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122. Nature des conséquences avérées. L’abstention emporte des conséquences

très diverses pour autrui. Elles sont principalement juridiques, notamment lorsqu’elles concernent la force obligatoire du contrat, ou économiques en affectant le crédit d’autrui. Réalisant, de plus, un blocage de la situation, cela peut conduire à des insolvabilités en chaine et avoir des conséquences sociales. Toutes ces conséquences, parfois néfastes, justifient déjà la recherche de moyens de protection des destinataires de l’abstention et pourraient impacter la manière dont ces derniers perçoivent la propension à s’abstenir.

123. Des conséquences imposant une réponse juridique. Le destinataire de

l’abstention se retrouve en effet dans une situation où il est assujetti au titulaire de la prérogative tant que ce dernier n’a pas pris position. Le destinataire de l’abstention semble pourtant moins sous l’emprise du pouvoir de contrainte du titulaire du droit qu’il n’y paraît. Il peut, par exemple, disposer librement de son patrimoine. Il bénéficie également, a priori, d’un temps supplémentaire, pour exécuter son obligation même si ce temps reste à la discrétion de l’agent. Aussi, le futur, peut-il causer des surprises. Un doute demeure en effet sur le devenir de la prérogative, sur les actions ou l’absence d’action du titulaire du droit, et a fortiori quant à la situation du destinataire de l’abstention qui n’est pas libéré ipso facto. L’abstention aboutit seulement à retarder les effets de l’exercice de la prérogative ou de la renonciation à celui-ci. Ce différé dans le temps n’est pas neutre. D’ailleurs, plus le temps imparti s’écoule, et plus les intéressés sont tentés d’interpréter l’abstention dans un sens qui se rapproche de leurs intérêts. Cependant, l’exercice de l’abstention peut rester constant pendant toute la durée du délai imparti ou apparaître et disparaître de manière alternative avec une action franche mais pas toujours aboutie. Ou, l’action peut prendre le relai de l’abstention et surprendre autrui qui risque de se retrouver dans l’embarras. Ces éléments renforcent la conviction de la nécessité de protéger autrui. Aussi, le fait, pour le titulaire du droit, de ne pas prévoir, ou du moins, de ne pas prêter attention aux conséquences pouvant advenir est-il susceptible de déranger l’opinion commune. C’est un des éléments à noter pour une solution à la problématique de l’imprévisibilité de l’abstention. Le Droit considère que l’agent doit avoir

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conscience des attentes qu’il suscite ainsi que des conséquences qu’il engendre pour autrui par sa conduite. Cela requiert de la part de tout titulaire d’une prérogative des qualités relationnelles, psychologiques et une gestion rigoureuse du temps, laquelle découle du fait que le titulaire du droit a, avec l’abstention, le pouvoir de faire subir le temps à autrui357.

En outre, l’incertitude engendre des malentendus eux-mêmes sources d’éventuels contentieux. L’incertitude crée donc, de surcroît, un climat de suspicion de nature à ébranler la sécurité juridique. Cette dernière est en effet mise à l’épreuve par l’abstention. La question du bien-fondé de cette liberté du titulaire d’une prérogative se pose donc malgré l’absence d’obligation préexistante d’agir. Ce constat prouve que la solution adaptée à l’abstention - l’enjeu de cette étude - doit permettre de limiter les contentieux que peut générer l’incertitude et doit, à cette fin, stabiliser les relations juridiques.

124. L’absence de qualification des conséquences en préjudices réparables.

Mais, toutes les conséquences de l’abstention ne sont pas des dommages réparables. En effet, certaines doivent être subies par le destinataire de l’abstention dans le sens où elles ne sont pas extraordinaires. En effet, les conséquences néfastes constatées ne peuvent justifier leur qualification en préjudice réparable. Pour rappeler la formule de STATI « on ne saurait (…) déclarer qu’on dépasse les limites de son droit et qu’on agit sans droit, en conséquence, toutes les fois qu’un préjudice a été occasionné (…) par les inconvénients à l’exercice du droit. (…). Ce serait empêcher totalement l’exercice de ce droit »358. Par conséquent, tout comme il y a les inconvénients ordinaires du voisinage359, il y a les inconvénients ordinaires de l’abstention.

