recherches, 1986, n° 82, p. 89.

303 Cf Infra n° 188 et n° 353.

304 C. POPINEAU-DEHAULLON, Les remèdes de justice privée à l’inexécution du contrat. Étude

comparée, Préf. M. GORÉ, LGDJ, Bibl. dr. privé, t. 398, 2008, v. p. 447, n° 841 : mise en demeure

est le « moyen de prévenir le débiteur de l’imminence de la sanction tout en lui donnant une dernière chance de l’éviter en exécutant ses obligations » et p. 461, n° 864 : « La mise en demeure lève l’incertitude, dans le chef du débiteur, quant à la volonté du créancier de voir exécuter l’obligation et de mettre en œuvre un remède approprié ».

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Afin d’illustrer ces propos, il est intéressant d’évoquer un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 22 septembre 1992305. En l’espèce, une convention, conclue entre un acquéreur professionnel, vendeur dans le prêt-à-porter, et un fournisseur de marchandises, comporte un délai pour livrer ces dernières. La conséquence juridique est que le délai a ici une valeur d’obligation. De fait, l’absence de livraison pendant le délai stipulé serait une inexécution. En revanche, il n’en demeure pas moins qu’appartient au fournisseur le droit de choisir le moment de la livraison à l’intérieur du délai stipulé. C’est là que se situe son pouvoir d’action, sa marge de manœuvre. Il pourrait donc faire de la procrastination et ainsi s’abstenir durant une certaine période. C’est ce qui se passe en l’espèce. Le fournisseur n’expédie pas les marchandises au début du temps prévu. Il procède, toutefois, à la livraison avant le terme du délai stipulé. Il ne commet donc aucune faute. Un débiteur peut, par conséquent, s’abstenir sans commettre d’inexécution malgré le sentiment contraire que nous aurions pu a priori avoir en pensant que seul le créancier a la faculté de préférer l’abstention à l’action. Ainsi, il est possible au titulaire du droit de s’abstenir puis d’agir au moment où il le souhaite dans le délai imparti.

Les exemples peuvent être multipliés. Une société créancière, n’effectuant volontairement aucune démarche à l’égard du débiteur pendant une certaine durée, peut ensuite sortir de cette abstention en réclamant la somme due à l’un des associés de la société en nom collectif débitrice306. De même, il est à observer qu’il arrive que le créancier bailleur, bénéficiant d’un cautionnement, s’abstienne d’agir contre le preneur ou la caution pendant un certain laps de temps mais qu’il finisse par prendre position en demandant le paiement à la caution307. Le titulaire de la prérogative, par sa prise de position clairement exprimée met ainsi un terme à l’abstention et a fortiori à l’incertitude. Néanmoins, par la même occasion, il met fin à l’état de latence dans laquelle se trouvait la situation et risque ainsi de bousculer autrui. À l’inverse, lorsqu’une action se poursuit par une phase d’abstention, cela a tendance à créer une certaine quiétude entre les protagonistes, alors qu’il ne peut s’agir que d’une apparence.

305 CA Paris, 5ème ch. A, 22 sept. 1992, Mme Bourg c/ SA Gérard, D. 1992, I.R. 282. 306 CA Reims, 10 juillet 2012, n° 11/02918, D. 2012.

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2) Action-abstention, une quiétude apparente

100. Hypothèse. L’exercice d’une prérogative débutant par l’action et se

poursuivant par une abstention semble bien illogique. Pourtant, cet ordre dans le déroulement de l’exercice d’un droit se rencontre en pratique. Ainsi, en est-il d’un créancier qui intente une action contre son débiteur mais ne va pas au bout de la procédure, tel un syndicat de copropriétaires qui essaye vainement de récupérer sa créance auprès des débiteurs par des lettres de relance mais ne poursuit pas sa démarche en recourant à l’étape suivante, l’action judiciaire. En l’espèce, si le syndicat leur a, en effet, signifié un commandement de payer le 29 août 2003, il a attendu le 25 mai 2007 pour délivrer le second et n’a pas accompli les actes d’exécution nécessaires dans les deux ans. Néanmoins, si, à la suite de l’action, s’est ensuivie une période d’abstention, celle-ci a débouché sur une nouvelle action positive. De fait, la tranquillité du débiteur n’était qu’apparente308. Mieux, le titulaire du droit se situait toujours dans le délai imparti puisque le premier commandement de payer avait permis l’interruption du délai de prescription309. De fait, l’action, bien que différée par son auteur était recevable.

