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132. Des motifs juridiques. Il convient de démontrer tout d’abord que classer les

motifs de l’abstention selon leur caractère altruiste ou égoïste procède d’une dichotomie juridique (A) pour ensuite constater que de tels motifs sont approuvés par les juges (B) lorsqu’ils ont à connaître d’une situation d’abstention.

370 Les motifs sont des « éléments d'ordre (généralement) mental qui incitent à agir ou, selon le cas,

à réagir (en fournissant, le cas échéant et a posteriori, une justification de l'action ou de la réaction) »Cnrtl, http://www.cnrtl.fr/, v. « motif ».

122 A. Une dichotomie juridique

133. Éléments de définition. Cette dichotomie peut, de prime abord, surprendre le

juriste, puisqu’a priori ces deux termes ne sont pas juridiques. Ils n’appartiennent d’ailleurs pas au Vocabulaire juridique de CORNU et leur définition doit être recherchée en philosophie. L’altruisme consiste ainsi à « se décentrer en se déprenant de soi, en acceptant de faire passer autrui avant soi-même »372, tandis que l’égoïsme désigne le fait de privilégier ses propres intérêts face à ceux des autres individus373.

L’altruisme emporte l’unanimité en ce que même celui qui défendrait l’égoïsme, ne serait a priori pas totalement contre un comportement altruiste374, puisque faire preuve d’altruisme, c’est « déployer à l’égard d’autrui une attitude non seulement d’ouverture et d’attention, mais de dévouement total, par quoi l’intérêt des autres passe au premier plan »375. Dès lors, ce qui rallie l’unanimité sur la légitimité des motifs altruistes est le fait que l’altruisme connote un ensemble de vertus comme l’empathie. L’apogée de l’altruisme semble d’ailleurs personnifiée par le bon Samaritain. Ce dernier se caractérise en effet par sa « charité efficace et désintéressée »376. L’altruisme est le fruit d’une initiative volontaire de son auteur. En conséquence, s’il paraît naturel de se soucier de ses proches, cette volonté l’est a priori moins lorsque la personne est plus éloignée de soi. C’est pourquoi, le motif altruiste revêt une dimension plus forte, voire plus louable encore, dans ce dernier cas. Par conséquent, plus l’altérité entre deux personnes est importante, et plus la marque de l’altruisme qui s’inscrirait entre elles est forte. Le Droit ne semble donc a priori pas avoir sa place ici, le geste altruiste relevant d’une volonté intime et discrétionnaire, pourtant le contraire se produit. SCHOPENHAUER, entre autres philosophes, situe l’altruisme au centre de la moralité. Il oppose à l’altruisme l’égoïsme, auquel il confère une connotation

372 A.-I. ROUSSEL, « Être altruiste, est-ce capituler devant l’égoïsme de l’autre ? »,

http://www2.cndp.fr/magphilo/philo11/altruiste.htm.

373 V. en ce sens E. CLÉMENT, Ch. DEMONQUE, L. HANSEN-LOVE, P. KAHN, La philosophie

de A à Z, Hatier, 2011, v. « égoïsme ».

374 D’ailleurs, le Droit anglais qui prône souvent un certain égoïsme contractuel, notamment, se voit

gagner par certaines marques de solidarisme. V. M. OUTIN, L’exécution du contrat en bon père de

famille, Université paris sud- faculté de droit Jean Monnet, 2000, p. 287, n° 344.

375 E. CLÉMENT, Ch. DEMONQUE, L. HANSEN-LOVE, P. KAHN, op. cit. v. « autrui » / « autrui

et altruisme ».

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négative377. Mieux, un auteur a relevé le fait que le mouvement « qui tend à faire pénétrer toujours plus la morale dans notre droit » cherche à rendre le Droit « plus altruiste »378. Cependant, il faut admettre qu’il est logique que le Droit positif se saisisse de l’altruisme puisque « l’altruisme constitue avant tout une relation entre individus »379, or, le Droit privé a vocation à régir les relations entre les personnes relevant de sa compétence. D’ailleurs, l’action en défense d’intérêts collectifs altruistes est aujourd’hui une preuve flagrante que l’altruisme est reconnu par le Droit380. Ainsi, bien qu’aucune définition juridique n’ait pu être trouvée, en affinant les recherches, il s’avère que la Doctrine et le Droit positif ne sont finalement pas indifférents à l’altruisme ou à l’égoïsme du comportement des justiciables.

