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L’EXISTENCE JURIDIQUE DE L’ABSTENTION DU TITULAIRE D’UNE PRÉROGATIVE

II/ L’INTÉRÊT DU SUJET

A. L’EXISTENCE JURIDIQUE DE L’ABSTENTION DU TITULAIRE D’UNE PRÉROGATIVE

17. La prérogative. Puisque l’abstention porte sur l’exercice d’une prérogative, il convient avant tout de voir la définition juridique de cette dernière. Une prérogative est un pouvoir lié à une capacité donnée. Elle est notamment attribuée par la loi ou par un contrat. Le terme est donc employé ici dans son sens générique77 et se différencie donc de la vision restrictive donnée dans l’arrêt Les

Maréchaux du 10 juillet 200778 qui opère une distinction entre les « prérogatives contractuelles » et les droits et obligations, substance du contrat. Ainsi, une prérogative peut être un droit, potestatif ou non, une faculté ou une formalité79. Pour se référer à quelques exemples concrets, il est possible de citer le droit de créance, le droit d’option80, - lequel se rencontre dans de nombreux domaines : promesses unilatérales, droit de préemption ou en matière successorale -, la liberté d’agir en justice, prendre une sûreté, etc… Il est ainsi important de s’attarder sur ces différentes sortes de prérogatives en les définissant afin de déterminer plus

77 Il ne sera donc pas question de trancher la querelle doctrinale sur l’existence et les effets d’une

notion de prérogative, ni de restreindre ce terme à la seule prérogative contractuelle. V. D. MAZEAUD, « Les enjeux de la notion de prérogative contractuelle », RDC, 1er avril 2011, n° 2, p.

690, adde Ph. STOFFEL-MUNK, L’abus dans le contrat. Essai d’une théorie, LGDJ, Bibl. dr. privé, t. 337, Préf. R. BOUT, 2000 : l’auteur classe les prérogatives. Contr. D. FENOUILLET, « La notion de prérogative : instrument de défense contre le solidarisme ou technique d’appréhension de l’unilatéralisme ? », RDC, 1er avril 2011, n° 2, p. 644, Comp. Y. GUENZOUI, « Les querelles

doctrinales », RTD civ. 2013, p. 47 spéc. note 104.

78 Cass. com. 10 juill. 2007, n° 06-14768, JCP G. 2007, II, 10154, obs. D. HOUTCIEFF ; D. 2007, p. 2844, note P.-Y. GAUTHIER ; RTD civ. 2007, p. 773, obs. B. FAGЀS ; RDC, 1er oct. 2007, n° 4,

p. 1110, obs. D. MAZEAUD ; X. DELPECH, « Le devoir de bonne foi n’écarte pas la force obligatoire du contrat », Dalloz actualité 12 juill. 2007.

79 V. P. ROUBIER, « Les prérogatives juridiques », Arch. Phil. dr. n° 5, 1960, p. 77 et s.

80 I. NAJJAR, Le droit d'option - Contribution à l'étude de l'acte juridique unilatéral, LGDJ, 1967,

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précisément ce sur quoi porte l’abstention. Quoi qu’il en soit, la prérogative porte en elle la reconnaissance juridique d’un choix accordé à son titulaire.

18. Le droit. Un droit, tout d’abord, est une prérogative qui est juridiquement reconnu à une personne, cette dernière bénéficiant alors d’un pouvoir de contrainte pour le faire respecter. Les doctrines classiques définissaient en effet le droit comme « une sphère d’exercice à la volonté individuelle ou comme la reconnaissance d’un intérêt légitime et de sa protection juridique »81. Le titulaire a alors les outils pour décider, de manière presque discrétionnaire, quel exercice il en fera et comment il en disposera finalement.

Une catégorie de droits spécifiques, les droits potestatifs ont, quant à eux, vocation à être exercés de manière discrétionnaire. Par exemple, dans le cas où un salarié effectue une invention pendant ses heures de travail sur son lieu de travail, l’employeur dispose d’un droit potestatif quant à l’option légalement offerte82. Après la levée de l’option, le bénéficiaire devient acquéreur. L’employeur est désormais titulaire d’un droit réel, droit à caractère patrimonial qui est exercé directement sur une chose, en l’occurrence sur l’invention. Autrement dit, l’employeur a le droit d’acquérir, à son appréciation, c’est-à-dire par l’effet de sa propre décision, l’invention d’une autre personne, son salarié. La revendication d’attribution, exercée par lui seul, suffit à le faire devenir propriétaire de l’invention, laquelle entre alors dans le patrimoine de l’entreprise. En ne levant pas l’option volontairement, l’employeur retient, de fait, son droit de revendiquer l’invention du salarié. Néanmoins, il faut noter que l’abstention peut également porter sur une formalité.