101. Le cercle vicieux de l’incertitude. Au vu de cette problématique, la réalisation

des expectatives du débiteur sont vraiment incertaines et posent de nombreuses difficultés pratiques susceptibles d’être rencontrées par tout un chacun. Par exemple, si le débiteur procède à un paiement par chèque et que le créancier prend matériellement le chèque mais ne l’encaisse pas dans une période raisonnablement proche de l’émission du chèque, à partir de quel instant le débiteur peut-il légitimement se considérer libéré de son obligation ? Le chèque est en effet un paiement conditionnel à son encaissement définitif. En plus, ce n’est pas parce que le créancier n’encaisse pas le chèque tout de suite qu’il ne le fera pas plus tard sans en informer préalablement le titulaire du compte. Peut-il adopter un tel comportement alors que l’image qu’il renvoie est celle d’un Homme égoïste310 ? Le Droit ne qualifie pas expressément un tel comportement311. Le problème qui se

308 CA Douai, 8ème ch. 4 juin 2009, n° 08/03423. 309 Cf Infra n° 240.

310 L’égoïsme est un comportement contraire à l’éthique contractuelle (M. BOURASSIN, V.

BRÉMOND, M.-N. JOBARD-BACHELLIER, Droit des sûretés, Dalloz, Sirey, 5ème éd. 2016, p.

196, n° 367).

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présente alors est la libération du débiteur face à un créancier passif, dont le comportement d’abstention n’a pas d’effet extinctif en lui-même, comme l’auraient la renonciation ou la remise de dette. Plus largement, le sort des croyances générées par la manière du titulaire du droit d’exercer celui-ci est posé.

102. Un comportement contradictoire en Droit allemand. Pour le Droit

allemand, un comportement est contradictoire lorsque le comportement présent d’une personne est contraire à son comportement antérieur312. Toutefois, cette définition, bien que vraie, ne saurait fonder l’application d’un instrument juridique de sanction. En effet, tout individu est propre à changer d’avis et toute situation est susceptible d’évoluer. C’est pourquoi, au plan interne, Monsieur DROUOT prône « le droit au changement d’avis »313 tandis que d’autres vantent les mérites de la cohérence avec soi-même.

103. Définition du comportement contradictoire. Ceci conduit à s’interroger sur

ce que signifie « changer d’avis » et ce qu’est un comportement contradictoire. Un avis est une opinion sur quelque chose. En changer revient à avoir une opinion différente que celle initialement adoptée. Souvent, le changement d’avis s’accompagne d’un revers de comportement, ce qui est décrié. En fait, lorsque le titulaire d’une prérogative s’abstient puis décide d’agir, il n’y a pas un brusque changement d’avis, celui-ci prend juste sa décision. Il n’y a pas de contradiction puisqu’il ne l’avait pas fait jusque-là. Ceci montre certes une évolution, mais toute évolution ne correspond pas toujours à un retournement de situation contradictoire. En effet, le changement de comportement suite à une abstention n’est pas contradictoire. Il ne s’agit pas d’une véritable volte-face, comme le serait le fait de passer d’une acceptation à une renonciation. Ce n’est qu’une fois le choix exercé, qu’une fois la décision affirmée, qu’ils ont un caractère définitif314 et ce n’est qu’à leur suite qu’une contradiction peut véritablement apparaître.

312 B. JALUZOT, op. cit. p. 89, n° 326.

313 G. DROUOT, « Le droit au changement d’avis : pour une réhabilitation de la girouette », Rev.

Dr. Assas, n° 7, fév. 2013, p. 14.

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104. Temps et contradiction. De fait, la définition du comportement contradictoire

énoncée ci-dessus est trop rigide315. En effet, si un créancier s’abstient un temps de demander l’exécution de l’obligation et qu’il la demande plus tard, il change certes de cap de conduite, mais il fait alors plutôt preuve « d’un remarquable esprit de coopération en accordant spontanément un répit à son débiteur en difficulté »316. Monsieur le Professeur PICOD, affirme d’ailleurs à cet égard que « l’indulgence du créancier ne doit pas s’analyser en un comportement l’empêchant de demander l’exécution de son droit »317. Il semble, en effet, légitime qu’il puisse mettre fin à son indulgence à l’origine de son abstention lorsque la situation d’inexécution dure. Le temps est une source de modifications des volontés318. Pour le destinataire de l’abstention, rien n’est donc sûr. Aussi, le fait qu’autrui subisse parfois une certaine incertitude est-il justifié.

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