134. En Doctrine. Un certain altruisme est, en effet, revendiqué par la Doctrine381

et se devine notamment derrière le solidarisme contractuel382. Un auteur va d’ailleurs jusqu’à affirmer que cette théorie « souligne l’évolution du Droit français vers l’altruisme »383. L’expression est forte et veut démontrer que ce courant n’entend pas se cantonner à de la théorie mais qu’il a, au contraire, vocation à s’appliquer pour sanctionner l’égoïsme rencontré. Cependant, indépendamment du solidarisme contractuel, l’égoïsme est juridiquement appréhendé. Pour preuve, les termes « égoïsme » ou « égoïste » apparaissent chez de nombreux auteurs384. Mieux, le Droit prévient et sanctionne385 parfois l’égoïsme

377 E.CLÉMENT, Ch. DEMONQUE, L.HANSEN-LOVE, P. KAHN, op. cit. v. « égoïsme » / « la

valeur de l’altruisme et de l’égoïsme ».

378 A. CATHELINEAU, « Le retard en droit civil (suite et fin) », LPA, 31 août 1998, n° 104, p. 4. 379 E. LEVERBE, Essai sur l’altruisme en droit civil, Univ. Pau et des pays de l’ADOUR, 2003, p.

20, n° 22.

380 L. BORÉ, « Pour la recevabilité de l’action associative fondée sur la défense d’un intérêt

altruiste », RSC 1997, p. 751.

381 C. THIBIERGE-GUELFUCCI, « Libres propos sur la transformation du droit des contrats »,

RTD civ. 1997 p. 357 ; C. BÉNOS, « L’altruisme dans le contrat de prêt à usage », D. 2013, p. 2358 ; M. BOUTONNET, « Le contrat et le droit de l’environnement », RTD civ. 2008, p. 1 ; S. PELLET, « L’altruisme est encore une condition de la gestion d’affaires », EDCO, 3 avril 2015, n° 4, p. 4.

382 Cf Infra n° 163.

383 S. VIGNERON, « Le rejet de la bonne foi en droit anglais », in S. ROBIN-OLIVIER et D.

FASQUELLES, Les échanges entre les droits : l’expérience communautaire, Bruxelles, Bruylant, déc. 2008. Pour une version de l’article en ligne v.

https://kar.kent.ac.uk/2051/1/Le_rejet_de_la_bonne_foi.pdf

384 V. not. M.-R. COHIN, L’abstention fautive, Paris, Sirey, 1929, spéc. p. 7, Y. PICOD, « Un

nouveau contrat nommé : le contrat de coopération commerciale », in Mélanges en l’honneur de

Philippe LE TOURNEAU, Dalloz, 2008, p. 805, spéc. p. 807 ; Y. PICOD, Le devoir de loyauté dans l’exécution du contrat, LGDJ, Bibl. dr. privé, t. 208, 1989, p. 178 ; Ph. STOFFEL-MUNK,

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même si le terme n’apparaît pas dans les textes et pas toujours dans les décisions386. Ainsi, l’altruisme et l’égoïsme sont juridiquement appréhendés.

135. L’altruisme en Droit positif. L’altruisme trouve l’écho de ses applications en jurisprudence notamment en matière contractuelle. Le phénomène est tel qu’un auteur évoque même l’existence de « l’altruisme contractuel »387 suite à certains arrêts rendus par la Cour de cassation. Pour lui, l’altruisme contractuel « consiste à œuvrer contractuellement au bénéfice ou pour le compte d’autrui ». Il est ainsi fait état de la promesse pour autrui et de l’engagement pour autrui.