19. La formalité. Toutes les prérogatives sont facultatives et confèrent donc le choix de les exercer. C’est d’ailleurs de cette manière que le titulaire de la prérogative a la possibilité de jouir des effets attachés à cette dernière dès lors qu’il agit au sein du délai imparti. Certaines prérogatives peuvent être exercées immédiatement, sans prérequis. D’autres exigent des étapes préalables, comme accomplir certaines formalités sans lesquelles l’exercice ne pourrait aboutir à la jouissance effective

81 Propos de IHERING, cité par J. ROCHFELD, Les grandes notions du droit privé, Thémis droit,

PUF, 1ère éd. 2011, notion n° 3, p. 149. 82 Art. L. 611-7 CPI.

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des bénéfices liés à la prérogative. Les formalités appartiennent alors à une catégorie particulière qu’il convient d’analyser pour démontrer leur nature de prérogative.

Les facultés sont « des pouvoirs juridiques de l’homme accessoires à une situation juridique permanente (…) elles ne sont donc pas par elles-mêmes des droits subjectifs (…) ». Aussi, l’individu peut-il en user selon ses besoins. Reconnaître une faculté83 revient donc à reconnaître la liberté d’action ou non du bénéficiaire face à celle-ci. Cela équivaut a fortiori à le laisser maître du choix de l’option qui satisfera le mieux ses intérêts. Elles regroupent divers actes exigés par la loi « soit comme condition de recevabilité ou comme condition préalable nécessaire à l’obtention d’un avantage »84. En tant qu’acte exigé par la loi, elles pourraient être de véritables obligations.

Une obligation a en effet pour objet une prestation, qui doit a priori être exécutée en vertu du respect d’un texte ou d’un contrat. Il s’agit « du lien de droit unissant le créancier au débiteur. (…) Plus précisément, il y a obligation quand une personne (le créancier) peut juridiquement exiger d’une autre (le débiteur) une prestation »85. Elle se caractérise par le pouvoir de contrainte du créancier à l’encontre du débiteur86.

Cependant, une formalité n’est un acte exigé que « comme condition de recevabilité ou comme condition préalable nécessaire à l’obtention d’un avantage ». Il s’agirait alors d’une obligation conditionnelle. Cette dernière est définie par le Professeur CORNU comme étant « l’obligation affectée d’une condition »87, c’est-à-dire que le résultat juridique dépend de la modalité de l’obligation, cette dernière étant soumise à la volonté du titulaire de la prérogative principale. La formalité ne lie ce dernier que s’il le décide. La formalité n’est que le moyen d’atteindre un effet particulier dont l’avènement dépend de la volonté du titulaire de la prérogative.

Ceci est d’autant plus logique que la formalité ne reflète pas un lien de droit unissant un créancier et un débiteur. Certes, l’obligation légale engage celui qui y

83 P. ROUBIER, art. préc. p. 92 et 95.

84 G. CORNU (dir), Assoc. H. CAPITANT, Vocabulaire juridique, PUF, Quadrige, 10ème éd. 2014,

v. « formalité ».

85 Ph. MALAURIE, L. AYNЀS, Ph. STOFFEL-MUNK, Les obligations, lextenso, Defrénois, Droit

civil, 5ème éd. 2011, p. 1, n° 1. 86 Ibidem.

87 G. CORNU (dir.), Assoc. H. CAPITANT, Vocabulaire juridique, PUF, Quadrige, 10ème éd. 2014,

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est soumis malgré lui, mais le titulaire d’une prérogative devant accomplir une formalité pour jouir des effets attachés à celle-ci ne semble pas engagé envers une personne autre que lui-même. Le fait que la formalité conditionne l’avènement des avantages, sans être susceptible d’entrainer la mise en œuvre d’un pouvoir de contrainte, démontre que la formalité n’est pas une obligation mais une prérogative particulière. En effet, elle permet à une autre prérogative de naître.

La prérogative peut finalement être caractérisée par le pouvoir de décision qu’elle offre à son titulaire. Ainsi, objet de l’abstention, elle a une existence juridique. Il importe à présent de tester celle de l’abstention du titulaire d’une prérogative.

20. L’existence juridique de l’abstention. Pour que son étude soit justifiée, il faut que le comportement d’abstention du titulaire d’une prérogative se rencontre et que le Droit trouve un intérêt à s’en saisir, ce qu’il n’a pas fait pleinement jusque- là.

