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Chapitre 3 - Présentation de la démarche en 2 étapes : cadres théoriques,

2. Analyser les relations entre travail et subjectivité : « travail vivant », rapport

3.3. Seconde étape

La seconde étape a consisté à répondre à la question suivante : « comment analyser

l’organisation du travail comme l’aménagement des conditions de vie au travail en

élevage? ». Pour répondre à cette question, j’ai construit un cadre théorique d’analyse à partir

de l’approche « pilote de l’organisation du travail » et de l’approche du « travail vivant »

présentées dans les premières et deuxièmes parties de ce chapitre.

Ce cadre théorique repose sur une articulation de l’approche de l’organisation du travail

comme une combinaison de facteurs qui peuvent jouer le rôle de leviers et de l’approche du

travail vivant. Les notions sur lesquelles il repose sont :

- le travail comme expérience subjective : travailler c’est investir sa subjectivité ; le

travailleur s’éprouve en travaillant et développe sa capacité à s’éprouver.

- une représentation de l’éleveur comme sujet du travail, personne qui souffre, qui éprouve

du plaisir, des dégoûts, des désirs contradictoires, qui dispose d’habiletés, de capacités de

penser, d’inventer.

- la notion de rapport subjectif au travail : c’est la relation qu’entretient le travailleur

avec son travail sur le plan subjectif ; c’est-à-dire ce que l’éleveur investit de lui dans le

travail et en attend pour lui.

- la notion de rationalité subjective du travail : c’est le sens que donne le sujet au travail

sur le plan subjectif,

- la notion de condition de vie au travail comme l’ensemble des facteurs de

l’organisation du travail concourant aux activités productives et participant du rapport

subjectif au travail

- la notion d’aménagement des conditions de vie au travail comme l’agencement de

facteurs de l’organisation du travail, concourant aux activités productives et participant du

rapport subjectif au travail.

- la notion d’objectif et de contraintes temporels, dits relatifs au calendrier de travail et

d’emploi du temps : il s’agit des objectifs ou des contraintes de l’éleveur qui s’expriment

vis-à-vis du travail en élevage en terme de durée du travail, de répartition de la quantité de

travail dans la journée, la semaine ou l’année, d’indisponibilité de la main-d’œuvre.

- 5 facteurs de l’organisation du travail : les 3 leviers considérés par la zootechnie des

systèmes d’élevage sont considérés ici comme des facteurs de l’organisation du travail car

ils ne jouent pas toujours un rôle de levier chez tous les éleveurs. Il s’agit : 1) de la

conduite vue comme un ensemble de modalités techniques concourant à la fois à

l’élaboration de la production, du revenu, d’un calendrier de travail, et du rapport subjectif

au travail, 2) du collectif de travail pour parler de l’ensemble de la main-d’oeuvre

contribuant au travail en élevage et la notion de noyau organisateur pour distinguer les

membres du collectif de travail qui ont plus de poids dans les décisions d’organisation du

travail, 3) des équipements pour parler du matériel et des bâtiments d’élevage. A ces 3

facteurs, j’ajoute la gestion du temps dédié à l’élevage, le dimensionnement des

activités suite aux résultats de la première étape. Les éléments constitutifs des facteurs ne

chaque facteur n’est pas exhaustive, elle est construite en fonction de chaque éleveur. Ne

sont retenus que les éléments nécessaires et suffisants pour identifier les éléments

structurants ou les compromis et les tensions dans l’aménagement des conditions de vie au

travail.

- les notions de levier et de pivot pour caractériser le rôle d’éléments du rapport subjectif

au travail ou de l’organisation du travail dans l’aménagement des conditions de vie au

travail.

Question de recherche :

Comment analyser l’organisation du travail au regard des contraintes temporelles et du

rapport subjectif de l’éleveur pour identifier les éléments structurants, les tensions ou les

compromis dans l’aménagement des conditions de vie au travail qui font sens pour l’éleveur?

Questions sous-jacentes :

Comment caractériser le rapport subjectif au travail de manière à pouvoir mettre en évidence

les relations entre rapport subjectif au travail et facteurs de l’organisation du travail ?

Quels sont les facteurs de l’organisation du travail qu’il faut analyser pour rendre compte des

éléments structurants de l’aménagement des conditions de vie au travail ?

Comment mettre en évidence les relations entre des facteurs de l’organisation du travail et les

expressions des rationalités subjectives et celles des contraintes horaires et calendaires pour

identifier les pivots et les leviers de l’aménagement des conditions de vie au travail ?

Hypothèses :

- Il existe des relations entre l’organisation du travail, le rapport subjectif au travail, les

contraintes temporelles. Ces relations sont structurantes de l’aménagement des

conditions de vie au travail. L’analyse de ces relations permet de mettre en évidence

des entités qui font sens pour l’éleveur et qui jouent des rôles spécifiques, qui sont

plus importantes que d’autres, dans l’aménagement des conditions de vie au travail.