136. La promesse pour autrui. La Haute juridiction montre que la promesse pour

autrui est a priori un acte désintéressé388 ce qui suppose un certain altruisme. La promesse pour autrui, qui se confond parfois avec la stipulation pour autrui, d’origine jurisprudentielle, est en effet définie comme « le contrat par lequel le stipulant fait promettre au promettant d’accomplir une prestation au profit d’un tiers bénéficiaire »389. Ainsi, le bénéficiaire trouve son droit dans le contrat conclu entre le promettant et le stipulant390. Le motif de la promesse pour autrui est alors

L’abus dans le contrat, LGDJ, Bibl. dr. privé, préf. R. BOUT, t. 337, 2000, p. 507 ; Ph.

MALINVAUD, D. FENOUILLET, Droit des obligations, LexisNexis, manuel, 12ème éd. 2012, p.

22 ; D. MAZEAUD, « Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ? » in Mélanges Fr. TERRÉ, PUF, 1999, p. 603, spéc. p. 617-618 ; C. BRENNER « L’insaisissabilité, les voies d’exécution », in Voies d’exécution, 5ème éd. coll. Cours, Dalloz, 2009, p. 34 ; P. LEDOUX,

Le droit de vote des actionnaires, préf. Ph. MERLE, LGDJ, 2002, Bibl. dr. privé, t. 379, p. 194 ; G.

LARDEUX, L’efficacité du contrat, Dalloz, thèmes et commentaires, 2011, p. 24 ; M. BÉHAR- TOUCHAIS, « Solidarisme contractuel et contrat de distribution », RDC 1er déc. 2003, n° 1, p.

154 « Ce n’est pas l’égoïsme contractuel en tant que tel qui est sanctionné » ; L.-J. LAISNEY, « Chronique du soutien abusif », Info finance Express, n° 10, nov. 2012, p. 6 ; D. FENOUILLET, « La notion de prérogative : instrument de défense contre le solidarisme ou technique d’appréhension de l’unilatéralisme ? », RDC, 1er avril 2011, n° 2, p. 644. Adde aux auteurs faisant

réf. à celui qui ne se soucie que de son intérêt exclusif : v. not. D. DÉROUSSIN, Histoire du Droit

des obligations, éd. Economica, corpus histoire du droit, 2007, p. 440 et D. HOUTCIEFF, « Vers

l’obligation du créancier d’exercer ne faculté conformément aux intérêts de la caution », D. 2007, p. 1572.

385 Cf Infra n° 139, 152 et s.

386 V. par ex. présence du terme « égoïsme » en matière de divorce pour faute. Cass. 2ème civ. 24 oct.

2002, n° 00-17297, non publié au bull. « l’égoïsme du mari constituant à lui seul une cause de divorce au sens de l’article 242 C. civ. ».

387 D.-R. MARTIN, « Amertumes contractuelles », LPA, 16 mars 2001, n° 54, p. 16. 388 Cass. civ. 18 avril 2000, Bull. civ. I, n° 115, p. 77.

389 Art. 1169 et s. du projet Catala et Art. 142 et s. du projet de réforme. Adde Ph. MALINVAUD,

D. FENOUILLET, Droit des obligations, Lexisnexis, Manuel, 12ème éd. 2012, p. 375, n° 484. 390 M. MIGNOT, Fasc. CONTRATS ET OBLIGATIONS – Stipulation pour autrui, J.-Cl. 18 fév.

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de conférer un avantage au bénéficiaire. En revanche, la promesse de porte-fort n’est pas une promesse pour autrui mais un véritable engagement pour autrui391.