Avant d’avancer le moindre élément de réponse, il convient de rappeler que ce n’est pas parce qu’un mot est peu employé, que ce à quoi il se rapporte n’existe pas. De fait, ce n’est pas parce que le terme d’abstention tel qu’envisagé ici, à savoir l’inaction volontaire du titulaire d’une prérogative, n’est que rarement à relever que l’abstention n’est pas. Il importe au contraire de démontrer que l’abstention existe, ce qui revient, en premier lieu, à s’assurer du fait que le non- exercice d’une prérogative existe et, en second lieu, à attester de l’intention qui accompagne cette absence d’exercice.

21. L’existence du non-exercice d’une prérogative. Observer l’absence d’action équivaut à se rendre compte de l’absence de mouvement de la part de l’intéressé88. Ainsi, en premier lieu, tout comme il est possible d’agir, il est possible de ne pas agir. D’ailleurs, il n’est pas dans la nature de l’Homme d’être d’une rigueur sans faille. De plus, le don d’ubiquité serait parfois nécessaire pour exercer toutes ses prérogatives sans exception. L’inaction semble donc inéluctable dans la vie d’un titulaire de prérogatives. Le non-exercice se rencontre, crée parfois des litiges et existe donc.

88 « Une situation d’absence dispose en effet d’une existence propre », D. FALLON, op. cit. p. 84,

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Mieux, l’inaction a une existence juridique. Le Droit positif veille en effet à encadrer l’exercice d’une prérogative dans des délais marqués notamment par la prescription89, la forclusion90 et la caducité91 si l’inaction se poursuit jusqu’au terme du délai. En outre, ce terme marque également la fin de l’abstention. Peu importe, en effet, une fois ce terme atteint, que le titulaire du droit reste volontairement dans l’inaction puisque son choix d’agir ou non n’existe plus. Son intention n’a plus d’importance. L’intention de ne pas jouir dans l’immédiat des effets de ses prérogatives, caractéristique de l’abstention, n’en est que plus manifeste.

22. Intention de ne pas jouir des effets de sa prérogative. Ainsi, en second lieu, le titulaire d’une prérogative se retrouve souvent à devoir faire un choix et c’est paradoxalement de cette vérité que naît l’abstention. C’est pourquoi Monsieur CÉLICE affirmait, dès 1968, qu’il faut admettre que la classification des attitudes fondamentales en deux groupes, OUI et NON, est insuffisante puisqu’il en existe une troisième, l’abstention. Quant à cette dernière, l’auteur met en avant le fait qu’il s’agit de ne pas intervenir dans la situation offerte et ce consciemment, de manière délibérée92. Pour preuve, il est possible de se référer à un cas bien connu d’abstention, l’abstention en matière électorale. Elle désigne alors le fait volontaire de ne pas se déplacer pour aller exercer son droit de vote. Le citoyen censé aller voter, puisqu’il avait malgré tout pris soin de s’inscrire sur la liste électorale, reste inactif93. En Droit, l’abstention renvoie bien à un non-exercice94, plus encore, un non-exercice reflétant la volonté de ne pas jouir de ses droits, en ce qui concerne l’abstention électorale, de ses droits civiques. L’abstention équivaut ainsi au choix de ne pas exprimer ou faire-valoir sa prérogative. L’intention détermine donc l’abstention qui a une existence juridique même si celle-ci n’est pas développée

89 Cf Supra n° 2 à 5. 90 Art. 122 CPC. 91 Art. R311-11 CPCE.

92 B. CÉLICE, Les réserves et le non vouloir dans les actes juridiques, Préf. J. CARBONNIER,

LGDJ, Bibl. dr. privé, 1968, t. LXXXIV, p. 75, n° 120.

93 V. définition de l’abstention en matière électorale. Elle s’oppose à la personne qui ne vote pas

parce qu’elle ne s’est pas inscrite sur les listes électorales. À nuancer aujourd’hui avec l’inscription d’office sur les listes électorales à dix-huit ans. Néanmoins, l’adresse prise en compte est celle déclarée lors du recensement effectué à seize ans. Si le nouvel électeur veut voter dans une autre commune, il doit faire la démarche de s’inscrire.

94 G. CORNU (dir.), Assoc. H. CAPITANT, Vocabulaire juridique, PUF, Quadrige, 10ème éd. 2014,

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parce que le Droit se contente d’encadrer l’inaction sans distinction. Il en existe pourtant différentes formes. Il est ainsi intéressant de confronter l’abstention à des notions lui étant proches.

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