De même, il serait injuste de reprocher à l’agent des conséquences qu’il ne pouvait de toute façon pas empêcher en agissant autrement ou plus rapidement360

357 V. P. HÉBRAUD, « Observations sur la notion du temps dans le droit civil » « on le subit et on

s’en sert », in Études offertes à Pierre KAYSER, PUAM, 1979, t. II, p. 1, spéc. p. 7.

358 M. O. STATI, Le standard juridique, LGDJ, 1927, p. 226, n° 114. 359 Cass. 3ème civ.2001, n° 95-10170, inédit.

360 CA RIOM, com. 4 Avril 2012, n° 11/01356, JurisData n° 2012-012690 : « Attendu que les

appelants font valoir que la banque n'a pas fait preuve de la diligence nécessaire pour parvenir au recouvrement de sa créance ; qu'ils font observer que la débitrice principale a cessé tout remboursement des prêts à compter du 15 octobre 2003 mais que la banque a attendu le 14 janvier 2005 pour prononcer la déchéance du terme et informer les cautions des incidents de paiement ; que la liquidation judiciaire de la débitrice principale étant intervenue le 19 décembre 2005, soit plus de

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et que l’intéressé lui-même n’a pas cherché à endiguer. Les conséquences pour autrui doivent donc être appréciées en leur qualité de conséquences d’une abstention, catégorie particulière et autonome.

125. Des conséquences subies aussi par l’agent. En outre, l’abstention a des effets

positifs et négatifs pour le titulaire de la prérogative lui-même. Il est donc possible d’entrevoir, dès à présent, que l’abstention est un outil offert pour permettre au titulaire de la prérogative de dominer l’avenir361 tout en évitant l’incohérence et la contradiction. En revanche, le titulaire du droit doit se méfier du revers de la médaille à savoir que le temps rime aussi avec « érosion »362. Finalement, « l’écoulement du temps s’accompagne le plus souvent à la fois d’effets positifs et d’effets négatifs, voire destructeurs »363.

126. Des conséquences laissant a priori subsister le caractère légitime de l’abstention. Finalement, les conséquences sont assez importantes pour devoir être

traitées, mais pas systématiques et uniformes. Partant, l’abstention doit aussi être analysée en complément. La question de savoir comment l’abstention doit être juridiquement appréhendée se pose donc toujours. Ce comportement doit-il être sanctionné par rapport aux conséquences qu'il emporte effectivement ou doit-il l’être par lui-même, eu égard à sa seule constatation ? Il faut toutefois rappeler que, bien que l’équivocité de l’abstention en soit à l’origine, les croyances d’autrui sont parfois illégitimes et l’incertitude est légitimement subie par autrui dans un délai temporaire. Ainsi, même équivoque, et malgré ses conséquences néfastes, l’abstention s’avère légitime. Cette légitimité est à analyser pour pouvoir envisager les solutions adéquates aux problématiques d’une situation d’abstention.

deux ans après le premier incident de paiement, il est reproché à la banque d'avoir laissé délibérément s'accroître la dette au détriment des cautions. Attendu que la banque rétorque que s'agissant de petits prêts à échéance semestrielle, elle avait normalement prononcé la déchéance du terme après trois échéances impayées. Attendu que le premier juge a estimé à juste titre que le délai n'était pas excessif et qu'eu égard à la situation financière de l'exploitation de la débitrice principale, rien n'indiquait qu'une réaction plus rapide aurait permis de limiter la dette ».

361 Cf Infra not. n° 148. 362 J.-C. WOOG, op. cit. p. 32.

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CHAPITRE II :

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