137. L’engagement pour autrui. L’altruisme acquiert en la matière une portée particulière dans ses éventuelles conséquences. C’est le cas d’un emprunteur qui conclut un prêt pour virer la somme obtenue à un tiers comme l’illustre un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 17 novembre 1999392. En l’espèce, le prêteur transfère la somme prêtée à son cocontractant qui la transfère à son beau-frère. Si l’emprunteur ne bénéficie pas de la somme prêtée, c’est lui qui est pourtant tenu au remboursement comme il l’a été jugé dans cet arrêt. L’emprunteur s’est engagé pour autrui mais en son nom propre. Dans le cas contraire, il n’y aurait pas eu d’altruisme. Dès lors, celui qui s’engage pour le compte d’autrui prend des risques considérables puisque l’acte non ratifié par le tiers risque d’être déclaré inopposable à ce dernier. L’inopposabilité est en effet la sanction qui a pour conséquence « l’inefficience d’un acte à l’égard d’un tiers permettant à ce tiers de méconnaître l’existence de l’acte et d’en ignorer les effets, qui tient, non pas au fait que le tiers, étranger à l’acte, n’est pas directement obligé par celui-ci mais à la circonstance que l’acte manque de l’une des conditions de sa pleine efficacité et de son intégration à l’ordre juridique »393. En l’occurrence, cela concerne une action mais l’abstention n’est pas exempte de toute manifestation d’altruisme.

138. L’égoïsme en Droit positif. Le législateur prévient notamment l’égoïsme par

la mise en place des procédures collectives394 et prévoit sa sanction au besoin395. Tout d’abord, le législateur a en effet mis en place des règles qui préviennent l’égoïsme. Certes, ces dispositions ont été édictées pour un but plus large que d’intervenir contre une forme de passivité, mais de telles règles s’appliquent a

fortiori et d’autant plus à l’abstention que celle-ci comporte une dimension

391 M. STORCK, Fasc. CONTRATS ET OBLIGATIONS - Promesse de porte-fort, J.-Cl. 11 mai

2010, mis à jour du 14 Août 2014.

392 Cass. 1ère civ. 17 nov. 1999, Bull. civ. I, n° 311, p. 202, Contrats, conc. Consom. 2000, n° 3, p.

14, note L. LEVENEUR.

393 G. CORNU, op. cit. v. « inopposabilité ».

394 C. SAINT-ALARY HOUIN, H. MONSЀRIÉ-BON et F. MACORIG-VENIER, « le droit de la

défaillance économique en quête de clarification », Rev. Droit et patr. oct. 2010, n° 196 : « la procédure de sauvegarde permet de passer outre à l’égoïsme de certains créanciers ».

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intentionnelle forte. C’est par exemple le cas de l’ancien article 1147 du Code civil, devenu l’article 1231-1, qui impose notamment au banquier une obligation de surveillance. Il s’agit d’une façon de lutter contre l’égoïsme de certains établissements de crédit qui seraient peu scrupuleux sur la surveillance de l’accès au coffre-fort de leurs clients396 ou accorderaient du crédit de manière risquée397 puisque, dans ces cas, l’établissement de crédit ne prend pas suffisamment soin de l’intérêt de leur client398.

De plus, le titulaire de la prérogative voit parfois son choix être restreint. De cette façon, les juges s’assurent qu’il ne préfère pas le régime lui étant le plus favorable et délaisse le régime ayant été mis en place par le législateur pour protéger certains intérêts. Ainsi, le créancier ne peut pas décider des normes à appliquer à son gage sur stocks. La coexistence de deux régimes pourrait laisser à penser que le titulaire de la prérogative se soumette à celui de son choix, a priori celui qui respecte au plus près ses intérêts. Cette marque d’égoïsme est contrée. En effet, la Cour de cassation a jugé que « s'agissant d'un gage portant sur des éléments visés à l'article L. 527-3 du Code de commerce, les parties, dont l'un est un établissement de crédit, ne peuvent soumettre leur contrat au droit commun du gage de meuble sans dépossession »399. Effectivement, ce régime est moins contraignant mais il existe un régime spécifique dans le Code de commerce qui doit s’appliquer indépendamment des désirs des parties sans quoi le régime du Code de commerce sur le gage des stocks serait inutile parce que non employé en

396 V. par ex. Cass. com. 27 janv. 2015, n° 13-20088, inédit, JCP E. 2016, n° 19, p. 43, note Chr.

LASSALAS ; Gaz. Pal. 8 mars 2016, n° 10, p. 61, note C. HOUIN-BRESSAND ; RD banc. et fin. 1er juill. 2015, note F.-J. CRÉDOT et T. SAMIN.

