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LES LIMITES TEMPORELLES GARANTES DE LA LIBERTÉ D’ABSTENTION

221. Distinction des termes de limite et sanction. Il vient d’être démontré que l’abstention est légitime567. Ceci est conforté par les limites temporelles fixées par le Droit, telle la prescription. Elles garantissent en effet la liberté du titulaire de la prérogative de s’abstenir. Il faut souligner qu’il convient bien de parler de « limites » pour désigner les instruments juridiques intervenant en la matière, plutôt que de sanction. En effet, celles-ci sont garantes de la liberté d’abstention d’abord parce qu’elles n’en constituent pas la sanction. Une limite n’est en effet pas exactement une sanction. La limite est, au contraire, définie comme le « terme extrême, le point final » par CORNU568. Jusqu’à ce seuil, l’abstention peut exister et être exercée librement. Dès l’instant où la limite intervient, si le titulaire de la prérogative tente d’exercer cette dernière, il lui sera simplement fait remarquer qu’il est en retard et que cela n’est pas sans conséquence. La limite a alors davantage comme fonction essentielle la protection d’autrui. À l’inverse, la sanction vise d’abord la répression d’un comportement. Le point de vue sur la situation diffère donc. Si les limites temporelles étaient des sanctions, elles auraient vocation à punir l’agent, ce qui n’est pas le cas ici. Le but n’étant que d’éviter une incertitude perpétuelle et de prévoir la solution au risque d’une action postérieure au délai. En somme, la limite appuie le terme du délai imparti. Ainsi, les limites temporelles sont organisées grâce à la fixation de délais dont le terme marque effectivement la frontière au-delà de laquelle le titulaire de la prérogative ne bénéficie plus de son choix sur la modalité d’exercice de sa prérogative.

222. Respect du délai par le titulaire de la prérogative. Les délais sont des périodes pour agir. Toutefois, le législateur n’exige pas que l’action se produise à un instant spécifique. Il laisse son titulaire décider de cet instant, certes au sein

567 Cf Supra.

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d’un délai, mais lorsqu’il le souhaitera notamment au vu de ses impératifs et de ses intérêts. Par conséquent, si le délai est a priori un laps de temps pour agir, c’est aussi un laps de temps pour ne pas exercer sa prérogative. Le titulaire n’a pas à opter dès que le délai naît. Le délai offre au contraire un choix à son titulaire: exercer sa prérogative ou renoncer à celle-ci, tout de suite, ou plus tard. Il convient, en effet, d’appliquer l’adage de LOYSEL selon lequel « ce qui est différé n’est pas perdu ». Cette formule rend parfaitement compte du fait que « jusqu’à l’arrivée du terme, (…) on ne saurait reprocher, durant cette période, une quelconque négligence »569. En effet, comme le reconnait Monsieur CÉLICE, le temps imparti « est celui qui nous incite à retenir, à réserver nos moyens pour plus tard, sans les mettre immédiatement en action. »570. Dès lors que le titulaire de la prérogative est conscient de ce choix et qu’il n’agit pas, il s’abstient, or l’existence même d’un délai pour agir favorise par essence l’abstention.

Le délai imparti à une prérogative donnée est en effet offert à son titulaire, mais il lui impose corrélativement son point de départ et son terme. Par conséquent, à l’expiration du délai, les limites propres au délai en cause ont vocation à intervenir. À chaque expiration d’un délai lié à un droit particulier correspond ainsi une limite temporelle, la durée entrainant la mise en œuvre du mécanisme juridique adéquat. De fait, le titulaire du droit, s’il peut et doit a priori gérer le temps, est soumis à l’objectivité du Droit.

223. Deux degrés de limites. Le Droit reconnait la possibilité de s’abstenir par les limites qu’il lui confère. Par conséquent, la liberté d’abstention est juridiquement prévue ainsi que ses limites. Ces dernières sont légalement définies et ont la particularité d’être temporelles. En prévoyant un laps de temps pour ne pas agir, elles sont garantes de la liberté du choix de l’agent. Les limites temporelles peuvent être classées en deux catégories selon l’intensité de l’effet provoqué par le terme du délai prédéterminé. Les limites procédurales réversibles se distinguent ainsi de limites temporelles plus strictes. Le critère de différenciation se situe sur la possibilité de jouir ou non in fine des effets de la prérogative, en ce qu’elles possèdent ou pas de mécanisme correcteur. Ainsi, d’une part, les limites réversibles correspondent à celles qui laissent subsister une possibilité d’agir

569 H. ROLAND et L. BOYER Adages du droit français, Litec, 4ème éd. 1999, p. 76, n° 43. 570 B. CÉLICE, op. cit. p. 87, n° 147.

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malgré le mécanisme juridique limitant l’inaction qui s’est déclenché, ou à celles qui comprennent des tempéraments à la rigueur de computation du délai au terme duquel la limite intervient. Par exemple, le mécanisme correcteur de la forclusion est le relevé de forclusion571. De plus, la loi applique parfois, certaines causes d’interruption572 ou de suspension573. D’autre part, les limites strictes, elles, en ne souffrant d’aucun correcteur, empêchent l’agent de revenir ou de retarder l’effet juridique produit. Par exemple, nul ne peut être relevé d’une déchéance. En conséquence, les limites temporelles réversibles ont un régime juridique complexe qui offrent à l’agent des issues avant la mise en œuvre de la limite et a fortiori une certaine liberté. Elles sont la preuve de l’organisation juridique de l’abstention (Section I) tandis que les limites temporelles strictes témoignent davantage de la nécessité d’un terme à la liberté d’abstention (Section II).

Section I/ Les limites temporelles procédurales réversibles, preuve de

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