L’analyse des relations entre ces entités permet ensuite d’expliciter les compromis ou

les tensions dans l’aménagement des conditions de vie au travail.

- On peut représenter l’organisation du travail par 5 facteurs : la conduite, le collectif de

travail, les équipements, le dimensionnement des activités et la gestion du temps dédié

à l’élevage. La gestion par l’éleveur de ces 5 facteurs renvoie aux rationalités du

travail et aux contraintes temporelles.

- Les relations entre l’organisation du travail, le rapport subjectif au travail et les

contraintes temporelles, se font entre tout ou partie de ces 3 catégories d’analyse.

Démarche :

Pour répondre à ces questions méthodologiques, j’ai mis en place un suivi chez un petit

nombre d’éleveurs afin de construire une connaissance approfondie de chaque cas et j’ai

décomposé le problème en trois sous problèmes. Ces éleveurs et leurs systèmes d’activités

sont décrits dans le feuillet dépliable au format A3 situé en fin de manuscrit.

La notion de suivi réfère en zootechnie à une méthodologie qui consiste à passer

régulièrement chez les éleveurs notamment pour faire des relevés permettant d’analyser

l’élaboration des décisions et de la production (Dedieu, 1984 ; Gibon, 1981). Le suivi permet

d’approfondir la connaissance de quelques cas. La sélection des cas est donc une étape

importante. J’ai choisi 8 ménages parmi les 35 enquêtés en 2004 à propos desquels je

bénéficiais d’une connaissance importante pour faire le choix. Le suivi que j’ai mis en œuvre

chez 8 ménages est différent du suivi traditionnel zootechnique. Je n’ai pas relevé

systématiquement les performances zootechniques du troupeau. Le suivi était constitué par 5

ou 6 enquêtes successives, mises en relation, mais dont la thématique différait à chaque fois.

Le premier entretien visait à identifier les représentations de l’élevage de chaque éleveur

pluriactif du ménage (Sens et Soriano, 2001) ; le deuxième s’intéressait à la conduite du

troupeau et des surfaces à l’échelle de la campagne (Dedieu et al., 1997b), de manière plus

détaillée que dans l’approche globale réalisée dans la première étape ; le troisième

s’intéressait plus particulièrement à l’organisation du travail (Dedieu et al., 2006), les 4 et

5

ème

reconstituaient les performances technico-économiques de l’exploitation agricole (Benoit

et al., 1999 ; Dedieu et al., 1997b).

Pour chaque sous-problème, j’ai procédé par itération entre les cas pour articuler l’étude

théorique et l’étude empirique.

Le premier sous-problème était celui de la caractérisation du rapport subjectif au travail en

élevage des pluriactifs. J’ai commencé par comprendre pourquoi les pluriactifs font de

l’élevage et un autre travail à partir des entretiens compréhensifs sur le rapport à l’élevage. Je

faisais l’hypothèse que l’élevage apporte aux pluriactifs quelque chose de plus ou de différent

par rapport à l’autre travail. C’est sur la base de cette analyse et de la littérature que j’ai

construit une proposition méthodologique de caractérisation du rapport subjectif au travail en

élevage qui consiste à le décomposer en 5 types de rationalités subjectives. Le choix des types

de rationalités s’appuie ainsi à la fois sur la littérature et sur les cas étudiés.

Le deuxième sous-problème était celui de l’analyse de l’organisation du travail comme un

agencement de facteurs de l’organisation du travail. J’ai retenu les 3 facteurs clés de

l’organisation du travail qui font l’objet d’étude en zootechnie des systèmes d’élevage : la

conduite, la main-d’œuvre, les équipements. J’y ai ajouté le dimensionnement des activités et

la gestion du temps dédié à l’élevage qui étaient apparus importants pour comprendre les

stratégies d’organisation du travail dans la première étape. A partir de l’ensemble des

entretiens, j’ai vérifié que je pouvais renseigner ces 5 facteurs pour tous les éleveurs et qu’il

n’y avait pas d’autre facteur qui semblait important à prendre en compte.

Le troisième sous-problème était celui de la mise en relation des facteurs de l’organisation du

travail avec les rationalités du travail et les contraintes temporelles. J’ai de nouveau mobilisé

l’ensemble des entretiens et pour chacun des facteurs, j’ai analysé la façon dont le pluriactif

gère le facteur, et comment il en parle pour voir en quoi ces facteurs renvoient effectivement à

leurs rationalités du travail et/ou à leurs contraintes temporelles.

Cette démarche consiste donc à identifier et repérer les singularités de chaque cas, à

comprendre chaque cas pour ce qu’il est. Les hypothèses, le choix des cas, le contenu des

entretiens, l’analyse des pratiques et du discours, la caractérisation de la diversité des rapports

subjectifs au travail et l’identification des pivots, des leviers et des tensions font l’objet du

chapitre 5.