397 Cass. 1ère civ. 8 juin 1994, n° 92-16142, Bull. civ. n° 206, p. 150.

398 L’article L. 314-22 C. conso créé par l’ordonnance n° 2016-351 du 25 mars 2016 transposant la

directive du 4 fév. 2014 sur le crédit immobilier dispose d’ailleurs que « les prêteurs agissent d'une manière honnête, équitable, transparente et professionnelle, au mieux des droits et des intérêts des consommateurs ».

399 Cass. com. 19 fév. 2013, n° 11-21763, N. MARTIAL-BRAZ, « l’inévitable caractère exclusif du

gage sur stock ou les errements du législateur de 2006 », JCP G. 2013, p. 539 ; RTD com. 2013, p. 574, note D. LEGEAIS ; RTD civ. 2013, p. 418, note P. CROCQ ; Cass. ass. plén. 7 déc. 2015, n° 14-18435, note N. LEBLOND, EDCO, 14 janv. 2016, n° 1, p. 1 ; JCP G. n° 3, 18 janv. 2016, p. 57 et JCP N. n° 4, 29 janv. 2016, p. 53, note J.-J. ANSAULT et Ch. GIJSBERS. Décision qui ne vaut pas pour le gage sur stocks avec dépossession Cass. com. 1er mars 2016, n° 14-14401, JurisData n°

2016-003666, comm. D. LEGEAIS, « Option des parties », RD banc. et fin. mai 2016, comm. 124.

Adde J.-F. RIFFARD, « Bis repetita (non) placent. -L'ordonnance du 29 janvier 2016 sur le gage des

stocks à l'aune de la nécessaire unification des sûretés mobilières », RD banc. et fin. n° 3, mai 2016, étude 15 ; Y. BLANDIN, « La réforme du gage des stocks par l'ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016 », RD banc. et fin. n° 4, juill. 2016, étude 20.

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pratique. La loi prévient parfois l’égoïsme, même sans le nommer, au travers d’une interdiction.

139. Interdire les comportements égoïstes. Ainsi, l’article 2201 du Code civil

interdit la clause de voie parée pour prévenir l’égoïsme du créancier. La clause de voie parée est celle par laquelle le créancier se fait consentir par le débiteur le droit, en cas de non-paiement après commandement, de faire vendre l’immeuble aux enchères devant notaire, sans suivre les formalités de la saisie immobilière400. Cette clause couvrirait donc le créancier, titulaire de la prérogative d’accomplir les formalités de saisie immobilière pour obtenir celle-ci, contre les effets juridiques naturels de son abstention. L’interdiction d’une telle clause se justifie parce que le risque encouru est celui d’une vente du bien à un prix inférieur. Certes, le bien sera peut-être vendu plus vite et suffira peut-être à désintéresser le créancier en cause mais cela porte atteinte aux droits du débiteur sur un éventuel reliquat du prix, voire nuit aux intérêts des autres créanciers du débiteur. L’abstention de procéder aux formalités de la saisie immobilière a donc un motif égoïste et répréhensible puisque le titulaire de la prérogative se ménage ainsi la faculté de ne pas subir le temps des formalités pour un résultat tout aussi efficace quant à ses intérêts à lui. Enfin, le Droit parfait son encadrement de l’égoïsme en organisant sa sanction. Tel est l’objectif de l’article L. 653-4 4° du Code de commerce qui dispose que le dirigeant commet un abus « s’il poursuit abusivement ; dans son intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements ». C’est bien l’égoïsme du dirigeant qui est visé par ce texte. En effet, les critères de l’égoïsme sont présents, à savoir la recherche de son intérêt personnel, et cela au détriment d’une autre personne, précision qui renvoie au fait de privilégier son propre intérêt. Ainsi les motifs altruistes et égoïstes d’une abstention sont appréciés par les juges.

B. Des motifs approuvés par les juges

140. La recherche des motifs de l’abstention par les juges. Il est à noter que les motifs de l’agent ne sont pas toujours présents dans les motivations des décisions

400 G. CORNU (dir.), Assoc. H. CAPITANT, Vocabulaire juridique, PUF, Quadrige, 10ème éd.

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des juges, mais que leur présence est souvent présupposée. Il est en effet rare que le titulaire d’une prérogative s’abstienne sans motif alors qu’il a l’intention d’attendre avant de prendre une décision tranchée quant à la jouissance des effets sous-jacents à la prérogative. L’abstention a donc pour origine un certain motif. Monsieur BOURRINET soulignait déjà l’importance des données psychologiques en présence d’une abstention401. D’ailleurs, les juges recherchent et apprécient l’intention du titulaire de la prérogative qui s’est abstenu. La Cour de cassation valide cette pratique, notamment dans un arrêt du 11 juillet 1978 où elle reconnaît le pouvoir d’appréciation des juges du fond sur l’intention de celui qui s’abstient et valide les conséquences tirées de cette appréciation402. Le motif n’est généralement pas neutre en pratique dans l’appréciation du comportement et encore moins dans le cas de l’abstention, où tout prête à l’équivocité.

Ainsi, s’il apparaît comme évident qu’une action puisse être altruiste, le fait que l’altruisme soit à l’origine d’une abstention l’est moins. Pour autant, les juges ont eu l’occasion de procéder à l’approbation des motifs altruistes de l’agent (1) tout comme de ses motifs égoïstes (2).

1) L’approbation des motifs altruistes de l’agent

141. Une approbation conditionnée. Il arrive que le titulaire de la prérogative

s’abstienne véritablement par altruisme. C’est, par exemple, le cas lorsque les héritiers réservataires s’abstiennent d’intenter une action en réduction. Ceux-ci bénéficient, de par leur lien avec le défunt, de la réserve héréditaire qui est une quotité de biens dont le de cujus ne peut pas les priver, en principe, à la succession. Aussi, s’il s’avère que la quotité de libéralités effectuées entache la réserve héréditaire, les héritiers réservataires ont-ils à leur disposition une action en réduction afin de sauvegarder leurs intérêts. Le fait de ne pas remettre en cause les donations et legs consenties par le défunt qui excèdent la quotité disponible est altruiste puisque cela permet au légataire d’entrer en possession de son legs alors que l’intérêt des héritiers réservataires est atteint, la part de réserve héréditaire étant de fait moindre que ce à quoi ils avaient droit. Aucune illustration jurisprudentielle n’a pu ici être apportée. Ceci s’explique sans doute par le fait que

401 J. BOURRINET, L’abstention source de responsabilité civile délictuelle, Université de

Montpellier, 1959, p. 8.

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l’altruisme prête peu au contentieux. Il est difficile d’imaginer un légataire se plaindre du fait que l’héritier réservataire n’ait pas intenté une action en réduction. Le contentieux naîtra plutôt si l’altruisme porte atteinte à un intérêt tiers. En effet, pour reprendre le même exemple, le créancier de l’héritier réservataire risque d’être contre cette preuve d’altruisme et de vouloir que le patrimoine de son débiteur soit augmenté de la part complète de sa réserve héréditaire. Il dispose pour cela de l’action oblique. Il peut donc intenter l’action en réduction à la place de l’héritier réservataire403. Le Droit fait ici primer l’intérêt du créancier de ce dernier sur ceux de la personne bénéficiant de la libéralité pour éviter les fraudes et l’organisation de sa propre insolvabilité.

142. Abstention dans le souci de protéger autrui. Pour autant, l’altruisme

continue d’intervenir comme motif de l’abstention. Le titulaire de la prérogative va ainsi parfois s’abstenir parce qu’il estime qu’il y a un moyen alternatif, moins lourd pour autrui, qu’il préfère utiliser tout en atteignant le même résultat. Ceci explique pourquoi un créancier peut s’abstenir d’exercer une formalité nécessaire à

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